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Premières palatalisations (et toute consonne + ĕ, ĭ + voyelle) ; évolution de y, w, qw, gw
18-04-2025


Pour le vocable "premières palatalisations", voir ci-dessous premières palatalisations.


Les questions de yod (y) et de waw (w) montrent plusieurs aspects communs, et yod entre en jeu dans les premières palatalisations ; cela m'a incité a traiter tous ces aspects en une seule partie.



I. Nature du yod et du waw
 

A. Yod et waw sont différents de i et u


Le système phonique du latin classique contenait les consonnes y (yod) et w (waw), héritées de l'indo-européen : ce sont yod et waw primaires (ou héréditaires) (LG:14, IPHAF:143 pour w). Elles sont appelées yod et waw d'après l'hébreu (LG:14). Voir la généalogie de y et w à : origine des spirantes romanes.


Bien qu'elles soient transcrites avec les mêmes lettres, elles sont différentes des voyelles i et u. Pourtant des alphabets plus anciens contenaient bien deux caractères spéciaux pour yod et waw (yod et digamma, ci-dessous).


Par exemple, dans l'orthographe latine avvncvlvs "oncle maternel", on éprouve une gêne à la lecture si on n'est pas habitué (VV) ; mais justement à la prononciation, on se rend bien compte que waw est différent de u : /awʋnkʋlʋs/. Le premier V est en position de consonne : intervocalique ; le deuxième V est en position de voyelle : interconsonantique. Voir ci-dessous "on repère yod et waw à leur position dans un mot".



Attestation antique

(Velius Longus, orth. IV.3.1) Ex his vocalibus quae apud nos sunt, duae litterae et vocalium vim et consonantium obtinent, ‘u’ et ‘i’.
"Parmi les voyelles présentes dans notre alphabet, deux lettres possèdent la nature des voyelles et des consonnes, u et i" (VLDO:32, trad.it.)



Origine de la confusion graphique : l'histoire des langues et des alphabets


L'alphabet latin provient de l'alphabet étrusque, lui-même provenant d'une variante ancienne de l'alphabet grec (lui-même provenant de l'alphabet phénicien).


(LG:14, e.d.a.) « L'indo-européen connaissait les deux semi-voyelles *y et *w (appelées "yod" et "wau" d'après l'hébreu), appartenant, avec les liquides et les nasales, au système des sonantes. Conservées dans la plupart des langues (cf. latin iecur et uinum), elles ont tendu à disparaître en grec. Le mycénien était encore pourvu de signes notant *y (mais dans une mesure restreinte seulement) et *w, ainsi que des sons de transition (qui ne sont pas des phonèmes) développés par i et u en hiatus (i-je-re-u [hijereus], cf. ἱερεύς ["prêtre"]) ».


Ainsi il a existé en grec très ancien deux caractères pour retranscrire waw et yod :


Caractère digamma :

Le digamma : ϝ (< consonne phénicienne waw) a été utilisé par les grecs, mais le phonème /w/ a disparu des dialectes grecs au cours du premier millénaire avant J.-C. (LG:15), d'où la disparition du caractère digamma vers le IVe siècle avant J.-C. (Wikipédia "digamma").

(L'alphabet étrusque a utilisé le caractère digamma (ϝ) pour transcrire le phonème /f/ ; c'est l'origine du caractère F, Wikipédia).


Attestation antique

(Quintilien inst. 1, 4, 7-8) sed proprie in Latinis : [8] ut in his ‘servus’ et ‘vulgus’ Aeolicum digammon desideratur
"mais dans les mots purement latins, comme servus et vulgus, où le besoin du digamma éolien se fait sentir" (QPLJ;16, ŒCQ1:37-38).

Voir aussi ci-dessous le groupe consonantique RV.



Caractère yod : son histoire est plus complexe, mais elle est semblable à celle du digamma (voir LG:14-15).


Donc du fait de son histoire, l'alphabet latin ne disposait plus de caractères spécifiques pour retranscrire /y/ et /w/. Pour retranscrire ces deux phonèmes, on a utilisé les mêmes caractères que pour les voyelles i et v : les caractères I et V.





B. Réalisation de yod et de waw

Les linguistes hésitent sur le statut phonétique de y et w, qui sont appelés "semi-voyelles", "semi-consonnes", "glides", ou simplement "consonnes".


IPHAF:33 : "une voyelle met en jeu principalement les muscles abaisseurs de la langue, une consonne les élévateurs. Il n'y a donc pas de moyen terme". IPHAF:34 : à propos des éléments brefs de diphtongues i̯ et ʋ̯ , qui sont différents de yod et de waw : "si donc on tenait à conserver l'appellation de "semi-voyelles", c'est à ces sons, et à eux seulement, qu'elle pourrait en toute rigueur convenir".





1. Réalisation de yod

Selon (IPHAF:76), le système phonique du latin exigeait que y (yod) soit prononcé de façon particulièrement énergique :


- yod à l'initiale est renforcé en (jŏcārĭ /óka:ri/ "jouer") ;

- yod à l'intervocalique est géminé (majŏr "plus grand" qu'on croit souvent prononcé avec a long /ma:yor/, mais qui est en fait /mayyor/, voir les erreurs de quantité vocalique dans le Gaffiot).


(Dans l'espagnol actuel, dans yo, llamar... certains hispanophones prononcent à peu près ).


Attestations antiques

(voir notamment PHL4:105)
● (Velius Longus, orth. IV.3.1, en parlant de la lettre i) illud sane animadvertendum, hanc eandem litteram non numquam pro duabus consonantibus sonare, si modo <priori et> sequenti vocali interjecta sit
"cependant il faut signaler que cette même lettre peut parfois sonner à la place de deux consonnes si seulement elle est placée entre deux voyelles" (VLDO:33, trad.it.)


● (Quintilien Inst. 1, 4, 11) Sciat etiam [grammaticus] Ciceroni placuisse ‘ajjo’ ‘Majjam’que geminata I scribere : quod si est, etiam jungetur ut consonans.

(prop.tradu.) Il devrait aussi savoir [le grammairien] que Cicéron préférait écrire ajjo et majja avec j géminé [I des latins] : si on fait cela, j est à nouveau joint à lui-même en tant que consonne.


● (Velius Longus De Orthographia 54.16) et in plerisque Cicero videtur auditu emensus scriptionem, qui et Aiiacem et Maiiam per duo i scribenda existimavit.

(traduction PHL4 :105)
Et le plus souvent Cicéron semble s'être laissé guider par l'oreille en écrivant ; c'est pourquoi il estimait qu'il fallait écrire Ajjax et Majja avec deux j [I des latins].



● Dans les incriptions ou dans les manuscrits, l'orthographe de nombreux mots témoignent aussi de cette gémination du j intervocalique (PHL4 :106) : cujjus, ejjus, majjorem (CIL, II, 1964), ajjunt (Plaute, Merc. 469 dans le palimpseste ambrosien), etc.





On peut faire la même constatation dans la prosodie, qui assure de la prononciation ajjō, majjor, majjus, pejjor, pejjus (PHL4 :105-106).


(PHL4 :106) "Enfin, l'italien maggiore peggiore suppose comme ancêtres latins majjōrem, pejjōrem avec un j double".


On peut comparer ces mots avec l'italien correggia (< cŏrrĭgĭăm). Que doit-ton déduire de ragione "raison", stagione "saison" où le g n'est pas géminé (< rătĭōnĕm, stătĭōnĕm) ? (à étudier).






2. Réalisation de waw

Le w (waw) est une spirante bilabio-vélaire sonore : le conduit de l'air qui sort par la bouche est rétréci à deux endroits à la fois : les deux lèvres (bilabiale) et le voile du palais (vélaire). Cette caractéristique rend w susceptible d'évoluer facilement (IPHAF:143) :


- soit vers β par disparition de la composante vélaire, d'où les aboutissements principaux /v/ et /b/ ci-dessous ;


- soit vers ɣ par disparition de la composante bilabiale, d'où l'aboutissement de de w germanique en /g/ (ci-dessous werra > guerre), et aussi sans doute pour l'apparition du système verbal vélaire en occitan : aguèt, fuguèt, posquèt, visquèt...






C. Problème des choix graphiques

1. Latin écrit par les latins et latin écrit dans les manuels modernes
 

 

À l'écrit, les latins ne distinguaient pas yod et waw respectivement des voyelles i et u. Ils écrivaient simplement I et V. (Alors qu'en grec très ancien et en étrusque, le digamma ϝ a été utilisé pour retranscrire waw). Certes yod et i, waw et u sont très similaires deux à deux. Cette norme graphique des latins entraîne des ambiguïtés nombreuses notamment dans les cas "consonne + V + voyelle" (voir ci-dessous après consonne et devant voyelle, I et V ont des valeurs variables).


Pour résoudre les ambiguïtés, les manuels et les dictionnaires retranscrivent y et w (primaires) j et v : jŏcāri > "jouer", vīnŭm "vin", jŏr "plus grand", ăvŭncŭlŭs "oncle maternel". Mais dans plusieurs cas, ils se sont trompés (voir juste ci-dessous : choix litigieux des manuels modernes).


Par ailleurs il faut signaler que de nombreux linguistes utilisent des lettres indifférenciées minuscules : u pour tout V latin, i pour tout I latin.


(PHL4:9 §7.II.2°) « [...] L'emploi des caractères j et v est moderne ; leur introduction est due aux humanistes et notamment au philosophe et grammairien français Petrus Ramus (Pierre La Ramée, 1515-1572), d'où le nom de "lettres ramistes" qu'on leur donne quelquefois. »





2. Choix litigieux des manuels modernes

Les manuels modernes ont tenté de résoudre les ambiguïtés de l'alphabet latin en transcrivant waw par v et yod par j. Mais leur choix est litigieux dans plusieurs cas.



"Les Latins en leur écriture ne différenciaient pas plus le v de l'u que le j de l'i ; d'où résulte une confusion que les transcriptions modernes n'ont pas toujours réussi à débrouiller, tout en prétendant distinguer la consonne de la voyelle par des signes différents." (GCLC:195).




• cas où v des manuels est en fait ŭ


- Pour malvă "mauve (plante)", le véritable mot semble bien être malŭă (IPHAF:144) : l'influence des dérivés actuels a sans doute poussé les rédacteurs à écrire malvă.


Par ailleurs dans FEW:1-322, bēlŭă, bĕllŭă "gros animal" (d'où l'a.fr. savant bellue "bête féroce") est considéré comme belva ; mais il s'agit bien de bēlŭă, bĕllŭă.


(voir ci-dessous).



• cas où ŭ des manuels est en fait v


- Pour le groupe SV suivi de a, e en début de mot, V a toujours la valeur waw : suāvĭs "doux", suādēre "conseiller", également dans les mots composés (persuādēre "persuader"...) (voir ci-dessous).


"La conclusion serait d'écrire svadere, svavis, si l'on pouvait avoir la prétention de modifier des habitudes prises" (GCLC:196).


- Pour le groupe NV, les formes gĕnuă "genoux", tĕnuĭs "ténu" sont les deux seuls cas connus où u est en fait v (voir ci-dessous).


- Pour le groupe DV, les mots duellŭm "guerre", n.pr. Duilĭŭs sont les deux seuls cas connus où u est en fait v (voir ci-dessous).


- Le groupe QV est toujours un digramme représentant /kw/, le groupe GV est presque toujours un digramme représentant /gw/. Ces digrammes sont toujours écrits qu, gu dans les manuels de latin, en français, et en italien, conformément aux habitudes prises dans ces langues. Dans un cadre rigoureux, ils devraient être écrits qv et gv (voir ci-dessous).



• cas où ŭ des manuels est en fait ŭv :


Voir ci-dessous consonne + uv + voyelle (plŭĕrĕ est en fait plŭvĕrĕ).



• cas où ĭ des manuels est en fait j :


- Les manuels écrivent Pompēĭŭs "Pompée" alors qu'on devrait écrire Pompējŭs. De même pour Pompēĭī (la ville de Campanie) qu'on devrait écrire Pompējī .


- Dans les cas obliques de ăbĭēs "sapin", ărĭēs "bélier", părĭēs "mur", le ĭ devient yod : on devrait écrire : ăbjĕtĕm, ărjĕtĕm, părjĕtĕm (voir ci-dessous).






D. On repère yod et waw à leur position dans un mot

Comme yod et waw sont des consonnes, on les trouve naturellement surtout à l'initiale et à l'intervocalique (IPHAF:143 pour waw). En latin, yod et waw se trouvent en attaque ; en latin classique jamais en coda (d'après ce que je crois, à vérifier).



(Étudier aussi Touratier : QPPPi !)

Christian Touratier (CIAPuL:233) donne une première approche :


"Le latin note par une lettre u (ou i) deux sons reconnus comme différents par les grammairiens latins eux-mêmes, à savoir la consonne [w] (ou [j]) et la voyelle [u] (ou [i]). Et tout le problème consiste à savoir si [w] et [u] (ou [j] et [i]) fonctionnent comme deux phonèmes différents ou doivent être considérés comme deux réalisations différentes d'un seul et même phonème. À notre avis, ces deux sons différents ne fondent jamais une opposition distinctive. Il est parfaitement possible de prédire en fonction du contexte leur caractère consonantique ou vocalique, ce qui implique que le locuteur ne choisit pas entre [u] et [w] et que par conséquent la différence entre le caractère consonantique de [w] et le caractère vocalique de [u] n'est pas distinctive en latin. [...] il faut récuser la fausse paire minimale uŏlŭĭt "il a voulu" / uŏluĭt "il a fait tourner", qui correspond à une prononciation [woluwit] en face de [wolwit]".


En effet imaginons que v et u français soient réunis en un seul v, on aurait par exemple : "bévve, vevve, nevve, vvvlaire, vvlvaire, vlve, vvlve, vovlve, volve, évolve". Avec un peu d'expérience, on arrive à lire "bévue, veuve, neuve, uvulaire, vulvaire, ulve, voulue, volve, évolue" : on peut donc prédire la valeur de v. (Cela ne signifie pas pour autant que [u] et [v] soient les allophones d'un seul phonème. Le fait que [u] et [v] ne fondent pas "d'opposition distinctive" provient de ce que l'un est en position de voyelle, l'autre en position de consonne dans un mot.)




1. I et V à l'initiale devant voyelle représentent yod et waw

Exemples : iocari "jouer", vinvs "vin".


En début de mot, la distinction entre uv- et vu- peut ainsi être délicate à la lecture : vvlpes vulpēs "renard", et vvidvs ūvĭdŭs "humide", à comparer aussi avec vidvvs vĭdŭŭs "veuf".



2. I et V à l'intervocalique représentent yod et waw



a. Cas général de I et V intervocaliques

Exemples :

maior "plus grand" = măjŏr ;

peior "pire" = pĕjŏr ;

pompeius "Pompée (nom de personne)" = Pompējŭs.


cavere "faire attention" = căvē ;

aven(n)io "Avignon" = Avēnĭŏ, Avĕnnĭŏ ;

avvncvlvs "oncle maternel" = ăvŭncŭlŭs.


Cas particulier v intervocalique = vv : dans le parfait mō "je bougeai", v représente une géminée selon IPHAF:154 : [mowwiː]. Je pense que plŭvĭt "il plut" est dans le même cas : plŭĭt [plʋwit] "il pleut" (ci-dessous), plŭvĭt [plʋwwit] "il plut".


Cas particulier vi + voyelle = + voyelle


Par exemple :

aviolvs "aïeul" = ăvĭŏlŭs ;

salvia "sauge" = sălvĭă ;



Cas particulier iv + voyelle = ĭv + voyelle


nivere "neiger" = nīvĕrĕ ;

vivere "vivre" = vīvĕrĕ ;


Voir aussi ci-dessous IVV et VVI.



b. Dans "consonne + ŭv + voyelle", ŭv était écrit V (idem pour ij écrit I)


Certains latinistes signalent que v après u n'était pas écrit : on n'écrivait que V et non VV (voir la citation de Max Niedemann ci-dessous). Cela semble souvent négligé voire complètement ignoré dans de nombreux passages de linguistes réputés. Par exemple :


- F. Gaffiot (DFL) ne donne pas l'étymologie de ăblŭō, qui est : ăb + lăvō (tableau ci-dessous) alors qu'il donne l'étymologie des autres mots apophoniques (confĭcĭō = cŭm + făcĭō) ; à l'origine ăblŭō est en fait ăblŭvō (apophonie devant v) ;


- F. de La Chaussée explique l'évolution vĭdŭă > "veuve" grâce à un "w de consonification", c'est-à-dire que ŭ devient la consonne w (IPHAF:153). Pourquoi n'envisage-t-il pas au moins la possibilité d'un scénario vĭdŭă = vĭdŭvă > *ved'va > "veuve" (ci-dessous) ? (pace F. de La Chaussée). Pourtant l'auteur connaît bien la possibilité u = uv, par exemple dans "monŭwi graphié monui" "je fis songer" (IPHAF:153, voir ci-dessous mŏnŭī).


Cette habitude graphique des romains crée une confusion parmi les linguistes contemporains, et sans doute elle créa une confusion chez les romains eux-mêmes (voir l'extrait de Varron à "Réfection des conjugaisons" à propos du parfait en -uit).


En raison du phénomène d'amuïssement / rétablissement de waw, je pense que selon les époques et les régions, les romains prononçaient ce v ou non. Ainsi il y eut alternance "avec v prononcé / sans v prononcé".


Certains indices permettent de comprendre que le v devait être prononcé en latin vulgaire, ou non :

- les orthographes des substantifs ăllŭvĭō "alluvion", dīlŭvĭŭm "déluge", flŭvĭŭs "fleuve", plŭvĭă "pluie" suggèrent que ăllŭō "je viens mouiller", dīlŭō "je dilue", flŭĕrĕ "couler", plŭĕrĕ "pleuvoir" se prononçaient avec ŭv.

- les descendants de type fr "pleuvoir" < plŭĕrĕ, it vedova "veuve" < vĭdŭă, montrent qu'un v était prononcé dans plŭĕrĕ, vĭdŭă.

-




Les mots de type vĭdŭă "veuve", jānŭārĭŭs "janvier", malŭă "mauve (plante)", Gĕnŭă "Gênes", auraient dû systématiquement être suspectés de contenir soit un v étymologique, soit un v épenthique. Dans les flexions verbales, Christian Touratier éclaircit ainsi certaines incohérences apparentes : voir ci-dessous réalisation consonantique du segment final de la voyelle longue.






Exemples d'alternance "avec v / sans v" (v étymologique non écrit)
  


dans les manuels

variante avec v (jamais écrite)



1. uv d'origine indo-européenne (*ew > uw)



clŭāca "égoût", clŭĕrĕ "nettoyer"

clŭvāca, clŭvĕrĕ (pr-i-e. ḱlewH-)
flŭĕrĕ "couler"
flŭvĕrĕ (pr-i-e. *bʰlewH-) (voir flŭvĭŭs)
plŭĕrĕ "pleuvoir"
plŭvĕrĕ (pr-i-e. *plew-) (voir plŭvĭă) (1)
pŭĕr "enfant"
vĕr (pr-i-e. *peh₂w-)
rŭĕrĕ "se ruer ; s'écrouler"
rŭvĕrĕ (pr-i-e. *h₃rew-)
ī "ruine"
vī (de rŭĕrĕ à la ligne au-dessus)
vĭdŭă "veuve"
vĭvă (pr-i-e. *widʰéwh₂)



2. uv d'origine apophonique (brève + v > ŭv)



a. Composés en lăvō "je lave" (2)
ăblŭō "j'enlève en lavant"
ăblŭvō (ăb + lăvō) (2)
ădlŭō > ăllŭō "je viens mouiller"
ăllŭvō (ăd + lăvō) (voir ăllŭvĭō) (2)
dīlŭō "je dilue"
dīlŭvō (dĭs + lăvō) (voir dīlŭvĭŭm) (2)
pollŭō "je souille"
pollŭvō (por + lăvō) (2)



b. Parfait de la 2e conjugaison (conjugaison => apophonie)



dēbŭī "je dus"
dēbŭvī (dēbĕ- + -vī)



c. Toponymes prélatins
Gĕnŭă "Gênes ; Genève"
 Gĕvă, voir it Genova, voir Genève.



Tableau ci-dessus : mots écrits en u dans les manuels, représentants en fait uv.


(1) Pour plŭĕrĕ, voir plŭĭt prononcé plu-v-it ci-dessous (M. Niedermann) ; ce dernier auteur ne va pas jusqu'à dire que v est étymologique. Et pourtant, tout concourt à l'affirmer.


(2) Pour -lăvō > -lŭvō, le simple lŭō est une formation secondaire sur ăblŭō. Pour les composés en -lŭō, il n'y a pas de descendance populaire, au contraire du verbe sŏlvō "je délie" (< sē- + lăvō) +  qui selon moi montre une syncope précoce de la voyelle apophonique *sŏlŭvō > sŏlvō (> AO sǫlver "délier", a.fr. soudre "payer"), avec lui-même ses dérivés latins absŏlvō (> AO absolver, "absoudre"), très utilisé en latin chrétien, dissŏlvō (> emprunt "dissoudre")... Voir l + r > ldr. Voir le paradigme de "absoudre", avec "qu'il absolve", "absolvant".





Exemples de mots faussés dans les manuels, contenant un j étymologique non écrit


dans les manuels

en réalité (très probablement)



ij d'origine proto-italique



fīō "(voie passive de "je fais")
jō (MPL:127)
pĭŭs "pieux"
pījŭs (pr-it.  *pwījos)
comme pĭĕtās en réalité pījĕtās "piété"
(voir pitié)






Tableau ci-dessus : mots écrits en i dans les manuels, représentants en fait ij.

Pour pĭŭs, pĭĕtās apparemment, il y a avait réalisation consonantique du segment final de la voyelle longue.



Réalisation consonantique du segment final de la voyelle longue


Christian Touratier utilise l'existence à l'oral des yods et waws étymologiques non écrits (ci-dessous) pour résoudre les contradictions apparentes dans un même paradigme (CIAPuL:234-235) :

- entre i bref dans audĭō et i long dans audīre ;

- entre u bref dans argŭō "je prouve" et u long dans argūtum .


Sa solution est de considérer qu'un yod ou un waw articulé (mais non écrit) s'ajoute à la voyelle brève pour lui conférer la valeur d'une voyelle longue : il y a "réalisation consonantique du segment final de la voyelle longue".



Le même auteur discute dans un autre ouvrage de la quantité longue ou brève de u dans statuo "j'établis" (ILLL:104) : "Faut-il décrire statuo à partir d'une suite phonématique /statuo:/ avec réalisation biphonématique [uw] du phonème /u/ devant voyelle, ce qui donnerait une réalisation phonétique [statuwo:], ou bien à partir d'une suite phonématique /statu:o:/ avec neutralisation de l'opposition de quantité devant voyelle, ce qui donnerait également la réalisation phonétique [statuwo:]". Nous avons opté pour la seconde description (...), à cause du supin statūtum (...)".


Les dictionnaires donnent : audĭō, flŭō, argŭō avec i et u brefs : si je comprends bien, l'étude de la prosodie a montré que les poètes latins considéraient le découpage : au-dĭ-jō ( U ), et non au-dĭj-ō ( ) ; c'est ce qui a conduit les manuels à écrire audĭō avec i bref.





c. Mais juv et uvi étaient écrits IVV et VVI


Les mots latins ăllŭvĭō "alluvion", dīlŭvĭŭm "déluge" (voir ci-dessus composés en -lŭvō), flŭvĭŭs "fleuve", jŭ "j'aide", jŭvĕnĭs "jeune", plŭvĭă "pluie" étaient écrits respectivement dilvvium, flvvivs, ivvo, ivvenis, plvvia. Dans ces cas-là, uv était donc bien écrit vv. Il s'agissait d'éviter l'ambiguïté de lecture (ci-dessous).






3. Après consonne et devant voyelle, I et V ont des valeurs variables

a. Vue d'ensemble de consonne + (I, V) + voyelle

Les conclusions présentées ici proviennent de l'étude de la prosodie latine et de l'analyse en partie personnelle du problème ŭv écrit V.


Je mets à part les mots composés (ădĭēns ← ădĕō, adjūtārĕ, advĕnīrĕ, invītā...), que je donne entre parenthèses dans le tableau ci-dessous.


En excluant donc les mots composés, on peut généraliser ainsi : 


- Pour I :  I est toujours un ĭ (sauf dans abietem, arietem, parietem "sapin, bélier, mur") ; cette situation fait l'objet de la grande partie ci-dessous premières palatalisations ;


- Pour V :

- dans les groupes LV et RV, V est très souvent un v ( w) ;

- le groupe QV est un digramme qui représente toujours /kw/ ;

- le groupe GV précédé de N est un digramme qui représente toujours /gw/ ;

- le groupe GV s'il n'est pas précédé de N, a la valeur gŭ(v) ;

- pour les autres cas, V précédé de consonne a très souvent la valeur ŭ(v).




Les deux tableaux ci-dessous présentent les prononciations de I et V dans les différentes situations pour "consonne + I + voyelle" et pour "consonne + V + voyelle".



- prononciation /bi/ : n. ăbĭēs "sapin", răbĭēs "rage", ...
- prononciation /by/ : ac. ăbiĕtĕm "sapin"

RI + voyelle : - prononciation /ri/ : n. ărĭēs "bélier", n.  părĭēs "mur", ...
- prononciation /ry/ : ac. ăriĕtĕm "bélier", ac. păriĕtĕm "mur"

autres cas : (à part dans les mots composés de type adjūtō "j'aide") la prononciation est toujours /i/ et non /y/.


Tableau ci-dessus: Valeur de I latin derrière consonne et devant voyelle






BV + voyelle : - prononciation /bʋw/ : bŭĕrĕ "imbiber", imbŭĕrĕ "imbiber" (ŭv écrit V)
- prononciation /bʋ/ hăbŭĭt "il eut", ...

CV + voyelle :
toujours prononciation /kʋ(w)/ : văcŭā "vider", văcŭŭs "vide", *pascŭātĭcŭm "pacage", nascŭĭt "(il) naquit", plăcŭĭt "il plut", ...

DV + voyelle :
- prononciation /dʋ(w)/ : cardŭŭs "chardon", dŭŏ "deux", ŏdĕcĭm "douze", vĭdŭă "veuve", Pădŭă "Padoue"...
- prononciation /dw/ : duellŭm "guerre", n.pr. Duilĭŭs (ces deux exemples sont les seuls connus), aussi en latin archaïque : duĕnŏs ou duŏnŭs "bon" (l'ancien /dw/ a donné /b/ : duellŭm > bellŭm "guerre", duŏnŭs > bŏnŭs "bon").
- (/dw/ mots composés : advĕnī "arriver", ...)

FV + voyelle :
toujours prononciation /fʋ/ : fŭĭt "il fut", ...
GV + voyelle :
- prononciation /gw/ (toujours i.m., toujours après n) : lĭnguă "langue", ...
- prononciation /gʋ(w)/ : ambĭgŭŭs "ambigu", argŭō "je prouve"...

HV + voyelle :
toujours prononciation /ʋ/ hŭic "ici" ([hʋyk] monosyllabe : QCIFLL:523, plutôt [ʋyk] : amuïssement de h)

JV + voyelle :
(aucun exemple ?)

LV + voyelle :
- prononciation /lw/ : (toujours i.m.) sĭlvă "forêt", calvŭs "chauve", salvā "sauver", vŏlvĭt "il roule", ...
- prononciation /lʋ/ (ou /lʋw/ ?) : malŭă "mauve", bēlŭă "gros animal"
- prononciation /lʋw/ plŭĭt "il pleut" (ŭv écrit V)
- prononciation /lʋ/ : vŏlŭĭt "il voulut", ...

MV + voyelle :
(aucun exemple ?)

NV + voyelle :
- prononciation /nʋ(w)/ Gĕnŭă "Gênes", jānŭārĭŭs "janvier", contĭnŭŭs "continu", contĭnŭăt "il continue", mĭnŭĭt "il diminue", ingenŭŭs "indigène ; né libre",... tŏnŭĭt "il tonna", ...
- prononciation /nw/ gĕnuă "genoux", tĕnuĭs "ténu" (mais sans doute aussi /nʋ/)
- (/nw/ mots composés : convĕnī "convenir", invītā "inviter", ...)

PV + voyelle :
săpŭĭt (forme de săpīvĭt "il sut"), răpŭĭt ("il emporta violemment"), ...

QV +voyelle :
/kw/ ăquă "eau", ĕquŭs "cheval", quăttŭŏr "quatre"

RV + voyelle :
- prononciation /rw/ : (toujours i.m.) cĕrvŭs "cerf", parvŭs "petit", ...
- prononciation /rʋ/ prŭī "gelée blanche", pārŭĭt "il apparut", ...
- prononciation /rʋw/ ī "ruine" (ŭv écrit V)

SV +voyelle :
- prononciation /sʋ/  pŏsŭēre "poser", ...
- prononciation /sw/ (toujours d.m.) suāvĭs "doux", suĕscĕrĕ "s'accoutumer", ...
- (aussi /sw/ dans les mots composés : consuētū "coutume", consuō "je couds", mălĕsuā "mauvaise conseillère", ...)

TV + voyelle :
prononciation /tʋ(w)/ : pŏtŭĭt "il put", battŭĕrĕ "battre", battŭĭt "il bat ; il battit" , fŭtŭĕrĕ "foutre", stătŭă "statue", stătŭĕrĕ "établir",
en tŭŭ : fătŭŭs "fade, insensé", mortŭŭs "mort", mūtŭŭs "prêté".

/wʋ/ + voyelle : (aucun exemple ?)

XV + voyelle : (mots composés : *exvĭgĭlārĕ "éveiller", ...)


Tableau ci-dessus : Valeur de V latin derrière consonne et devant voyelle, pour chaque consonne. Je mets des liens en bleu gras dans les cas où la valeur /w/ est possible (voire systématique pour q). Les mots composés sont indiqués entre parenthèses ; les formes conjuguées sont indiquées en vert (en général, indicatif parfait).




b. Dans les mots composés

Dans les mots composés, un yod ou un waw peut exister après consonne :


- adjūtō contient un yod primaire ;

- convĕnĭō contient waw primaire (DLCALI:119).



c. Cas de ăbiĕtĕm, ăriĕtĕm, păriĕtĕm / mŭlĭĕrĕm, fīlĭŏlŭm


●  ăbiĕtĕm, ăriĕtĕm, păriĕtĕm


(à ré-étudier en utilisant LDR, PH-2020:363-364).


Les trois mots ăbĭēs "sapin", ărĭēs "bélier", părĭēs "mur" ont un comportement déroutant pour les linguistes (voir notamment ISACVH, et surtout SCIYSL). Je présente ci-dessous leurs particularités, puis des pistes d'explication.



(1) L'étude de la prosodie montre qu'aux cas obliques, leur i est un yod (et non un ĭ). On devrait donc écrire ăbjĕtĕm, ărjĕtĕm, părjĕtĕm. Pour le latin classique, ce seraient les seuls exemples pour "consonne + y + voyelle" (voir ci-dessus).


(2) À une certaine époque, dans un registre où l'on aurait prononcé ĭ comme voyelle, l'accent aurait porté sur ce ĭ. (Voir règle 3 de l'accent latin ; on est dans le même cas que fīlĭŏlŭm, mŭlĭĕrĕm, caprĕŏlŭm juste ci-après). Toujours selon la même règle 3, pour les formes ăbjĕtĕm, ărjĕtĕm, părjĕtĕm, dans la prosodie, l'accent était nécessairement sur ĕ. Cette position est cohérente avec celle des langues romanes, où l'accent porte sur le e : AO : abt, art, part ; fr "paroi"...


(3) Les descendants romans ont perdu le j : AO : abt, art, part ; fr "paroi", a.fr. aroi "bélier"... 


(4) Dans les descendants romans, le é fermé ne peut pas s'expliquer par ĕ étymologique simple (on attendrait è, voir mutation vocalique).


(5) Les descendants romans ne montrent jamais une palatalisation du type ri > ir, bi > (u)j.


(6) Remarque pour les descendants de ăbiĕtĕm : AO abt "sapin", et les descendants actuels de type abet, avet, auet /awét/ montrent probablement une évolution régulière b > v, avec la prononciation /b/ pour v dans l'ouest du domaine d'oc). Il paraît peu probable qu'une gémination de b devant ĭ consonifié eût lieu (b aurait ainsi résisté aux sonorisations, voir renforcement consonantique). 



Pistes d'explication



Voici la position de P. Fouché, qui mêle deux explications :


Pour P. Fouché (PHF-f2157-158), il y a eu une évolution ĭ > j pour deux raisons : 1. analogie sur le datif et l'ablatif pluriel (parĭĕtĭbŭs > parjĕtĭbŭs d'où parjĕtĕm), 2. dans les groupes "paríĕte túa, paríĕte ílla", l'accent principal de tūa, ĭlla aurait "attiré à lui l'accent secondaire de paríĕte", d'où paryète. Il faut que je voie si dans son œuvre, il y a une explication pour la suite de l'évolution : aboutissements AO : abẹt, arẹt, parẹt...


Voir l'explication fournie par V. Väänänen (OATLR:2), G. Millardet (LDR:327-328). Voir la "loi de l'accent sur la voyelle la plus ouverte".


abiele, ariete, pariele >*-/<//«(Ennius emploie abiete, et Virgile ariete, comme dactile) > *abete, arete, pàréte > abet, aret, paret. Cf. Millardet,
RLR LXI, 357-360.


Intolérance du latin à certains schémas rythmiques


Le latin est intolérant à certains schémas rythmiques, comme R. Garnier l'a démontré (ALLRL).

Le schéma rythmique suivant n'est pas accepté par les latins : [ ͜´   ͜    ͜    ] / [ ͜     ͜´   ͜    ͜  ] (ALLRL:9).


Cela signifie que le paradigme mulier / mulierem n'est "pas toléré".




La forme ăres pour ărĭēs "bélier" est attestée dans Varron :

aries, quod eum dicebant ares veteres

"aries [le bélier] tire son nom du fait que les anciens disaient ares"

Dans ares, la quantité vocalique de e n'est pas connue, mais on a sans doute affaire à ē vu les descendants actuels.

Dans les langues romanes, tous les descendants hérités proviennent de formes sans i (AO aries, arieth, it ariete sont des latinismes, voir FEW 25:219a). Le i a été perdu précocément, et il est possible que les auteurs de l'Antiquité aient perpétué le i par pur conservatisme, alors qu'il n'était plus prononcé dans la langue parlée.




mŭlĭĕrĕm, fīlĭŏlŭm







d. Pour Q, G (et C) + V + voyelle


Le caractère v est toujours prononcé [w] après q et très souvent après g : il constitue les digrammes qv et gv. Les linguistes considèrent souvent que waw fait partie d'une consonne unique /kw/ ou /gw/ (RP/Gw/L:103, DLCALI p. 118 et suivantes).




α. Groupe qv

Il s'agit invariablement du digramme qv, retranscrivant /kw/.

Il est présent dans de très nombreux mots :

æqvvs "plat", aqva "eau", eqvvs "cheval", qvattvor "quatre", qvid "quoi", seqvor "je suis (suivre)"...


Voir évolution de qv ci-dessous.




β. Groupe gv

Il s'agit très souvent du digramme gv, retranscrivant /gw/, mais pas toujours.


Voir évolution de gv ci-dessous.




β1. Digramme gv retranscrivant /gw/
   



Il y a dix mots concernés (avec leurs dérivés) (RP/Gw/L:109) :

angvis "serpent", ingven "aine", langvet "il est affaibli" (langvor "langueur"), lingva "langue", ningvit "il neige", pingvis "gras",  sangvis "sang", stingvit "il éteint", vngvis "ongle", vngvit "il oint" (vngventum "onguent").


On doit rajouter quatre verbes instables qui peuvent se "labialiser" (RP/Gw/L:108-109) : 

disting(v)it "il distingue", ling(v)it "il lèche", restring(v)it "il serre", ting(v)it "il teint".


On constate que dans tous ces cas, gv retranscrivant /gw/ est précédé de n. De ce fait, il est difficile de considérer /gw/ comme une simple variante sonore de /kw/. Christian Touratier estime que /gw/ est une variante de w après la nasale n, elle-même réalisée ŋ (C. Touratier in RP/Gw/L:108-110, DLCALI:119-120). Sur le plan diachronique, l'explication est la suivante :



Origine de ngv
   

Dans la généalogie des consonnes latines, /w/ descend du proto-italique */gw/ et */xw/ (pour ce dernier plutôt */w/ ? voir nŏvŭs, Etymology), voir le schéma origine des spirantes romanes. En effet pour le latin, le */gw/ d'origine indo-européenne a évolué en V /w/, que ce soit en position intervocalique ou à l'initiale.

(Exemples de PHL4:92-93, 151) :




pr-i-e.  */(V) gw V/     >       lat  /(V) w  V/



- à l'intervocalique : pr-i-e. (acc) *snóygʷʰom > lat (acc) nĭvĕm "neige"

- à l'initiale : pr-it.  *gʷenjō > lat vĕnĭō "je viens" ; : pr-it.  *gʷīwō > lat vīvō "je vis"




Ce n'est qu'en position subséquente à n que */gw/ indo-européenn est conservé : 


pr-i-e. */ngw/   >   lat  /ngw/



- pr-i-e. *sni-n-gʷʰ-énti > lat ninguĭt "il neige" (voir Wikipédia ninguit)




Devant consonne, pr-i-e. */gw/ comme /kw/ évolue en /k/ :


pr-i-e. */V gw .../   >  (syncope)     lat  /V k C/




- pr-i-e. (nom) *snóygʷʰospr-it. (nom) *sniks > lat (nom) nix "neige"



À la règle "/gw/ se trouve toujours après n", il existe quelques exceptions (RP/Gw/L:110-111) :

- un cas de /gw/ ailleurs qu'après n : vrgere = vrgvere, "presser ; qui presse"  ;

- deux cas de /w/ après n : genva "genoux", tenvis "mince, ténu", voir

ci-dessous N + V + voyelle.







β2. Groupe gv retranscrivant /gu(w)/



On peut citer ambĭgŭŭs (RP/Gw/L:108), argŭō "je prouve" (CIAPuL:235)... Entre les deux voyelles en hiatus, un waw épenthique ou étymologique était sans doute prononcé : */ambigʋwʋs/, */argʋwóː/. Voir ci-dessus ŭv écrit V.

Pour argŭō, le w est sans doute étymologique : voir réalisation consonantique du segment final de la voyelle longue.




γ. Groupe cv

Pour cv + voyelle : V représente une voyelle, mais assez tôt, au cours du Ier siècle avant J.-C., la consonification de ŭ après c aboutit à la même prononciation que dans qv, voir ci-dessous évolution de c + ŏ, ŭ en hiatus.






e. Pour L, R + V + voyelle

α. Cas général : LV et RV = lv et rv


Après l ou r (liquides), v représente souvent /w/, à part dans les verbes conjugués (vŏlŭĭt "il voulut", pārŭĭt "il apparut").


Attestation antique

(Quintilien 12, 10, ) Æolicœ quoque litteræ, qua servum cervumque dicimus, etiamsi forma a nobis repudiata est, vis tamen nos ipsa persequitur.
Quant au digamma éolien [ϝ prononcé /w/], quoique nous en ayons rejeté la forme, nous en conservons la force, pour ainsi dire, malgré nous, lorsque nous prononçons certains mots, tels que servus et cervus (QPLJ:472).
Voir ci-dessus le caractère digamma.



Voir DLCALI:119-120 qui cite Touratier (SPQG:247) : « on constate que /w/ n’est possible que dans les groupes biphonématiques et après une liquide : rw (cf. neruus, aruus) et lw (cf. aluus, uoluo) ». Il faudrait nuancer en disant : et très marginalement après d, n, s.

Ci-dessous, solvō provient de se + lŭō, donc tout se passe comme s'il y avait consonification en latin si LV n'est plus à l'initiale : ŭ > v (à étudier).


après l : alvvs, calvvs, fulvvs, gilvvs, milvvs, salvvs (salvare), silva, solvo, volvo...

après r : arvvm, cervvs, cvrvvs (cvrvare), ervvm, nervvs, parvvs, servvs (servire)...


Donc les manuels et les dictionnaires écrivent de façon exacte :

alvus, calvus, fulvus, gilvus, milvus, salvus (salvare), solvo, volvo.

arvum, cervus, curvus, ervum, nervus, parvus, servus (servire).


Il faut rappeler que ce contact v / u facilite l'amuïssement de v (ervum > erum ; servus > serus...).



β. Cas plus rare : LV et RV = lŭ(w) et rŭ(w)


Au contraire des cas précédents :

malva "mauve (plante)" est malŭă (IPHAF:144) ; c'est un mot d'origine sémitique, voir l'hébreu מַלּוּחַ‎ (malúakh) ;

belva "gros animal" serait bēlŭă (SSL:8,11). Aussi : prŭīnă "gelée blanche".


Dans cette catégorie entre aussi le cas des parfaits forts, de type vŏlŭĭt :


Par exemple : vŏlŭĭt "il voulut", dŏlŭĭt "il eut mal", mŏrŭĭt "il mourut"... Il faut noter l'ambiguité avec les caractères latins : volvit vŏlŭĭt "il voulut" et volvit vŏlvĭt "il roule".


Pour ī "ruine", rŭĕrĕ "se ruer", ērŭĕrĕ "déterrer", RV représente rŭv (ŭv écrit V).




γ. Évolution de type corvus > *corbus

Voir ci-dessous évolution de type corvus > *corbus.



f. Pour N + V + voyelle


Dans deux cas, V a la valeur /w/ dans la poésie latine : genva "genoux", tenvis (voir gĕnuă et tĕnuĭs  ci-dessus).

RP/Gw/L:110-111 : dissyllabiques tĕnŭĭs, tĕnŭĕ, tĕnŭĕm, tĕnŭīs, trisyllabiques tĕnŭĭă, tĕnŭĭŭs, tétrasyllabique extĕnŭātŭr. "Le comportement de /w/ est ici exactement celui qu'on observe dans seruō et soluō." Il faut remarquer que GENVA gĕnŭă "genoux" s'oppose à GENVA Gĕnŭvă "Gênes", où ŭ représente ŭv (> it Genova) (ci-dessous).


Cependant tenvis avait peut-être aussi une prononciation avec V = ŭ ("Tenve représente ten-uis, qui, comme on sait, se disait à côté de tĕ-nŭ-ĭs" Littré "ténu" ; et justement dans ce cas, il est fort possible que a.fr. tenve représente au contraire tĕ-nŭ-ĭs selon le scénario ci-dessous). Les spécialistes ont discuté sur la valeur de ce contact entre phonèmes : tantôt V est considéré comme consonne, tantôt comme voyelle, tantôt comme un élément de diphtongue, voir le cas ci-dessous caulŭm > cavolo).


Dans tous les autres cas, V a la valeur ŭ(v) :


Pour Gĕnŭă "Gênes ; Genève", il semble qu'il y ait un w étymologique, voir Gĕnăvă. (ci-dessus ŭv écrit V).


Pour les autres mots, il y avait sans doute souvent un w épenthique, voir ci-dessous : ŏ, ŭ en hiatus : annŭŭs (annŭalĭs) "annuel", contĭnŭŭm "continu", Gĕnŭă "Gênes", jānŭārĭŭs "janvier", mănŭālĭs "à la main", strēnŭŭs "diligent".








g. Pour S + V + voyelle

- Prononciation /sw/ :


La prononciation /sw/ ne se trouve qu'en début de mot, et concerne tous les mots en SV + A, E (si je comprends bien, bibliographie à améliorer) (GCLC:196, SSL:13,25, alors que /W/LG:39,70 considère par erreur ? que u est une voyelle dans ces cas).


Il faut mettre à part les dissyllabes avec hiatus : sŭă "sa" (voir IPHAF:144 pour cŭī, fŭī). Pour suō "je couds" : je ne sais pas si u a la valeur de ŭ ou w (suĕrĕ, con + suĕrĕ > consuĕrĕ : ?)



suādē "conseiller", suāvĭs "doux", suĕscĕrĕ "s'accoutumer", Suessĭōnĕm "Soissons", Suēvi "Suèves, peuple germain"...


Également dans les mots composés :


persuādē "persuader", consuĕscĕrĕ "accoutumer", consuētūdo "habitude", mălĕsuā "mauvaise conseillère" : SSL:25.


- Prononciation /sʋ/ :


Si S + V + voyelle n'est pas en début de mot, V est la voyelle ŭ : pŏsŭēre "poser" (SSL:26).



h. Pour D + V + voyelle

Seuls deux mots témoignent d'une prononciation /dw/ : duellŭm "guerre", n.pr. Duilĭŭs (SSL:13).


Dans les autres mots, le V est la voyelle ŭ : cardŭŭs "chardon", dŭŏ "deux", ŏdĕcĭm "douze", vĭdŭă "veuve", ...



i. Pour les autres cas, bilan
 

- Pour consonne + I + voyelle : dans les autres cas (à part abietem, arietem, parietem), on a affaire à la voyelle ĭ en hiatus. Cette voyelle évoluera vers une une consonification quasi-systématique (comme pour ĕ), à l'origine des premières palatalisations ci-après.


- Pour consonne + V + voyelle : dans les autres cas, en plus des cas cités ci-dessus, on a affaire à ŭ(v) en hiatus. L'évolution de cette voyelle est complexe, voir évolution de ŭ, ŏ en hiatus ci-après.






E. Il a existé des yods et des waws épenthiques (et étymologiques), rarement écrits

(27 janvier 2019) Cet aspect dans l'étymologie des mots occitans et français est sous-étudié, sans doute par méconnaissance. Je présente ci-dessous plusieurs réflexions personnelles.



1. Que sont les yods et les waws épenthiques (et étymologiques) ?


J'appelle yods et waws épenthiques les yods et waws apparus par épenthèse dans la succession "voyelle + voyelle appartenant à deux syllabes différentes", c'est-à-dire dans les hiatus. Ces hiatus peuvent se trouver dans "u ou i + voyelle", ou dans d'autres cas. D'autres auteurs appellent ces sons des sons de transition (exemple pour le grec ci-dessus).


Exemple : jānŭārĭŭ(m) "janvier" pouvait être prononcé avec un w intercalé entre ŭ et ă ([yyaːnʋwriʋ]), voir ses descendants du type genovier ci-dessous, (w > v).



Or dans les situations "u ou i + voyelle", des yods et waws étymologiques pouvaient déjà très bien exister. La différence avec les yods et waws épenthiques devenait alors délicate (mais encore possible par la bonne connaissance des paradigmes).


Exemples :

- /flʋwéré/ "couler" est écrit flŭĕrĕ alors qu'il contient un w étymologique (< pr-it. *flūgvere ci-dessous, voir [gw] > [w], voir flowō) ;

- sans doute : vĭdŭă(m) "veuve" était prononcé avec un w intercalé entre ŭ et ă ([wiðʋwa]), ce qui est confirmé dans son descendant it vedova "veuve".



Les latins ont pris le parti de n'écrire aucun de ces sons, sauf les waws dans les mots en juv- et en -uvi- pour éviter l'ambiguïté de lecture (ci-dessous) : jŭvĕnis "jeune", jŭ "j'aide", plŭvĭă "pluie" étaient écrits avec v.



Concernant les yods et waws étymologiques, cela a créé une incohérence notable à l'écrit, un même paradigme contenant par exemple :

ŭ et ū :

flŭō, flūxī, flūxŭm, flŭĕrĕ "couler", voir ci-dessous réalisation consonantique du segment final de la voyelle longue ;

ŭ et ŭv :

plŭĕrĕ, plŭĭt "pleuvoir, il pleut", plŭvĭă "pluie"

Dans plŭĕrĕ, plŭĭt, il y avait un v non écrit (de nature étymologique, voir pr-it. *plowō in pr-i-e. *plew- ; lorsque le ŭ s'est prononcé /ó/ par l'influence ouvrante de β < v, on a écrit par exemple plovebat "il pleuvait" (Pétrone).



Remarque : dans jānŭārĭŭ(m) "de janvier" prononcé [anʋwaːryʋ], le w est un phone ([w]), non un phonème (/w/). Mais cette limite entre phone et phonème est fluctuante : dans l'histoire de la langue, il est devenu un phonème puisqu'en AO, le v dans genovier est bien un phonème. Dans cet exemple, on peut dire que [anʋwaːryʋ] est l'unité phonétique correspondant à l'unité phonologique /yanʋaːriʋ/. Voir les exemples de Chr. Touratier ci-dessous.

Remarque : au cours de la réalisation des pages de ce site, j'ai souvent réalisé que des yods ou waws non écrits, que je pensais épenthiques, étaient en fait étymologiques. Les informations sont difficiles à trouver, et cela met en évidence la mauvaise connaissance de cette habitude graphique des romains par les auteurs modernes.



Attestations antiques :

Quelques écrits latins contiennent des v épenthiques, ou des i épenthiques :

- i épenthique (TSSLT:58, 98) :

Martiias pour Martias ;

Quintiius pour Quintius ;


- v épenthique :

Sallustivo pour Sallustio (TSSLT:58, 98) ;

ci-dessous, avec effet ouvrant sur la voyelle antécédente, voir jŭvene > jŏvene) :

poveri pour pueri (TSSLT:58, 98).




Voici mes sources :



Explications de Max Niedermann :


PHL4:104,105 : "Dans les groupes i + voyelle de timbre différent et u + voyelle de timbre différent, formant deux syllabes, i et u ont développé à leur suite, comme sons transitoires, les semi-voyelles respectives j et v. L'écriture, d'ordinaire, ne marquait pas ces phonèmes parasites. On orthographiait donc pius "pieux", via "route", duo "deux", pluit "il pleut", tout en prononçant pi-j-us, vi-j-a, du-v-o, plu-v-it. La supression de v après u dans l'image graphique a même été étendue au v organique de mots tels que fluvere "couler" et fruvī "jouir de" (de *flugvere, *frūgvī ...), écrits fluere, frui. Toutefois, comme l'alphabet latin ne faisait pas de distinction entre i et j, ni entre u et v (...), l'ambiguïté de graphies du type IVENTA "jeunesse", qui pouvait se lire juventa et *iventa, PLVIA "pluie", qui admettait les deux épels pluvia et *pluja, a fini par introduire la notation du v (sous forme d'V, bien entendu) dans ces mots et dans un certain nombre d'autres de la même espèce (p. ex. fluvius) dès la fin de l'ère républicaine."


Explications de Solmsen fournies dans MPL:128 :


"Après u il n'y aurait eu nulle part de v proprement dit, mais seulement le son de la détente de la voyelle u, quand on passe de cette voyelle à une autre ; même là où l'étymologie indique l'existence de v, comme dans juvenis, ce v se serait affaibli jusqu'à se confondre avec le son de la détente d'u précédent. A l'époque républicaine ce son fugitif n'aurait pas été noté, et à l'époque impériale on l'aurait noté seulement dans les mots qui autrement auraient pu être épelés incorrectement (...)".



Exemples de Christian Touratier :

- pour yod : "audio correspondant à la réalisation [awdijo:] de la séquence phonématique /awdi:o:/" (CIAPuL:234-235).

- pour waw : [Si on a la succession : "liquide initiale ou non précédée d'une voyelle + u + voyelle"], "alors u note un phonème vocalique /u/ qui avait toute chance de présenter une variante [uw], ruo et luo devant très certainement se prononcer [ruwo:] et [luwo:] plutôt que [ruo:] et [luo:] avec hiatus" (CIAPuL:236).



Cas de jŭvō "j'aide" (identique au cas de jŭvĕnis "jeune")


(CIAPuL:235) : "On peut même penser que iuuo, prononcé [juwo:], est la réalisation de /iu:o/ (...) La particularité du verbe iuuo serait alors purement orthographique : la séquence phonique [uwo] y était transcrite uuo et non pas seulement uo (comme dans abluwo: écrit normalement abluo), parce qu'elle était précédée d'un i : une suite graphématique uo ne pouvant se lire après voyelle que [wo] (cf. auo de auus ou lauo), une graphie *iuo aurait correspondu à une prononciation [iwo:], comme dans niuosus ou nominatiuo de nominatiuus, et non pas à [juwo:]"



2. Généralités sur les hiatus et leurs effets


Je place ici un paragraphe général sur les effets des hiatus (je pourrais le placer dans la partie Évolution des voyelles latines ă, ā, ĕ, ē, ĭ, ī, ŏ, ō, ŭ, ū, mais dans la structure du site, il est plus commode pour moi de le placer ici).


D'une façon universelle, l'existence d'un hiatus crée automatiquement la "contrainte anti-hiatus", ou "contrainte anti-attaque vide" (LRTEH:16). C'est-à-dire que dans la chaîne parlée, il n'est pas naturel d'articuler des hiatus (ou bien des syllabes sans attaque). On peut distinguer trois groupes d'évolution.


(voir notamment LDR:333)


a. Maintien de l'hiatus


L'hiatus est maintenu par exemple dans realizar "réaliser", caos, caòs "chaos", aerenc "aérien", qui sont des mots d'origine savante, comme sans doute lim meat "égoût". Le hiatus est maintenu aussi dans aïr "haïr", var. oc traïnar "traîner", var. v-a maür "mûr", fr "Louhans" (71, < Lovinco), etc.


Mais les hiatus enfreignent le princ.son. pour la structure des syllabes (voir aussi prosthèse). Donc dans la manière la plus naturelle de parler, ils ont tendance à être "résolus" ou "adaptés" selon les modalités ci-dessous.


C'est donc souvent par influence savante qu'ils sont maintenus.




b. Résolution de l'hiatus

C'est-à-dire que l'hiatus est supprimé ; cela peut être réalisé de plusieurs manières. Je présente ci-dessous ces différentes manières.



α. Épenthèse de consonne anti-hiatique


L'insertion d'une consonne épenthique entre les deux voyelles est une solution pour résoudre l'hiatus. Cette consonne épenthique est très souvent yod ou waw (ci-dessus) : yod dans un hiatus au contact de i, e, waw (ou ɣ) dans un hiatus au contact de o, u.


Ce peut être aussi :

- g /g/ (păvōrĕm > *paore > AO pagọr "peur") ;

- z /z/ (vāgīnăm > AO gaïna, gazina "gaine", păvīmentŭm > AO païmen, pazimen, pavimen "pavé") ;

- h /h/ (AO paho < pā "paon") > r ? săgīnăm > ... > pr.rh. sarin "saindoux" ;

- v (sans passer par le stade waw ?) : par exemple la composition médiévale dea + -essa > AO devssa, divssa "déesse" (mais le stade *dewéssa a pu exister : w > v ci-dessous).

- la voyelle é entre i et ʋ ou ʋ et i (voir insertion de é entre i et ʋ).


Il me semble qu'une première consonne épenthique a pu évoluer en une seconde, par exemple :

/h/ > /r/ ;

/ɣ/ > /g/ ;

/w/ > /v/ ou /b/.

À mieux étudier.


Voir ci-dessous : descendance des waws et g épenthiques,


Les épenthèses peuvent se réaliser en position tonique ou atone.



Concernant le processus phonétique, Georges Millardet puis Gérard Genot écrivent :


(LDR:323) "La rencontre des voyelles à la frontière syllabique produit donc des effets de fermeture comme fait la rencontre des consonnes. (...) Mais le plus souvent la fermeture aboutit à une consonification, qui peut être totale ou partielle. Si elle est totale, l'hiatus est supprimé ipso facto : vinĕa > vinya, cantao > cantau̯. Une syllabe disparaît.

Mais la consonification peut être partielle, c'est-à-dire que celle des deux voyelles qui tend à se fermer, se segmente en deux éléments : c'est l'un de ces deux éléments, celui qui touche à la frontière syllabique, qui devient plus fermé que l'autre, et se consonifie. Là est l'origine des consonnes transitoires si fréquentes dans certains idiomes romans : cat. ideya de idea, veyí de vehí < vicīnum, tiyó de tihó < titionem, bal. cowa < coha, prowa < proa, d'où, par fermeture plus complète de l'élément consonifié, cova, prova, etc."


[d'après DCVB : cat ideya (idea) "idée", veyí (veí) "voisin", tiyó (tió) "tison" ; à Minorque est attesté [pɾóvə] : prōra > proa > [pɾóvə] "proue" ; à Majorque est attesté [kóvə], cauda > coa > [kóvə] "queue" est attesté à Majorque].


 Pour l'italien Bartolomeio, Andreia :


(LDIL:90) "(...) mais il semble bien (voir la forme Andreia) que l'on ait ici une épenthèse analogue à celle de /v/ ou /g/ au contact de /u/. Elle se constitue de la même manière : l'élément déterminant, qui est le /e/ menacé de perte de valeur syllabique par sa position en hiatus, sélectionne la consonne homorganique /y/." (voir ci-dessous Andrēa)





Voir ci-dessous résolution d'hiatus par insertion de v au contact de o, u.



Remarque : En grec, il existait des sons de transition, LG:14 : "Le mycénien était encore pourvu de signes notant *y [yod] (mais dans une mesure restreinte seulement) et *w [waw], ainsi que des sons de transition (qui ne sont pas des phonèmes) développés par i et u en hiatus (i-je-re-u [hijereus], cf. ἱερεύς ["prêtre"])".



Distinguer des épenthèses consonantiques de restitutions savantes
   

À l'intervocalique, sachant que v et g étymologiques latins se sont très généralement amuïs au contact de o, u latins, la coexistence des variantes dialectales suivantes laisse perplexe : AO et OM paur / pavor "peur" (< păvōrĕm) ; AO oncle /avoncle "oncle" (< ăvŭncŭlŭm) ; AO et OM aost / agost "août" (< agŭstŭm)... Dans ces paires de mots, pavor, avoncle, agost semblent tenir leur voyelle d'une influence savante du latin ; mais est-ce le cas ?

Examinons les variantes dialectales provenant de quelques mots latins ayant perdu une consonne :


abŭndare AO aondos, abondos, avondos, ahondos "abondant"

agŭstŭm > AO aost, agost, ahost, asost (azost ?), avost... "août" (Voir les discussions sur la consonne interne à DOM "aost").

păvōnĕm > AO paon, pau, paho ; OM pavon, pabon, etc. "paon".

păvōrĕm > AO paor, paur, pavor, pagor "peur".




Au regard des lignes qui précèdent, on peut proposer la sorte de règle suivante : pour un mot latin, si l'on connaît des descendants avec des consonnes épenthiques différentes de la consonne latine, en plus de la la variante avec consonne latine, il est tout à fait vraisemblable que la variante avec la consonne latine soit populaire, que sa consonne soit en fait épenthique ; par exemple dans dans agŭstŭm > AO aost / avost / agost / ahost, la variante agost peut très bien être populaire, acquise par héritage. Donc selon les régions et les hasards de l'évolution de la langue, la consonne épenthique varie, retrouvant même parfois la valeur initiale latine.


En fait le problème est souvent difficile, voir par exemple ăvŭncŭlŭs "oncle" ci-dessous. Il faut procéder au cas par cas.




β. Synérèse

La synérèse (ou diphtongaison par coalescence) permet également de résoudre l'hiatus, par exemple :


- lat fāgŭ(m) > */faʋ/ > */faʋ̯/ > pr fau /faw/ "hêtre" (fagum > fau) ;


- l.i.P. cahuchu > fr "caoutchouc" > oc cauchó /kawtʃʋ/ ;


- voir les mots français de type "jouet", "suer" prononcés avec synérèse, mais avec diérèse en français méridional.



γ. Consonification d'une voyelle (éventuellement précédée de sa fermeture)

La consonification d'une des deux voyelles permet également de résoudre l'hiatus. Voir notamment les yodisations ci-dessous.



δ. Amuïssement d'une voyelle

L'amuïssement d'une des deux voyelles permet également de résoudre l'hiatus.

Par exemple :

- a.fr. meür > "mûr" (LDR:322), voir voyelles longues françaises ;

- quĭētŭs > *quētŭs (LDR:333) ;

- voir aussi Réduction de diphtongue ou de triphtongue.




ε. Haplologie

L'haplologie peut se produire si les deux timbres sont identiques : imperii > imperi (LDR:321).





c. Adaptation de l'hiatus (je propose cette appellation)

Sans disparaître, l'hiatus peut être adapté dans le sens d'une articulation plus naturelle. Ce n'est souvent qu'une étape vers la résolution d'hiatus.


(LDR:332) "... les remèdes apportés laissent souvent les cas d'hiatus à mi-chemin de la guérison..."


-  (basculement d'accent : loi de l'accent sur la voyelle la plus ouverte) rēgīnam > */réina/ > reina "reine" ;


- différenciation d'aperture.







3. Extension du phénomène d'épenthèse de yod et waw


Max Nierdemann, cité ci-dessus, réduit les cas d'épenthèse à "i + voyelle de timbre différent et u + voyelle de timbre différent, formant deux syllabes". Il faut donner les précisions suivantes :




- Pour yod épenthique : l'épenthèse se réalisait sans doute fréquemment pour les nombreux cas avec ĭ, ĕ + voyelle en hiatus, mais la prononciation a abouti, d'une manière ou d'une autre, au système des premières palatalisations. Voir aussi les quelques autres descendants ci-dessous.




- Pour waw épenthique : l'épenthèse se réalisait certes dans les cas ŭ + voyelle en hiatus, cas fréquent en latin. Mais certains descendants actuels montrent qu'elle s'est produite dans d'autres cas :


- parfois entre les deux éléments de la diphtongue au (ci-dessous) : it cavolo < caulum "chou", peut-être par réaction à la monophtongaison de au ;


- dans un hiatus secondaire : agŭstŭm > *aostu (> "août").

Les amuïssements des consonnes, notamment b, d, g, ont fait apparaître des hiatus identiques aux hiatus du latin classique, et que j'appelle hiatus secondaires. Ils mènent souvent à : voyelle + o, u. Au contact de e, i, o, u, ces hiatus ont pu être également résolus par épenthèse de yod ou waw (agŭstŭm > *aostu > *awostu? > avost "août"). Voir les exemples ci-dessous.


- it continovo < contĭnŭŭm "continu" : ici il y a eu épenthèse entre deux u (mais peut-être influence analogique de continovare < continŭā)







4. Paradoxe amuïssement / rétablissement de yod et waw


Ce paradoxe n'est pas réellement signalé par les linguistes.


Il s'agit de l'existence des deux évolutions contradictoires :


• amuïssement :

- de yod au contact de e, i (eus pour ejus, Pompeus pour Pompejus... TSSLT:58)

- de waw au contact de o, u (ci-dessous)


• rétablissement, ou apparition :

- d'un yod épenthique au contact de e, i

- d'un waw épenthique au contact de o, u (et il faut rajouter le rétablissement savant de waw, ci-dessous).



On pourrait se demander si les latins ne prononçaient pas toujours ces yods ou waws intervocaliques, même sans les écrire. Mais les aboutissements actuels de type oc paur, it paura /paʋra/, fr "peur" < păvōrĕm, fr "paon" < pāvōnĕm montrent que v s'est effacé dans ces mots (ce qui montre très certainement que la consigne de type Prob,176 pavor non paor a été vaine, voir inventaire ci-dessous).


Il y a donc bien deux évolutions contradictoires. Je pense que ce paradoxe peut être expliqué par le fait que l'un ou l'autre phénomène prévalût en fonction des époques, et en fonction des standards dialectaux des régions.




5. Descendance des yods et des waws (et des ɣ) épenthiques


Je donne ci-dessous des exemples de yods et de waw (ou v) épenthiques ayant pu apparaître à des époques très différentes (Antiquité, Moyen Âge, et plus tard sans doute).




a. Descendance des yods épenthiques

Selon les époques et les régions, au moins en domaine d'oc, le yod épenthique peut rester à l'état de yod ou (peut-être ?) évoluer en [dj] (renforcement du yod).




α. Yods épenthiques dans des hiatus primaires

"Premières palatalisations" : je propose ci-dessous une théorie nouvelle sur l'influence d'un yod épenthique hypothétique pour expliquer l'évolution de type līnĕŭm > linge (également abbrĕvĭăt > abreuja). Cela affecte de nombreux mots.


Autres cas :

Voie savante :

ĭdĕă(m) > oc idèa [idèyo], cat idea ([idéya] ("pronúncia vulgar" DCVB)

stătŭă(m) > estatuia (l, g, lim) (voir aussi statova, estadal)

thĕātrŭm > auv teiatre (voir aussi tiatre)


mĕŭ(m) > esp mío [miyo] (TSSLT:99)

tŭŭ(m) > esp tuyo (TSSLT:99) : ici, yod au lieu de waw


Andrēă(m) > Andreia (LDIL:90), voir port Andreia, Eur.cent. Andreja ;

Barthŏlŏmæŭ(m) > Bartolomeio (LDIL:90)


dēstrŭĕre > *distruiere > (renforcement du yod) destruggere (LDIL:90, mais plutôt *dēstrūgĕre, voir étymologie de destruire).



β. Yods épenthiques dans des hiatus secondaires
 

(parfois le i épenthique n'est pas écrit car il suit un i : Aquītānĭăm > oc Guiana [giyano/a] "Guyenne")


-ātăm > variante v-a -aia (amada / amaia)
*alātăm > a.fr. alee [aléːə] (allée) > (emprunt) oc alèia, lèia "allée" (FEW 24:420, 429 note 42), le i existait peut-être déjà en a.fr. comme le montrent certaines variantes du domaine d'oïl recensées dans FEW.
Aquītānĭăm (Aquītānăm) > lim Aiguiana [aygiyano/a], oc Guiana [giyano/a] "Guyenne", voir Aquītānĭăm ci-dessous.

a.fr. baer > "bayer" /bayé/ (LDR:322), voir le yod épenthique en français.

a.fr. quaer > "cahier"

carrūcăm > fr "charrue" > (emprunt) oc charruia "charrue".

pūrāre > dér a.fr. puree [puréë] (purée) > (emprunt) AO pureya (Gaillac, 1392) (FEW 9:610b), pr purèia.

trăgēmăm > AO dragea, drageia, drigeia, trageia "dragée" (tr- > dr- ; évolution de -ēmăm mal élucidée : CNRTL "dragée")

vōcālĕm > a.fr. voieul (< *voiel). Le i est épenthique devant é ; pour la finale -eul dans voieul, voir CNRTL "voyelle". Voir aussi l'autre variante a.fr. vouel ci-dessous.




b. Descendance des waws (et ɣ, v) épenthiques



α. Un scénario négligé par les étymologistes : janŭārĭŭm > *genovariu > "janvier"

Voir ci-dessous ŏ, ŭ en hiatus > v, b (souvent w épenthique).
Les linguistes donnent :


jānŭārĭŭm > *yanβaryʋ > "janvier" (GEAF:67, ILV:47, IPHAF:145,148) ;

vĭdŭăm > a.fr. vedve */védvə/ > "veuve" (GEAF:67, IPHAF:145,153).


D'après ces auteurs, ŭ en hiatus s'est consonifié pour donner v.


jānŭārĭŭm > "janvier", genovier


Pour jānŭārĭŭm > "janvier", AO genovier, contrairement à la position des linguistes ci-dessus, je pense que la comparaison avec l'AO (genovier) suggère plutôt un scénario avec "épenthèse de v puis syncope" :


jenŭārĭŭm > *jenovariu > a.fr. jenvier > "janvier" (toutes les formes romanes dérivent de jenŭārĭŭm selon


Je pense qu'il faut voir le même scénario dans a.fr. anvel "annuel", AO mambal "manuel", et probablement aussi dans a.fr. tenve, teneve, terve "ténu". Voir ci-dessous ŏ, ŭ en hiatus.


Le cas de malŭă "mauve" > AO malva... est incertain.


vĭdŭăm > "veuve"


L'erreur est probablement d'un type un peu différent pour vĭdŭăm "veuve", puisque vĭdŭă (VIDVA) représentait très certainement vĭvă avec un v étymologique (voir ci-dessus ŭv écrit V). L'étymon vĭvă est cohérent avec l'ensemble : it. vedova, ro. văduvă, et a.fr. vedve > "veuve".
Pour l'occitan, voir ci-dessous métathèse de type : vĭdŭă > veusa.


Pour le français on a donc :


*vĭvăm > *vedova > vedve > a.fr. "veuve" (projetbabel ici)





β. Un ensemble cohérent de waws (et ɣ) épenthiques dans la Romania


À revoir :
Mon titre signifie qu'on peut trouver une cohérence entre par exemple it. vedova, ro. văduvă, et a.fr. vedve > "veuve", comme j'explique ci-dessus. On a affaire à un ensemble cohérent mais non généralisé, puisque de nombreux descendants actuels ne contiennent pas de trace du v épenthique (en fait il n'est pas épenthique).


Certains mots, notamment italiens, parfois AO, contiennent un v qui n'existait pas en latin, et qui ne provient pas de la consonification de ŭ. Il est logique de penser que ce v provient d'un waw épenthique au contact de o, u.


Il en est de même pour les g provenant de ɣ épenthique.


G. Genot (LDIL:89) signale que cette épenthèse de v (comme parfois de g dans les mêmes situations) se réalise en position tonique (qu'il appelle prétonique : mănŭālĕm) comme en position post-tonique (Gĕnŭăm). Il faudrait rechercher s'il en existe en prétonique.



β1. Waws épenthiques dans les hiatus primaires (en général ŭ + voyelle)


Je parle ici de la descendance de waw épenthique dans les hiatus primaires ; quand je le signale, je place aussi les waws étymologiques non écrits mal distingués des waw épenthiques (voir ci-dessus le problème de ŭv écrit V).



annŭālĕm > annovale (DLNI:208), a.fr. anvel "annuel"

attĕnŭā > attenovare (DLNI:208) (voir tĕnŭĕm ci-dessous)

continŭārĕ > continovare (DLNI:208)

contĭnŭŭm > variante it continovo "continu" (LDIL:89)

ēlectŭārĭŭm > variantes it elettovario, lattovaro "électuaire"

Gĕnŭă(m) > it Genova "Gênes" (LDIL:89) ; le PCLO:109 signale qu'en dialecte mentonnais, le proparoxyton Gènoa est attesté ("forme classique"), et que la forme Gènova est une variante ultérieure) ; en fait je pense qu'ici, il y avait un w étymologique non écrit, voir Genavam)

jānŭārĭŭ(m) > variante AO genovier, "janvier"

Mantŭă(m) > it Mantova "Mantoue" (LDIL:89) (plutôt w étymologique non écrit ?).

mănŭālĕ(m) > it manovale "manœuvre" (LDIL:89), variante AO mambal

mĭnŭĕrĕ > mĭnŭā > a.it. menovare, cat minvar, esp menguar (ci-dessous), etc. (DÉRom)

*pactŭīre > variante it pattovire "convenir" (SDOFD:243, LDIL:89)

Pădŭă(m) > it Padova "Padoue" (LDIL:89) (plutôt w étymologique non écrit ?)

pæŏnĭă > Pomp PÆVONIA (FEW 7:465b) (voir aussi ci-dessous "pivoine")

plŭĕrĕ, plŭĭt "pleuvoir, il pleut" (il s'agit d'un w étymologique non écrit)

īnă(m) > it rovina "ruine" (LDIL:89) (il s'agit d'un w étymologique non écrit)

stătŭă(m) > a.flor. statova (/W/LG, s.p.) (voir aussi estatuia)

strēnŭŭ(m) > variante it strenovo "vaillant" (SDOFD:243)

tĕnŭĕm > *tenove > a.fr. teneve, tenve, terve "ténu, maigre" (voir attĕnŭā ci-dessus)

vĭdŭă(m) > it vedova (LDIL:89), roum văduvă, a.fr. vedve > "veuve" (il  s'agit d'un w étymologique non écrit)

victŭālĭăm > it vettovaglia "victuailles" (LDIL:89), voir aussi ci-dessous vitalha.


a.b.fr. *thwahlja > AO toalha > it tovaglia (analogie sur vettovaglie ci-dessus, ou nouvelle épenthèse)



Pivoine, pezonia < pæŏnĭă

Les représentants actuels de pæŏnĭă "pivoine" dans la Galloromania semblent provenir d'emprunts au latin : ils n'ont pas le /ñ/ attendu (voir ny > /ñ/), mais ils ont /n/. Cependant pour vén. pedoña, m.angl. pioigne, il est possible qu'on ait affaire à des héritages.


Concernant le v, bien qu'on dispose de l'inscription Pomp PÆVONIA (ci-dessus), où v est épenthique, selon Pierre Fouché (PHF-f3:646), le v de "pivoine" ne serait pas d'origine épenthique. Il serait apparu dans a.fr. pioine (< a.fr. peoine < paeonia, eo > io) à la faveur de l'évolution normale de la diphtongue française ói̯ du type "toile" : ói̯ > ʋ̯è > ʋ̯a. Le ʋ̯ se serait segmenté en vw ; le digramme oi s'est conservé. D'où "pivoine". Voir le cas semblable ci-dessous "pouvoir".


L'AO pezonia "pivoine" semble être emprunté vu sa terminaison -nia ; le z peut être épenthique, ou issu d'un ð lui-même épenthique (ð > z), peut-être de même origine que dans vén. pedoña.




β2. Waws épenthiques dans la diphtongue au

Je parle ici de la descendance de waw épenthique dans les hiatus provenant de la diérèse de la diphtongue au.


Le cas est sans doute voisin de tĕnŭĕm (ci-dessus tĕnŭĕm et attĕnŭārĕ). Les cas ci-dessous concernent la diphtongue au tonique suivie de l.

Je subodore une analogie partielle du schéma -aulŭs sur le schéma -abŭlŭs / -ābĭlĭs. En effet, en italien : caulŭm, tăbŭlăm, laudābĭlĕm > cavolo, tavola, lodevole



caulŭ(m) > cavolo "chou" (SDOFD:243)

naulŭ(m) > variante it navolo (pour naulo, nolo "fret") (SDOFD:243)
Paulŭ(m) > it Paolo > variantes it Pavolo, Pagolo, esp Pablo (NPGA:56 à nuancer)


Pour l'espagnol, l'évolution est ambiguë. Par exemple dans Paulŭ(m) > Pablo, on peut proposer soit une simple consonification de u devant lPaulŭ(m) > */paβlo/ > Pablo (hypothèse sans doute la plus probable), soit une étape intermédiaire avec un v épenthique (w ou β) :  Paulŭ(m) > */pawulu/ > */paβolo/ > (syncope et renforcement de β) Pablo. Les langues slaves ont Paulŭ(m) > Pavel : il y a sans doute eu consonification de u devant l puis épenthèse de e (à étudier).

L'espagnol semble présenter une "facilité de consonification de u", voir par exemple u après l dans "Îles Malouines" > Islas Malvinas.


Toujours pour l'espagnol, l'évolution părăbŏlăm > *păraulăm > a.esp. parabla > (métathèse) esp palabra présente la même ambiguïté que Paulŭs ci-dessus, c'est-à-dire qu'on ne sait pas si u devant l s'est consonifié en b, ou si un v épenthique est apparu entre a et u (*paraula > *parabula > *parab'la) ; l'évolution directe lat.cl. părăbŏlăm > (syncope) a.esp. parabla est aussi possible (à étudier). Pour l'italien, a.tosc. paravola semble avoir suivi une voie conservatrice, typique du toscan, en restant proche du latin (comme tăbŭlăm > tavola) ; par contre sard paragula (FEW 7:605b) semble bien contenir un g de résolution d'hiatus (părăbŏlăm > *părăbŭlăm > *pa.ra.u.la > paragula).




β3. Waws épenthiques dans des hiatus secondaires

Je parle ici de la descendance de waw épenthique après amuïssement de certaines consonnes au contact de o, u : voir ci-dessus.



ădultĕră(m) > *aultera > AO avutra, a.fr. avoutre "adultère" (voir avolterare in LDIL:89)

agŭstŭ(m) > aost > avost "août" (voir augŭstŭs)

Causalone > *Cawalone > *Cawlaone > Caulaho > Calavon (hydron. : Calavon)

dōgă(m) > doa > prov, v-alp... dova "douve"

interrŏgā > *interroare > oc entrevar, a.fr. enterver

Lŭdŏvīcŭs > *Luois > oc Loís, Lovís

Nātālĭs (dĭēs) > (dissimilation a-a > o-a) *nōtālĭs > fr Noël > (emprunt) oc Novè

pāvōnĕ(m) > *paonem > variantes it pavone, pagone, oc pavon "paon", AO paho

păvōrĕ(m) > paorem > variantes AO pavr, pagr, variantes it pavura, pagura "peur"

*Radolfŭs > Raolfus > oc Ravós (Ravoux), "Raoul"

tēgŭlă(m) > *tēula > piém tivola, tivula (FEW:13/1:157b), dauph tivola, tievola (type teule) (FEW:13/1:157b, sans doute avec basculement d'accent tonique sur la pénultième)

vōcālĕm > a.fr. vouel, sans doute prononcé [vówéːl] (> angl vowel "voyelle"). On a un w épenthique derrière ó, voir aussi l'autre variante a.fr. voieul ci-dessus. Le c latin devant a disparaît (voir jocari > jouer) et entraîne l'hiatus. Voir aussi ci-dessous power. En AO, seul le mot savant vocal "vocable, voyelle" est attesté.


Tous les cas avec v latin au contact de o, u, b latlin au contact de o,u, sont susceptibles de rentrer dans cette catégorie.




v d'attaque : type v-onte

En occitan, on trouve un v d'attaque dans les variantes très fréquentes v-òc "oui", v-onte "où", v-ónher "oindre", v-onge "onze"... La variante vn "où" est attestée en AO (DOM). Il s'agit d'un v destiné à faciliter la prononciation (à étudier).




Français "pouvoir" < *pŏtērĕ

Dans "pouvoir" < *pŏtē, il y a eu amuïssement de t latin en français (t > ∅) (> a.fr. poeir, pooir), mais selon Pierre Fouché (PHF-f3:646) le v, attesté seulement au XIIIe siècle, ne serait pas épenthique mais il aurait pour origine l'évolution de la diphtongue française issue de ē (type "toile"). En effet : ē > éi̯ > ói̯ > ... > ʋ̯è ; d'où /póʋ̯èr/, puis ʋ̯ (ou w) se segmente en v + w pour donner /póvwèr/. Voir le cas semblable ci-dessus "pivoine".


Pour l'anglais power "puissance, pouvoir", issu de l'angl-norm poer (< a.fr. poeir), il faudrait étudier si w a la même origine que ci-dessus, ou bien s'il est d'origine épenthique.

Pour vōcālĕm > a.fr. vouelangl vowel, voir ci-dessus.


Pour le français généralement, P. Fouché (PHF-f3:645-647) estime que les waws épenthiques (il les appelle w et v transitoires) sont limités. Ils sont surtout présents en picard nord-oriental, en wallon et en lorrain. Et aussi pour dire "là où", il signale [lavʋ], [ləvʋ], [lévʋ] "dans certains coins de la Champagne, de la Franche-Comté, de la Bourgogne, du Nivernais et du Jura". Voir aussi wall souwer 1 "sécher, essuyer" < (exsūcārĕ), wall souwer 2 "suer" < (sūdārĕ).










II. Évolution de yod (primaire et secondaire)
     


Le yod primaire était prononcé selon les habitudes latines décrites à réalisation de yod (ci-dessus).


L'évolution du yod primaire rejoint l'évolution de d, g + i, e en hiatus (GIPPM-2:134). Son aboutissement est principalement j /dj/ en occitan.




A. Vue d'ensemble sur l'évolution du yod

L'évolution du yod primaire est classée dans les fausses palatalisations par F. de La Chaussée (IPHAF:76).


Cette évolution est un d'abord un renforcement (fortition) du yod (y) (gémination de yod), menant ensuite soit l'affriquée /dj/, soit à l'affaiblissement en yod (retour vers yod).


(Article intéressant, dont je ne dispose hélas que du résumé : Tobias Scheer et Philippe Ségéral, « Les séquences consonne + yod en gallo-romain », Recherches linguistiques de Vincennes [En ligne], 30 | 2001, mis en ligne le 06 juin 2005, consulté le 23 juillet 2016. URL : http://rlv.revues.org/324).


Pour comprendre la nature du yod, il faut se reporter à "nature du yod et du waw".


D'abord, le système phonique du latin exigeait que ce yod fût prononcé de façon particulièrement énergique (IPHAF:76). Cela est un renforcement "par nature", "automatique", du yod. On peut distinguer :


- renforcement en du yod à l'initiale (jŏcārĭ /óka:ri/ "jouer") ;

- gémination du yod à l'intervocalique (pĕjŏr /yyor/ "pire").


Ensuite, le yod a eu d'autres origines dans l'histoire, et on peut distinguer trois phases où le yod est apparu secondairement, et où il est susceptible d'être renforcé. La 2e phase et surtout la 3e phase sont le fruit de réflexions personnelles. Voici ces trois phases.


- 1e phase (affectant toute la Romania) : au cours du Ier siècle après J.-C., en toute position, les groupes /dy/ et /gy/ ont rejoint /yy/ (rădĭāre /rayya:ré/ > pr rajar, raiar).


- 2e phase : (affectant toute la Romania ?) au IIIe siècle après J.-C., le g intervocalique primaire a mené à /yy/ (plāgăm */plaɣa/ > */playya/ > plaia, plaja "plaie"). Il faut bien rappeler que le pr plaga "plaie" est considéré comme issu de la voie savante, et ne représente sans doute pas le fruit d'un traitement populaire (voir discussion ci-avant évolution de g devant a).


- 3e phase : (seulement en nord-occitan et en français) au Ve siècle (?), la spirantisation du g intervocalique secondaire a mené à /yy/ ou /y/ (plĭcāre > *plégaré > *pléɣaré > *pléyyaré, *pléya > pr plejar, pleiar "plier"). Le système de gémination du yod est conservé jusqu'à une date probablement variable en Gaule (autour du IVe, Ve siècle).



Concernant la consonne obtenue /dj/, elle reste prononcée ainsi de nos jours en occitan, et n'a pas subi la "désaffrication" comme en français (perte de la composante occlusive de l'affriquée). Cependant dans certaines régions occitanes, cette consonne est prononcée /dz/.



Examinons le devenir du yod en fonction de ses trois phases d'apparition ci-dessus.



B. Devenir du yod primaire et de dy et gy

On parle ici du yod primaire et du yod secondaire de la première phase donnée ci-dessus.

En plus du yod primaire, au Ier siècle après J.-C., "dès avant la destruction de Pompéi" (en 79 après J.-C.), les groupes /dy/ et /gy/ rejoignent /yy/, "par assimilation de la première consonne à la seconde" : dĭŭrnŭm /ʋrnʋ/, hŏrdĕŭm /òryyʋ/, cŏrrĭgĭăm /korriyya/ (IPHAF:76-77). Les groupes /dy/ et /gy/ proviennent de l'évolution de ĭ, ĕ en hiatus après d ou g. Voir "Conséquences pour d, g + ĭ, ĕ en hiatus" ci-avant. Il faut noter que cette évolution a lieu même si /dy/ et /gy/ sont derrière consonne : hŏrdĕŭm /òryyʋ/ (sauf derrière la consonne n : voir verecundia > vergonha, ou bien en début de mot).



(Je pense que la première étape de consonification de ĭ, ĕ en y est également une fausse palatalisation, mais je ne trouve pas cette information dans la littérature).



À l'initiale

À l'initiale, le yod primaire ainsi que dy, gy évoluent très généralement en dj en domaine d'oc. Seul le béarnais voit un affaiblissement en /y/.



latin LPC

occitan

français

//

dĭ-, gĭ- : voir


/dj/
/y/ (béar)


/j/

dĭŭrnŭm /ʋrnʋ/


jorn
iorn /yʋr/, /yʋrn/ (béar)


jour

jăcĕrĕ /akéré/


jaire, jàser
iàser (béar)


gésir

jăm /am/


ja
ia (béar)


(déjà : dès ja)

jŏcārĭ /óka:ri/


jogar
iogar /yʋga/ (béar)


jouer

jŏgum /ógʋm/


joc
iog /yʋ/ (béar)


joug






Tableau : exemples de l'évolution de yod à l'initiale, identique à celle de dy.




Après consonne

Après consonne, le yod primaire ainsi que dy, gy évoluent très généralement en dj en domaine d'oc. Seul le béarnais voit un affaiblissement en /y/.



latin LPC

occitan

français

C + /yy/

dĭ, gĭ : voir


C + /dj/
C + /y/ (béar)


C + /dj/ > /j/

hŏrdĕŭm
>
>
òrge
òrdi


orge
















Tableau : (à continuer)



À l'intervocalique


Selon (IPHAF:77) : "Par la suite en Gaule (et en Ibérie) le yy géminé intervocalique s'est affaibli et simplifié en y au Ve siècle."


L'auteur omet le sud de la Gaule, ou yy intervocalique a souvent donné /dj/, par exemple :


nominatif mājŏr > oc màger ;

accusatif mājōrĕm > oc major.


(Pour le français "majeur", la prononciation initiale était maieur : FEW 6/1:59b).





latin LPC

occitan

français

//

-dĭ-, -gĭ- : voir


/dj/
/y/ (béar)


/j/

rădĭāre


rajar
raiar


(couler)

cŏrrĭgĭăm


correja
correia


courroie











mājŏr


màger
màier (béar)
maire "maire"


(aîné)


maire






Tableau : évolution de yod à l'intervocalique, identique à celle de dy, gy intervocalique.





C. Devenir du yod provenant de g intervocalique : plāgăm > ...


À l'intervocalique, l'évolution de g intervocalique donne plusieurs aboutissements, voir ci-dessus évolution de g intervocalique.

Les deux aboutissements populaires principaux sont /y/ et /dj/.

Ainsi on peut supposer les deux scénarios suivants :

- plāgă(m) > *plaɣa > *playya > plaia (affaiblissement de yy) ;

- plāgă(m) > *plaɣa > *playya > plaja (renforcement de yy).

L'aboutissement plaga semble être une le fruit d'une influence savante.



D. Devenir du yod provenant de k intervocalique : plĭcāre > ...


(K intervocalique devant e et i a déjà subi les troisièmes palatalisations pendant la première moitié du IIIe siècle).



Devant a, o, u, à l'intervocalique :

- Devant a :

Citons GIPPM-2:85 : "Dans la région N.c initial devant a devient ch, c intérieur devant a est devenur [ɣ] qui a passé ensuite, suivant les précessions et suivant les parlers, à j, à [y] ou à ."

À continuer.


pedica > piège.






III. Évolution de waw (latin, germanique, gaulois)
 


A. Cas général : /w/ > /v/, /b/, /w/ selon les régions d'oc

Voir aussi la convergence de v, b, f latins à l'intervocalique.




1. Schéma général (évolution de /w/ latin)
  

Voir par exemple la carte ALF:923 "du vin nouveau". On y voit à la fois l'évolution du v initial (vin) et du v intervocalique (novèu). Ces deux évolutions mènent exactement aux mêmes aboutissements dans les mêmes aires géographiques : /v/ à l'est et /b/ à l'ouest : lo vin novèu / lo bi(n) nobèu.

Concernant la position postconsonantique, les aboutissements sont, eux aussi, conformes au même schéma, voir par exemple la carte ALF:1226 "servante" (le type servènta/serbènta est représenté à peu près partout, malgré l'emploi d'autres types, notamment chambriera).


En Gascogne existent deux autres aboutissement, seulement en position intervocalique : /w/ ou /β/.


Enfin, le v intervocalique devenu final évolue en -u dans tout le domaine occitan et catalan ; cela est une de leur caractéristique.


Dans toutes les régions du domaine d'oc, les destins de v et b latins intervocaliques se sont confondus (évolution de b intervocalique), même en position intervocalique devenue finale : clăvĕm > clau "clef", trăbĕm > trau "poutre". (Il faut que j'étudie finement les cartes AFL en Gascogne, où je ne sais pas si v et b donnent exactement la même répartition de w, β).



v /w/ latin (1) > v /v/ à l'est,  b /b/ à l'ouest (de l'Hérault et la Lozère à la Gascogne) (2)
(cartes ALF "du vin nouveau", "laver", "servante")





u /w/ à l'intervocalique en Gascogne (avec une variante /β/, /b/ dans 64 et sud 40) (3)





-u /w/ en position intervocalique devenue finale, dans tout le domaine occitan
(carte ALF "clé")

(1) Non intervocalique au contact de o, u : amuïssement de v (pă(v)ōrĕm > paur)


(2) À l'ouest du domaine d'oc, la graphie normée écrit v tout en prononçant [b].

PCLO:25 : (trad.oc.) "La distinction entre les noms B = bé haute (B nauta) et V = vé basse (V bassa) est surtout utile en gascon et en languedocien, qui prononcent ces lettres indentiquement." La notation étroite avec b (lo bi nobèu) semble marginale et déconseillée.


(3) En gascon, voir l'orthographe du même aboutissement pour b latin > u. Par exemple pour [lawa] "laver", on écrit lauar, mais l'orthographe lavar est possible :

- voir w (w n'est utilisé que pour les mots d'origine étrangère) ;

- ARLOG:4 : "Dans les parlers où le b et le v latins intervocaliques aboutissent à u (w semi-consonne) au lieu de v, on admettra les doubles graphies: víver ou víuer, déver ou déuer, dava, ou daua, ivèrn ou iuèrn."

- PCLO:30 : "(...) dins certans parlars gascons parlaua, sentiua [par'lawɔ, sen'tiwɔ] que podèm escriure tanben parlava, sentiva."






2. Exemples d'évolution de /w/ latin
  
a. Exemples de l'évolution de v à l'initiale
  

Voir schéma général ci-dessus.


latin

occitan
v-
v- est [v], ouest [b]
văccă(m)

vaca "vache"
vĕnī

venir "venir"
vĕntŭ(m)

vènt "vent"
vīnŭ(m)

vin "vin"
vōcĕ(m)

votz "voix"
*vŏlē

voler "vouloir"






Tableau ci-dessus : exemples de l'évolution de v initial.





b. Exemples de l'évolution de v intervocalique

Voir schéma général ci-dessus.


latin

occitan
-v- non au contact de o, u
-v-
-v- est [v], ouest [b], g [w]
-īvă(m) (1)

-iva "-ive" (1)
avellānă(m)

avelana "noisette"
Avennĭōnĕ(m)

Avinhon "Avignon"
căvā

cavar "creuser"
lăvā

lavar "laver"



-v- au contact de o, u
voir amuïssement de v   (pă(v)ōrĕm > paur)



-v- intervocalique devenu final ou préconsonantique
voir vocalisation de v   (clāvĕm > clau, vīv(ĕ)rĕ > viure)



Tableau ci-dessus : exemples de l'évolution de v intervocalique.

(1) Pour le suffixe -īvŭ(m), -īvă(m), l'analogie flexionnelle a maintenu (ou rétabli) le v menacé de disparition devant ŭ au masculin : voir ci-dessous rétablissement de w par analogie flexionnelle.




Autres époques où /w/ intervocalique > /v/

Ci-dessous, voir l'évolution dialectale de ăquă : ăquă(m) > èwe > dial.O. ève (aussi sav èva).

Ci-dessus, voir *pŏtērĕ > pouvoir, pæŏnĭă > pivoine.



c. Exemples de l'évolution de v après consonne
   

Voir schéma général ci-dessus.

advenire > avenir

*adventura > aventura

invadere > envazir

invidiam > enveja

inversus > envers

inviar > enviar

invitare > envidar

Arvernia > Alvernha (dissimilation rv > lv)


latin

occitan
-Cv-
-Cv-
cĕrvīcĕ(m)

AO cervitz "nuque"
sĭlvātĭcŭm > sălvātĭcŭ(m)

sauvatge "sauvage"
sĕrvī

servir "servir"



v après consonne devenu final


-Cv (v souvent amuï)
calvŭ(m)

cau, AO calv "chauve"
cĕrvŭ(m)

AO cȩrv, cȩr "cerf"
sĕrvŭ(m)

AO sȩrv, sȩr "serf"



type cŏrvŭs > *cŏrbŭs (ci-dessous)

cŏrvŭs > *cŏrbŭs
cĕrvŭm > *cĕrbŭm

-Cp

AO cǫrp "corbeau"
AO cȩrp "cerf"



Tableau ci-dessus : exemples de l'évolution de v post-consonantique




r + v : évolution de type cŏrvŭs > *cŏrbŭs
   

Voir ci-dessous cŏrvŭs > *cŏrbŭs.





3. Détails de l'évolution phonétique

Ainsi les constatations ci-dessus montrent que v /w/ acquiert une même valeur selon la région d'oc : /v/ à l'est du domaine d'oc ; /b/ à l'ouest. Il faut rajouter /w/ à l'intervocalique en gascon. À l'intervocalique, son destin est commun avec b latin ; toujours à l'intervocalique au contact de o, u, il a disparu (pă(v)ōrĕm > paur "peur").




a. Première étape : /w/ > /β/

Dans l'Empire Romain, au cours du Ier siècle après J.-C., le waw primaire perd sa composante vélaire (voir ci-dessus prononciation de waw), et sa prononciation évolue vers /β/. Cela a lieu en toute position : à l'initiale, après consonne ou à l'intervocalique (mais à l'intervocalique au contact de o, u, il disparaît) (IPHAF:145, 178). Les arguments sont donnés ci-dessous, pour chaque position de waw. Les arguments que j'ai trouvés chez les linguistes ne me paraissent pas développés à fond, et je cherche à raisonner à nouveau.



Donc dans le courant du premier siècle :


v /w/ > /β/

(sauf à l'intervocalique au contact de o, uv s'amuït : pă(v)ōrĕm > paur "peur")


vīnŭm /wiːnʋ/ > */βiːnʋ/ "vin"

clāvĕm /klaːwé/ > */klaːβe/ "clé"

sĕrvīrĕ /serwiːré/ > */serβiːre/ "servir"



Arguments tirés des translittérations grecques
    

Pour les valeurs phonétiques de la lettre grecque β, voir β grec.


D'après les linguistes, les translittérations grecques de noms latins au cours du Ier siècle après J.-C. montrent que v latin évolue de /w/ vers /β/, et également que le β grec évolue de /b/ vers /β/. La réunion des extraits ci-dessous montre presque un raisonnement circulaire : "les hellénistes utilisent la valeur de v latin pour déduire la valeur de β grec ; les latinistes utilisent la valeur de β grec pour déduire la valeur de v latin". Mais ce n'est pas vraiment un raisonnement circulaire : examinons les arguments.


Les hellénistes utilisent les translittérations grecques pour déduire que β grec évolue de /b/ vers /β/ :


(DHANJ:159) "A une époque ancienne, le v latin, qui sonnait w, se trouve rendu par ου : Valerius, Οὐαλέριος [Oualérios]. Or, au commencement de l’ère chrétienne on voit apparaître des graphies comme Βαλέριος [Balérios], ou Βεργίλιος [Bergílios] pour Vergilius. Il s'en faut que le phénomène soit alors de règle : pendant plusieurs siècles encore ου alterne avec β; mais en tout cas cela montre bien que le b grec s’est changé en continue aux premiers siècles de notre ère."


(PHMGA:55) : "Lors de la conquête romaine, les occlusives sonores du grec servent a transcrire, en κοινή, les occlusives sonores du latin : Δέϰιος [Dékios] (Decius), Γαϐίνιος [Gabínios] (Gabinius), etc. Mais, vers le début de l'ère chrétienne, β commence à noter la consonne latine u : Φλάβιος [Phlábios] concurrence Φλαούιος [Phlaoúios] (Flauius), etc. Le caractère spirant de β apparaît plus tôt dans les inscriptions de certains dialectes." L'auteur indique donc que β grec était prononcée /b/, puis vers le Ier siècle /β/.


D'autre part, les latinistes utilisent les translittérations grecques pour déduire que v latin /w/ (ainsi que b latin /b/) évoluent vers /β/ :


(ILV:50) "La semi-voyelle w avait à l'origine le son fricatif labiovélaire qu'a le fr. oui et l'angl. wind, ainsi que cela résulte de notices de grammairiens romains et de transcriptions grecques telles que Ούαλεριος [Oualerios] = Valerius, Ούεσούιον [Ouesouion] = Vesuvius. Puis à partir du 1er siècle de notre ère, on commence à transcrire par ex. Nἐρβας [Nérbas] à côté de Nἐρουας [Nérouas] = Nerva, Βέσβιον [Bésbion] = Vesuvius ; Pompéi 2837, 2840 Βειβιω [Beibiô] = Vībiō. [...] [À propos de b et v :] C'est que l'un et l'autre étaient passés à la constrictive bilabiale β".


(IPHAF:145) "Jusqu'au Ier siècle les transcriptions grecques des noms latins rendent régulièrement le w latin par la graphie ου, ce qui atteste du caractère labio-vélaire. Dans le courant du Ier siècle apparaît une transcription concurrente à l'aide du bêta (lui-même devenu spirant dans la koinè), non seulement à l'initiale, mais aussi à l'intérieur d'un mot : le nom de NERVA, empereur de 96 à 98, est transcrit tantôt Nἐρουας [Nérouas], tantôt Nἐρβας [Nérbas] (cf. ILV:50 [juste ci-dessus]). Le w est donc, dans certaines positions, en train de perdre sa constriction vélaire pour devenir β, et l'on peut considérer cette évolution comme accomplie au début du IIe siècle."


On peut citer aussi les translittérations en grec de différents noms latins :


- Le nom de l'empereur Vespasien Vespasianus (empereur de 69 à 79 après J.-C.) : Ουεσπασιανός (Ouespasianós) et plus rarement Βεσπασιανός (Bespasianós).


- Le nom de l'empereur Valérien Valerianus (empereur de 253 à 260 après J.-C.) : au tout début du Moyen Âge, Zosime hésite encore entre deux orthographes : Βαλεριανός (Balerianós) (I, 29, 1) et Ούαλεριανός (Oualerianós) (I, 30, 1) (ESSA:109).


- Le nom de la ville de Vienne Vienna (38) est translittérée Οὐίεννα (Ouíenna) par Strabon (IV, 1, 11), Ptol, (Géogr. II, 10, 7), au IIe siècle, mais déjà Βίεννα (Bíenna) par Plutarque vers l'an 107 (Propos de table, V, 3, 676 A-B), puis Eusèb.Cés. (Hist. eccl. V, I, 1) vers l'an 300 après J.-C. (Voir notamment VTGL). Même dans les documents latins, la même ville est d'abord écrite Vienna (Bell.Gall. VII, 9), puis (rarement) Bienna vers l'an 300 (Lat.Ver. : Diocensis Biennensis).


Voici mes réflexions (ce sont seulement des réflexions éparses, menant à des hypothèses parfois contradictoires, mais nécessaires pour construire un raisonnement cohérent, qui reste encore à construire) :


● Il est certain que la prononciation classique de v latin est /w/ : voir notamment les témoignages des grammairiens latins ci-dessus ; par ailleurs l'aboutissement actuel pour le domaine d'oc est décrit ci-dessus (essentiellement /v/ à l'est, et /b/ à l'ouest).

● La prononciation classique de b latin (et β grec ?) est moins bien assurée : en général /b/ est admise, mais /β/ est aussi possible à l'intervocalique au moins pour le latin (nouveau scénario pour b, d, g intervocaliques).

● Par un raisonnement sur l'évolution phonétique, depuis /w/ vers /v/ ou /b/ actuels, il semble logique de faire intervenir une étape intermédiaire /β/ : voir ci-dessus, réalisation de waw.

● Malgré les considérations des linguistes, il faut remarquer que si la lettre grecque β était réalisée /b/ au Ier siècle (et non /β/), elle aurait pu être utilisée pour noter le /β/ latin supposé, puisqu'il n'existe pas d'autre lettre grecque phonétiquement approchante.

● On peut se poser la question de l'influence réciproque du latin et du grec l'un sur l'autre : à partir de l'an 31 avant J.-C., l'Empire romain a la maîtrise totale sur la Grèce et les royaumes hellénistiques ; la prononciation latine aurait pu influencer la prononciation grecque (ou réciproquement), aboutissant à une coïncidence temporelle de l'apparition /β/ ; ce type d'influence, ainsi que l'influence des substrats (gaulois ou autres), est bien difficile à déterminer.

● Les exemples de mots latins ci-dessus ont fréquemment v à l'initiale : Valerius, Valerianus, Vesuvius, Vergilius, Vespasianus ; pourtant, même s'ils sont passés par un stade /β/-, aujourd'hui ces mots sont en /v/- dans une bonne partie de la Romania : ils ne se sont pas confondus avec les mots en b-. Certes il s'agit de noms propres, qui ont pu être maintenus dans leur forme "référentielle" avec v initial (sauf le cas remarquable en domaine d'oïl de Besançon < Vesontionem). Mais surtout, voir mon explication générale ci-dessous.



Arguments tirés des inscriptions latines
    


Il existe des inscriptions latines où v et b initiaux sont confondus après un mot se terminant par une voyelle. Cela montre que dans ces cas, v et b avaient très probablement convergé vers une même prononciation, à savoir /β/.


Cette confusion a dû être corrigée par la suite, "par suite d'un nivellement analogique" (PHL4:88) puisqu'aujourd'hui on dit bèn < bĕnĕ, vin < vīnŭm.




Attestations antiques (indirectes)


Les attestations ci-dessous témoignent très certainement d'une prononciation identique de b et v intervocaliques, car les deux lettres ont été confondues à l'écrit.

v est écrit à la place de b :

- à l'initiale après un mot se terminant par une voyelle : patronae vene merenti (CIL VI, 12210) pour patronae bene merenti ; habe vene valeas (CIL XIV, 1169) pour ave bene valeas.

b est écrit à la place de v :

- à l'initiale après un mot se terminant par une voyelle : Vitalio baliat (CIL IV 4874), pour Vitalio valeat ; a bobis (CIL XIV, 3323) pour a vobis, qui bixit (CIL VI, 13292. 17034. 17508, X 1775. 2801. 3412. 3438.) pour qui vixit (in PHL4:88).



Explication générale de l'évolution de v et b latins




α. /w/ > /β/ à l'initiale
    

Par exemple : vīnŭm /wiːnʋ/ > /βiːnʋ/ "vin".

Je reprends les arguments présentés par les linguistes (qui ne me semblent pas développés à fond), et je tente de raisonner plus avant.


Le schéma ci-dessous explique mon raisonnement sur l'évolution de v- latin, en comparaison avec b- latin. Les explications sont données sous le schéma. Les deux consonnes ont gardé leur distinction, sauf dans l'ouest du domaine d'oc où /β/ est devenu /b/. Le schéma ci-dessous ne concerne donc que la partie orientale du domaine d'oc (et il concerne aussi le français pour aboutir à "vache" et à "baie").


Schéma épenthèses - analogies sur troupes triconsonantiques


Tableau ci-dessus : conservation de la distinction v initial / b initial. (Raisonnement personnel inspiré de PHL4:87-88). Exemples de ĭllă(m) văccă(m) > oc la vaca "la vache", ĭllăs văccăs > oc las vacas (> lei vacas) "les vaches" ; ĭllă(m) bācă(m) > (oc) la baga "la baie", ĭllăs bācăs > oc las bagas (> lei bagas) "les baies".

Pour acc ĭllă(m), le (m) n'était plus prononcé depuis longtemps au Ier siècle après J.-C.(amuïssement de -m), donc sur le plan syntactique, la première consonne du mot suivant était en position intervocalique.

Le v dans la vacca a évolué vers /β/ sans autre solution possible (/β/ ferme). Par contre dans las vaccas, le v est en position post-consonantique. Lors de l'évolution /w/ > /β/, le /β/ a pu se maintenir, ou bien dans certains dialectes il a pu se renforcer en /b/ du fait de sa position forte (par exemple ci-dessus Diocensis Biennensis "diocèse viennois") ; il y avait donc flottement entre /β/ et /b/. Lors de la disparition complète des alternances sourdes / sonores, la prononciation ferme a pris le dessus, et s'est imposée analogiquement sur la prononciation flottante : la valeur /β/ ou /v/ s'est imposée, et la variante /b/ a disparu.

Le /b/ dans la baca est en position intervocalique sur le plan syntactique. Au Ier siècle après J.-C. selon les dialectes, il devait se prononcer /b/ ou /β/ : dans certains dialectes la valeur /β/ à l'initiale a dû apparaître à la suite de la spirantisation de b intervocalique, ou même avant si on considère que b intervocalique a toujours été spirantisé (nouveau scénario pour b, d, g). Par contre dans las bacas, où b est en position postconsonantique, b /b/ est resté ferme, sans doute depuis fort longtemps avant l'Empire romain. Lors de la disparition des alternances sourdes / sonores, la prononciation ferme a pris le dessus, et s'est imposée analogiquement sur la prononciation flottante : la valeur /b/ l'a emporté, et la prononciation /β/, employée dans certains dialectes en position postvocalique, s'est éteinte.



β. /w/ > /β/ à l'intervocalique


Convergence avec b intervocalique latin
    


L'évolution de v intervocalique rejoint ainsi celle de b intervocalique, probablement prononcé [β]. Donc à partir du Ier siècle après J.-C., le destin de b intervocalique et de v se confondent, dans tout l'Empire Romain.


(Voir convergence de b, v, f intervocaliques).


b intervocalique (prob. /β/) >
/β/
v /w/ intervocalique

Convergence de b intervocalique et de v au cours du Ier siècle après J.-C.



Attestations antiques

● Les deux translittérations en grec du nom de l'empereur Nerva (né 30 après J.-C. —  mort en 98 après J.-C.) attestent de cette transformation /w/ > /β/ au Ier siècle après J.-C. : Nἐρουας / Nἐρβας, Nérouas / Nérβas) (IPHAF:145) : le digramme grec ου représente /w/ ; le caractère β représente /β/.
Voir notamment cŏrvŭs > cŏrbŭs ci-dessus.



Les attestations ci-dessous témoignent très certainement d'une prononciation identique de b et v intervocaliques, car les deux lettres ont été confondues à l'écrit.

v est écrit à la place de b :

  juvente pour jubente (Ier siècle après J.-C.), incomparavili pour incomparabili, liventer pour libenter, avetat pour habitat, aveo pour habeo (CIL in PHL4:88).

b est écrit à la place de v :

- à l'intervocalique : jubentutis pour juventutis (année 155 après J.-C.), vibus pour vivus, brebis pour brevis, Flabius pour Flavius, lebare pour levare, renobabit pour renovavit (CIL in PHL4:88).

- à l'initiale après mot se terminant par une voyelle : Vitalio baliat pour Vitalio valeat, a bobis pour a vobis, qui bixit pour qui vixit (CIL in PHL4:88).





γ. /w/ > /β/ après consonne





δ. Conséquence sur les premiers emprunts au germanique (werra)

À partir de cette étape où /w/ n'était plus familier en latin, certains mots germaniques en w- (werra "guerre") auraient été introduits et prononcés /gw/  (voir ci-dessous) : werra > guerra.




b. Deuxième étape : /β/ > /v/

Selon F. de La Chaussée (IPHAF:183), dans la deuxième moitié du IIIe siècle, il y a renforcement (fortition) de /β/ en /v/. La fortition s'est réalisée avant que la Dacie devienne indépendante de Rome (en 271 après J.-C.), puisque le roumain en a hérité (DLCALI:101).


L'évolution /β/ > /v/ affecte une grande partie de la Gaule, le centre et le nord de l'Italie, la Roumanie ; par contre certains dialectes espagnols, du sud de l'Italie, de Sardaigne conservent /β/ (PPDP:44, voir évolution de b) ; il en est de même de certains dialectes du domaine d'oc (sud-ouest de la France), où on prononce /β/ ou /b/ (il faut que j'étudie mieux cet aspect en domaine d'oc).


Selon une proposition ci-dessous (vocalisation du v), la fortition de /β/ en /v/ pour les autres dialectes occitans orientaux (pr, v-a...) pourrait être beaucoup plus tardive que le IIIe siècle (au plus tôt aux VIIe, VIIIe siècle ?) (à étudier).



Donc dans la deuxième moitié du IIIe siècle dans une bonne partie du sud de la Gaule :



/β/ > /v/


/βi:nʋ/ > /vinʋ/ (> vin)

/kla:βé/ > /klavé/ (> clau)

/serβi:ré/ > /serviré/ (> servir)



Si le v devient final au moment des apocopes, il se vocalise en /ʋ̯/, voir vocalisation du v devenu final en occitan :


/klavé/ > /klav/ > clau "clé"


Deuxièmes emprunts au germanique (wardôn)

Après cette étape, de nombreux mots germaniques a.b.fr. en w- auraient été introduits et prononcés /gw/ (voir ci-dessous) : wardôn > guardare > gardar "garder". Voir aussi les emprunts antérieurs ci-dessus : werra > guerra.




c. Remarque : jŭvĕnĕ > jŏvĕnĕ serait lié à w > β  (ŭw, ōw > ŏβ)


Une petite série de mots latins en ŭv montrent une évolution en ŏv ; il en est de même pour ōvŭm > ŏvum "œuf".


Au cours du premier siècle après J.-C., l'évolution /w/ > /β/ entraîne ŭ ou ō antécédent > ŏ.


Je cite F. de La Chaussée : "Le passage de w à β  s'accompagne d'un abaissement de la langue dans la zone postérieure (perte de la constriction vélaire) donc d'une ouverture du canal buccal postérieur. Par assimilation d'aperture, le β a entraîné l'ouverture d'un ó antécédent dans ōvum et jŭvene : ōvum > òβu > ...ue̯f, jŭvene > òβene > ... ͜djue̯ve̥ne̥ " (IPHAF:147, aussi dans CNRTL "jeune" : v. FEW t. 5, p. 95a, ou Fouché, p. 368).


jŭvĕnĕ > *jŏvene 'jeune" ;

ōvŭm > *ŏvum "œuf".


Pour plŭĕrĕ, et d'autres mots, il y a v non écrit : les évolutions de jŭvĕnĕm et plŭĕrĕ sont exactement les mêmes :


plŭĕrĕ (plŭvĕrĕ) > plŏvĕrĕ "pleuvoir" (Pétrone) ;

fluvium > *flovium >

clŭā (clŭvācă ?) > clŏvācă, clŏā "égoût" (voir clŭĕrĕ "nettoyer").





J. Ronjat ne donne pas d'explication à cette évolution ŭ > ŏ, mais pour ōvŭm > ŏvum, dans sa note (1) il écrit : "ōvum > *ōum > *ŏum comme *dēus > dĕus (...) et extension analogique de *ŏ- aux formes où -v- était maintenu ou restitué (...)" ; cela permettant d'obtenir AO ǫvu > uòu (GIPPM-2:115). 

P. Fouché suit exactement la même position, si ce n'est simplement "la différenciation de -ŭv- en -ŏv-" (il veut dire que ŭ étant trop proche de w, il s'en éloigne pour donner ŏ).

(PHF-f2:219)

"Remarque I. — Tandis que l'esp. joven, le port. joven, le roum. june, etc. remontent à jŭvene, forme du latin littéraire, le v. fr. juefne (auj. jeune), l'ital. giǫvane, le macédo-roum. joane postulent un type *jŏvene. Il est probable qu'il s'agit ici d'une forme du latin parlé, provenant d'une évolution ŭw > ŏw, évolution qui se constate dans d'autres cas : cf. plŏvet (> v. fr. pluet, auj. pleut), *plŏvia (> pluie), flŏviu (> v. fr. flueve, auj. fleuve), en face du lat. litt. pluit, pluvia, fluviu."

Aussi (PHF-f2:368) :

(j.m.c.g.) "Remarque I.Jŏvenis pour jŭvenis s'explique sans doute par la différenciation de -ŭv- en -ŏv- que l'on constate dans le latin parlé d'avant notre ère ; cf. POVERO CIL III, 962, n. 2, plŏvit (< plŭvit) [Pétrone], FLOVIVM CIL, I, 199, 6 (< flŭviu), à côté des formes du latin littéraire puerum, plŭit, flŭvium. Iovenim est attesté lui-même [pour juvenem, archive.org] ; cf. CIL, XIII, 1483, 6 (Clermont [archive.org])."


(PHF-f2:219) :

"Remarque II. — Le v. fr. uef (auj. œuf), ainsi que l'esp. huevo, l'ital. uovo, etc. supposent un type *ŏvu, différent du lat. litt. ōvum. L'ŏ du type en question peut s'expliquer par la tendance latine à l'abrègement des voyelles longues devant une autre voyelle dans une étape où *ōŭ, provenant de ōvŭ par suite de la chute de -w- au contact de ŭ final. L'abrègement de ō en ŏ dans *ōŭ rappellerait celui que l'on constate en latin littéraire dans *dēos > dĕus, flēō > flĕō, v. lat. fidēī > fidĕī, dē(v)orsum > dĕorsum [dĕorsum > jos ci-dessous], v. lat. fūimus  > fŭimus, etc. Le vocalisme de *ŏŭ aurait ensuite été généralisé dans ŏvī, ŏva, etc., et à leur tour ces dernières formes auraient communiqué leur -w- à *ŏŭ, d'où  *ŏvŭ, qui est à la base des langues romanes."



B. Évolution de type corvus > *corbus


1. Preuves de l'évolution de type cŏrvŭs > *cŏrbŭs

(IPHAF:147)

Après l et r, w au lieu d'évoluer vers /β/ puis v /v/, a pu évoluer vers /β/ puis b /b/.


Par exemple, le passage corvus"corbeau" à a.fr., AO cǫrp implique une évolution latine : corvus > *corbus (PHL4:110). Voir consonne + b devenu final.


(PHL4:111) "Mais, sauf en roumain, le passage de v à b après r et l n'a laissé dans les langues romanes que des traces isolées, v ayant le plus souvent persisté (...) . Ce manque d'uniformité n'a pas encore trouvé d'explication satisfaisante."


(PHL4:110-111) "Par la suite [après l'évolution /w/ > /β/ dans la seconde moitié du Ier siècle après J.-C. environ], la fricative v s'est changée en l'occlusive labiale b après l et après r dans une partie tout au moins des provinces de l'empire romain. Ce qui le prouve, ce sont moins les graphies telles que salbus  C.I.L. VI, 31066 pour salvus "sauf", serbus (C.I.L. VI, 300 ; IX 179 pour servus "esclave", qui pourraient être simplement des contrépels (voir § 44), que des témoignages de grammairiens, les langues romanes et la forme de certains emprunts latins dans les langues germaniques. Prob,70 enseigne qu'il faut prononcer alveus "auge, bassin, lit d'un fleuve" et non albeus, recommandation qui serait sans objet, si, au début du 4e siècle ap. J.-C., le peuple n'avait pas eu coutume de dire albeus."


À étudier : ville belge de Carvo / Carbo (IA).


Attestations antiques :

Prob,70 alveus non albeus "alveus, pas albeus" (alveus "auge ; bassin ; lit d'un fleuve")





2. Proposition d'explication de cŏrvŭs > *cŏrbŭs



Voici la position de Pierre Fouché (PHF-f3:798) :

"Comment expliquer *cor/bu au lieu de *cor/vu ? Si l'on songe que le passage de r/v à r/b se constate en roumain, en vegliote et, sur le territoire italien, dans la région de Domo d'Ossola, dans quelques coins de la vallée du Tessin, de la Calabre, de la Sicile et tout particulièrement en Toscane, il est permis de penser à l'influence d'un substrat. Pour ce qui est de la présence de *cor/bu en Gaule (le prov. fait également corp ou gorp), il pourrait se faire que ce type ait été importé par des soldats ou des colons originaires de l'ancienne Étrurie ou d'autres coins de l'Italie où le phonétisme r/v > r/b est signalé aujourd'hui. Il faut en dire autant sans doute pour *ver/vīce > ver/bīce (plus tard ber/bice par assimilation), qui a donné naissance à brebis."



Voici ma position personnelle :

Outre le fait que cette évolution phonétique atteint particulièrement la Romania orientale et la Toscane (ancienne Étrurie), avec peut-être l'influence d'un substrat, je pense qu'on peut réfléchir aussi à un "état phonétique nouveau" au Ier siècle après J.-C. : les groupes consonantiques /lβ/ et /rβ/ n'existaient pas jusqu'au moment où v /w/ s'est prononcé /β/. Par contre albŭs "blanc", carbō "charbon", cŏrbĭs "corbeille"... étaient des mots courants, prononcés avec /lb/, /rb/. Ces groupes consonantiques, dans des "mots modèles", ont pu influencer par analogie les mots de type cŏrvŭs pour évoluer vers *cŏrbŭs.



Paires de mots semblables ayant pu causer l'évolution lv > lb et rv > rb (voir ci-dessous exemples de type cŏrvŭs > cŏrbŭs)


- acĕrbŭs / cĕrvŭs    =>  *cĕrbŭs  >  AO cȩrp "cerf"

- albŭs / alvĕŭs    =>  albĕŭs "auge" (Prob,70 "alveus non albeus")

- corbĭs, carbō / cŏrvŭs, cŭrvārĕ    =>  *cŏrbŭs, *cŭrbārĕ  >  AO cǫrp "corbeau", corbar "courber"

- verbŭm / vervix    =>  *verbix  >  (assimilation v-b > b-bAO berbitz "brebis"




rv /rw/ > rv /rv/

De plus, il est possible que la réaction des grammairiens de type Prob,70 "alveus non albeus" (alveus "auge ; bassin ; lit d'un fleuve") ait réussi à lutter contre certaines évolutions rv > rb.


rb > rv

Les quelques cas "inverses" où l'on a : /rb/ > /rv/ pourraient s'expliquer par des hypercorrections : var AO vervena, fr "verveine" < verbēnăm ; fr "verve" < verbŭm ; AO arvire , a.fr. arveire (< arbĭtrĭŭm) (FEW 25:67b).





3. Exemples de type cŏrvŭs > cŏrbŭs, diversité des aboutissements



latin LPC

langues romanes
-lv-
-lb- / -lv- / -l-
-lp / -lf ? / -l   (fin de mot)



calvŭ(m)

AO calv, cal,
fr "chauve"
Ilvă(m)
Elba (île d'Elbe)
malŭăm > malvă(m) ?

 rou nalbă
sălvĭă(m)

AO salvia, oc sàuvia
rou salbie / salvie
sălvŭ(m)

(adj) AO salp, saub, salv, salf, sal,
fr "sauf"



-rv-
-rb- / -rv- / -r-
-rp / -rf ? / -r   (fin de mot)



cĕrvŭ(m)

AO cȩrp, rv, rvi, r ;
fr "cerf", it cervo, esp ciervo,
rou cerb
cŏrvŭ(m)
AO cǫrp,
a.fr. corp, corf, dér "corbeau",
rou corb,
it corvo, esp cuervo, port corvo
cŭrvā
oc corbar, fr "courber"
cŭrvŭ(m)
AO crp "courbé"
ervŭ(m)

AO (pl) ȩrs "ers (légumineuse)"
cat erp
nervĭŭ(m)

AO nęrvi, esp nervio
nervŭ(m)

AO ner,
fr "nerf", it nervo
servirĕ

AO servir, fr "servir"
servŭ(m)
fr "serf"
AO r, sȩrv
vervēcĕ(m)
it berbice, rou berbece, oc lim berbitz, fr "brebis"



Tableau.  Exemples de la diversité des aboutissements de /lw/ et /rw/

En bleu : /w/ > /b/ (/p/ en position finale) ;

En vert : /w/ > /v/  (/f/ en position finale) ;

En rouge : /w/ > /v/ par la voie savante (mots en -i, -ia) ;

En mauve : aboutissements par amuïssement de v au contact de o, u.

Dans PHL4:110-111 ont été pris notamment les exemples en roumain.







C. Évolution /w/ initial > /g/



1. Waw germanique (*werra > guèrra)

Remarque : il faut que j'étudie la convergence de W germanique avec QV latin comme dans ăquăm ci-dessous, avec des traitements dialectaux semblables. Voir aussi le digramme GV ci-dessus.




a. waw germanique initial > /g/ occitan et français (et variantes) : mise en évidence

 

Dans les lexiques occitan et français, certains mots sont d'origine germanique. Une bonne proportion a dû être amenée au moment des grandes invasions (au Ve siècle, voir superstrat), mais certains d'entre eux ont peut-être trouvé leur place très tôt dans le lexique latin : *warnjan > garnir ; *wîsa > guise (IPHAF:151).


Il est connu que le waw (w) germanique initial a évolué selon les modes suivants :

- > /gw/ en latin (restée /gw/ en italien), > /g/ en oc et fr ;

- > /v/ en allemand et en néerlandais.


- Parfois on trouve l'équivalent /w/ en anglais (voir war, well, win ci-dessous dans la première colonne).



Cependant dans le domaine gallo-roman, l'aboutissement /g/ n'est pas partout réalisé, et je présente dans le tableau ci-dessous une étude dialectale. Pour résumer : les dialectes d'oïl depuis le wallon jusqu'à la Suisse montrent des variantes en w, vw, gw, v. Le sud-ouest de la France montre des variantes en w, gw.


Voici les mots concernés ; ils proviennent de l'a.b.fr. apporté par les francs, et peut-être d'introductions encore plus anciennes pour *warnjan > garnir, *wîsa > guise.


ancien bas francique /w/
/g/
/w/, /vw/, /gw/
/v/, /b/
/v/
allemand, néerlandais





*waddi oc gatge, fr "gage"

all Wette
*wahtôn
(angl wait)
oc gachar, fr "guetter" (voir fr emprunt "bivouac")

all, néerl wachten
*waigaro
oc gaire, fr "guère" - S-W waire, gwaire
m.h.all unweiger
*waithanjan
(angl win)
oc gasanhar, ganhar, fr "gagner" "cultiver ; semer"
- 57 wẽñè, 39 vwèñi, vwañi,
- sav wañi, vwañir..
- Gen wòñir

"gagner"
- a.wal. waignier, wall wangni, wâgni ;
- poit goigni ;
- Metz wẽñi

"cultiver ; semer"
- 88 vẽñi, 25 võñi...
- sav vagnir, vagner...
- Gen vòñir


"gagner"
- vsoan vañér
all winnen
*wala (> gal-rom *walāre)
(angl well)
AO gala "réjouissance", AO galant, fr "galant"


all wohl, néerl wel
*wala hlaupan
(angl well leap)
ou *walhlaup (1)
AO galaupar, fr "galoper"

all wohl laufen, néerl wel lopen
*wamba "bedaine" - oc gama, rouerg gòma "goître des brebis"
- AO gambais "pourpoint rembourré ; sorte d'étoffe" ;
- oc (d) gambèi "estomac d'un cochon tué"

- Val wamba "estomac d'une bête de boucherie" Lim vama, rouerg, bòma,Vel bama "goître des brebis"
*want oc gant, fr "gant" - wall want,
- S-W gwant

all Wanten, néerl want
*wardôn oc gardar, fr "garder"

all warten
*warjan 1 oc garant, fr "garant", garantir


all bewähren
*warjan 2 oc garir, fr "guérir"

- Val warir, werir, vwarir,
- wall warir,
- S-W warir, gwarir
- Sav varir
*warnjan oc garnir, fr "garnir"

all warnen
*werra
(angl war < a.norm. werre)
oc guèrra, fr "guerre"


*wîsa oc guisa, fr "guise" PassClerm vise (wise ?) PassClerm vise all Weise
*wîsarm
AO gazarma, guizarma, fr "guisarme"


*wōstinna
fr "gâtine"







Ci-dessus : étude dialectale du devenir des étymons a.b.fr. en w-. Dans le domaine gallo-roman, on voit que /w/ a évolué en /g/ de façon majoritaire, mais d'autres variantes existent : /w/, /vw/, /gw/, /v/, /b/.


(1) *wala hlaupan "bien courir" ou *walhlaup "course vers le champ de bataille d'un cavalier, accompagné d'un fatassin qui se tient à la crinière du cheval" (voir CNRTL, DHLF "galop"), de *wal "champ de bataille", *hlaup "saut, course".


à étudier :


a.b.fr. *wrakkjo > gars, garçon

a.b.fr. *wratjagarança "garance"

a.b.fr. *wrokkôn > AO garrǫt "sorte d'arbalète", français "lien"

a.b.fr. *gart ou *gardo « clôture » > jardin

a.b.fr. *dwaligôn > AO galiar "tromper ; séduire"

a.h.all. Willahelm (angl William) > oc Guilhèm, fr "Guillaume"

a.h.all. wankôn > gancilhar (allemand wanken)

a.h.all. wandjan > gandir (allemand wenden)

*warôn > garar, garer

got wahsjan  > AO gaisar "drageonner ; s'élargir"

got *garwon > galbe, garbier2, *garwi > gabarit

celtique gal- "force"  > galhard "gaillard"

gall. *warna > garna "ramée de pin ou de sapin" "tranche de pomme séchée..."



b. Évolution phonétique waw germanique initial > /g/ occitan et français
  

L'évolution en latin /w/ > /gw/ s'expliquerait de la manière suivante :


(IPHAF:97)

"Les Germains introduisent dans la langue, à l'initiale des mots, des spirantes qui en avaient disparu (w, h), ou qui n'y avaient jamais existé (θ). L'effort articulatoire que devaient accomplir les Gallo-romains pour prononcer ces consonnes étrangères explique leur renforcement, malgré l'affaiblissement articulatoire général à l'époque :

- w germanique est une bilabio-dorso-vélaire. En domaine français [et occitan], le renforcement a porté sur la constriction linguale, donc vélaire, et le résultat a été l'apparition d'un segment initial vélaire occlusif g [...], d'où gw : werra > gwerra. Puis l'élément w s'est amuï : gwerra > gèrə (guerre). Ce traitement était apparu dès le IIe siècle, dans les mots empruntés au germanique par le latin. Il se retrouve après les invasions dans les apports du francique : wardôn > garder, wart > gart [> jardin], waddi > gage, wahtôn > gaitier [> guetter]. [...]


- h germanique (devant l) > k : Hludawic > Clovis. Loois, Louis, remontent à la forme latinisée Ludovicus, plus tardive.


- θ germanique > t : θarrjan > tarire [> tarir]".



c. Comparaison avec w arabe > gu espagnol

L'évolution décrite ci-dessus est la même que pour le w (و) arabe initial passé en espagnol :

ar wād (واد) "oued, fleuve" > esp guad- /gwad/ : Guadalquivir, Guadalajara, Guadalope (> "Guadeloupe"), etc.


Voir aussi ci-dessus (en position non initiale) lat mĭnŭĕrĕ > mĭnŭārĕ > menguar "amenuiser", et également les réalisations (en position initiale) güevo [gwéβó] pour huevo ; güerto pour huerto [gwertó] ; güisqui [gwiski] pour whisky.


Ainsi selon moi, il apparaît qu'au fil des siècles, l'espagnol ait conservé une tendance ancienne de transformer /w/ initial en /gw/, tendance autrefois très répandue dans l'Empire romain, après l'évolution /w/ latin > /β/.

 

eee
2. Waw latin évoluant comme le waw germanique

    


Certains mots latins montrent une évolution de v initial comme le waw germanique ci-dessus :

/w/ > /gw/ > /g/, au lieu de l'évolution normale /w/ > /v/.


vădŭm > gasa "gué"

vastārĕ > gastar "gâter"

vĕspăm > guèspa "guêpe"


Cette évolution s'expliquerait de la manière suivante :


(IPHAF:97)

"Il [le traitement du w germanique] a contaminé des mots bien latins, par croisement avec des mots germaniques de même sens qui leur ressemblaient :


vadum X *wad- > gwa [gué]

vastare X *wôst- > gwastare [gâter]

vespa X *wafsa > gwespa [guêpe]"


Aussi :

vagina X *wagi > gaina [gaine]



 

3. Waw gaulois

    

Concernant le gaulois, pr-i-e  *gʷʰ aurait mué en w (sources à étayer), alors que pr-i-e  *w serait resté inchangé.


- le gaulois n'aurait pas possédé /gw/ à l'initiale (par contre les langues brittoniques le possèdent : c'est une innovation propre à elles).

(Gaulish - Sound laws)

« The Proto-Celtic voiced labiovelar * (from PIE  *gʷʰ) became w: *gʷediūmi → uediiumi "I pray" (but Celtiberian Ku.e.z.o.n.to /gueðonto/ < *gʷʰedʰ-y-ont 'imploring, pleading', Old Irish guidim, Welsh gweddi "to pray") »


(characteristics of brittonic languages)

« Celtic /w/ (written u in Latin texts and ou in Greek) became gw- in initial position, -w- internally, whereas in Gaelic it is f- in initial position and disappears internally:

- Proto-Celtic *windos "white, fair" became Welsh gwyn (masculine), gwen (feminine), Cornish gwynn, Breton gwenn. Contrast Irish fionn "fair".
- Proto-Celtic *wassos "servant, young man" became Welsh, Cornish and Breton gwas. Contrast Middle Irish foss. »



A. Moroldo (/W/LG:10-11) signale que le gaulois pouvait posséder à l'initiale /gw/, /w/ ou /v/. Pour /gw/, il ne donne que gwassawl > vassalus "vassal". Et il déduit :
"Le phonème celte /gw/, à l'initiale, subit une adéquation par 'défaut' au système phonologique du latin, puisque dans ce système il n'y a pas de /gw/ à l'initiale, contrairement à /kw/. Le phonème latin le plus proche est /w/ qui évoluera en /v/." 
Mais l'étymon gaulois serait en fait *wassos, sans /gw/ à l'initiale, du proto-celtique *wastos "domestique".


Pour */w/ gaulois à l'initiale : on dispose d'autres exemples :

(gaul) *wadana "eau" > (dial) gasne "mare", "guenipe", "guenon" (CNRTL "guenipe").

(gaul) *werno > "verne" (aulne) (CNRTL "verne").


Pour /v/ gaulois à l'initiale : A. Moroldo cite Verodunum > "Verdun", de (gaul) vero "puissant", (gaul) dun "forteresse" ; il illustre ainsi le passage /v/ gaul > "/v/ latin" (mais ce dernier n'existe pas !) > /v/ français. Il donne d'autres exemples pour illustrer /v/ gaul > /w/ (Wavrille, Woëvre dans l'Est), /v/ gaul > gw > g (Le Gavre, 44 ; Gavres 56 ; Gavrai 50 ; Gavrelle 62) de (gaul) *vobero "ruisseau caché". (/W/LG:11).

L'existence de /v/ à l'initiale en gaulois semble donc bien difficile à prouver.


À l'intervocalique : ??




Comparaison avec les langues germaniques



(voir ci-dessous : évolution du waw germanique)



D. Vocalisation de v / b finaux ou préconsonantiques
  


1. Vue d'ensemble sur v / b finaux ou préconsonantiques


Les consonnes v et b se rejoignent dès le premier siècle pour donner /β/.


Le v / b final se vocalise toujours en occitan, mais jamais en français :


clāvĕ(m) > oc clau, fr "clef" (a.fr. /kléf/)


Le v / b préconsonantique montre de nombreux cas de vocalisation en occitan, mais rarement en français :


vīvĕrĕ > (syncope) *vīvrĕ > oc viure, fr "vivre"

scrībĕrĕ > (syncope) *escrīvrĕ > oc escriure, fr "écrire"



2. Vocalisation de v / b finaux


(Voir aussi évolution de v devenu final à "Apocopes").


Lorsque v / b parvient en position finale au moment des apocopes, il est vocalisé en /ʋ̯/ (clāvĕm > clau) alors qu'en français il est durci en /f/ (clāvĕm > clef). C'est une des grandes différences entre l'occitan et le français : -v > -u (occitan), -f (français).



Déclinaisons de l'ancien occitan :

En AO et en a.fr., v / b est suivi de s final au CSS. Donc on doit intégrer ce cas au paragraphe suivant (v / b préconsonantiques), en n'oubliant pas les interactions analogiques entre les CSS et les CRS qui n'ont pas manqué de se produire. 


(n.) clāvĭs > AO (CSS) claus /klaʋ̯s/ "clé"



Conjugaisons de l'ancien occitan :


En latin, la consonne du radical dans bibere, vivere... parvient en position finale après les apocopes seulement au présent, à la 1e.p.s. bĭbō > *bév, et dans le futur domaine occitan aussi à la 3e.p.s.) car il y a


Pour l'AO :

bĭbō > beu "je bois".


Dans les formes conjuguées, l'a.fr. donne aussi un -f final dans les verbes à radical en -v, à la 1e.p.s. :


vīvō > je vif "je vis" (RLHI:108) ;

lăvō > je lef "je lave" (RLHI:115) ;

lĕvō > je lief "je lève" ;

bĭbō > je boif "je bois".







Pour la première conjugaison, comme attendu pour l'a.fr., les 2e.p.s. et 3e.p.s. sont en -ves, -ve(t) :




Pour la troisième conjugaison, "tu vis", "tu bois" représentent probablement d'anciens *"tu vifs", *"tu boifs").


lăvās > (tu) leves "tu laves"
lăvăt > (il) leve(t) "il lave"

bĭbĭs > (tu) *boifs > (tu) bois

vīvĭs > (tu) *vifs > (tu) vis

bĭbĭt > (il) *boift > (il) boit

vīvĭt > (il) *vift > (il) vit




3. Vocalisation de v / b préconsonantiques

Je considère v / b préconsonantique comme :


- v / b parvenant au contact antérieur d'une consonne à la suite d'une syncope : cīvĭtātĕm > *civtate


- le cas v / b devant ĭ, ĕ en hiatus > /ʋ̯dj/ doit être rapproché du cas précédent : abbrĕvĭăt > abreuja "(il) abrège" ;


- ou bien b latin devant une consonne (en général r ou l : les groupes br et bl sont des muta cum liquida : *oblītārĕ, labră).




a. Exemples de "v / b + consonne sonorisable"


Pour cīvĭtātĕm > ciutat "cité" : 

cīvĭtātĕm > (syncope) *cīvtātĕ > oc ciutat, a.fr. ciptet (Alexis) "cité".

En occitan, il n'y a pas sonorisation de t : ciutat ; en espagnol il y a sonorisation : ciudad.


Selon ALLRL:7, le français "cité"et l'italien città s'expliquent probablement par le scénario :

*cīvtātĕ /iːwtaːté/ > */iːftaːté/ > /iːttaːté/.


Dans PassClerm il y a deux variantes :

variante de type français : ciptat ; variante de type occitan : ciutat. (Voir commentaire sur PassClerm).


Est-il possible qu'en occitan et en catalan (ciutat), la vocalisation de v conduisît à une diphtongue iu ayant le même effet que au ? C'est-à-dire qui empêcha la sonorisation de la consonne subséquente (voir effet de au sur la consonne subséquente). Mais cet effet ne s'est pas produit en espagnol. Ou bien comme je propose ci-dessous, v était encore prononcé /β/ au moment des sonorisations, et plus tard encore.


clāvĭs > AO (CSS) claus (ce dernier cas est rattaché aux apocopes dans le site).


 





b. Exemples de "v / b + consonne non sonorisable"

À continuer.




jŭvĕnĕm "jeune" : voir évolution de jŭvĕnĕm (a.fr. juefne)

Français : Cavillonum > Chalon (Chalon-sur-Saône) (en occitan, cela aurait donné Caulon).


Devant r :


Pour le français, souvent on aboutit à vr ("vivre"), mais pas toujours ("écrire"). Pour l'occitan, on aboutit souvent à ur (escriure, viure), mais pas toujours : un libre "un livre".


lībrăm > oc liura, fr sav. "libre" (adj.), "livre" (nom fém.)

mŏvē > oc mòure, fr "mouvoir"


scrībĕrĕ > oc escriure, fr "écrire"

vīvĕrĕ > oc viure, fr "vivre".







4. Cause de la vocalisation de v / b finaux et préconsonantiques en occitan


Après de nombreuses années de réflexion, je pense qu'on peut proposer une solution à ce qu'on peut considérer comme un grand problème dans l'évolution phonétique du latin à l'occitan. Je propose ci-dessous trois pistes d'explication, mais la première a nettement ma préférence, et aucune explication n'est contradictoire avec une autre.


À première vue, le français est plus logique car il suit le durcissement de la consonne devenue finale (ou préconsonantique) -v > -f :


- clăvĕm > "clef" (a.fr. /kléf/) ;

- vīvŭm > "vif" ; vīvŭs > *vifs > a.fr. (CSS) vis ()

- également devant consonne, certaines graphies a.fr. montrent une prononciation dure (bien que leur prononciation réelle soit inconnue) : jŏvĕnĕm > (syncope) a.fr. juefne > "jeune" (Rou) ; cīvĭtātĕm > (syncope) *cīvtātĕ > oc ciutat, a.fr. ciptet (Alexis) "cité", *ciftate ci-dessous.


Donc pour expliquer cette différence d'évolution entre français et occitan, il me semble qu'il faut trouver une explication qui convienne à la fois pour les finales et pour l'intérieur des mots.


a. Vocalisation fréquente de consonne devant consonne

Voici mon explication la plus plausible :


On peut situer l'évolution de v / b dans un contexte plus général :  les nombreuses vocalisations de consonnes devant d'autres consonnes en occitan (pătrĕm > paire...).


Au moment des apocopes, les CSS évoluent ainsi :


*claves > *clavs > claus "clé" ;

*vivos > *vivs > vius "vivant" ;

...


Ces CSS auraient excercé leur action analogique sur les CRS pour donner clau, viu...




b. Influence de formes latines -um < -vum, -us < -vus


On peut aussi penser que les formes latines avec v amuï au contact de o, u (ci-dessous) de type flāvŭs > flāŭs "jaune", ont favorisé l'apparition des mots des CSS (AO) de type claus "clé".




c. Prononciation prolongée /β/ pour v, b


Concernant spécifiquement b, v, on pourrait considérer une période de prononciation /β/ beaucoup plus longue en domaine d'oc qu'en domaine d'oïl.

En effet au moment des apocopes (vers le VIIIe siècle ?), la différence entre le français /kléf/ et l'occitan /klaʋ̯/ pourrait s'expliquer par une prononciation différente de v :

- /v/ en domaine d'oïl ;

- /β/ en domaine d'oc.


Une prononciation /β/ mène plus facilement à une vocalisation lors du durcissement des consonnes devenues finales, même si logiquement on aurait abouti à /ϕ/. (à développer : cette dernière consonne n'existait plus).


Cependant de nos jours, la prononciation /β/, souvent /b/ ne se rencontre que dans la moitié occidentale du domaine d'oc. Concernant la moitié orientale, l'évolution /β/ > /v/ (ci-dessus) reste à dater (à étudier).







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Je donne ci-dessous quelques aspects détaillés de cette question.



Je remarque que plusieurs mots concernés courants (clāvĭs "clé", nāvĭs "bateau") sont de la troisième déclinaison latine. En latin populaire, même les imparisyllabiques comme bōs, bŏvis "bœuf", nix, nĭvis "neige", trabs, trābis "poutre" ont dû être "régularisés" (par exemple : bōs, bŏvis > *bŏvis, bŏvis selon RLHI:196, mais cela ne semble pas être toujours le cas pour l'occitan : voir pon / pont). Donc ces mots auraient possédé, dans trois cas sur quatre (ou au moins deux cas sur quatre après "régularisation"), une terminaison -vis, -ves (nom.s., acc.pl., nom.pl.) > -v's. Il est probable que -v's évoluât préférentiellement en -us (vocalisation de v devant consonne) en occitan, et en -fs > -f / -s français.


Exemple pour l'occitan : clāvĭs "clé" :


- nom.s. clāvĭs > */klavés/ > (VIIe s. : apocope) */klavs/ > (vocalisation rapide ?) /klaʋ̯s/ claus (CSS)

- acc.s. clāvĕ(m) > */klavé/ > (apocope) */klav/ > (analogie sur les trois autres cas?) > clau (CRS)

- nom.pl. clāvēs > */klavés/ > ... > claus (CSP) (ou bien régularisation précoce en clāvēs > clave > clau)

- acc.pl. clāvēs > */klavés/ > ... > claus (CRP)



Voir :

AO, CSS la claus (SBen in HLPA)

AO, CSS lo rius (JRud)

(pour rius il est possible aussi qu'il y ait eu amuïssement de v : rīvŏs > rīŭs)


- Groupe f + consonne en français : dans les formes françaises en -fs (CSS...), il est probable que f ou s disparût car -fs était difficile à prononcer : (a.fr.) CSS la clef / clé, le nief "le neveu" (< nĕpŏs), le bues "le bœuf"... Voir aussi juefne >? "jeune".


Voir GEAF:55 :

"F finale s’amuït quand elle est suivie de s.
On disait autrefois : uns sers, uns cers et au cas régime un serf, un cerf.
Des traces de cet amuïssement sont restées dans œuf et bœuf, que l’on écrit au pluriel œufs et bœufs, mais que l’on prononce eu et beu."






E. Cas d'amuïssement de waw

Entre deux voyelles, voire après consonne, waw a pu disparaître dans des conditions favorables. Signalons que l'amuïssement de waw dans un groupe de mots ci-dessous peut s'expliquer par la première ou la deuxième cause ci-dessous (contact de o, u ou bien dissimilation de labiales).



1. Amuïssement de waw au contact de o, u
    

(GAP:147)

« Entre deux voyelles, v se maintient si les voyelles qui l'entourent sont toutes deux palatales (a, e, i) ; il disparaît quelquefois quand il est en contact avec une voyelle labiale (o, u) (note : cf le traitement du b intervocalique).

Ex. Provinciam > Proensa ; pavorem > paor [...]
Dans les terminaisons des parfaits en -avi, -evi, -ivi, etc, v est tombé dès le latin vulgaire, où l'on avait amai pour amavi. » (voir "Réfection des conjugaisons" cantāvī  > cantai).


À cette citation de Joseph Anglade, il convient de rajouter que l'amuïssement de waw peut se réaliser aussi après consonne, voir ci-dessous : servus, ervum (et sans doute vŏlvĕrĕ, *vŏlvūtŭm > vŏlūtŭm). Il faut remarquer que la situation est similaire à qu + o, u > k + o, u ci-dessous.


 
a. Preuves et origine de l'amuïssement de waw au contact de o, u


Preuves :

Les preuves sont nombreuses, non seulement d'après les descendants médiévaux ou actuels du latin, mais aussi d'après les témoignages antiques. Par exemple :



Attestations antiques

Par exemple Prob blâme quatre erreurs à ce sujet.

J. Ronjat (GIPPM-2:114) estime que Prob "semble bien viser non seulement des grafies, mais encore des prononciations".

Prob,29 avus non aus "avus, pas aus" (avus "aïeul")
Prob,62 flavus non flaus (flavus "jaune")
Prob,174 rivus non rius (rivus "ruisseau", voir ci-dessous)
Prob,176 pavor non paor (pavor "peur")


Par ailleurs Consentius blâme ce barbarisme dans l'exemple de uvam passam.

nonne videtur per episynaliphen barbarismum facere qui, ut dicat “uvam passam” dicit “uam passam” (...) ? (Consentius 13.5-6 N = GL 5.393.1-2, in BMCELVL:733)

(prop.tradu.) "Ne paraît-il pas faire un barbarisme par épisynalèphe celui qui, pour dire uvam passam ["raisins secs"], dit uam passam (...) ?
(ci-dessous ūvăm passăm)



Voir ci-dessous la liste des mots concernés.

Remarque 1 : je pense qu'il est aussi possible que V disparaisse au moment où il était prononcé /β/, voir ci-dessus /w/ > /β/. Je ne sais pas s'il peut disparaître au stade /v/.


Remarque 2 : pour les quelques mots en ŏ tonique suivi de v (bŏvĕm...), il y a eu diphtongaison du o, en occitan comme en français, voir diphtongaison romane de ò devant waw. Cela indique donc que le v était présent, ou rétabli dans ces cas.



Explication phonétique :


Waw et o, u sont homorganes. Pour cette raison, le waw intervocalique en contact avec o, u a eu fortement tendance à disparaître en latin (IPHAF:143,144). Waw s'est assimilé à o, u. Voir aussi l'évolution de QV au contact de o, u ci-dessous.


Remarque : β et o, u sont aussi homorganes, donc je pense que cela peut aussi expliquer la disparition de V à une époque plus tardive (voir ci-dessus /w/ > /β/).


Mais d'autres preuves indiquent que le waw a pu être rétabli : voir le paragraphe suivant.




b. Rétablissement du waw (ou du v) : différents processus
   


α. Rétablissement par analogie flexionnelle
   

Voir ci-dessous Sensibilité à l'amuïssement de waw.



β. Rétablissement par réaction savante
   

Les élites ont réagi à plusieurs reprises pour rétablir le waw (IPHAF:144), comme Prob ci-dessous.


Dès l'Antiquité, cette voie savante a fourni des formes alternatives aux formes populaires. Les formes occitanes comme pavon, pavor pourraient être issues de ces alternatives, voir importance du latin écrit dans la langue d'oc).


Cependant il est souvent difficile de distinguer ces formes de celles issues d'une résolution d'hiatus par épenthèse (paragraphe suivant). Voir ci-dessus Distinguer des épenthèses de restitutions savantes.




γ. Rétablissement par résolution d'hiatus par épenthèse
   

La restitution de v s'intègre dans la résolution d'hiatus par épenthèse (ci-dessus).


Ainsi, une autre cause que la réaction savante peut expliquer le rétablissement de v : la résolution d'hiatus au contact de o, u, prouvé dans agŭstŭm > aost > avost (voir voie 5 bis pour g). L'origine de ce v ne serait alors pas savante, mais populaire (v épenthique). On peut se demander si v épenthique est apparu tel quel (/v/), ou bien d'abord sous la forme w.



Voir le paradoxe amuïssement / rétablissement du waw ci-dessus.







c. Inventaire des mots latins concernés par l'amuïssement de waw au contact de o, u


Attestations antiques :

Ci-dessous je donne une liste compilée à partir de LILG, Pomp, Prob et Consentius.

Les spécialistes ont été attentifs au fait que le doublet vv, pouvait s'écrire (v avec l'apex, ou accent aigu : serv́s pour servvs). "Cependant il paraît bien établi que la généralité de ces graphies sans v représentait la prononciation réelle." (LILG:63).

En rouge ci-dessous, je donne quelques descendants occitans considérées comme obtenus par la "voie savante" (mais voir discussion juste ci-dessus : voie savante ou populaire ?).


aevŭm > aeŭm "durée, temps" LILG
ăvŭncŭlŭ(m) > ăŭncŭlŭ LILG, Pomp (pour AO oncle, avoncle "oncle", voir ci-dessous ăvŭncŭlŭs)
ăvŭs > ăŭs "aïeul" LILG, Prob ci-dessus.
bătāvŭs > bătāŭs "batave" LILG
făvŏr > făŏr "faveur" LILG
flāvŭs > flāŭs "jaune" Prob ci-dessus.
jŭvĕnālis > juenalis, joenalis "jeune" LILG
jŭvĕncŭs > juencus "jeune (animal)" LILG
jŭvĕnis > juenis "jeune" LILG (jŭvĕnem > jove jŭĕnem > joine, voir discussion à jŭvĕnĕm)
? jŭvĕntĭă > juentiă "?" LILG
jŭvĕntĭŭs > juentius (nom de famille ?) LILG
jŭvĕntŭs > juentus ; iventi (?) "(de la) jeunesse" LILG (> l g ? joènt / pr jovènt)
lascīvŭs > lascīŭs "fôlatre" LILG
navŭs > naŭs "diligent ?" LILG
nŏvŭs > nŏŭs "neuf, nouveau" LILG
ŏctāvŭs > ŏctāus "huitième ; Octave" Pomp, LILG
păvŏr > paor "peur" Prob ci-dessus ;
voir l'évolution de l'accusatif păvōrĕm > AO par  *[paór] "peur", oc paur (voir basculement de l'accent) / pavor
prīmĭtīvŭs > prīmĭtīŭs "premier (en date)" LILG
quadruis (?) LILG
rivus > rius "ruisseau" Prob ci-dessus, ci-dessus.
servŭs > serŭs "esclave" LILG
ūvăm passăm > ūăm passăm (Consentius ci-dessus, voir *ūvĭttăm ci-dessous)
vīvŭm > vīŭm "vivant" LILG
vīvŭnt > vīŭnt "ils vivent" LILG





L'amuïssement de v au contact de o, u peut se déduire des descendants dans les langues romanes dans les mots ci-dessous.



bŏvĕm > esp buey "bœuf" (GIPPM-2:114)
*căvōnĕm > *căvōnăm > cauna (FEW 2:558b) (comme păvōrĕm > paur)
căvŭs > căŭs "creux" (GIPPM-2:114)
clāvŭm > clāŭm (IPHAF:118)
ĕrvŭm > *ĕrŭm (esp yero "caroube", LEAI:126)
gilvus > gilus ("jaune pâle") (source à mettre)
nŏvīcĭă > nŏīcĭă "nouvelle" (GIPPM-2:114)
ŏvĭcŭlă(m) > *oicula (> AO oelha / ovelha "ouaille, brebis")
pāvōnĕ(m) > *paone (> oc paon / pavon "paon")
păvōrĕ(m) > paore (> paur / pavor "peur") ("pavor non paor" Prob)
Prŏvĭncĭă(m) > *Prŏĭncĭă > AO Proença "Provence"
rīvŏs > rīŭs > rīvŭs > rīŭs  "ruisseau" ("rivus non rius" Prob) (voir ci-dessous)
ūvăm > *ūă > (Tarn) usa "luette" (FEW 14:90a, 91a note 1), aussi (Piémont, Nice) ua, uga, uwa, (uva) "raisin ; groseille" (FEW 14:90a)
*ūvĭttăm > *ūĭttă  "luette"  (voir ūvăm > ūvăm  Consentius ci-dessus)
*ūvŭlăm > AO lȩula "luette" : pas forcément amuïssement de v, voir tabŭlă




ăvŭncŭlŭs "oncle"

Le latin ăvŭncŭlŭ(m) a donné "oncle" ; les linguistes ne s'accordent pas sur le scénario.


1. Selon F. de La Chaussée, le /w/ s'est amuï devant ŭ et a donné *aunculu (IPHAF:93, 144, 173) : "ᴀᴠɴᴄᴜʟᴜ awʋncʋlʋ > aʋncʋlʋ" (IPHAF:173). L'auteur inclut ăvŭncŭlŭs dans le groupe de mots latins plurisyllabiques importés en Gaule du nord en ayant déjà perdu v au contact de o, u (ci-dessous). Il estime donc implicitement *aŭncŭlŭ(m) > "oncle", avec > ò pour le français.


2. Dans la synthèse de FEW 25:1264b, l'auteur estime que c'est une forme abrégée *ŭnc(ŭ)lŭ(m) qui est à la base des termes galloromans, et même probablement de tous ses représentants dans la Romania. En effet, si la base était *aŭncŭlŭ(m), elle aurait donné :

- oc auncle et non oncle (au en occitan) ;

- roum aunchi et non unchi (au dans la Romania) ;

- cat oncle /ònklə/ et non /ónklə/.


Le français "oncle" ne permet pas de conclure puisqu'en tonique, /òn/ comme /ón/ mènent à /ò̃/ (Nasalisations) ; par exemple : cŏntrā > "contre" ; ŭngŭlŭm > "ongle". (Même en a.fr. ?).


(FEW 25:1264b) "Quant à ᴀᴠᴜɴᴄᴜʟᴜs (ou même lttard. ᴀᴜɴᴄᴜʟᴜꜱ), il faut signaler que les lois phonétiques interdisent de faire remonter les continuateurs roumain et catalan directement à l'étymon attesté (note 97), mais ils doivent dériver d'une forme abrégée ᴜɴᴄᴜʟᴜ(ᴍ) (note 98) qui pourrait également être à la base des termes galloromans."

1269b (note 97) : "La diphtongue resterait intacte en roumain alors qu'elle aboutirait à [ò] en catalan, cf. Badía² 129, alors que la voyelle accentuée de oncle y est fermée."

(note 98) : "Due, peut-être, à la fausse coupure de la préposition ᴀʙ que l'on croyait reconnaître au début du mot."

Aussi, note 100 analysant les positions de certains auteurs (voir GAP:115 : "Dans oncle il n'y a pas probablement aphérèse de a, mais réduction de deux syllabes en une : avunculum > aunculum > oncle"), l'auteur remarque : "mais la diphtongue devrait rester intacte en occitan !".


L'auteur (FEW 25:1264b) conclut, surtout à partir de l'aboutissement catalan (mais l'occitan et le roumain le soutiennent aussi), à l'existence d'un étymon panroman *ŭncŭlŭs.


Les formes AO avoncle, aoncle, mettent les linguistes dans l'embarras : s'agit-il de formes héritées de ăvŭncŭlŭm ou de formes savantes ? L'auteur de (FEW 25:1264b) range ces formes dans les "latinismes". Je dirais que l'absence des formes ahoncle, agoncle laisse en effet penser qu'il s'agit de latinismes, mais la forme avec hiatus aoncle laisse subsister le doute (voir Distinguer des épenthèses de restitutions savantes ci-dessus).



d. Distinction de mots selon leur niveau de sensibilité à l'amuïssement de waw

α. Mots à waw rétabli facilement par analogie flexionnelle

Pour de nombreux mots, des formes du même paradigme ont pu jouer pour rétablir la consonne par analogie ("analogie flexionnelle"). Par exemple, vīŭs (< vīvŭs) a pu voir son v restitué par analogie sur le féminin vīvă.


Même pour des deux mots où v est suivi et précédé par o, u : nŏvus "neuf, nouveau" ; ōvum "œuf", cette lettre a finalement été rétablie.


Voici quelques exemples :

adj. nŏŭs "neuf, nouveau" / nŏvă, nŏvā, nŏvăs, nŏvārum => nŏvŭs "neuf, nouveau"

n.n. ōŭm "œuf" / ōvă... "les œufs" => ōvŭm "œuf"

adj. vīŭs "vivant" / vīvă... "vivante" => vīvŭs "vivant"

f.v. vīŭnt "ils vivent" / vīvĭt... "il vit" => vīvŭnt "ils vivent"



Citons GIPPM-2 (p. 115) : "(...) on comprend que toutes les langues rom. continuent *ŏvu (1) (deux  voy. labiales, et influence de nombreux cas de la déclinaison), nŏvu (id., et influence du fém., etc...), vīvu (influence du fém., etc...) (...)"


(1) Voir note de l'auteur reportée ci-dessus.



L'occitan confond -u et -v latins

Pour ces mêmes mots, l'occitan est d'une certaine manière ambigu, puisqu'il confond les continuateurs de -u, et les continuateurs de  -v- devenu final en un seul -u final (GIPPM-2:115). Nòu, AO ochau "huitième", uòu, vieu peuvent aussi bien provenir des formes "altérées" nŏŭ(m) etc. que des formes "rétablies" nŏvŭ(m) etc. (voir vocalisation du v final en occitan). Alors qu'en français, "neuf", "œuf", "vif", en esp nuevo, huevo, vivo, en it nuove, uovo, vivo, témoignent bien de la restitution du v.


(GIPPM-2:115) (r.g.f.d.e.a.) « [...] nos parlers, avec iòu ~ ouéu, etc..., nòu ~ nau, etc., vièu ~ vìu ~ -b, etc... [voir §...], sont équivoques (comme le cat et le roum) à ce point de vue, puisqu'ils confondent en [ -w ~ -ʋ̯ ~ -] les continuateurs de -u et -v- finaux rom, par exemple prov brèu, clau < breve, clāve comme miéu, Diéu < meu, deu (tandis que l'esp oppose nettement huevo, nuevo, vivo, breve, llave à mío, Dios, l'it uovo, nuovo, vivo, breve, chiave à mio, Dio, le fr œuf, neuf, vif, bref, clef à Dieu) [...] »


Le français "clou" témoigne d'un amuïssement de v : clāvŭm >  /klaʋ̯/ > /klòʋ̯/ > /klʋ/ "clou" (IPHAF:191), sinon on aurait abouti à clef. Voir conservation du /ʋ/ dans les diphtongues de coalescence.


Le sud de la Gaule a sans doute vu pareillement cette restitution du v dans nŏvŭ(m) etc. Cependant pour certains mots, il faut procéder à des analyses plus fines. Par exemple rīvŭs "ruisseau", GIPPM-2:115 : "le mot est peut-être plus usité au sing. qu'au plur." (esp río < rīŭ ? / a.fr. rif : v restitué GIPPM-2:115).





β. Mots susceptibles de perdre facilement le waw, surtout en Gaule du nord


Contrairement au cas α ci-dessus, certains mots ont un groupe "v intervocalique en contact avec o, u" faisant partie de la base radicale, donc insensible à la flexion. Selon IPHAF (p. 144) : "En Gaule du Nord, derrière voyelle vélaire initiale, dans les mots plurisyllabiques (ovĭcula, november, provĭncia - avŭnculu, pavōne) où la flexion n'avait aucune influence sur l'entourage phonétique du w, le latin importé semble n'avoir connu que *oicula, *noember, *proincia - *aunculu, *paone, avec tout au plus et provisoirement une étape ʋ̯ qui modifiait la coupe syllabique (O/VICULA > oʋ̯ikʋla)."



Pour la Gaule du Sud (futur domaine d'oc), selon moi, il est probable que ce soit différent : les formes avoncle, ovelha, pavon "paon", pavor sont attestées en AO, parfois en OA. Cette différence entre la Gaule du sud et la Gaule du nord peut provenir de trois causes, sans qu'il soit pour le moment possible de privilégier l'une ou l'autre cause :

- le latin parlé dans le sud est d'origine plus ancienne ;

- l'occitan est plus proche du latin écrit ;

- il y a eu davantage de résolutions d'hiatus dans le sud (ci-dessus).



Il faut quand même constater que pour les formes comme jŭvĕnis / jŏvĕnis, jŭvĕntŭs / jŭvĕncŭs..., le v a souvent été rétabli, en provençal comme en français (a.fr. jouvent, jovente ; "jouvence", "jouvencelle", pr jovènt, jovènça ; jŏvĕnis > jʋ̯òvene > jʋ̯òvne > jeune IPHAF:112, et voir ci-dessus pr jove, joine).








2. Amuïssement de waw par dissimilations de labiales

Voir Dissimilations de labiales (à "Assimilations et dissimilations consonantiques à distance").


Un amuïssement de v peut se produire alors qu'il n'est pas au contact de o, u. La présence d'un f ou d'un autre v à l'initiale dans la syllabe précédente fait disparaître le v. Il s'agit d'une dissimilation de deux labiales (f et v sont des labiales). La labiale qui est intervocalique disparaît, comme dans vivanda > vianda.


Voir aussi hăbēbās > *hăbēās.



Attestation antique :

Dans Prob, on trouve :

Prob,73 favilla non failla "favilla, pas failla" (făvilla "cendre chaude").


On connaît aussi le cas Faventia > Faenza (ville d'Italie).


De ce fait, beaucoup d'exemples cités dans le paragraphe ci-dessus "Amuïssement de waw au contact de o, u" peuvent aussi s'expliquer par des dissimilations (comme le signale très justement GIPPM-2:114 : novembrĕs, movĕre, pavor, favor, Favōnius, Flāvōnius > noembres, moere, paor, faor, Faonius). Également Prŏvĭncĭă(m) > AO Proença "Provence", etc.

 



F. Évolution de QV

Le groupe qv transcrit toujours la consonne /kw/, voir ci-dessus. C'est une consonne simple ; donc elle ne peut pas causer l'entrave de la voyelle antécédente (IPHAF:57).


Son évolution rejoint dans une certaine mesure c + ŏ, ŭ en hiatus (ci-dessous).



1. Évolution de QV devant o, u

(IPHAF:57)


Schéma général :


QV /kw/ + o, u > /k/ + o, u



La perte de l'élément w (délabialisation) s'amorce dès le latin archaïque, et elle semble terminée avant les sonorisations, c'est-à-dire avant l'an 400 environ (voir discussion ci-dessous pour antīquŭs).

Cette délabialisation devant o, u a la même explication phonétique que l'amuïssement de w au contact de o, u (ci-dessus) : w et o, u sont homorganes, 


Pour l'espagnol antiguo /ãtigwo/ < antīquŭm, il y a sans doute analogie sur le féminin antigua /ãtigwa/ < antīquăm.

latin archaïque : sĕquŏndŭs > sĕcŭndŭs


Plaute : cŏquŭs > cŏcŭs


Pomp : quōmŏdŏ > cōmŏdŏ


Prob,37 equs [ĕquŭs] non ecus (à comparer au fém ĕquăm > AO ȩga ; a.fr. yeve, yeuwe "jument" qui montre une conservation de la composante w, voir juste ci-dessous).



cŏquŭs

Pour cŏquŭs > cŏcŭs :


cocus (Plaute)

Prob,38 : coqus [cŏquŭs] non cocus (coquus "cuisinier").


cŏquŭm /kokwʋ/
> (plusieurs siècles av. J.-C. : délabialisation) /kokʋ/
> (



AO cǫc


























cŏquŭm

> cŏcŭm

*/kòkʋ/

voie 1 : pas de diphtongaison (domaine d'oc : géographie mal définie)


> (vers l'an 400 : sonorisations) */kògʋ/

> (vers les VIIe et VIIIe siècles : apocope puis durcissement de la consonne devenue finale)


> (diphtongaison spontanée) */kʋòkʋ/

> (sonorisations) */kʋògʋ/


voie 1 :

sud de la Gaule :


nord de la Gaule : (d'après IPHAF:56, qui ne donne que la variante cuou, mais "queux" provient de la variante *cueu, voir type fuego) :

> (Ve siècle : spirantisation puis amuïssement de g) */kʋòɣʋ/ > */kʋòʋ

(synérèse du même type que

fŏcŭm > */fwòw/ "feu",

paucŭm > a.fr. pou */pòw/ "peu",

græcŭm > a.fr. grieu */gryèw/ "grec"...)

> (vers l'an 1200 : bascule des diphtongues) */kʋ̯òʋ/ cuou "queux (cuisinier)" 



Pour antīquŭs : (à refaire, en s'aidant de Fouché)

(fr "antique" est un emprunt au latin)

L'aboutissement de antīquŭm est du même type que pour ămīcŭm > a.fr. ami, AO amic. Or a.fr. ami est mal expliqué. Les masc a.fr. ami et anti pourraient être analogiques de variantes féminines amie et antie, variantes sans v comme eau est une variante de ève "eau" (si je comprends bien le raisonnement de IPHAF:56).


antīquŭ(m)

> *antīcŭ

> (vers l'an 400 : sonorisations) *antigu


nord de la Gaule : évolution pas claire > a.fr. anti (IPHAF:57, DALF) :


Si la composante w avait été conservée, on aurait eu :

antīquŭ(m)

> (vers l'an 400 : sonorisations) antīgwŭ

> (Ve siècle : spirantisation et amuïssement de g) antiɣwo > antiwo

> (renforcement tardif w > v) antivo

(apocope et durcissement de v devenu final) a.fr. antif


Il existe aussi la voie 2 ci-dessous : ăquăm > *èʋ̯e > eau ; logiquement antīquŭm aurait abouti dans cette voie à antiu, indistinguable de l'aboutissement antīquŭm > *antīcŭ > antiu (voir ci-dessus cŏquŭs > cŏcŭs > cuou)


(On ne connaît pas de fém antive, antiwe ; on connaît seulement antie : peut-être issu de la voie 2 ci-dessous, ăquăm > ève / eau, ĕquăm > yeve / ye "jument').





sud de la Gaule :

> (-ŭ > -o) *antigo

(apocope et durcissement de v devenu final) AO antic






2. Évolution de QV devant a, e, i

La consonne QV /kw/ a une évolution variable. Sa délabialisation (perte de l'élément /w/) est fréquente en domaine gallo-roman, mais pas systématique.



a. Délabialisation précoce (surtout QV devant ĕ en hiatus)


Je qualifie ces délabialisations (kw > k) de précoces car elles précèdent sans doute les premières et deuxièmes palatalisations.


Devant ĕ en hiatus :


Exemples :


lăquĕārĕ > laçar "lacer"

lăquĕŭm > laç "lacet"



On peut construire le scénario :

/kw/ + ĕ, ĭ + voyelle > /kĕ/, /kĭ/ + voyelle > (1es palatalisations ci-dessous) /ts/ + voyelle > ç + voyelle


Donc la délabialisation /kwé/ > */ké/ semble avoir eu lieu avant les premières palatalisations, donc avant le IIe siècle (IPHAF:58).


Aussi en post-tonique interne :

On peut construire le scénario :

/kw/ + ĕ > /kĕ/ > (2es palatalisations) /ts/ + voyelle > ç + voyelle

tŏrquĕrĕ > tòrcer "tordre"



Cas de quīnquĕ > cinc "cinq" : il y a eu dissimilation des deux qu, le premier est devenu c /k/, le deuxième a subi une délabialisation tardive. De même pour quīnquāgintā "cinquante".


Prob,39 coquens non cocens (coquens "en train de cuire")

Prob,40 coqui non coci (coqui "cuisiniers")



b. Délabialisation tardive (QV en position forte)


Je qualifie ces délabialisations (kw > k) de tardives car elles sont postérieures, sans doute dans leur ensemble, aux quatrièmes palatalisations (qui ont lieu au début du Ve siècle).


En position forte, on constate par exemple que /k/ dans quærĕrĕ n'est pas affecté par la palatalisation /k/ > /͜ts/ : quærĕrĕ > quèrre /kèré/, "quérir" et non sèrre. En gascon, quèrre est même toujours labialisé : /kwèré/.


QV se délabialise après la palatalisation ke, ki > che, chi (début IIIe siècle), et sans doute après la palatalisation ka- > cha-, c'est-à-dire après le début du Ve siècle : en français, les cas ci-dessous mènent à "car", "onques", "jusque" (et non à char, onches, juches). (Sauf en cas de post-tonique interne, voir ci-dessus : tŏrquĕrĕ > tòrcer).


quĕm, quĭd > que (pronom relatif)

quĭd > qué (pronom neutre)

quī > cu, quau (pronom interrogatif)

quærĕrĕ > quèrre "quérir (chercher)"

quĭētŭs > *quetus > AO quet "coi"

quīnquĕ > (dissimilation kw-kw > k-kw > cinc "cinq")


quārē > AO car, quar


unquam > AO ọncas "onques, un jour"

ĭndĕ ūsquĕ > enjusca "jusque" (ci-dessous ĭndĕ ūsquĕ)





c. Délabialisation facultative et tardive (QV en position faible)

Hormis les cas de qu devant ĕ en hiatus traités ci-dessus, il s'agit de tous les cas de qu en position faible.

Je qualifie ces délabialisations (kw > k) de facultatives car dans de nombreux dialectes, on trouve la trace de /w/ : f.dial. èwe, ève, èva, AO auga "eau" (voire aiga), u de "eau"... Mais cette trace de /w/ n'existe pas partout : AO aga "eau".

Quand elles se réalisent, ces délabialisations sont tardives car leur produit k/g n'est jamais affecté par les troisièmes palatalisations ni par les quatrièmes palatalisations.


Il faut que j'étudie les convergences de QV avec le W germanique ci-dessus, voir aussi digramme GV ci-dessus.



ăquăm

(Pour le français : PHF-z:149 ; IPHAF:58, 119, 125, 210 ; PHF-f2:264, 338 ; PHF-f3:644, 724 ; pour l'occitan, voir une analyse bibliographique dans ÉGPACL:108)


ăquă(m) /akwa/ "eau"
it aqua


(vers l'an 400 : sonorisation) */agwwa/ esp agua


français

> (Ve siècle : spirantisation, amuïssement) */aɣwa/ > */awa/

> (VIe siècle : diphtongaison française, -a > -ə) */aè̯wa/ > */èwə/ (1)
(Roland) ȩwe, (wall et valais) èwe (2)


voie 1 (dialectes de l'Ouest : PHF-f3:645, et sav et vald)


> (/w/ > /v/) */èβə/ > */èvə/


(a.fr., également dial 35, et 85 à 33) ève ; (sav et vald) èva (2)
(voir ăquărĭŭm > "évier")
voie 2

> */èʋ̯e/ (3)

> (XIe siècle, voir eu > eau) */èaʋ̯ə/ (3)

> (milieu XIIe siècle : a devient marqué et attire l'accent) */èaʋ̯ə/
(a.fr., 1185, in CNRTL) eaue
> (a > ɑ, IPHAF:119, 125) */èɑʋ̯ə/

> (chute de ə final ?) */èɑʋ̯/ (4)

> (m.fr. : monophtongaison de ɑʋ) */èó/



voie 2a

> (éo > io) */yó/
iau /yó/ (variante (var.dial.oïl très répandue)
voie 2b

> (affaiblissement de è) > */əó/

> (XVIIe s. : monophtongaison) /ó/
eau /ó/


occitan

voie 1

> (délabialisation gw > g) */aga/
AO aga


voie 2

> (anticipation de w) */awgwa/

voie 2a

> (délabialisation gw > g) */awga/
AO auga
voie 2b  (mal élucidée)


hypothèse 2 : (au̯ > ai̯)

hypothèse 3 > (action analogique de */aygis/ < loc.pl. Ăquīs ?) */ayga/
AO aiga




(1) PHF-f2:264 signale que /èwə/ aurait dû donner /éwə/ (avec e fermé), mais e "s'est conservé ouvert sous l'action du w suivant".

(2) Pour valais èwe, et même iwe, la diphtongaison française ne s'est sans doute pas produite (absence de la diphtongaison française dans le domaine francoprovençal). Je pense qu'il faut étudier la piste de l'apparition d'une diphtongue ai comme pour le domaine d'oc (aiga). On pourrait donc écrire aive.

(2) Pour ève, èva : il faut expliquer la variante des Vosges au Doubs : /óv/, /óf/.

(3) L'évolution de */èʋ̯e/ est détaillée dans (IPHAF:58,119), qui fait intervenir l'élément faible de diphtongue [ʋ̯], comme pour bĕllŭm > beau, P. Fouché donnait simplement : diphtongaison de è au contact de w (PHF-f2:338). Ce dernier détaille (PHF-f2:348) : (e.g.s.p.s.) "On a vu que a accentué en syllabe ouverte est devenu /èː/, puis /éː/ dans le v.fr. mer < mare (pp. 261 sq.). Mais au contact d'un w, dont la nature est d'ouvrir les voyelles palatales, l'èː de */èːwe/ s'est conservé tel quel, et c'est ainsi qu'il a pu se diphtonguer plus tard en /èa/ ; d'où /éawe/, puis /eáwe/ et finalement /éau/ (p. 338)."

(4) Pour */èaʋ̯ə/, selon PHF-f3:644, c'est la chute du ə final qui déclenche la monophtongaison ɑʋ > ó : ʋ perd son caractère intervocalique. Mais la monophtongaison a pu aussi se produire plus tard.




ăquĭlăm > aigla "aigle" (mot mi-savant : les formes populaires se trouvent en a.fr. aille,  fr-pr aye, alye) (à développer)


ăquĭlōnĕm > AO aguilon "nord ; vent du nord" (mot mi-savant : le i latin est conservé)


aquisanam, aquisaniam, année 739 (avec ī ? : ăquīsănăm ?) > La Guisana (05) (aflluent de la Durance)


Aquītānĭăm (Aquītānăm) > lim Aiguiana [aygiyano/a], oc La Guiana [giyano/a] "Guyenne" /güiyèn/ (voir ci-dessus yod épenthique ; la prononciation française avec gü est déformée par une mauvaise interprétation de l'orthographe "type aiguille")


ĕquăm > AO ȩga "jument"

(IPHAF:58 : français : ĕquăm > */iè̯gwa/ > */iè̯ɣwa/ > */iè̯wa/ > "yeve")



æquālĕm > AO egau, (a.fr.) uel, oel, evel, ivel

æquăt > AO ȩga "il égalise"




l.pop. sĕquĕrĕ "suivre" (< l.clas. sequī) > AO sȩgre, seguir


Le fr "suivre" est analogique des formes conjuguées ci-dessous.

sĕquĭt > AO sec, siec

(IPHAF:58-59

français : *sĕquĭt > siégwét > siéɣwét > siéwét > siut Roland > métathèse "suit", à continuer)






Remarque : en italien et en espagnol, la réalisation labialisée et maintenue dans certains cas :


quadrŭm > it quadro /kwadro/, esp cuadro /kwadro/

ăquăm > it aqua /akwa/, esp agua /agwa/

æquālĕm > it uguale /ʋgwalé/, esp igual /igwal/


Mais :

quī > it chi /ki/, esp quien /kyén/.









G. Évolution de GV (lĭnguăm > lenga)

 

En latin, le groupe gv, presque exclusivement présent dans le groupe ngv, transcrit /gw/, voir ci-dessus.


Le phonème /gw/ évolue en /g/ en occitan :


ĭnguĭnĕm > engue "aine"

lĭnguăm > lenga "lange"



La réalisation /gw/ est conservée en italien : lingua /lingwa/, aussi en espagnol devant a (lengua /léngwa/).




Voir aussi ci-dessus waw germanique.






IV. Évolution de ĭ et ĕ en hiatus, premières palatalisations


J'utilise le vocable "premières palatalisations", conformément à la terminologie de IPHAF:178. Les premières palatalisations commenceraient au début du IIe siècle après J.-C.



A. Vue d'ensemble sur les "yodisations" et les "premières palatalisations"

1. Yodisations (ou yods épenthiques ?)

La plupart des mots latins concernés étaient des proparoxytons ; ceux-ci deviennent des paroxytons (fīlĭăm /fi:-li-a/ > /fi:-lya/). Pour les dissyllabes (via, dia...), voir ci-dessous Exceptions aux yodisations.


a. Scénario classique : yodisations


Les philologues considèrent qu'au Ier après J.-C. (ou avant ? ci-dessous), les voyelles brèves ĭ, ĕ en hiatus subissent une consonification en /y/ (yodisation) :


ĭ, ĕ  en hiatus  >  y  secondaire


Ainsi par exemple :

brāchĭŭm [braː-ki-ʋ]   > [braː-kyʋ]  "bras"


Le phénomène complet est dans l'ordre chronologique (IPHAF:174) :
1. Fermeture de ĕ en hiatus en /i/ ;
2. Déplacement de l'accent vers la voyelle subséquente si ĭ en hiatus porte l'accent (fīlĭŏlŭm) (voir accent) ;
3. Consonification de ĭ en hiatus.

Pour une explication plus précise de la consonification, voir ci-dessus la citation de G. Millardet.



Des témoignages antiques :


Dans Prob, on trouve les items suivants :



Attestations antiques :

Les items suivants dans Prob blâment visiblement des "yodisations" :

Prob,55 vinea non vinia ["vigne"] ;
Prob,63 cavea non cavia ["cage"] ;
Prob,66 cochlea non coclia ["coquille d'escargot ; ..."] ;
Prob,72 lancea non lancia ["lance, pique"] ;
Prob,80 solea non solia ["sandale ; ..."] ;
Prob,81 calceus non calcius ["chaussure"] ;
Prob,157 linteum non lintium ["toile de lin ; étoffe ; ..."] ;
etc.


Mais Prob blâme aussi les hypercorrections :

Prob,2 tolonium non toloneum ["bureau de percepteur d'impôt ; octroi"]
Prob,113 alium non aleum ["ail"] ;
(de même DFL Prob, "ālĭum" : "aleum était considéré comme vulgaire par Porph. [commentaire sur] Hor. Epod. 3, 3")
Prob,114 lilium non lileum ["lis"] ;
etc.

De même, Charisius (70. 27 K.) proscrit la prononciation des alii diserti ("autres parleurs habiles") : aleum, doleum, palleum (in LLHA:22 §10). Également Pomponius Porphyrio considère aleum comme vulgaire (Hor. Epod. 3.3, in DFL "alium").


La datation des "yodisations" est : Ier siècle après J.-C. (IPHF:40), idem pour NDSAF:93. Cependant IPHAF:173-174 donne : "les derniers siècles de la république", (c'est-à-dire avant 27 avant J.-C.).



b. Une autre voie possible : yods épenthiques ?

(J'ai commencé à développer ce paragraphe en février 2019.)


Remarque : Le yod épenthique est apparu à d'autres époques et dans d'autres conditions, voir ci-dessous.


Je pense que dans certains cas, le yod peut provenir d'un yod épenthique non écrit. On aurait donc :


C + ĭ, ĕ + yod épenthique + V   >   (syncope)   C + yod épenthique + V


Exemple :   brāchĭŭm *[braːkiyʋ]   >   (syncope)   *[braːkyʋ]


Il est même possible que ce yod épenthique fût géminé, ce qui serait logique (réalisation de yod) :


Exemple :   brāchĭŭm [braːkiyyʋ]   >   (syncope)   [braːkyyʋ]


Il me semble que ce processus peut expliquer du même coup le renforcement consonantique devant yod, mais ce n'est qu'une hypothèse personnelle. La gémination de yod a pu entraîner la gémination de la consonne antécédente, par l'effort qu'on fait pour prononcer le yod géminé au contact de la consonne :


Exemple :   brāchĭŭm [braːkiyyʋ]   >   (syncope)   [braːkyyʋ]   >   [braːkkyʋ] 


Cette voie doit être mieux étudiée.


Un indice sérieux peut donner une indication sur ce qui pourrait être une prononciation gauloise : le "cartouche de Martialis" découvert à Alise-Sainte-Reine (LDDMAA, RIIG CDO-01-19) :




Dédicace_Martialis.jpg
Transcription (in RIIG CDO-01-19) :

1. MARTIALIS▴DANN⁽OT⁾ALI  

2. IEVRV▴VCVETE▴SOS⁽IN⁾  

3. CELICNON ❦ ETIC  

4.  GOBEDBI▴DVGIIONTIIO  

5. ❦ VCVETIN▴   6. IN ALISIIA


Traduction du gaulois proposée par Emmanuel Dupraz (in RIIG CDO-01-19) :

"Martialis, fils de Dannotalos, a offert à Ucuetis ce bâtiment-corporatif et [cela] au nom des forgerons qui honorent Ucuetis à Alésia".



Ci-dessus : photographie du "cartouche de Martialis" (Wikipedia Commons). Dans ce texte gaulois, on voit à trois reprises une i longa sans doute à valeur de yod : DIGIIONTIIO, ALISIIA. (Voir aussi i longa à valeur de i long). Selon LDDMAA:253 (ci-dessous), cette i longa représente un yod ; il semble bien que ce yod soit épenthique, peut-être typique d'une prononciation gauloise (hypothèse personnelle).


Voici l'analyse de Michel Leujeune sur cette i longa :


(LDDMAA:253) "[...] Il n'est donc pas question de pouvoir (ainsi que certains l'ont fait) reconnaître un e « vulgaire » dans les trois séquences de deux hastes verticales (la seconde haste, toujours un peu plus haute que la première) ; elles sont toutes antévocaliques ; seule lecture possible ii (impliquant une prononciation [i] avec un [i] syllabique) : dugiiontiio (4), alisiia (6). — On notera que martialis (encore que vraisemblablement quadrisyllabique) ne présente pas cette graphie : c'est que c'est le seul mot latin de notre texte (emprunt onomastique au stock des cognomina romains), et que, senti comme étranger, il conserve son orthographe d'origine."


Ce texte apporte un regard nouveau sur le gaulois, apparemment sur la façon dont était prononcée le nom de la ville Alesia en gaulois, mais il pose de nouvelles questions, notamment comment interpréter la différence d'orthographe entre Alisiia ci-dessus et Alesia (Alĕsĭa) employé par César ?







c. Exceptions aux yodisations


La yodisation de ĭ, ĕ a lieu derrière toutes les consonnes sauf dans les cas suivants.


●  Si yod est trop difficile à prononcer.


-après qu, (voir ci-dessous) ; quĭētum *[kwi-é-tʋm] > *[kwyé-tʋ] > quētu *[kwé-tʋ] "coi".


-dans caprĕŏlŭm [ka-pré-o-lʋm] > *[ka-pryo-lʋ] > *[ka-prò-lʋ]> cabròl > cabròu "chevreuil". La variante AO cabiròl proviendrait par métathèse de *[ka-pryo-lʋ] (?). 


●  Si le mot est dissyllabique : ĭ porte toujours l'accent tonique, et une loi semble se dégager en occitan : (voir Dissyllabes de type vĭăm > via à "Évolution des voyelles latines") :

vĭă(m) > via "voie" (voir IPHAF:174) ;

pĭŭm > AO piu, pios "pieux" (mot savant selon MÉ-ainz:576) ;

diam > esp dia "jour" (MÉ-ainz:576).


●  type antius > anceis ? (avec déplacement d'accent sur le i) (Antoine Thomas




2. Évolution de type : consonne + ĭ, ĕ en hiatus > consonne + /dj/


(Février 2020) Ce paragraphe est le résultat d'une réflexion personnelle.


Pour plusieurs schémas latins, on observe une tendance, non pas à la palatalisation de la consonne, mais à sa conservation avec apparition de /dj/ (ou /dz/) après elle. Après p, on obtient non pas /dj/ mais /ʃ/ (ou /tʃ/ ?) : săpĭăt > AO sapcha. À ma connaissance, ces types d'évolution n'ont jamais été regroupés dans un paragraphe commun, et même pour b et v, cette évolution n'a jamais été reconnue (ci-dessous type răbĭă > rauja "rage" et type abbrĕvĭăt > abreuja "il abrège"). Mais cela ne veut pas dire qu'on doit trouver la même explication pour tous ces cas.




a. La consonne aurait pu se palataliser : n ou r


Pour n et r suivis de ĭ, ĕ en hiatus, on connaît bien une voie de palatalisation "normale".

Par la palatalisation "normale", on aurait abouti respectivement à /ñ/ et /i̯r/, voir ci-dessous.



n + ĭ, ĕ en hiatus :


- pour n, type līnĕŭm > AO linge "linge" → voir ci-dessous type līnĕŭm > linge.


mn + ĭ, ĕ en hiatus :


- pour mn, type somnĭŭm > AO somge, songe "songe" (à côté de somnhe, sonhe, somni, somi) → voir ci-dessous mn.


r + ĭ, ĕ en hiatus :


- pour r, type sŏrōrĭŭ(m) > a.fr. et dial.oïl serorge, AO serrge "beau-frère" → voir ci-dessous type sŏrōrĭŭm > serọrge.




b. La consonne n'aurait pas pu se palataliser : b, v, m ou p (labiales)

Pour b, v, m, ou p suivis de ĭ, ĕ en hiatus, on ne connaît pas de palatalisation "normale" : la consonne ne peut pas se palataliser du fait de sa nature labiale.



b, v, m ou p (labiales) + ĭ, ĕ en hiatus :

Les consonnes b, v, m, p ne sont pas "palatalisables" (ci-dessous) ; on ne connaît donc pas d'autre aboutissement populaire que cette consonne suivie de /dj/. Les autres aboutissements connus sont en -i, -ia : la rabia "la rage" ; ces aboutissements sont considérés comme "savants" (-i, -ia, -iar), mais je pense qu'on doit discuter de ce caractère savant dans ce cas.


Ci-dessous, pour les deux premiers exemples, la diphtongue occitane en u représente l'aboutissement de b ou v en position préconsonantique, voir ci-dessous b, v > /ʋ̯/.


- pour b, type *răbĭă(m) > (g) rauja "rage" → voir ci-dessous b, v + ĭ, ĕ en hiatus.


- pour v, type abbrĕvĭăt > AO abrèuja "il abrège" → voir ci-dessous b, v + ĭ, ĕ en hiatus.


- pour m, type *blasphēmĭārĕ > *blastēmĭārĕ > AO blastenjar "blasphémer" → voir ci-dessous m + ĭ, ĕ en hiatus.


- pour p, type săpĭăt > AO sapcha "(qu'il) sache" → voir ci-dessous p + ĭ, ĕ en hiatus.






3. Conséquences des yodisations : "premières palatalisations" et phénomènes connexes

La consonification en yod, apparemment anodine, va avoir des conséquences très importantes sur l'évolution de la consonne antécédente, et même parfois, par répercussion, sur la syllabe antécédente.


Pour le vocable "premières palatalisations" ; voir ci-dessus.



a. Conséquences des yodisations sur la consonne antécédente

α. Palatalisation de la consonne antécédente

Vers le milieu du IIe siècle après J.-C., le yod, lui-même consonne palatale, s'assimilera à la consonne antécédente, ce qui entraînera une palatalisation de celle-ci, quelle qu'elle soit (sauf qu /kw/). Selon la consonne, il s'agira d'une palatalisation complète : ny > ñ, d'une "demi-palatalisation" (pour les consonnes difficiles à palataliser : r, s, t), ou d'une "fausse palatalisation". Ainsi plusieurs consonnes palatales très particulières sont apparues, et ont perduré dans un état de langue ancien. Cette évolution constitue les premières palatalisations (ci-dessous) ; les "fausses palatalisations" sont présentées ici mais sont approfondies à "fausses palatalisations". La plupart de ces consonnes ont disparu vers le VIIe siècle, donnant place à des consonnes qui nous sont plus familières, différentes des consonnes latines d'origine (sauf pour r) ; seules subsistent /ñ/ et /y/ en français et en provençal (et parfois // dans les dialectes).



β. Renforcement consonantique devant yod (gémination)

Ce domaine est très mal étudié et mériterait des recherches approfondies. De ce fait, je suis souvent très hésitant dans certains paragraphes ci-dessous.


En latin vulgaire, certains auteurs signalent un "renforcement consonantique devant yod" (si la consonne concernée est précédée d'une voyelle). C'est-à-dire que l'articulation de la consonne devant yod devient très marquée, s'allonge en durée, et devient géminée (exemple : -bĭŭ > -bbĭŭ). Ce renforcement serait "devenu d'usage commun à une période comprise entre le dernier quart du premier siècle après J.-C. et la moitié ou au plus tard la fin du siècle suivant" (Castellani in TK:142a). Ce renforcement dépendait peut-être des régions de l'Empire Romain, et cela complique la tâche de l'étymologiste. Je développe cette conséquence juste ci-dessous : voie populaire ou voie savante.



Gérard Genot (LDIL:68) donne pour l'italien une influence de yod favorisant la gémination de la consonne précédente :
- pour le yod primaire : sapĭă(m) > sappia "(que je) sache"... ; 
- pour le yod secondaire : cōpŭlă(m) > coppia "couple" (l > i).

(Voir aussi la gémination de type it seppellire, lié à l'accentuation sur toute première syllabe en latin vulgaire).



b. Conséquences des yodisations (et palatalisations) sur la syllabe antécédente


α. Apparition du i diphtongal pour les "demi-palatalisations"

Pour les "demi-palatalisations", c'est-à-dire pour les consonnes difficiles à palataliser (r, s, t), un élément faible de diphtongue i apparaît : bāsĭārĕ > baisar (on a donc l'impression que le i se déplace vers l'avant, voir la synthèse pour i diphtongal de transition). Ce domaine est mal connu ; F. de La Chaussée en présente une étude intéressante (IPHAF:74).



β. Diphtongaison conditionnée par palatale

Les consonnes palatales obtenues on entraîné la diphtongaison de è ou ò toniques (fŏlĭăm > fuèlha, voir la partie diphtongaison conditionnée (conditionnée par consonne palatale).




γ. Diphtongaison devant /dj/

Il s'agit d'une ancienne notion, que j'avais moi-même nommée ainsi, à abandonner. Elle concerne uniquement b, v + ĭ, ĕ en hiatus ; c'est le type abbrĕvĭăt > abreuja "il abrège".


Elle constitue une différence avec le français (diphtongaison devant /dj/).


En fait à présent, j'estime qu'il ne s'agit pas d'une diphtongaison mais d'une conservation de w (dans [abbréwiat]), ou plutôt d'une vocalisation d'un descendant de w.




δ. Entrave par palatale

Toute consonne palatale assure l'entrave de la voyelle antécédente, qui ne subira donc pas la diphtongaison romane spontanée au IIIe-IVe siècle, (ni la diphtongaison française en Gaule du nord au Ve siècle) (IPHAF:38, 73, 116 : *mŏntānĕăm > "montagne" et non "montègne") ; de même cette consonne palatale ne sera pas sonorisée : elle se comporte finalement comme une géminée.

Par contre une demi-palatale n'assure pas l'entrave, même avec le i diphtongal qui la précède car justement c'est un i et non un y, et elle pourra être sonorisée (IPHAF:66, PHF-p:157).

Remarque : je me demande dans quelle mesure cette entrave et ce comportement "comme une géminée" ne recoupe pas le renforcement consonantique signalé juste ci-dessus. Il est donc possible que cette théorie développée par F. de La Chaussée soit à rattacher à un renforcement consonantique.




 

Ainsi vers le milieu du IIe siècle après J.-C., une vague de palatalisations atteint toutes les consonnes (sauf qu /kw/) devant ce y secondaire (voir palatalisation ; fausses palatalisations).




4. Mots occitans en -i, -ia, -iar

Voir voie savante : -i, -ia, -iar.




5. Importance du suffixe -ĕŭs


Le suffixe adjectival -ĕŭs, -ĕă, -ĕŭm, avec ses formes élargies -(ā)nĕŭs, -ācĕŭs, a été utilisé abondamment dans la dérivation latine (A-eus:85-108). Dans ces suffixes, ĕ est suivi d'un hiatus, donc les dérivés sont susceptibles de subir les premières palatalisations.


Parfois les étymologistes reconstituent des variantes latines en -ĕŭs pour expliquer l'origine de sons palataux romans. Par exemple :


ăquā, -æ +  -ānĕă > *ăquānĕă > aiganha "rosée"

mŏns, -tĭs + -ānĕă > *mŏntānĕă > montanha "montagne"


*berŭnă (thème berŭlă) > *bernă, + -ĕă > bernĕă > bernha (Arles) (BNLF:197).

De même la variante "savante" bèrlia peut s'expliquer aussi par *berlĕă. Voir bèrla, bèrli, bèrnha, bèrlha.



a. Suffixe -ĕŭs

Le suffixe latin -ĕŭs avait une valeur sémantique très générale : "relatif à". On peut aussi constater qu'il a servi à former de nombreux adjectifs relatifs aux végétaux (arbŏrĕŭs "d'arbre", grāmĭnĕŭs "de gazon", vīmĭnĕŭs "d'osier"..), ou aux substances naturelles notamment en exprimant la couleur (argĕntĕŭs "d'argent ; argenté", cĭnĕrĕŭs "cendré") (A-eus:88).


latin
latin

occitan

arbŏr + -ĕŭs > arbŏrĕŭs "d'arbre"
argĕntŭs + -ĕŭs > argĕntĕŭs "d'argent ; argenté"
cĭnĭs + -ĕŭs > cĭnĕrĕŭs "cendré"
fāgŭs + -ĕă > fāgĕă "de hêtre" > faia "faine"
grāmĕn + -ĕŭs  > grāmĭnĕŭs "de gazon"
lāna + -ĕŭs > lānĕŭs "de laine" > lange, lani "lange"
līnŭm + -ĕŭs > līnĕŭs "de lin" > linge "de lin ; linge"
vīmĕn  + -ĕŭs > vīmĭnĕŭs "d'osier"
vīnŭm + -ĕă > vīnĕă "de vin ; vigne" > vinha "vigne"



Tableau ci-dessus : exemples de dérivés latins en -ĕŭs avec quelques aboutissemnents en occitan.




b. Suffixe -(ā)nĕŭs

Le suffixe élargi -(ā)nĕŭs dénote une relation "d'appartenance", équivalent au suffixe -(ā)nŭs (A-eus:89). Il provient d'une mécoupure de dérivés en -ĕŭs comme par exemple lĭgn-ĕŭs "en bois ; semblable au bois", interprété comme lĭg-nĕŭs, d'où ĭlĭg-nĕŭs "en chêne vert" (A-eus:89), en regard de ĭlĭc-ĕŭs (ĭlex, ĭlĭcĭs "yeuse, chêne vert").

 

Voir par exemple *ăquānĕă(m) > aiganha "rosée", qui est sans doute le pendant d'un *tĕrrānĕŭs.


Voir aussi : 

extrānĕŭ(m) > estranh(e), estrange "étranger ; étrange"

*mŏntānĕă(m) > montanha "montagne"


Ce suffixe a notamment servi à la formation d'adjectfs par parasynthèse : sŭbtĕrrānĕŭs, mĕdĭtĕrrānĕŭs (A-eus:89).





c. Suffixe -(ā)cĕŭs

Le suffixe élargi -(ā)cĕŭs aurait la même valeur "relatif à" que -ĕŭs ci-dessus ; son origine à partir de -ĕŭs est sans doute semblable à celle de -(ā)nĕŭs mais n'a pas pu être précisée (A-eus:89-90). Par exemple :


vĭŏlă "violette, fleur" + -ĕŭs > violācĕŭs "violet"


Ce suffixe est à l'origine du suffixe occitan très productif -às, à valeur augmentative et péjorative.







6. Résultat pour chacune des 16 consonnes

Le tableau ci-dessous donne l'aboutissement pour chaque consonne de son évolution après palatalisation par yod.



latin

occitan

B

*răbĭă(m)

raja, rauja "rage"


lăncĕă(m)

lança "lance"


ŭrnŭ(m)

jorn "jour"

F

(grăphĭŭm, cŏfĭă ?)

còfa "cosse de légume"


cŏrrĭgĭă(m)
correja "courroie"

J (y)

( n'existe pas, yod est géminé) mājŏr

màger "aîné" / maire "maire"


fīlĭă(m)

filha "fille"


vĭndēmĭă(m)
*blasphēmĭārĕ

AO vendenha "vendange"
AO blastenjar, *blastenhar "blasphémer"


mŏntānĕă(m)

montanha "montagne"


săpĭăm

sache "(je) sache"

(QU) (1)

quĭētŭ(m)
quet "coi"


vărĭāre

vairar "changer de couleur"


ma(n)sĭōnĕ(m)

maison "maison"


rătĭōnĕ(m)

rason, raison "raison"

V (w)

*plŏvĭă(m)

plueia / plueja "pluie"
căvĕă(m)
cauja / gàbia "cage"

Z

a.h.all. *sazjan

sasir, saisir "saisir"



Bilan schématique de la palatalisation de chaque consonne par yod (< ĭ, ĕ) subséquent.

(1) Derrière la consonne kw, le i n'a pas pu se consonifier, et il a disparu (IPHAF:169).







B. Évolution de d, g + ĭ, ĕ en hiatus

1. Schéma général (d, g + ĭ, ĕ en hiatus)

Un certain nombre de mots latins contiennent dĭ, dĕ, gĭ, gĕ en hiatus : dĭŭrnŭs "de jour", hŏrdĕŭm "orge", cŏrrĭgĭă "petite courroie"... Ces syllabes évoluent selon le schéma ci-dessous.


Schéma général :


d, g + ĭ, ĕ en hiatus
> -j- /dj/ ou /dz/, -i-  (variantes dialectales ci-dessous)

> -g, -tz, -i en finale après les apocopes (mieg, gaug / mietz, gautz / miei)
(-g toujours prononcé /-tʃ/ en cas de liaison : mieg avost /myétʃ-avʋs/ "mi-août")



Importance de la voie savante : la voie savante a eu un rôle majeur dans le rétablissement des consonnes d'origine (òrdi "orge", òdi "haine") ou bien dans le cas d'emprunts plus tardifs (stŭdĭŭm > estudi "étude" ?...) (voie savante ci-dessus).




Remarque 1 : Les aboutissements de d, g + ĭ, ĕ en hiatus sont les mêmes que pour yod primaire, et pour g suivi de e, i en position forte (GIPPM-2 p. 19). Ce sont aussi presque les mêmes que pour b, v + ĭ, ĕ en hiatus ci-dessous.


Remarque 2 : Les transformations présentées ci-dessous concernent d, g + ĭ, ĕ + en hiatus en toute position : en position faible ou en position forte, sauf après n (voir ci-dessous n + di).







2. Détails de l'évolution phonétique (d, g + ĭ, ĕ en hiatus)


Je donne le scénario de F. de La Chaussée (IPHAF:76-77).


Scénario de F. de La Chaussée (IPHAF:76-77) : au cours du Ier siècle après J.-C., pour ces groupes dĭ, dĕ, gĭ, gĕ avec ĭ, ĕ en hiatus, on obtient [dy] et [gy]. Mais très rapidement, "avant la destruction de Pompéi", c'est-à-dire avant 79 après J.-C., en toute position, [dy] et [gy] se rejoignent en [yy] . Il y a "assimilation de la première consonne à la seconde" ; il s'agit d'une fausse palatalisation (IPHAF:66) (voir les fausses palatalisations).


Si on revoit le scénario avec les prononciations [ð] et [ɣ] conformément au nouveau scénario pour b, d, g intervocaliques, les réalisations [ðy] et [ɣy] peuvent encore mieux expliquer la disparition de d et g.


Il faut remarquer que le latin classique măjŏr (< *măgĭŏr) montre déjà une telle évolution (pour la quantité vocalique, voir măjŏr et non mājŏr). Le phonème /g/ a donc dû disparaître très tôt dans ce cas.


L'évolution postérieure de /yy/ est décrite à renforcement du yod. L'aboutissement est le plus souvent j /dj/, voir les évolutions dialectales ci-dessous.



Évolution en finale :

En fin de mot, /yy/ devient -g : gaug, mieg, pueg, mueg, prononcé /tʃ/ en AO (LT:14), amuï en provençal actuel, ou bien encore prononcé /tʃ/ en cas de liaison avec une voyelle qui suit : mieg avost /myétʃ-avʋs/ "mi-août". En français, en fin de mot, on aboutit à une ancienne diphtongue en /i̯/ : a.fr. joi (f. joie), mi (< *miei), pui (puy), mui (muid).

L'évolution en finale /dj/ > /tʃ/ est due au durcissement de /dj/ parvenu en finale. Le graphème g représentait alors souvent /tʃ/, comme dans fach < factum "fait", souvent écrit fag en (AO). La graphie classique de l'occitan conserve ce -g.



Diphtongaisons conditionnées :

L'apparition de ce yod entraîne une diphtongaison de è, ò antécédents, qui existe aussi en français : la diphtongaison conditionnée par yod (mĕdĭŭm > mieg).



3. Variantes dialectales (d, g + ĭ, ĕ en hiatus)

Cette partie concerne les aboutissements de d, g + ĭ, ĕ en hiatus, et on constate une coïncidence partielle avec b, v + ĭ, ĕ en hiatus et yod primaire (voir plueia, plueja "pluie", cauia "cage" ci-dessous).

L'aboutissement essentiellement de deux types : type j et type i, mais également type et type ch dans des zones plus restreintes (à approfondir ! cartes ALF "courroie", "jour"...).

(sources : cartes de l'ALF, ALEP, GIPPM-1:91-95, enquêtes personnelles)


Remarque : Pour J. Ronjat (GIPPM-2:10-11), g aurait dû disparaître. (r.g.f.d.a.) "si nos parlers ne font aucune différence entre d et g, c'est sans doute que des deux mots témoins (corrigia, exagiu) l'un est emprunté et que tous deux ont pu maintenir -g- par suite d'étymologie populaire les rattachant à corrigere, regere, respectivement exigere, agere."


- type j : pour la plupart des mots dans la plus grande part du domaine d'oc en toute position (initiale, après consonne, ou intervocalique), prononcé /dj/, /dz/, /j/ ;


hŏdĭē, ădjăcēns

Pour ces deux mots, on n'a pas de type j en domaine occitan.

Pour hŏdĭē "aujourd'hui", aucun descendant n'a suivi le type j : la finale /tʃ/ n'existe nulle part en domaine occitan, même à Nice (par contre en italien : oggi /oddji/).

Pour ădjăcēns "étant situé près", la forme usuelle latine aiace (> oc aise) (EPF:211, 217...) implique la même évolution générale. Voir l'étymologie de aise.


- type i :

- en béarnais (40, 64, 65) : /yy/ > /y/ : iorn "jour", correia "courroie" en accord avec cavea > cauia "cage" ci-dessous ;

- pour certains mots provençaux en position faible surtout en provençal "de l'intérieur" (raiar, glaia, voir aussi plueia ci-dessous), contrairement au provençal "côtier" provençal "côtier"  (rajar, glauja, voir aussi plueja ci-dessous).



- type : pour certains mots dans certains points des Hautes-Alpes, et plus bas vers la frontière italienne : correa "courroie".


- type ch (tʃ/ ou /ts/) : surtout Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot (correcha "courroie").



- influence du renforcement devant yod ?


Voir le renforcement devant yod ci-dessus. Le problème est complexe car certains auteurs pensent que d et g intervocaliques latins étaient prononcés ð et ɣ. Voici quelques pistes ci-dessous.


pour g :

X. Gouvert (in DÉROM2-PLRT:42-43) estime que cŏrrĭgĭă, fāgĕă étaient prononcés avec /ɣ/, ce qui explique fr "courroie", esp correa, port correia, oïl faie, esp haya, port faia. On aurait donc par exemple : /faɣya/ > /faya/. Pour cet auteur, le type italien (toscan) correggia, faggia "ne reflète pas l'état protoroman, mais résulte d'un renforcement secondaire de /y/". Sa théorie impliquerait que pr correja provient du même renforcement secondaire.


pour d :

Pour l'Italie, certains auteurs font intervenir la géminée latine -dd- à l'origine du type -zz- : *mĕddĭŭm > mezzo /méddzo/ et la consonne simple d à l'origine du type -ggi- : rădĭŭm > raggio /raddjo/, pŏdĭŭm > poggio (MLI:11).



À continuer pour les autres langues romanes (espagnol : radium > rayo).



Tableau d'exemples :

coucou



latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

latin LPC ( > occitan)
en hiatus >
j /dj/
-g /-tʃ/ (> ) en finale
en hiatus >
en hiatus >
en hiatus >
Claudĭŭm /Claʋ̯-ði-ʋm/
> Claudi, Glaudi "Claude"
cŏrrĭgĭăm /kor-ri-ɣi-am/
>
correja "courroie", d, béar correia
orsŭm (1) >
AO js, gasc jos "en bas ; dessous"
dĭānăm /di--nam/ >
AO jana "cauchemar" (GlosDer)
dĭŭrnŭm /di-ʋr-nʋm/ >
jorn, béar iorn
exagium /ek-sa-ɣi-ʋm/
>
assag (> assajar), assai
fāgĕăm
>
faia "faine, fruit du hêtre"
Gaudĭācŭm
>
oc Gaujac, Jaujac, fr.pr. Joyeux, fr Jouy..., Joué... (2)
gaudĭŭm /gaʋ̯-ði-ʋm/
>
gaug "joie"
glădĭŏlŭm /gla-ði-o-lʋm/
>
AO glaiǫl "glaïeul", lang glaiòli
(voir ci-dessous glăvĭŏlŭm)
glădĭŭm /gla-ði-ʋm/
> gladi, glasi "glaive"
(voir ci-dessous glăvĭŭm)
hŏdĭē /hó-ði-éː/ >
uèi "aujourd'hui" (3)
 hŏrdĕŏlŭm >
orjòu "orgelet"
hŏrdĕŭm /hór-dé-ʋm/
>
>
v-alp òrge "orge"
prov òrdi "orge"
ĭndĕ ūsquĕ /in-dé-ʋːs-kwé/ >
enjusca "jusque"
ĭnŏdiăt /in-o-ði-at/ >
enuia, enueja "il ennuie" (3)
mĕdĭānŭm /mé-ði-aː-nʋm/
>
mejan "moyen"
mĕdĭĕtātĕm /mé-ði-é-taː-tém/
>
mitat "moitié"
mĕdĭŏlŭm /mé-ði-ó-lʋm/
>
AO mojǫl "jaune d'œuf", mujòu...
mĕdĭŭm /mé-ði-ʋm/
>
mieg "mi-" (3)
mŏdĭŏlŭm /mó-ði-ó-lʋm/
>
mujòu "moyeu"
mŏdĭŭm /mó-di-ʋm/
>
mueg, mieg, miòg... "muid" (3)
ŏdĭŭm /ó-ði-ʋm/
> òdi "haine", voir ci-dessus ĭnŏdiăt.
pŏdĭŭm /-ði-ʋm/
> pueg, pieg... "colline" (3)
Pŏdĭŭm altŭm
> Pujaut, Pijaut "Pujaut" (30) (3)
rădĭārĕ /ra-ði-aː-ré/
>
rajar, raiar "couler ; rayonner"
rĕgĭōnĕm /ré-ɣi-oː-ném/ >
>
AO reion
region "région"
*săgĕăm > *săgĭăm /sa-ɣi-am/
>
saia, saja "saie, manteau"
stŭdĭārĕ /stʋ-ði-aː-ré/ >
>
AO estujar, estuiar "rengainer"
estudiar "étudier"
stŭdĭŭm /stʋ-ði-ʋm/ >
>
AO estug "étui",
estudi "étude"
*tărdĭārĕ /tar-di-aː-ré/
>
tarjar (pr.ma.) "tarder"
vĭrĭdĭārĭŭ(m)
>
vergier "verger"


Tableau ci-dessus : évolution de dĭ, dĕ, gĭ, gĕ en hiatus en LPC. Les deux premières colonnes présentent les coupures syllabiques par des traits d'union ; l'accent est marqué par le soulignage de la voyelle. En rouge : mots obtenus par la "voie savante", contenant encore le i après la consonne.


(1) Pour dĕorsŭm, voir l'origine dēvorsŭm en ancien archaïque ci-dessus.

(2) Gaudĭācŭm "domaine de Gaudius" a dû donner (DENLF:313) :

- les nombreux Gaujac du domaine d'oc (TGF1:467) ;

- Jaujac (07) en nord-occitan (TGF1:468) ;

- Joyeux (01) en francoprovençal ;

- les nombreux Jouy en domaine d'oïl (TGF1:462)

(même probablement Jouy-en-Argonne, 55, malgré l'attestation Mont Jovis du XIe siècle, pace TGF1:402, puisque l'évolution régulière serait Jovis "Jupiter" > Jœuf, d'ailleurs attesté en 54) ;

- les nombreux Joué des dialectes de l'Ouest (TGF1:560) ;

- les nombreux Gouy de Picardie et de Normandie (TGF1:560).

Pour la fin du mot, voir -ĭācŭm.


(3) L'apparition du yod entraîne la diphtongaison conditionnée sur ĕ et ŏ antécédents, voir diphtongaison conditionnée.

 

 


 

2. Cas nd + ĭ en hiatus


(IPHAF:74,75)

Dans les cas de Bŭrgŭndĭă, grŭndĭăt, *rĕtŭndĭăt, vĕrēcŭndĭă, on observe l'évolution suivante :


nd + ĭ, ĕ en hiatus > /ñ/


Dès le Ier siècle, avant la destruction de Pompéi (79 après J.-C.) dans par exemple vĕrēcŭndĭăm, la palatalisation de d conduit à , une consonne homorgane de de n. Les consonnes n et se déforment mutuellement pour aboutir à une consonne unique géminée ññ (assimilation réciproque avec palatalisation régressive).


/ndy/

> (palatalisation) /n/

> (assimilation réciproque) /ññ/

> (VIIe siècle ? simplification des géminées) > /ñ/  écrit nh en graphie classique



Attestations antiques :

Verecunnia (pour verecundia "vergogne") est attesté dans Pomp (Littré, supplément)

Grunnio "je grogne" est blâmé dans Prob :
Prob,214 grundio non grunnio "grundio, pas grunnio"


Voir aussi plangĕrĕ. Voir ci-dessous le cas différent de căntĭōnĕm.


Remarque : cette évolution populaire latine n'a pas affecté le domaine castillan : vĕrēcŭndĭăm > vergüenza "honte (vergogne)". Là dans vĕrēcŭndĭăm, n et sont toujours restés disctincts, comme dans hŏrdĕŏlŭm > orzuelo "orgelet".







latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

latin LPC ( > occitan)
ndĭ en hiatus >
/ndy/ >  /n/ > /ñ/
ndĕ en hiatus >

Cas particulier : après n

Bŭrgŭndĭă(m) >
Borgonha "Bourgogne"
(Compĕndĭŭm), *Compĕndĭăm >
Compienha (Fier)
"Compiègne" (60) (1)
grandĭŏr
/gran-di-or/
>
"plus grand"
(voir grandĭŏr > AF CS graindre)
grandĭōrĕ(m)
/gran-di-oː-ré/
>
AO granhr "plus grand"
(AF CR graignor)
grŭndĭăt /grʋn-di-at/ >
gronha "il grogne"
*rĕtŭndĭăt /ré-tʋn-di-at/
>
redonha "il rogne"
vĕrēcŭndĭă(m) /wé-réː-kʋn-di-am/
>
vergonha "honte"



Tableau ci-dessus : évolution de dĭ, dĕ, gĭ, gĕ en hiatus en LPC. Les deux premières colonnes présentent les coupures syllabiques par des traits d'union ; l'accent est marqué par le soulignage de la voyelle.


(1) Pour Compĕndĭŭm > Compiègne, il y a eu diphtongaison conditionnée par /ñ/.

 

 
C. Labiales + ĭ, ĕ en hiatus


1. Vue d'ensemble sur "labiales + ĭ, ĕ en hiatus"


Les labiales (b, v, m, p) sont réfractaires à la palatalisation (IPHAF:77), puisqu'elles ne sont prononcées qu'avec les lèvres et non avec la langue. Ainsi elles ont tendance à se conserver, alors que derrière elles se développe en général [dj] ou [tʃ]. Il s'agit d'une fausse palatalisation (renforcement de yod). Voir ci-dessus l'évolution consonne + ĭ, ĕ en hiatus > consonne + /dj/.





2. Évolution de b, v + ĭ, ĕ en hiatus

(IPHAF:77, IPHAF:144 : "aïeul", "geôle", GIPPM-1:134-137).


Certains mots latins contiennent bĭ, bĕ, vĭ, vĕ en hiatus : abbrĕvĭăt "il abrège", căvĕă "cage", rŭbĕŭs "roux"... Ces syllabes évoluent selon le schéma ci-dessous.



a. Schéma général

Voyelle + b, v + ĭ, ĕ + hiatus :


b, v + ĭ, ĕ en hiatus oc 
> /ʋ̯dj/  (ʋ̯ fréquent)
> rarement -/tʃ/ en finale (voir AO rg "rouge", cat roig /ròtʃ/)
fr   > /j/ 


Voir diphtongaison apparente en u devant /dj/ en occitan, mais pas en français.


Consonne + b, v + ĭ, ĕ en hiatus :

Le cas existe dans sălvĭăm > sàuvia, sàlvia "sauge", Sălvĭācŭm > Saujac (12), servĭĕntĕm > sergènt "sergent" : /dj/ existe mais /ʋ̯/ n'existe pas.

Par ailleurs, pour la langue d'oïl : Ambiānos (peuble des Ambiāni) > "Amiens", Anmien en picard /ɑ̃myè̃/ (Wikipédia). Le /dj/ ne s'est pas développée ; le b a disparu.



b. Détails de l'évolution de b, v + ĭ, ĕ en hiatus

Pour b, v entre voyelle et ĭ, ĕ en hiatus, on peut penser à première vue que la voyelle subit une diphtongaison en /ʋ̯/ en occitan.


α. Raisonnement de Jules Ronjat : /ʋ̯/ est analogique

J. Ronjat écrit (GIPPM-2:137) : "L'ensemble de ces ex. semble bien attester un traitement fonétique -u̯j- avant l'accent , -j- après [n.d.l.r : il veut dire sous l'accent, voir note 1 ci-dessous], et de nombreuses réfections analogiques (cf. § 266). Pour l'u de abréuja, gréuja, (1) aléuja, lèuge et liéugiè, caujo on pourrait songer à l'influence de brèu, grèu, lèu, cau < breve, *greve, leve, cavu, mais on n'aperçoit pas de mot inducteur en -au pour rauj-, un vpr. au < avu n'est ni attesté ni probable, et les n. de l. continuant Flāvi´ ont -uj- ou -i- suivant que -v- était maintenu ou amuï, mais jamais -j- seul: Flāviācu > rrgt. querc. berg. Flaujac ; *Flaviēn(i)cōs mtp. Flaugergues ; *Flāiācu > vel. auv. S. pér. march. Flaia, *Flāioscu > méd. Flaiosc."


(1) Note : L'alternance inf. breujar, greujar, prés. ind. 4. breujam, greujam, 5. breujatz, greujatz, etc... / prés. ind. 3. breja, greja, 6. brejan, grejan, etc.. est assez nette en vpr. (cf. Appel, Lautl. 90). 


L'auteur considère donc l'élément de diphtongue ʋ̯ comme induit par des analogies. Par ailleurs, il n'explique pas comment /dj/ apparaît.



β. Raisonnement personnel : b / v > /ʋ̯/ ; et renforcement d'un yod épenthique

(février 2020, pace Jules Ronjat dont le raisonnement est exposé juste ci-dessus)


b / v > /ʋ̯/

Il me semble clair que comme toute labiale suivie de ĭ, ĕ en hiatus, il y a conservation de la labiale (ou plutôt de son dérivé), et évolution de y en /dj/ derrière elle. Des analogies sont possibles, mais comme le reconnaît J. Ronjat juste ci-dessus, elles ne peuvent pas tout expliquer : aujòu, Flaujac, glauja, rauja n'ont pas de modèles analogiques évidents. Par ailleurs, il n'y a pas de raison d'invoquer une diphtongaison conditionnée par /dj/ : ajudar "aider", assajar "essayer", enveja "envie", màjer "aîné", majòfa "fraise des bois", rajar "couler", -ejar "-oyer" n'ont jamais la diphtongue au ou eu. Donc la solution restante est que le ʋ̯ provient de v / b (vocalisation de v, b préconsonantiques).


En occitan, la labiale v /w/ a dû passer par le stade /β/ puis peut-être /v/ puis s'est vocalisée en /ʋ̯/, soit. La labiale b /β/ (b latin) s'est vocalisée directement en /ʋ̯/.


En français, le /β/ a dû se durcir en /b/ ou en /p/, le /v/ en /f/, puis cette consonne obtenue s'est assimilée à l'ancienne consonne dj subséquente. En effet, dans le cas général, les formes écrites montrent qu'en Gaule du nord, v / b préconsonantiques se sont consonifiés et se sont assimilés à la consonne suivante : jovenem > juefne > "jeune", civitatem > ciptet > "cité".



/dj/ provient probablement d'un yod épenthique

Par exemple pour le type abbrĕvĭăt, on peut imaginer une prononciation */abbrewiya(t)/, avec y épenthique facilitant la prononciation. Le renforcement de ce yod mène à /dj/ : */abbreβidja/.


Les formes a.fr. (il) abriege "il abrège", fr "liège" < *lĕvĭŭm, montrent une diphtongaison spontanée de è (è < ĕ). Si è se trouve devant /βy/, /βyy/, ou /βdj/ (scénario 1 ci-dessous), la diphtongaison est normalement impossible puisque è est entravé. Par contre, si è se trouve devant /βidj/ (scénario 2), il n'est pas entravé et sa diphtongaison est possible. Le scénario 2, avec yod épenthique, semblerait donc à privilégier.


Par ailleurs, une forme écrite semble soutenir également le scénario 2 ci-dessous, car elle contient i entre la labiale et /dj/ (absence possible de syncope) :


Novientum > */nówiyyèntʋ/ > lat.méd. Novigentum "Nogent" (plusieurs "Nogent" en langue d'oïl sont écrits Novigentum en lat.méd., DENLF:499) ;


Le cas est semblable à AO domejon "donjon" ci-dessous.



Bilan : deux scénarios possibles (avec ma préférence pour le scénario 2)


abbrĕvĭăt  */abrewia(t)/ "il abrège"

scénario 1 : renforcement du yod qui suit la labiale (conformément à la position de IPHAF:77)
> (Ier siècle : w > β, yodisations) */abbreβya/

> (renforcement du yod) */abbreβyya/ > */abbreβdja/

> (/β/ > /ʋ̯/) */abbrèʋ̯dja/



scénario 2 : renforcement d'un yod épenthique puis syncope (proposition personnelle, février 2020 ; ce scénario me semble plus probable, voir juste ci-dessus : /dj/ < yod épenthique) :

*/abbrewiya/


> (renforcement du yod) > */abbreβiyya/ > */abbreβidja/


> (syncope)  > */abbreβdja/


> (/β/ > /ʋ̯/) */abbrèʋ̯dja/


Remarque 1 : cette diphtongaison apparente "par l'arrière" peut s'ajouter à la diphtongaison romane, "par l'avant" : *lĕvĭŭm > lim lièuge  "liège".


Remarque 2 : Il faut étudier "-u̯j- avant l'accent, -j- après [en fait sous l'accent]" ainsi que la note (1) (GIPPM-2:137) ci-dessus. Cette alternance existe-t-elle vraiment en AO ?






c. Évolutions dialectales pour b, v + ĭ, ĕ en hiatus, amuïssement de v latin

Voir aussi ci-dessus une certaine coïncidence avec évolutions dialectales pour d, g + ĭ, ĕ en hiatus ci-dessus.


(à mieux étudier, étudier pour le français PHF-f3:906 : "chute de w devant y" : *aviolu > (a.fr.) aiuel > "aïeul", etc.)

Jules Ronjat ci-dessus signale que dès le latin, v pouvait être amuï dans certaines régions.

W. von Wartburg (FEW 9:106b) (trad.all.) "Sur une vaste région, *plovia s'est simplifié en *ploia."


pluviă : scénario.


pluvia
pluvia



































Aussi : scénario pour cavea ?


Mais dans ces cas, on pourrait aussi invoquer un amuïssement de v par dissimilation de labiales. Par exemple :

*Flāviācu > *Flāiācu > Flaiac (GIPPM-2:137, voir ci-dessus la bipartition Flaiac / Flaujac) (et "Flayat ?", 23);

*Flāvioscu > *Flāioscu > Flaiòsc (83) (GIPPM-2:137) ;

*plŏvĭăm > *plŏjăm > plueia / plueja.

Ce dernier cas (*plŏvĭăm > *plŏĭăm) peut aussi s'expliquer par amuïssement de v au contact de o, u. Voir la note 2 ci-dessous.


Pour les mots essentiellement bordelais ci-dessous, on ne peut pas faire intervenir une dissimilation de labiales ni un amuïssement de v au contact de o, u :


- cauia et auiòu ci-dessous montrent l'évolution b / v > /ʋ̯/ décrite ci-dessus, mais avec yod non renforcé :

- bord cauia "cage" < caveam (TDF "cauyo, cauye") ;

- bord auiòu, aiòu "aïeul", var.lang. auiòl, b.lim. (< ăvĭŏlŭm).


- la disparition de v dans Blaia peut s'expliquer par "chute de w devant y" comme décrit ci-dessus pour le français, ou bien peut être issue d'une dissimilation de labiales (puisque B est une labiale) :

- bord Blaia "Blaye" (33) (< Blāvĭă).





d. Tableau d'exemples pour b, v + ĭ, ĕ en hiatus







latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

latin LPC
(Ier après J.-C.)

occitan
b + ĭ, ĕ en hiatus >
/βy/
>
/(ʋ̯)dj/
v + ĭ, ĕ en hiatus >
(ăbiĕtĕm)



cas particulier : ăbiĕtĕm "sapin"
abbrĕvĭăt



abreuja "(il) abrège"
ăvĭŏlŭ(m)



aujòu "aïeul"
cămbĭā



AO camjar, cambiar "changer"
căvĕă(m)



bord cauja, pr gàbia "cage"
dīlŭvĭŭ(m)


dilúvi "déluge"
*Dīvĭōnĕ(m)


Dijon (GirRouss in GRCGA:303)
"Dijon" (21)
Flāvĭācŭ(m)


Flaujac "Flaujac" (12, plusieurs toponymes dans le 46), voir aussi Flaiac ci-dessus.
flŭvĭŭ(m)


flúvi "fleuve"
*glăvĭăm


glauja "glaïeul, iris faux-acore"
*glăvĭŏlŭm


glaujòu, glaviòl "glaïeul ; iris faux-acore"
(voir ci-dessus glădĭŏlŭm)
*glăvĭŭm


glavi "glaive"
(voir ci-dessus glădĭŭm)
lat.class. gōbĭŭ(m) / lat.imp. gōbĭōnĕ(m)



gòbi "gobie" /  "goujon"
*grĕvĭā


AO greujar "charger ; torturer"
lat.t.or.celt. gŭlbĭă, gŭbĭă


AO gja "gouge", l, lim góubia, pr gurbia...
*lĕvĭāriŭ(m)



leugier "léger"
*lĕvĭŭ(m)


lèuge ; lim lièuge "léger" ; fr "liège"
*lŭmbĕă(m)



AO lnja "longe (boucherie)"
nŏvĭŭ(m)


nòvi "jeune marié ; fiancé"
*ŏbvĭătīvă(m)


fr "ogive", oc augiva (? voir CNRTL "ogive")
pīpĭōnĕ(m) > *pīvĭōnĕ(m) ()


pijon "pigeon" ()
plŭvĭă(m), *plŏvĭă(m) (2)



AO plǫja, pluja ; pr.rh. plueja "pluie" (2)
(a.fr. ploige, pleuge)
quadrĭvĭŭm > *quadrŭvĭŭm (EPF:260)



AO cairọi ; a.fr. carroge, carroi "carrefour, place"
răbĭĕ(m) > *răbĭă(m)



g rauja, pr ràbia "rage"
rŭbĕŭ(m)



AO rg, rge, ri ; roge "rouge"
*săbĭŭ(m)



AO sabi, savi, sapi, sage (franc) "sage"
sălvĭă(m) 


sàuvia, sàlvia "sauge"
Sălvĭācŭ(m) (3)



Saujac (12) (3)
*Servĭācŭ(m), *Cervĭācŭ(m)



Sarjac (24), Sergy (01, 02), Cergy (95), Sargé (72) (4)
servĭĕntĕ(m)


sergènt "sergent"
Servĭŭs, Sergĭŭs


Serge (5)
tībĭă(m)



franc : tija, (l) tisa ; "tige" (6)





Tableau ci-dessus : évolution de b, v + ĭ, ĕ en hiatus en LPC. En rouge : mots réputés obtenus par "la voie savante", contenant encore le i après la consonne.


(2) Pour *plŏvĭă "pluie", le variante *plŏĭă (que j'écrirai *plŏjă) était répandue (CNRTL), et rejoint donc l'évolution de yod. Voir évolution dialectale ci-dessus. Dans l'oc plueja, l'évolution ŏ > ue est une diphtongaison conditionnée par yod dans le mot latin *plŏjă.


(3) Pour Sălvĭācŭm > Saujac, voir GIPPM-2:252.


(4) Pour *Servĭācŭm, *Cervĭācŭ(m) : Sargé (72) : de Cerviaco, IXe siècle, de Cergiaco, XIIe siècle (DENLF:643 "nom d'homme latin Cervius ou Servius et suffixe -acum"). Cergy : DENLF:162 ("nom d'homme latin Cervius ou Servius et suffixe -acum").


(5) Les rapports entre Servĭŭs et Sergĭŭs ne sont pas clairs, voir par exemple le nom du consul du IIe siècle Sergius Octavius Laenas Pontianus. Il est possible que les deux noms antiques Sergius (gens Sergia) et Servius (praenomen Servius) convergeassent pour des raisons phonétiques en Sergius.


(6) Pour tībĭăm, on ne connaît pas de descendant en AO : tija est probablement un francisme ; son descendant occitan aurait dû être tiuja, tieuja.



 


3. Évolution de m + ĭ, ĕ en hiatus

Voir GIPPM-2:247.


Quelques rares mots contiennent mĭ, mĕ en hiatus : sīmĭŭs "singe", vĭndēmĭă "vendange", blasphēmĭŭm "blasphème"... Les descendants de vĭndēmĭă "vendange" sont largement répandus dans le domaine d'oc, ils permettent d'appréhender l'évolution de en hiatus. Les descendants de type simi (< sīmĭŭs), vendemia (< vĭndēmĭă), AO blastimia (< blasphēmĭŭm) sont considérés comme issus de la voie savante.


À l'étude des aboutissements populaires, on peut constater que ceux-ci convergent vers l'évolution de n + ĭ, mn + ĭ, voir le modèle de somnĭŭm.



Schéma général


m + ĭ, ĕ en hiatus >
   oc. /ñ/, / ˜ dj/
   fr.  / ˜ j/



Évolutions dialectales


Les régions avec /ñ/ (type vendenha "vendange") sont orientales (a), mais aussi occidentales (rouerg, g, bord), et AO vendmnha, vendnha, Cela permet bien de penser que l'évolution naturelle de l'occitan est souvent /ñ/. Entre les deux régions se trouve une vaste région avec "évolution savante" de vĭndēmĭă : type vendemia.

On trouve aussi le type vendenja (certains points du 84 ; 87 : Limoges, Eimoutiers), et il n'est pas évident qu'il s'agisse d'un francisme. En tout cas, l'AO blastenjar (< *blastimiare) "blâmer" prouve que / ˜ dj/ est aussi un aboutissement occitan. 

Le type vendeima existe dans la basse vallée de la Drôme, à Monestier-de-Clermont (38) : il s'agit peut-être d'un traitement populaire (métathèse mi > im ?).



Détails de l'évolution m + ĭ, ĕ > /ñ/, / ˜ dj/


Par la "voie populaire" les mots en m(n) + ĭ,ĕ évoluent en /ndj/ en français, en /ñ/, / ˜ dj/ en occitan.


*blasphēmĭārĕ > *blastēmĭārĕ > AO blastenjar "blâmer"

sīmĭŭm > "singe"

vĭndēmĭăm > vendenja "vendange"




Aboutissements en /ñ/ :

Pour les aboutissements de mots latins en ny, my, mmy, mby, mny, selon Pierre Fouché (PHF-f3:937), les variantes françaises en /ñ/ (a.fr. estragne, ligne, chalogne, dongnon, ...) seraient issues des formes en ndj : estrange, linge (?), chalonge, donjon... L'auteur déduit cette filiation en réalisant le parallèle avec les aboutissements de ndĭca, ndŭca : les variantes magner, vengnance (< manducare, vindicare) et quelques autres mots rares, ne peuvent être issus que de "manger", "vengeance". Il déduit une réduction ñ(d)jy > ñ. Cette évolution a eu lieu quasi-exclusivement dans le nord-est de la France et en Wallonie.


Je pense qu'on ne peut pas réaliser un tel raisonnement pour les mots occitans. En effet, je ne connais pas les variantes manhar "manger", venhar "venger" ni en AO ni dans les dialectes OM. Le mot manhan "ver à soie" ("qui mange beaucoup ?") semble provenir d'Italie.


Il me semble qu'on peut proposer plutôt une réfection de type m + ĭ,ĕ > mn + ĭ,ĕ. Les mots AO vendmnha, vendmpnha, (voir trigramme mpn) latin médiéval vindemnia (année 1366, Du Cange) semblent attester de cette recomposition (voir le modèle de somnĭŭm). 


Aboutissements en / ˜ dj/


Comme toutes les labiales suivies de ĭ, ĕ en hiatus, la conservation du son de la labiale (ici son équivalent : nasalisation de la voyelle précédente) suivi de /dj/ peut être expliqué par deux scénarios différents :


- renforcement du yod suivant la labiale (IPHAF:77) ;


- renforcement d'un yod épenthique (scénario personnel). La variante AO domejon "donjon" peut fournir un argument en faveur de ce scénario, avec les étapes possibles : 


*dŏm(ĭ)nĭōnĕm > */domniyyóːné/ > */dómnédjóné/ > AO domejn /domedjón/ (voir ci-dessus l'exemple semblable Novigentum)




Tableau d'exemples (m + ĭ, ĕ en hiatus)





latin LPC

occitan / français
m + ĭ, ĕ en hiatus > oc. /ñ/, / ˜ dj/
fr. / ˜ j/
*blasphēmĭārĕ > *blastēmĭā
AO blastenjar ; blastnja
"blâmer ; (il) blâme"
blasphēmĭŭm > *blastēmĭŭ(m)
AO blastnh, blastnhe/a "blasphème"
Maxĭmĭācŭ(m)
Marsangis (51, 89), Massangis (89), Massingy (21 : 3 communes, 89, 74) (1)
Prīmĭācŭ(m)
Pringy (51, 74, 77), Pringé (72), Prangey (52), Prenhac "Preignac" (33), Pranzac (16) (2)
sīmĭŭ(m)
AO simi, fr. singe
vĭndēmĭă(m)

AO vendmia, vendmnha, vendnha, fr. vendange



Tableau ci-dessus : évolution de m + ĭ, ĕ en hiatus en LPC. En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne.


(1) Pour Maxĭmĭācŭ(m), source : DENLF:426 ; aussi : Maissemy (02), Messimy (01), Meximieux (01).

(2) Pour Prīmĭācŭ(m), source : DENLF:546 ; pour Pranzac (16) : on est dans la "zone sifflante" (argènt /ardzè̃n/ : le /dz/ équivaut à /dj/ dans la "zone chuintante" ; aussi Prigny (44) < Prumiacum (PP:247-248).





4. Évolution de p + ĭ, ĕ en hiatus



Quelques mots contiennent pĭ, pĕ en hiatus : apprŏpĭāre "approcher"... Ces syllabes évoluent selon le schéma ci-dessous.


Schéma général :


p + ĭ, ĕ en hiatus > /tʃ/

Détails :

Comme toutes les labiales suivies de ĭ, ĕ en hiatus, il y a d'abord eu conservation du son de la labiale, suivi d'un autre son mal déterminé (/dj/ ou son équivalent : /ç/ selon IPHAF:77). Le son p s'est assimilé à un t d'affrication pour finalement donner /tʃ/.

Ci-dessous dans le tableau, la graphie médiévale dans apropchar, propchan... exprime selon moi une prononciation conservatrice, avec p articulé. On peut se demander si pch était prononcé [ptʃ] ou simplement [pʃ].


/py/ > /pç/ > /tʃ/


Évolutions dialectales :

À faire.



Tableau d'exemples :





latin LPC

occitan (et français)
p + ĭ, ĕ en hiatus >
/tʃ/, /ts/
ăpĭŭm
AO api, "ache" (céleri)
apprŏpĭāre

AO apropchar, apropïar
aprochar > g apropiar, "approcher"
a.h.a. happja
AO apcha, "hache"
a àpia "hache"
a.b.fr. *krippia

AO crpcha, grupia... "crèche"
pīpĭōnĕ(m) ()
(du 63 au 86) pichon [pitsʋ̃] "pigeon" ()
*prŏpĕānŭ(m)

AO propchan > prochan, "prochain"
săpĭăt
(que) sache, "(qu'il) sache"
sēpĭă(m)

súpia, "seiche"
Sĭpĭă(m)

"La Seiche" (rivière bretonne)



Tableau ci-dessus : évolution de p + ĭ, ĕ en hiatus en LPC. En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne.







D. Évolution de l, n + ĭ, ĕ en hiatus

1. Vue d'ensemble sur la palatalisation de l et n

De nombreux mots latins contiennent lĭ, lĕ, nĭ, nĕ en hiatus : fīlĭă "fille", pălĕă "balle du blé ; paille", ărānĕă "araignée"... Ces syllabes évoluent selon le schéma ci-dessous.



a. Schéma général


l  + ĭ, ĕ en hiatus  > /λ/    >  (y)

n + ĭ, ĕ en hiatus

 > /ñ/

> /ndj/



b. Détails de l'évolution de l, n + ĭ, ĕ en hiatus


Au cours du Ier après J.-C., on obtient /ly/ et /ny/. Puis, très probablement au cours du IIe siècle après J.-C., l'assimilation de y à l et n provoque la palatalisation de l et n (IPHAF:72) : on obtient /λ/ et /ñ/, qui sont des consonnes palatales. La consonne /ñ/ est restée inchangée jusqu'à nos jours, alors que /λ/ a évolué en /y/ dans la plupart des parlers pr, fr., etc. Elles sont retranscrites par les digrammes lh et nh en occitan avec la norme classique.


Remarques :


- /λ/ (lh) est aussi obtenu au cours des troisièmes palatalisations : palatalisation de kl, gl intervocaliques.


- /ñ/ (nh) est aussi obtenu par trois autres voies :

- évolution de nd + ĭ, ĕ en hiatus (vĕrēcŭndĭăm > vergonha) ;

- évolution du latin -nge- (plangĕrĕ > plànher) ;
- évolution de -gn- (agnellŭm > anhèu).

- dans certains cas, la palatalisation lĕ > lh a pu se produire plus tard (?), voir ci-dessous l'emprunt lĕŏpardŭs > lhaupart.



L'apparition de ces consonnes palatales causera encore la diphtongaison conditionnée de è, ò antécédents, issus de ĕ, ŏ (exemple : fŏlĭă > /fòλa/ > fuelha "feuille", voir diphtongaison conditionnée), mais aussi dans certaines conditions la fermeture de la voyelle antécédente (en général é > i).




c. Cas particulier : l initial

Pour l initial :

lĕŏ / lĕōnĕm >AO css lèu / crs leon (> lion)

lĕŏpardŭs / lĕŏpardŭm > AO leopart, leupart, lhaupart "léopard"


Ces traitements semblent savants, mais la variante graphique lhaupart semble montrer un traitement populaire, avec palatalisation du l en position initiale.




d. Cas particulier : ll

Le l géminé suivi de ĭ, ĕ en hiatus évolue selon le schéma général : 


ll + ĭ, ĕ en hiatus > /λ/


Exemples :

pĭllĕŭm > pelha "haillon",

Căbellĭōnĕm > Cavalhon,

mŏllĭārĕ > mulhar, molhar "humidifier".


On peut logiquement penser que le scénario suivant s'est réalisé :


/lly/ > (palatalisation) /lλ/ > (palatalisation régressive) /λλ/ > (dégémination) /λ/




e. Cas particulier : nn


Le n géminé suivi de ĭ, ĕ en hiatus n'existe pas en latin classique (à vérifier, voir nn), mais il existe dans :


- (rad.pr.rom. >) *mŭnnĭo- > mnh, monhon (fr "moignon") ;

- sans doute dans des évolutions de somnĭŭm "songe" ;


Par ailleurs, dans le cas ci-dessus nd + ĭ en hiatus, la situation est semblable car on aboutit sans doute à ñ géminé :

vĕrēcŭndĭăm > Pomp verecunnia > oc vergonha "honte" ;

grŭndĭō "je grogne" : Prob,214 grundio non grunnio.


On peut proposer le schéma général :


nn + ĭ, ĕ en hiatus > /ñ/



On peut logiquement penser que le scénario suivant s'est réalisé :


/nny/ > (palatalisation) /nñ/ > (palatalisation régressive)  /ññ/ > (dégémination) /ñ/




f. Cas particulier : mn

(Voir aussi somnĭŭm à "groupes consonantiques").


Pour mn + ĭ, ĕ en hiatus, une évolution se réalise souvent, pour aboutir à /ndj/. Voir ci-dessus consonne + ĭ, ĕ en hiatus > consonne + /dj/.



călŭmnĭā > AO calonjar "contester ; interdire" (à côté de calonhar, calomniar, calumpniar, voir a.fr. chalengier, chalonger)

*dŏmĭnĭārĭŭm > *dŏmnĭārĭŭm > AO, a.fr. dangier "danger"

*dŏmĭnĭōnĕm > dŏmĭnĭōnĕm > AO donjn, domejn "donjon" (à côté de domnhn, dromnhn, dompnhn...)

somnĭŭm > AO somge, songe "songe" (à côté de somnhe, sonhe, somni, somi)




g. Évolution de type līnĕŭm > linge



α. Des mots à évolution apparemment irrégulière de n + ĭ, ĕ en hiatus

Certains mots latins avec ĭ, ĕ en hiatus montrent une évolution différente des "premières palatalisations normales" décrites ci-dessous : la consonne devant ĭ, ĕ demeure inchangée et elle est suivie de g /dj/ :


n + ĭ, ĕ + V > n dj V


exemple : līnĕŭm > linge "linge"

(au lieu de linhe attendu, voir aussi linha "ligne")




Voici les cas recensés dans PHF-f3:936-937. Ils concernent surtout le français, mais aussi l'occitan dans une moindre mesure. Trois adjectifs, peut-être quatre, sont dans ce cas :


lānĕŭm "de laine" > oc lange "de laine ; lange" (aussi lanhe, lani) ;


līnĕŭm "de lin" > oc linge "linge" (mais līnĕăm > linha "ligne") ;


extrānĕŭm "du dehors" > oc estrange (estrani) "étrange ; étranger" (aussi estranhe, seul attesté en AO, quoique estrangier soit attesté).


(peut-être *crīnĕam > a.pic. cringe, gringe et crigne "crinière").




β. Explications pour le type līnĕŭm > linge

β1. L'explication classique des linguistes : le yod tardif

Certains linguistes interprètent ces évolutions de la manière suivante : comme la consonne devant ĭ, ĕ demeure inchangée, il s'agit de "mots adoptés tard dans la langue" (IPHAF:85). "À cette date [Ve, VIe siècle], la consonne précédant le y ne peut plus subir le renforcement qu'est la palatalisation ; c'est le yod qui se renforce derrière consonne (...)" (IPHAF:86).


Ces mots sont réunis à ceux de type -ĭcŭs, -ĭcă (voir le type sĭlvātĭcŭm), où le c intervocalique évolue en y dans la moitié nord de la France au Ve siècle. Voir juste ci-dessous variantes en -ĭcŭs non attestées.


"Ainsi donc, à la limite des Ve et VIe siècles apparaît un nouveau yod, que l'on conviendra d'appeler tardif" (IPHAF:86).



β2. Des variantes en -ĭcŭs non attestées


Pour Jules Ronjat, les mots de type estrange, linge proviennent de dérivés latins non attestés en -ĭcŭs : *extrānĭcŭs, *līnĭcŭs (GIPPM-2:247).


De même, Walter von Wartburg range le type (oc et fr) linge "mince ; grêle ; délicat" comme dérivé de *līnĭcŭs (FEW:5,365b-366a) : (trad.all.) "Cette famille de mots pourrait représenter au nord un līnĕŭ ; mais les formes occitanes imposent un līnĭcŭ." L'auteur ne développe pas sa pensée, mais la forme lirguefém lirga (lag12) (TDF "linge" rouerg lirgue), semble bien confirmer un *līnĭcŭs "en lin", voir -nĭcŭm > -rgue.




β3. Nouvelle explication : le yod épenthique


(Je mets à part les mots en -ĭcŭs, -ĭcă, invoqués par les auteurs précédents, et pour lesquels je souscris au "yod tardif" pour le nord de la France, voir les trois phases d'apparition du yod.)


(Février 2020). Je propose cette nouvelle explication : les mots en question (līnĕŭs, sŏrōrĭŭs...) n'ont pas été adoptés tardivement dans la langue, mais il existait une variante de prononciation, notamment en Gaule du nord, avec un yod épenthique, qui s'est renforcé pour donner [dj]. Elle peut être d'origine phonétique (ci-dessus yod épenthique). Dans certains cas, on peut y voir une origine grammaticale (comparatif neutre de supériorité en -ĭŭs comme dans līnĕĭŭs "plus en lin" avec un sens de "vraiment en lin", "en bon lin" ?). Son origine est d'ailleurs peut-être variable selon les cas.



 C + ĭ, ĕ + yy + V   >   C édj V   > (syncope)  C dj V




W. von Wartburg exprime également son scepticisme sur la position des linguistes à propos de extrānĕŭs (FEW 3:332-333) :

(trad.all.) "En gallo-roman [extrānĕŭs] est habituellement considéré comme un emprunt tardif (Berger et autres auteurs) ; mais sans doute à tort, car -ni̯- peut donner deux résultats différents dans la moitié nord de la France." Les deux résultats sont étragne et étrange ; en domaine occitan seul estranh(e) est attesté en AO (mais estrangier existe).


Voici le scénario précis que je propose, avec l'exemple de "lange" :


français :



lānĕŭm "en laine"  */lnéyyʋ/
> */lʋ/  ou  */lnəʋ/


> (syncope, causant l'entrave de a) */lnʋ/ > */lnó/ > ... > /lɑ̃jə/ fr "lange"





h. M-L, R-L, R-N + ĭ, ĕ en hiatus" (Aurēlĭācŭm > Aurilhac / Orly)

J'étudie ces groupes à part, car certains montrent une absence de palatalisation ("Orly"). Pour le moment, je n'ai que des toponymes.


Une tendance à la syncope de la prétonique se manifeste au nord de la Gaule.


latin

occitan

français


m-l


Camillĭācŭm

Camilhac (bou33)
Type Chemilly
Chamilly (71), Chemilla (39), Chemillé (37 2 communes, 49), Chemilli (61), Chemilly (03, 70, 89 2 communes)
Type Chambly
Chambly (60), Chambley (54) (1)












r-l


Aurēlĭācŭm

 Type Aurilhac
Aurilhac (15, 30)

Type Orliac
Orliac ou Orlhac ? 19, 24, Orleat 63, Orleac patr 31, 66..., Orliac patr 46, 82)


Orly (77, 94)
(voir Aurēlĭānīs > Orléans)
Marillĭācŭm

Marilhac (16)

(aussi Marliac 31, patr 19)
(fr-pr Marlieux 01)

Marly (02, 57, 71, 71, Port- 78, 95)
(Merléac 22)

















m-n














r-n


Garinĭācŭm
Garinhac (Garignac patr 31)

Jarny (54)
Marinĭācŭm

Type Marinhac
(17, 26, 31 : x3, 82)
Type Marnhac ?
Marnhac ? (Margnac 46, 87) (2)


type Margny
(à continuer DENLF:437)
type Marigny
Matrinĭācŭm
Type Mairinhac
(Mairinhac 46, Merinhac ou Mairinhac 16, 17, 33)

type Margny
(à continuer)
type Marigny





Tableau ci-dessus. Évolution de -r (voyelle) lĭācŭm. Parfois la syncope ne se réalise pas en domaine d'oc (Aurilhac, Marilhac).


Références :

Camillĭācŭm : PHF-f3:940, DENLF:168 ;

Aurēlĭācŭm : DENLF:510a etc. ;

Marilĭācŭm : DENLF:436a,b, PHF-f3:940 qui donne Marelliacum ;

Garinĭācŭm : DENLF:366a-b, PHF-f2:487, PHF-f3:940.


(1) Pour le b dans Chambly, Chambley ; voir m'l. Pour Chambley (54), PHF-f3:940 donne Camillĭācŭm mais DENLF:135a donne Camulus "nom d'homme gaulois" + suffixe -acum (aboutissements dialectaux de -acum  / -iacum à étudier).

(2) Pour Marinĭācŭm > oc Marnhac, on n'a pas de formes anciennes, donc on peut voir aussi une origine Marnius (mot gaulois) + -acum (DENLF:437a).


- Pour -r(voyelle)ācŭm : pour Aurinĭācŭm, on obtient aussi bien Aurinhac / Origny (ce dernier fréquent), que Ornhac / Orny (références : DENLF:510b).



- Absences de palatalisations :


Aurēlĭācŭm > Orly

Marilĭācŭm > Marly

*Garinĭācŭm > Jarny

*berlĕăm > bèrlia (mais bèrlha existe).



P. Fouché estime que l'absence de palatalisation dans Orly, Marly, Jarny est due à "une raison savante" (PHF-f2:487).


On pourrait invoquer des raisons phonétiques : "r battu" doit limiter la palatalisation l ou n subséquent. La syncope et la palatalisation semblent parfois incompatibles (?). On peut se demander aussi si dans Orly, Marly, Jarny, il n'y a pas d'abord eu palatalisation (-y < -ĭācŭm), puis dépalatalisation au contact de r.




i. Cas particulier : cl (cŏchlĕārĕm)

Par exemple : cŏchlĕārĕ(m) > culhier "cuillère".


Il est probable que le groupe cly ait mené à une géminée /λλ/, puis qu'il y ait eu dégémination > /λ/. Voir palatalisation de cl. On peut proposer :


/kly/ > (palatalisation) /kλ/ > (palatalisation type cl) /λλ/ >(dégémination) /λ/  




j. Tableaux d'exemples pour l et n + ĭ, ĕ en hiatus


latin LPC

occitan
en hiatus >
   lh //
en hiatus >



*berlĕă(m) >
bèrlha "berle"
bèrlia "berle"
cŏchlĕārĕ(m) >
culhier "cuillère"
fīlĭă(m) >
filha "fille"
fīlĭŏlŭ(m)
>
filhòu "filleul"
fŏlĭă(m) (1)
>
fuelha "feuille"
lĕŏ / lĕōnĕ(m) >
AO css lèu / crs leon (> lion)
lĕŏpardŭ(m) >
AO leopart, leupart, lhaupart "léopard"
mĕlĭōrĕ(m) >
melhor "meilleur"
mĕlĭŭs >
mièlhs "mieux"
mŭlĭĕr / mŭlĭĕrĕ(m) >
AO css mlher / crs molhȩr ; pr molher, pr.ma., l, g, béar molhèr, rouerg mólher "épouse"
pălĕă(m)
>
palha "paille"
pĭllĕŭ(m)
>
pelha "haillon" (2)
trĭfŏlĭŭ(m) (3)
>
 AO trefǫlh, it trifoglio /trifoλ̮o/ (3)
*vŏlĕō >
> AO vuolh "je veux"






Tableau ci-dessus : évolution de lĭ, lĕ en hiatus en LPC. En rouge : mots obtenus par la voie savante (?), contenant encore le yod après la consonne.


(1) fŏlĭăm : pluriel collectif neutre de fŏlĭŭm (pl.n.>sing.f.).
(2) Dans pĭllĕŭm, lh assimile la consonne l qui précède.
(3) Pour "trèfle", les variantes de Gaule proviennent souvent du "grec de Marseille" τρίφυλλον, accentué sur la première syllabe (DHLF), au contraire de AO trefǫlh, it trifoglio.
 
 



latin LPC

occitan
en hiatus >    nh /ñ/
en hiatus >



ăgrĭmōnĭă(m)
>
agrimònia "aigremoine"
 *ăquānĕă(m) >
aiganha "rosée"
ărānĕă(m) >
aranha "araignée"
Arvernĭăm > Alvernĭă(m)
>
Alvèrnha, Auvèrnha "Auvergne"
Avennĭōnĕm, Avēnĭōnĕ(m)
>
Avinhon "Avignon"
călcănĕŭ(m) >
AO calcanh "talon"
cĭcōnĭă(m) >
AO cegọnha, cigọnha "bascule d'un puits"
AO ciconia "cigogne"
căstănĕă(m) >
castanha "châtaigne"
cŏtōnĕŭm (mālum) >
AO codonh "coing"
cŭnĕŭ(m) >
AO conh "coin (pour fendre le bois)"
lŭscĭnĭŏlăm > *lŭscĭnĭŏlŭ(m)
>
rossinhòu
*mŏntānĕă(m) >
montanha
*mŭnnĭo-
>
AO mnh > monhon "moignon"
tĭnĕă(m) >
tinha "teigne..."
vīnĕă(m) >
vinha "vigne"






Tableau ci-dessus : évolution de nĭ, nĕ en hiatus. En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le yod après la consonne.





2. Influence de lh, nh sur la voyelle antécédente

Il faut distinguer :

- l'apparition très hypothétique d'un i diphtongal devant /λ/, /ñ/ (IIe siècle) ;

- les problèmes de l'orthographe de type montainha ;

- une fermeture fréquente de la voyelle devant /λ/ et /ñ/ ;

- la diphtongaison conditionnée (voir à cette partie : devant /λ/, devant /ñ/).



a. Apparition d'un i diphtongal devant /λ/ et /ñ/ ?


On parle ici du i diphtongal de transition (voir i diphtongal de transition). F. de La Chaussée (IPHAF:74) réfute l'apparition de ce i diphtongal puisque l et n se palatalisent facilement, sauf si /ñ/ parvient en fin de mot ou devant consonne (/ñ/ devenu implosif, en français seulement, au VIIIe siècle). Alors que PHF-z, PHHL le font apparaître en toutes positions, au IIe siècle. Le raisonnement de IPHAF est plus convaincant.


Devant /λ/ :


Certains ouvrages supposent une évolution de type pălĕăm > /p a i̯ λ i̯ a/ vers le le IIe siècle après J.C. (PHF-z:100) (également P. Fouché, référence). Tobias Scheer (PH-2020:443) précise : 

"Le <i> dans les graphies de l'AF (et jusqu'au FC) a un statut tout à fait différent devant r où il représente un yod (puis la seconde partie d'une diphtongue) et devant l (ou <ll>) dont il note simplement la palatalité sans avoir de réalité phonétique lui-même : <ill> ainsi représente [λλ] (...)".


Devant /ñ/ :


- Certains ouvrages supposent une évolution de type montānĕăm > /montai̯ñi̯a/ vers le le IIe siècle après J.C. (PHF-z:100 ; PHHL:156). Gaston Zink soutient que ce i diphtongal est celui qu'on trouve encore à l'écrit dans certains mots français : "l'articulation plus ferme de ñ implosif maintient y : bain, loin, poing" (PHF-z:100-101, voir aussi p. 217). Au contraire, F. de La Chaussée (IPHAF:74) donne une apparition plus récente (VIIIe siècle) pour /i̯/ qui n'apparaîtrait qu'en position finale ou devant consonne : "bain, loin, poing, plaindre", voir /ñ/ devenu implosif


- Des variantes occitanes du suffixe -anha (-aina, -èina), si elles existent, semblent très marginales, et de plus pourraient être expliquées de diverses manières. Voir doçanha, docèina, où je donne une plus grande vraisemblance d'un emprunt de docèina à l'ancien français.



b. Problème des orthographes de type montainha / "montaigne", aguilha / "aiguille"

En a.fr., mais aussi en AO de façon moins unifiée, le trigramme ign a représenté /ñ/, et le trigramme ill a représenté /λ/ (en français, ce dernier représente toujours le descendant de /λ/, soit /y/ : "paille", "vieille"). La présence graphique du i pose plusieurs problèmes.




α. Lien avec un ancien i prononcé ?

Voir ci-dessus i diphtongal devant /λ/ et /ñ/ ? : il n'y a pas de rapport entre les orthographes françaises ou occitanes -ign-, -ill-... et un supposé ancien . Le i graphique avait une valeur auxiliaire pour retranscrire /λ/ ou /ñ/.


De plus, on n'écrivait que le latin à l'époque d'un supposé ancien i prononcé. Il est difficile d'imaginer que la mise à l'écrit de la langue française à partir du IXe siècle gardât la mémoire d'un ancien i diphtongal.




β. Orthographe de type montainha / "montaigne"

Pour les orthographes en a.fr. du type montaigne, Bretaigne, restées dans Michel de Montaigne, seigneur, poignée, oignon..., ign était un trigramme retranscrivant /ñ/ (CNRTL "poignée", LLF14e 15e, 3.3. s.p....).


Pour l'ancien occitan, c'est toujours le même phonème /ñ/ qui a été retranscrit avec une grande diversité de combinaisons (Bretaigna FolqMars, seignor...). Selon RLCP:21, pour les chansonniers, on peut les regrouper autour de trois types :

- type -IN- : -in-, -ni-, -inn- ;

- type -GN- : -gn-, -ngn-, -ign-, -gni-, -ingn-, -ngni-, -igni-, ingni- ;

- type -NH- : -nh-, -nnh-, -inh-.


Pour l'ancien français, la situation est semblable :

(HSPGF:8) "La graphie des consonnes palatales [ʎ], et [ɲ] et, dans les régions qui la connaissent, du [ʧ] issu de la palatalisation médiévale de [k], a cependant constitué un véritable défi. Le plus souvent, on a utilisé les lettres ‹h›, ‹g›, ‹i› en leur attribuant une valeur auxiliaire de palatalisation: ‹ch, lh, nh›, ‹lg, ng›/‹gl, gn›, ‹in, il›/‹ni, li›, ou encore la géminée ‹ll› pour [ʎ] (et peut-être aussi ‹nn› pour [ɲ]), ainsi que de nombreuses combinaisons de ces trois moyens, p. ex., ‹ilh, ilg, igl, lgl, ill› et ‹inh, ing, ign, ngn, inn› (cf. Dees 1980 : 335). Très vite, certaines combinaisons se sont démarquées [...]".



Cependant, les choses ne sont pas si simples. Examinons les différents problèmes :



- En fin de mot

En fin de mot, -ng, -ing ont souvent été employés pour retranscrire l'ancien /ñ/ (PPH, non paginé). Mais en français, il ne faut pas oublier que /ñ/ devenu implosif induit un i diphtontal. Le digramme -ng a été conservé dans quelques mots en français. Ainsi on peut dire que fr "coing", "poing", "seing" (< cŏtōnĕŭm, pŭgnŭm, sĭgnŭm) contiennent bien un i diphtongal (nasalisé), avec pour "seing", une simplification analogue à plein. Par contre les formes AO codoing, poing, poinh, seing ne contiennent normalement pas de i diphtongal : on a affaire à des anciens trigrammes ing, inh représentant /ñ/. Aujourd'hui on écrit ces mots codonh, ponh, senh (comme ils pouvaient aussi être écrits au Moyen Âge).


- Action fermante de nh

L'action fermante de nh a pu s'exercer sur a antécédent pour aboutir à /è/. C'est notamment le cas dans l'Est de la France et dans l'Orléannais où sont attestés "champaigne" /ʃãpèñ/, "montaigne" /mõtèñ/, "Bretaigne" /brœtèñ/, et d'où "musaraigne", "araignée", "châtaigne" ont conquis la langue française (CNRTL "châtaigne", "araignée", PHF-z:237). Dans ces cas, l'orthographe aign représente bien /èñ/. Les formes chastagne /ʃatañə/ et aragne /arañə/ "araignée" étaient utilisées dans les autres régions du domaine d'oïl. Pour "saigner" < sanguinare, dès Roland on utilise seiner : la forme avec /èñ/ est employée, mais on connaît aussi sanner (Lancelot), il sainne (Gautier de Coinci, Miracles de Nostre Dame).

 



Voir PPH (non paginé sur internet) : "Attention aux graphies de n mouillé : le graphème latin gn = n vélaire + n dental, une des sources de n̮ mouillé, est à l'origine des graphies habituelles de n̮ mouillé en AF : gn, ign, ingn dans lesquelles i est équivoque ; en effet il n'y a pas de y/i diphtongal de transition devant n̮ mouillé intervocalique, donc pas de diphtongue de coalescence, donc i est purement graphique, fait partie du trigramme/tétragramme qui note n mouillé ; d'où la coexistence par ex. de aragne / araigne < ărānĕă, mais dialectalement il arrive que a subisse l'effet fermant de la palatale et qu'on doive donc lire [arèñé] resté dans araignée."



Donc tout laisse à penser que l'ancienne variante orthographique aign (a + ign) a été maintenue opportunément pour exprimer ai + gn /èñ/ comme dans "châtaigne", voir le digramme ai. On retrouve aussi en anglais : mountain, Britain (mots d'origine anglo-normande : comment étaient-ils prononcés au départ ? Logiquement ils n'ont jamais comporté de diphtongue /ay/, /èy/). Voir aussi Espaigne, Charlemaigne, gaaigne dans les textes français du XIVe et XVe siècles, rimant avec des mots en /-èñə/ (LLF14e 15e, 3.3. s.p.).


Par contre, en occitan, il semble que cette fermeture de a devant nh ne se soit jamais réalisée. Les noms de lieux occitans retranscrits avec aign en français correspondent à une prononciation agn en occitan : Saignon pour Sanhon (84), Saignes pour Sanhas (15, 46), Cassidaigne pour Cassidanha (13 écueil près de Cassis, [kasidaño/a] enq.p. et TDF : Cassidagno). Il faut étendre l'étude. Cette habitude graphique provenant de l'a.fr. est un problème : elle induit fatalement une mauvaise prononciation, qui finit par être employée par les locaux eux-mêmes (Saignon, 84 est prononcé [séñõ]).


Conclusion : je déduis que concernant la graphie française aign, celle-ci peut selon les mots et selon les régions :

- représenter une "véritable" prononciation /èñ/ issue de l'action fermante de nh sur a (sans doute uniquement en domaine d'oïl) ;

- représenter une prononciation /añ/ (en domaine d'oil ou d'oc) ;

- représenter une prononciation /èñ/ par influence de l'écrit : c'est le cas de Montaigne l'écrivain, seigneur de Montaigne (Montanha en Dordogne), Saignon pour Sanhon (84), etc.


Autres exemples (aign, eign, oign, uign)

Les nombreux n.d.l. "Saint-Aignan" peuvent donc représenter l'un ou l'autre cas ci-dessus. Par contre les Saint-Agnan sont sans équivoque (/añã/). Pour le i dans Sant-Inhan (31), Sant-Chinhan (34), voir ci-dessous.


On peut faire des constatations parallèles pour oign. L'influence de l'écrit s'est exercée dans :

- "poigne" (Littré : "po-gn' ; quelques-uns prononcent poi-gn'") ;

- "poignard" (Littré : "po-gnar ; quelques-uns disent poignar") ;

(voir CNRTL "poignée" : "Dans la famille de poing (poignant, poignard, empoigner, etc.) [wa] résulte d'un découpage erroné de graphèmes: sous l'influence de la graphie on rattache i à la voyelle précédente o d'où oi = [wa] alors que -ign- servait à noter [ɳ]" ;

- dans "oignon", certaines personnes prononcent /wañõ/ ;

- Appoigny (89) (< Epponiacum, Apogniacum, IXe siècle, TGF1:218, DENLF:23), aujourd'hui prononcé [apwañi] ;

- Pour Joigny (89), Juigné (< Joviniacum, Juviniacum), (voir Joviniacum à "Syncopes" ), par exemple Juigné-des-Moutiers 44, a une forme gallo [juñə] (Wikipédia).

- Par contre dans "soigner", la prononciation est logiquement /swañé/ car le verbe est dérivé de "soin", mais on a sonhar en occitan (voir n implosif).


Je cite ADoi:69 : "On retrouve la graphie oi dans le groupe -oign-, encoignure, empoigne, moignon, oignon, poigne (à comparer avec pognon, ancienne graphie poignon), où le groupe oi, en fait, est dû à la fusion des graphies o et -ign de la consonne palatale nasale, l'interprétation de cette graphie ayant entraîné les prononciations concurrentes [ɔŋ] et [waŋ]." (Mais pour moignon : voir moing > moignon... ?)


Pour uign : par exemple, voir ci-dessus Juigné.


Pour eign, l'ambiguïté de prononciation s'efface puisque e comme ei se prononcent [é] (ou [è]) : sĕnĭōrĕm > "seigneur" où le trigramme ign représente /ñ/ (PPH non paginé).



γ. Orthographe de type aguilha / "aiguille"

En AO, les manières de retranscrire /λ/ étaient moins nombreuses que pour retranscrire /ñ/ ci-dessous.

Selon RLCP (263, 270, 271, 288, 290), pour les chansonniers, il y avait surtout ilh, lh, ill, parfois iyl. Il y avait en outre ll, li, lli, yl, yll (voir DOM agulha).


En graphie classique actuelle, même si /λ/ s'est réduit à /y/, on emploie lh ; en graphie mistralienne, pour le provençal, on emploie i (maio, vièi), mais h après i (biho, fiho), et le TDF semble donner lh pour les régions où la prononciation /λ/ est conservée.


Pour le français actuel (où l'évolution /λ/ > /y/ s'est généralisée dans la langue standard), on utilise le trigramme ill ("vieille", "paille"...) ; on emploie -il en finale ("mail", "œil", "rail", "seuil", "vieil"...). Pour "bille", "fille", "famille"..., c'est le digramme ll qui a été choisi, d'où l'ambiguïté face à "mille" /mil/, "ville" /vil/, "Lille" /lil/...



En français : évolution /uλ/, /uy/ > /üiy/


Remarque : au niveau de l'évolution de la prononciation, on peut voir une ressemblance entre le type "aiguille" ci-dessous et le type "foyer" (à mieux étudier).


Pour "aiguille", "cuillière", "juillet", il y a eu évolution de /u λ/, /u y/ vers /ü i y/. Pierre Fouché invoque des mauvaises interprétations graphiques (PHF-f3:772-773), mais je pense qu'un autre phénomène s'y est mêlé : le bannissement général de /uy/, systématiquement remplacé par /üiy/ en français standard. "Essuyer", "ennuyer" ont connu la même évolution, avec pour origine sans doute une réfection sur les personnes du singulier (exemple : "il essuie", "il ennuie", avec basculement de l'accent tonique sur i, même chose pour "suie"). Voir aussi "tuyau" /tüiyó/, pour lequel Littré conserve la prononciation /tuyó/. Je ne dispose pas hélas de G. Straka, Trav. Ling. Litt. Strasbourg t. 19 n°1 1981, p. 231 (in CNRTL "tuyau"), article qui aborde la prononciation de y entre deux voyelles. Voir aussi la tendance à prononcer /tüiya/ pour "thuya" /tuya/. Ce domaine mérite une étude plus approfondie. En occitan, /uλ/, /uy/ est conservé tel quel, ou bien parfois évolue en /üèy/ (variante /agüèyo/ pour agulha).


- "aiguille"

La prononciation actuelle du fr "aiguille" /égüiy/ < ăcūcŭlă(m) ("aiguille" suit d'ailleurs sans doute un traitement d'origine occitane) serait due à une mauvaise interprétation graphique de la séquence -guill- : en a.fr., on prononçait /aguλə/ ; plus tard /éguλə/ (forme d'apophonie ?). On sait que la prononciation avec /u/ est en concurrence avec /üi/ aux environs de 1550 ; c'est seulement au XVIIe siècle que les grammairiens ne prescrivent que /üi/ (sauf Nathanaël Duez) (PHF-f3:772). En occitan, on prononce toujours agulha avec /u/ : /aguyo/a/, /aguλo/a/.


- "cuillère"

La prononciation actuelle du fr "cuillère" /küiyèːr/ (< cŏchlĕārĕm) proviendrait également d'une mauvaise interprétation de l'orthographe ; la prononciation originelle avec /u/ (type /kuyèrə/) a perduré, et "au début du XIXe siècle, Domergue se posera encore la question de savoir si l'on doit dire cuiller ou culier" (PHF-f3:772). En occitan, on prononce toujours culhier avec /u/ : /kuyé/è/, /kuλé/è/ (pour -ier < -ĕārĕm, le mot français était bien écrit cuillier dans le dictionnaire de l'Académie 1694-1740 à côté de cuiller) (CNRTL).


-  "juillet"

La prononciation actuelle du fr "juillet" /jüiyè/ (< a.fr. juignet "petit juin" x julius) proviendrait encore d'une mauvaise interprétation graphique ; la prononciation originelle de "juillet" était /juλè/. La première attestation de la prononciation actuelle est chez Hindret (1687) (PHF-f3:772-773).


- "bruyère" /brüiyèːr/, /bruyèːr/


- Autre cas : "Guyot", "Guyon", "Guyenne"

Au contraire, pour les dérivés de Guy /gi/ (< germ Wîdo) (Guyot, Guyon, Guiard < Wîd-hard-), pour Guyenne < Aquītānĭă(m), le /u/ n'existait pas originellement ; il est apparu une par mauvaise interprétation de l'orthographe (PHF-f3:773) ; on a maintenant /güiy-/. D'ailleurs, le caractère y exprime /iy/, où /y/ est un yod épenthique. Même la forme occitane de Guyot, à savoir Guizot, s'était à un moment réalisée /güizo/ dans la prononciation familiale (en français). Même chose le nom de famille "Guise" (< germ Wîsa), pendant un moment prononcé /güiz/. "Mais le nom de la localité d'origine, dans l'Aisne, continue à se prononcer [güiːz]" (PHF-f3:773).




c. Fermeture de la voyelle devant lh et nh

Bibliographie : GIPPM-1:137-138, IPHAF:110,116, CDVSF:132. Etudier R. Gess (GGHF:456 §461) : le ə est sujet à des "effets coarticulatoires", "devant une consonne par exemple, il devient i" : champignuel, pavillon < paveillon. Mais i l faut confronter cette hypothèse avec le même phénomène en occitan : Avinhon, papilhon/pabalhon...


On observe souvent une fermeture des voyelles devant lh ou nh. Cela signifie que les voyelles obtenues sont plus fermées (actions fermantes) que si elles avaient subi simplement la mutation vocalique. Soit i remplace é attendu, soit u remplace ó attendu.


Exemples :

Avēnĭōnĕm > (attendu) Avenhon / (obtenu) Avinhon "Avignon"

Măssĭlĭăm > (attendu) Marselha / (dialectal) Marsilha

bŭllīrĕ > (attendu) bolhir > (dialectal) bulhir (voir étymologie de bolir)

vĭgĭlārĕ > *vĭglārĕ > (attendu) velhar / (dialectal) vilhar

(L'évolution de cl, gl intervocalique rejoint lh).

Les auteurs estiment parfois que la fermeture /é/ > /i/ se réalise préférentiellement en prétonique interne (IPHAF:116). La diversité des situations ne permet pas de conclusion aisée, et J. Ronjat (GIPPM-1:137-138) reste assez confus dans ce domaine.



α. En prétonique interne (fermeture devant lh et nh, autres évolutions)


Remarque : Ces voyelles auraient pu disparaître par syncope, en tant que voyelles prétoniques, mais la présence d'une consonne palatale, qui cause l'entrave, empêche cette disparition (source à mettre).


Type Avēnĭōnĕm > Avinhon

Certains auteurs estiment que devant /λ/ ou /ñ/, la fermeture /é/ > /i/ se réalise préférentiellement en prétonique interne : Avēnĭōnĕm > Avinhon "Avignon" (84), pāpĭlĭōnĕm > fr. pavillon (IPHAF:116). Aussi : rossinhòu, carrilhon...


Il faut cependant signaler qu'au nominatif, la voyelle en question était accentuée dans Avēnĭō, pāpĭlĭō, *quădrĭnĭō ; elle n'était pas en position prétonique. Il est difficile d'aller plus loin dans les déductions.




Type Montānĭācŭm > Montinhac

Montānĭācŭ(m) > oc Montinhac / Montanhac (nombreux toponymes) ; fr Montigny / Montagny (nombreux toponymes).


Sur Montagny / Montigny, voici ce qu'explique Gérard Taverdet (DSPO:5) :


"Dauzat et surtout Rostaing (qui, pris par le temps, ne pouvait utiliser les cartes) ont considéré que ces formes appartenaient à deux étymons différents : Montagny était le représentant d’un nom d’homme latin Montanius, alors que Montigny était le représentant d’un autre étymon (*Montinius). D’autres toponymistes cependant, dont Auguste Vincent, avaient pensé depuis longtemps que les deux séries ne pouvaient être dissociées.

Note : Comme plus récemment Marie-Thérèse MORLET (1985).

En Bourgogne, nous avons rencontré de nombreux sites appartenant aux deux séries, tout simplement en bourlinguant à travers les campagnes profondes à la recherche d’éventuels témoins. Et nous avons rencontré un fait incontestable : les Montagny sont au sud, bien groupés en Saône-et-Loire, au sud de ce que les géographes appellent la dépression « Dheune-Bourbince », et, au nord, en Côte-d’Or, nous avons des Montigny.

Note : Il existe cependant en Côte-d’Or des formes en -agny (par ex. Montagny-lès-Beaune). Ce fait est lié à une évolution secondaire : dans cette région, le /a/ devient presque toujours /è/ et le /i/ connaît la même évolution, d’où une confusion entre les deux formes, confusion généralement tranchée en /a/, par suite de l’attraction du fr. montagne. Les formes anciennes à elles seules ne permettent pas de trancher (elles sont à la fois récentes [sic] et contradictoires.


Nous ne parlerons pas ici de l’étymologie des Montagny-Montigny, noms d’hommes ou souvenir d’une montagne qui n’était le plus souvent qu’une modeste motte et peut-être aussi tout simplement une zone boisée.


Quoi qu’il en soit, la question de la base des Montagny-Montigny semble aujourd’hui bien tranchée en faveur de l’étymon unique ; mais rien ne nous empêche de nous arrêter en si bon chemin. Si l’on continue à porter sur la carte les noms qui ont les mêmes finales, on retrouve la même répartition. Est-il encore bien utile aujourd’hui de distinguer les Chevagny et les Chevigny, les Germagny et les Germigny ? Et les Champagny (nom d’homme Campanius, selon Dauzat) et les Champigny (que Dauzat avait bien rattachés à la même série) ? [voir ci-dessous "champignon"].

(Note : Cette différence d’analyse entre Champigny et Montigny montre bien que le DENLF a été rédigé par deux auteurs et que Rostaing n’a pas eu le temps d’analyser les étymologies que Dauzat avait développées jusqu’à la lettre L.)


Et il existe probablement encore d’autres couples, certes moins nombreux que l’exemple de base Montagny".



Gérard Taverdet ne propose pas d'explication phonétique à la forme en apparence irrégulière "Montigny" ; je propose des pistes ci-dessous. Par ailleurs on peut constater la même double évolution dans le domaine d'oc pour Montanhac / Montinhac. Il faudrait entreprendre une étude de la répartition géographique de ces deux toponymes, avec des témoins fiables sur la prononciation. En tout cas on peut relever d'autres évolutions de ce type, que je tente de recenser ci-dessous.



Sanctŭm Anĭānŭm > Sanch Anhan > Sant Chinhan "Saint-Chignan" (34) (voir sanctŭs + voyelle). Voir aussi Saint-Aignan ci-dessus.


En français : *campaniolum > a.fr. champignuel > (subst.suff.) "champignon". En AO ? Aussi les toponymes Champagnolles, Champagnole / Champignolles, Champignol, Champigneulles...

*Campaniacum > Champagny, Champagney, Champagneux (73) / Champigny, Champigné. En domaine d'oc : seulement Campanhac.

Au nord de la ligne Joret : Campigneulles, Campigny / Campagnolles.



?*Genilĭācŭ(m) > Junilhac (année 1169) / Genolhac (nom actuel) (30) : attraction par genolh "genou" ?


? Cavanniacum > Cavanhac / Cavinhac, Chevagny / Chevigny...

? Germaniacum > Germagny (71) / Germigny (8 communes).

? Romaniacum > Romanhat (63) / Remigny (0271), Remilly (58) (TGF1:583)



Dragonianum > Draguinhan "Draguignan" (83), (Dragonianum, année 909 < *Draconianum).


Phonétiquement, ce type d'évolution montre une fermeture de a jusqu'à i, sans aucun doute favorisée par -nh- subséquent. On peut de plus proposer l'influence d'une néo-apophonie, et également l'influence d'un schéma vocalique probable, avec l'attraction du pôle -inh- (ci-dessous dans le bilan). Apparemment les schémas a-aña-, e-aña-, o-aña- mènent facilement à a-iña, e-iña.







Type Căbellĭōnĕm > Cavalhon

L'évolution Căbellĭōnĕm > Cavalhon "Cavaillon" n'est pas certaine, car dès l'Antiquité, les deux variantes Căballĭō et Căbellĭō existent. Donc si cette évolution a eu lieu, elle s'est réalisée dès l'Antiquité : Căbellĭō > Căballĭō. Pour le même type d'évolution vocalique, on peut citer pāpĭlĭōnĕm > parpalhon "papillon", AO pabalhọṉ "pavillon, tente".


Voici les sources pour les deux formes antiques de "Cavaillon" :

(pour les sources antiques, voir notamment wikisource-Cabellio) :

- (Strabon, Géographie, IV) Καβαλλίων (Kaballíōn) (Καβαλλίωνος, Καβαλλίωνα : Géographie, IV, 1, 3 et IV, 1, 11) ;

- (Pline l'Ancien, Naturalis Historia, III, 36) Cabellio ; (CIL, XII, p. 136) Cabellio, -onis , (Ptolémée (l., II, c. 10, § 8) (in ROPFNL:519, repris dans ETC:88) : "L'orthographe de ce nom, telle que nous la donnons ici, est attestée par plusieurs inscriptions romaines, comme l'a établi M. Hirschfeld (CIL, XII, p. 136) ; c'est l'orthographe de Pline (l., II, § 36) et de Ptolémée (l., II, c. 10, § 8, édit. Müller, t. I, p. 244, l. 2.)." (Ptol. II 10, 8 (Καβελλιὼν κολωνία).


Pour Henri d'Arbois de Jubainville (ROPFNL:519), la forme originelle est Cabellio, du gentilice Cabellio. "L'orthographe Caballio dans les manuscrits de Strabon est le résultat d'une assimilation de la première syllabe à la seconde ; cette assilimation se faisait déjà dialectalement dans les premiers temps de l'empire romain, comme l'atteste une inscription du musée de Mayence (Brambach, 1203)". Voir RISMSM:58, pierre tombale d'un soldat romain de Mayence : (développement des abréviations latines) Gaius Satrius, Gai filius, Voltinia (tribu), Cabalione, (...) "Gaius Satrius, des Gaius Sohn, aus der Voltinischen Tribus (Bürgerklasse) von Cabalio (Cavaillon in Frankreich) (...)".


Cependant, l'hypothèse d'une forme fondée sur un gentilice n'est pas du tout assurée, selon DENLF:157 à l'article Cavaillon : (e.d.a.) "peut-être d'un nom d'homme latin ou gaulois (Cabelius, Cabilus, Caballio) ou mot ligure, dérivé d'une racine *cab- "hauteur" (Cavaillon est au pied d'une colline où on a retrouvé les traces d'un oppidum préhistorique" ; et dans le même article : "Chalon-sur-Saône (Cavillonum, Cabillonum [...]) ne peut être un domaine gallo-romain, mais l'équivalent de Cavaillon." Les formes connues en numismatique montrent en effet une alternance vocalique pour le nom antique de Chalon-sur-Saône : ("Monnaies mérovingiennes de Chalon-sur-Saône" en pdf : forgottenbooks, page 1) : Cabilonnum / caballonense... avec aussi la forme syncopée Cablonno, mais il arrivait qu'on sautait une lettre pour gagner de la place sur les monnaies - source à mettre).


En admettant que Căbellĭō soit la forme originelle, on peut constater que l'aboutissement actuel Cavalhon (avec un schéma vocalique déjà réalisé à l'Antiquité : Căballĭō) va à l'encontre de l'évolution Avēnĭōnĕm > Avinhon ci-dessus. Donc paradoxalement on peut aussi avoir une ouverture de la voyelle : Căbellĭōnĕm > Cavalhon "Cavaillon" (84), pāpĭlĭōnĕm > parpalhon "papillon", AO pabalhọṉ "pavillon, tente". Comme le propose ROPFNL:519 ci-dessus, on peut invoquer une assimilation du second a au premier (dilation). Pour Cavalhon, une influence de "Cavares", nom de peuple, a aussi été invoquée (source ?).


Par ailleurs, fr "papillon", "pavillon" (< pāpĭlĭōnĕm) suivent le type Avinhon ci-dessus (Cavilhon reste à confirmer par d'autres occurrences).


Il faut noter les variantes Cavillo (année 587 in HRA:56, année 1008, in TGF1:646, Cavillo Cavarum in HGFLXIII:25), AO Cavilhon (année 1364, terrier du prévôt de la Cathédrale à Avignon in GTEUMA) : ce pourraient être des survivances de la variante non dissimilée Căbellĭō ayant suivi le type Avinhon ci-dessus, à moins qu'il ne s'agisse de confusions anciennes avec Chalon-sur-Saône (Cabillonum).




nh > lh (type *Rŭscĭnĭōnĕm > Rossilhon)

L'évolution nh > lh est notée dans plusieurs mots longs, en position précédant la voyelle tonique. Il s'agit peut-être d'une dissimilation n-nh > n-lh. Parallèlement, on observe très fréquemment une fermeture de la voyelle précédant nh > lh.


*Rŭscĭnĭōnĕm > Rossilhon : Pour *Rŭscĭnĭōnĕm, seul Rŭscĭnōnĕm sans i est attesté (avec Ruscilionem dans les années 800). Jules Ronjat donne *Rŭscĭnĭōnĕm. Je pense que l'auteur ne fait allusion qu'à l'ancienne Perpignan (GIPPM-2:246,377) ; il existe deux autres communes Rossilhon 84, 38.


*quădrĭnĭōnĕm > fr "carrillon". Pour *quădrĭnĭōnĕm "ensemble de quatre cloches" (FEW 2:1439b), comparer carrilhon, "carrillon" avec caireforc, "carrefour" (< quădrĭfŭrcŭm) où dans ce dernier cas, on n'a pas fermeture de é en i.


Avēnĭōnĕm > Avilhon, variante de Avinhon (84) ; Avilhon est attesté de nombreuses fois dans le terrier de Sainte-Catherine, deuxième moitié du XIVe siècle (GTEUMA).


*Rominiacum ou *Romaniacum > Remilly (58) (année 900 Ruminiaco villa, années 1121-1142 de Rumiliaco, TGF1:9467, UBFO1:283 où l'auteur donne trad.all. "avec dissilation de m-ny à m-ly, comme cela arrive souvent").






Bilan : évolution de la voyelle en prétonique interne devant lh, nh


À l'étude des formes ci-dessous, je suis tenté de dire que dans les oxytons à trois syllabes, en prétonique interne, il existe deux schémas vocaliques, avec deux "pôles attractifs" : d'une part -ilh-, -inh- et d'autre part -alh-, -anh-. On peut difficilement avoir -elh-, -enh-. Cela vaut en occitan comme en français. On peut sans doute expliquer l'apparition de ces schémas vocaliques par l'action conjointe et parfois contradictoire :


- de l'effet fermant de lh, nh sur la voyelle antécédente ;

- de l'apophonie (néo-apophonie) ;

- des dissimilations vocaliques ;

- de la dilation de la première syllabe en a sur la deuxième.



Tableau d'exemples (évolution de la voyelle en prétonique interne devant lh, nh)


latin LPC

occitan

français

forme attendue en occitan
l (ĭ, ĕ) en hiatus
-ilh-
parfois -alh-

-ill-

-elh-
Aurēlĭācŭ(m)
Aurilhac (15, 30)
(Aurillac 15, Aureillac 30)
Aurelhac
Căbellĭōnĕ(m)
Cavalhon (84), AO Cavilhon (1)
(Cavaillon 84)

Cavelhon
pāpĭlĭōnĕ(m)

(AO) papilhn, papalhn, parpalhn,... "papillon" ;
pabalhọn... "pavillon, tente"

papillon ;
pavillon

pabelhon









-ulh-



-olh-
măllĕŏlāria(m)

x manolh > carp manulhera

("rangée de vigne")

manolhera







n (ĭ, ĕ) en hiatus
-inh-

-ign-

-enh-
Avēnĭōnĕ(m)
Avinhon (84), AO Avilhon (2)
(Avignon 84)

Avenhon
*lŭscĭnĭŏlŭ(m)

rossinhòu

rossignol

rossenhòu







nh > lh
n (ĭ, ĕ) en hiatus
-ilh-

-ill-

-enh-
*quădrĭnĭōnĕ(m)

(carrilhon, fran.)
a.fr. quaregnon, carignon,
carrillon

carrenhon
*Rŭscĭnĭōnĕ(m)

Rossilhon (66, 84, 38)

(Roussillon)

Rossenhon

Tableau ci-dessus. Évolution de la voyelle en prétonique interne dans des substantifs devant lh, nh (ou parfois ouverture : Cavalhon, parpalhon).


(1) Cavilhon pour Cavalhon : voir références ci-dessus.

(2) La forme Avilhon pour Avinhon est attestée de nombreuses fois dans le terrier de Sainte-Catherine, deuxième moitié du XIVe siècle, (GTEUMA).






β. En tonique (fermeture devant lh et nh)


En tonique, certains mots montrent une fermeture de /é/ ou /a/ tonique devant lh ou nh.


β1. -icŭlăm > -ilha/-elha

(Je pourrais mettre ce paragraphe à l'étymologie de -ilha). Voir palatalisation de cl intervocalique ; aussi basculement d'accent : type ferigola.


Concernant le vocalisme, parmi les aboutissements dans les langues romanes, oc cavilha est conforme à fr "cheville", it caviglia, esp clavija. D'autre part, oc aurelha est conforme à fr "oreille", it orecchioesp oreja. Pourtant les deux étymons latins sont en -icŭlă. On peut donc penser que dans ces cas, l'orientation vers -ilha ou -elha est très ancienne.


Le i du diminutif latin -icŭlă a une quantité variable et très discutée (voir l'étude de GLTL:757-759 et pages précédentes). Étymologiquement, il me semble que -icŭlă s'est construit sur l'élargissement de -ŭlă  (à continuer).


Certains mots latins en -ĭcŭlă (avec i bref) ont évolué en oc -elhafr -eilleaurĭcŭlă > aurelha "oreille", apĭcŭlă > abelha "abeille" (occit.) ; ce n'est que dialectalement qu'on trouve les formes aurilha, abilha. Pour ces dernières, é (< ĭ) s'est fermé en i devant λ, comme Marselha > Marsilha. Il faut remarquer qu'au masculin, fr "soleil", oc solelh (> soleu) garde toujours e (un suffixe -ilh ne me semble pas exister en occitan, mais voir suffixe fr -il).


Par contre, le suffixe occitan -ilha est uniforme (dans eusilha, granilha, ravanilha...) ; il ne semble pas exister sous la forme -elha. De même le suffixe français "-ille" (ramille, brindille, fibrille, béquille/béquillon...), qui est moins productif qu'en occitan. Ces suffixes proviennent donc de -īcŭlăm, plutôt que de la fermeture de é devant λ, qui est dialectale. La forme -īcŭlăm devait être la plus répandue. 


Pour expliquer -īcŭlă au lieu de -ĭcŭlă, J.-H.-R. Prompsault propose que certains auteurs latins ont rallongé un i bref originel dans certains mots en -ĭcŭlă "à cause des deux brèves dont il est suivi" (GLTL:759) ; en effet l'hexamètre dactylique (lien Wikipédia) impose un maximum de deux syllabes légères d'affilée). Ce serait le cas dans clāvīcŭlă (Germ.), vītīcŭlă (Virgile). Or les descendants romans actuels de ces deux mots semblent bien provenir de ces deux variantes à i long (cavilha, "cheville" ; vedilha, "vrille") : les formes poétiques seraient-elles passées dans le langage populaire ? On peut aussi penser à un schéma plus acceptable dans la langue parlée :      ´  ͜    ͜     plutôt que     ͜'    ͜    ͜  


Pour clāvĭcŭlă (DFL) > oc cavilhafr cheville..., FEW 2:759b donne clāvīcŭlă avec i long sans commentaire.


Pour lentĭcŭlăm (DFL) > "lentille", FEW 5:252a donne (trad.all.) : "Les formes romanes supposent généralement -īcula, comme it lenticchia, piém lentíah.engad. lentiɫa, cat llentía, également en gallo-roman [renvoi aux formes : oc lentilhafr lentille...] ; par contre l'esp lenteja, et une grande partie des dialectes italiens, supposent -ĭcula."



Pour ănătĭcŭlăm (DFL) : > AO anadilha, OM anedilha, andilha..., "pièce de fer fixée au centre d'une meule de moulin" ; > a.fr. et dial.oïl type aneille : la chute de t en français ne permet pas de conclure quant à la durée de i latin.


Pour cănīcŭlăm (DFL) > oc canilhafr chenille, FEW 2:188 donne aussi un i long ; les descendants sont en cohérence avec cette quantité.


(à continuer).





(Allongement de la voyelle latine devant gn ?)




β2. Tableau d'exemples (fermeture en tonique devant lh et nh)
latin LPC

occitan

français
 
forme attendue en occitan
l (ĭ, ĕ) en hiatus
-c´l-, -g´l-

-ilh-

-ill-

-elh-
clāvĭcŭlăm > *cāvĭc'lăm

cavilha

cheville

cavelha
cĭlĭŭm

(AO) clh, clha, cilh, cilha
cil, sourcil

celh, celha
fămĭlĭăm

familha (1)
famille

famelha
Măssĭlĭăm

Marselha, Marsilha
Marseille

Marselha
mĭlĭŭm

(AO) mlh, milh
mil

melh
strĭgĭlĕm > *strĭg'lăm

(AO) estrlha, estrilha
étrille

estrelha







n (ĭ, ĕ) en hiatus
-inh-

-ign-

-enh-
*lĭgnă(m)

linha, lenha (2)



lenha
tĭnĕă(m)

tinha, AO tenha
teigne

tenha
sĭgnŭ(m)

voir ci-dessus les dérivés de
sĭgnŭm











Tableau ci-dessus. Fermeture de la voyelle /é/ en /i/ devant /λ/, /ñ/ en tonique.


(1)Pour fămĭlĭăm, l'aboutissement oc familha est considéré comme mi-savant par J. Ronjat (GIPPM-1:), fr "famille" comme un emprunt (CNRTL).

(2) Pour *lĭgnăm : ne pas confondre avec līnĕăm > linha "ligne".




γ. En tonique alternée avec des formes atones


Dans plusieurs verbes ou dans plusieurs familles de mots, il y a alternance de formes rhizotoniques et téléotoniques, et on observe une fermeture de la voyelle devant lh ou nh. Il est difficile de dire si c'est la forme rhizotonique ou la forme téléotonique qui a été affectée d'abord par la fermeture, et qui a transmis cette fermeture par analogie à d'autres formes.


(GIPPM-1:138) "[...] un seul et même parler a assez souvent -e- dans certains mots et -i- dans d'autres : on peut voir là des réactions entre traitement tonique et traitement prétonique (cf. § 169), ex. velha / *vilhar, celh(a) / diminutif *cilhon, puis réfection de vilha, cilh(a) sur *vilhar, *cilho(n), de velhar, *celho(n) sur velha, celh(a) : cf. fr. soleil, teigne / tilleul, champignon, et au § 81 dins, etc.."



dĭgnŭm / dĭgnārĕ, sĭgnŭm / sĭgnārĕ
  

Pour sĭgnŭm "signe", il faut distinguer la voie savante > signe "signe", et la voie populaire > senh (fr "seing") ; les deux voies sont bien séparées : en AO les sémantismes et les orthographes sont bien distincts. Par contre pour senhar, signar, il est difficile de faire la part de (1) la voie savante et (2) de la voie populaire avec fermeture é > i devant nh. De même pour entresigne / entresenha, entresignar / entresenhar. Les sémantismes sont les mêmes pour les variantes avec i et les variantes avec e, et les orthographes sont très variables en AO (signar, sinhar, seignar, segnar, senhar, senar, cenar...).




Tableau d'exemples (tonique alternée avec des formes atones devant lh et nh)
  

latin LPC

occitan

formes attendues en occitan






bŭllīrĕ
bulhir, bulh (1)
"bouillir, ébullition"

bolhir, bolh (1)
*grĭllĭŭ(m)

grilhet, (dial.p.) grilhar, regrilhar, regrilha...
"grillon, germer, regermer, (il) regerme"...

grelhet, grelhar, regrelhar, regrelha...
mŏllĭā
mulhar ; (AO) muelhar, muilar
"mouiller"

molhar
tĭlĭă(m)

(AO) tlha, (prov) tilhós...
"tilleul, filandreux"...

telha, telhós...
 *scărăbaecŭlā
escarrabilhar

escarrabelhar
 *sĭgnŭm
voir ci-dessus les dérivés de
sĭgnŭm


tĭngĕrĕ
ténher / tínher

ténher
vĭgĭlāre > *vĭg'lāre , vĭgĭlĭăm > *vilia

(dial.p.) vilhar, revilhar, vilha...
"veiller, réveiller, veille"...

velhar, revelhar, velha...





Tableau ci-dessus. Fermeture de la voyelle /é/ en /i/ devant /λ/, /ñ/ en tonique alternée avec des formes atones (il existe aussi en général les "formes attendues" selon les régions).


(1) Pour bolhir, bulhir, le lh provient d'une contamination par des formes conjuguées latines (bullĭēbam...), voir bolir.







3. Mots adoptés tard dans la langue ? (le "yod tardif")


Les linguistes ont développé la notion de "yod tardif" pour certains mots comme līnĕŭ(m) > linge "linge". Je propose une révision de cette notion ci-dessus à type līnĕŭm > linge.




E. Évolution de c + ĭ, ĕ en hiatus
 
1. Cas général pour + c  + ĭ, ĕ en hiatus

De nombreux mots latins contiennent kĭ, kĕ en hiatus : glăcĭăm "glace", călcĕārĕ "chausser", pĭscĭōnĕm "poisson"... Ces mots évoluent selon le schéma ci-dessous.



a. Schéma général (c  + ĭ, ĕ en hiatus)


/k/  + ĭ, ĕ en hiatus  >  AO /ts/   >   ç /s/




b. Détails (c  + ĭ, ĕ en hiatus)

Au cours du Ier siècle après J.-C., on obtient /ky/ qui se prononce en fait /kç/. Puis vers le milieu du IIe siècle après J.-C., l'assimilation de ç à k provoque la palatalisation de k : /kç/ > // (IPHAF:66, 178).


Très rapidement (IIe siècle), il y a assibilation avec affrication de cette nouvelle consonne : // > /͜ts/ (IPHAF:81)


(Mais je me demande s'il n'y a pas directement passage de /kç/ à /͜ts/).


Pour /͜ts/ intervocalique, la sonorisation (vers l'an 400) n'est pas possible car cette consonne se comporte comme une géminée (IPHAF:82). Ainsi, que ce soit après consonne ou après voyelle, c  + ĭ, ĕ a un aboutissement unique (mais il faut distinguer le cas sk + ĭ, ĕ, voir ci-dessous).


L'évolution ultérieure montrera : à partir de la fin du VIe siècle, une dépalatalisation ; vers l'an 1200, une "désaffrication" (perte de la composante occlusive de l'affriquée). Les dates qu'on vient de donner concernent le français (IPHAF:82). Concernant l'occitan, les dates sont à rechercher ; on trouve les graphies cz, ç, z, tz, ts en AO, représentant des affriquées.


En bilan, on aura (1) pour kĭ, kĕ en hiatus :


cĭ, cĕ /ké, ki/  >   (Ier siècle) /kç/   >  (IIe siècle) // >   (IIe siècle) /͜ts/  >  (VIIe siècle) /ts/ parfois écrit "ç" >   (vers 1200 ?)  /s/ écrit "ç"



c. Évolutions dialectales particulières

(à faire).




c. Cas voyelle + ccĭ + voyelle, gémination de c simple (?)

Cas voyelle + ccĭ + voyelle


Pour le moment, je n'ai trouvé que bĭsaccĭŭm > *bĭsaccĭăm > AO beasa, biasa > biaça "besace".

On a donc le même résultat que pour c simple.



Gémination de c simple (?)

La gémination de c devant yod est proposée par X. Gouvert (in DÉROM2-PLRT:42, lui-même reprenant Lausberg). Il ne développe pas cet aspect, explique simplement que fr bras, esp brazo, port braço proviennent de [brak-kyʋ] et rattache simplement ce phénomène au renforcement consonantique devant yod.

Cette hypothèse interfère avec la résistance à la sonorisation de k  + ĭ, ĕ décrite ci-dessus.






d. Origine de la cédille

Aujourd'hui, que ce soit pour le latin c + ĭ, ĕ ou pour consonne t + ĭ, ĕ + l'aboutissement actuel /s/ se transcrit par c cédille (ç) en graphie "classique", même en fin de mot (braç) (PCLO: 41). La cédille représente l'ancien son /ts/. En graphie mistralienne, la cédille est employée


Voir la partie détaillée à part : Origine de la cédille.



Cédille

las lanças "les lances" (Cid), voir Origine de la cédille.






e. Tableau d'exemples (c  + ĭ, ĕ + hiatus)






latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

AO > OA

en hiatus
>
/ts/ > ç /s/
en hiatus >



-ācĕŭm, -ācĕăm >
-às, -assa (1)
Albūcĭōnĕm >
Aubuçon "Aubusson" (23)
bĭsaccĭŭm > *bĭsaccĭăm >
AO beasa, biasa > biaça "besace"
brāchĭŭm /braː-ki-ʋm/ >
braç "bras"
călcĕăm /kal-ké-am/
>
> cauça "chausse"
călcĕārĕ /kal-ké-aː-ré/
>
cauçar "chausser"
Calvīcĭōnĕ(m)
>
Cauviçon "Calvisson" (30)
dŭlcĭăm /dʋl-ké-am/
>
douça "douce"
erīcĭŭm /é-riː-ki-ʋm/ >
/érits/ (> eiriçon "hérisson")
făcĭō /fa-ki-oː/
>
AO /fats/ ("je fais")
făcĭăm /fa-ki-am/ (2)
>
faça "face") (2)
fàcia "face"
făcĭĕm /fa-ki-ém/
>
/fats/ fatz AO "face"
Frăncĭăm /fran-ki-am/ (3)
>
França "France"
glăcĭĕm /gla-ki-ém/
>
/glats/ (> glaç "glace")
Graecĭăm /graé̯-ki-am/
>
Grèça "Grèce"
lăncĕăm /lan-ké-am/
>
lança "lance"
mĭnācĭăm /mi-naː-ki-am/

menaça "menace"
picĕăm
>
(fr-pr) pèço
*pīncĭōnĕ(m)
>
pinçon, quinçon "pinson"
*Retĭcĭānŭ(m)
>
Redeçan "Redessan" (30)
*Scocĭă(s) (TGF1:623)

Écuisses (71) (4)
senecĭōnĕ(m)
>
seneçon (ou voie savante ?)
*trŭncĕŭm /trʋn-ké-ʋm/
>
*tronç + -on (> AO tronçon "tronçon")
ŭncĭăm /ʋn-ki-am/
>
onça "once"






Tableau ci-dessus : évolution de cĭ, cĕ en hiatus (après voyelle ou après consonne autre que s). Les deux premières colonnes présentent les coupures syllabiques par des traits d'union. L'accent est marqué par le soulignage de la voyelle. En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne.


(1) -aç, -aça serait l'orthographe logique, mais -às, -assa semble consacré par l'usage.

(2) Pour făcĭăm, la variante héritée facha existe dans des textes en AO (prononciation ?) ; la considération de l'ensemble des autres mots du tableau montre que cette variante a probablement été importée très anciennement (depuis la péninsule ibérique ou depuis l'Italie, ou Alpes ?).

(3) Frăncĭă est attesté dès Ausone, au IVe siècle après J.-C.

(4) Pour *Scocĭăs > Écuisses, je ne m'explique pas la diphtongaison ui ; le latin *Scocĭăs aurait mené en français à Écosse (o bref), Équeusse, ou Écousse (o long).



2. Cas sc + ĭ, ĕ en hiatus


Schéma général :


         (voir carte ALF 1052 "poisson" < pĭscĭōnĕm, pĭscĕm)


     /sk/ + ĭ, ĕ en hiatus   >    OA   iss /s/


gascon : /sk/ + ĭ, ĕ en hiatus  >  /ʃ/ ou / ʃ/



Le cas est similaire à celui de sce, sci (deuxièmes palatalisations).


Détails :

Pour le cas de sc + ĭ, ĕ en hiatus (pĭscĭōnĕm > peisson "poisson"), la palatalisation a dû commencer comme le cas général ci-dessus (consonne + c + ĭ, ĕ en hiatus), mais à l'obtention de l'affriquée, la composante occlusive de celle-ci a très probablement disparu rapidement, bien avant l'an 1200 car le groupe /s͜ts/ est difficile à prononcer. Selon F. de La Chaussée (IPHAF:75), ce groupe consonantique se simplifie par assimilation réciproque : /s͜ts/ > /s's'/, et la présence d'une demi-palatale fait apparaître un i diphtongal (voir i diphtongal de transition).


Le cas rejoint donc l'évolution de stĭ, stĕ et l'évolution de ssĭ, ssĕ ci-dessous.

 

scĭ, scĕ /ski, ské/ > (Ier siècle) /skç/ > (IIe siècle) /s/ > (IIe siècle) /s͜ts/ > /i̯s's'/ > /i̯ss/



Tableau d'exemples :







latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

latin LPC
(Ier après J.-C.)

AO > OA

scĭ, scĕ en hiatus >
/sky/ > /skç/ >
iss /i̯s/





ăscĭăm /fas-ki-am/ >
/as-kça/ >
/ai̯sa/ (> aissa, aisseta "herminette"...)
ăscĭătăm /fas-ki-am/ >
/as-kçata/ >
/ai̯sada/ (> aissada "houe")
făscĭăm /fas-ki-am/ >
/fas-kça/ >
/fai̯sa/ (> faissa, a.fr. "faisse")
pĭscĭōnĕm /pis-ki-oː-ném/
>
/pis-kço-né/
>
/péysóne/ (> peisson "poisson")
*ex-pōscĭāre /ex-pós-ki-aː-ré/
>
/ex-pós-kça:-ré/
>
/espoysar/ (> espoissar "éclabousser") (1)










Tableau ci-dessus : évolution de sc + ĭ, ĕ en hiatus. Les deux premières colonnes présentent les coupures syllabiques par des traits d'union. L'accent est marqué par le soulignage de la voyelle.


(1) espoissar : voir discussion à esposcar esposcar.


3. Cas rc + ĭ, ĕ en hiatus


D'après ce qui précède, normalement rk + ĭ, ĕ en hiatus > .


C'est effectivement qu'on obtient dans *arcĭōnĕm > arçon "arçon" ; peut-être AO arzon avait la même prononciation (zao).


Mais dans ŭrcĕŏlŭm a donné AO orjǫl, orzǫl "cruche, pot", OA pr orjòu, lim arzolet. Ces formes semblent irrégulières. Elles ont pu être influencées par hŏrdĕŏlŭm > orjòu, arzòu "orgelet". Ou bien il s'agit d'un cas apparenté à lge, lgi, rge, rgi ?






F. Évolution de r + ĭ, ĕ en hiatus

Schéma général (r + ĭ, ĕ en hiatus)


Plusieurs mots latins contiennent rĭ, rĕ en hiatus : fērĭă "fête", mĭnĭstĕrĭŭm "fonction de serviteur"...


Schéma général :


r + ĭ, ĕ en hiatus
> ir /i̯r/

> -r en finale après les apocopes (-ador, cuer)

> /rdj/ rarement (serọrge ci-dessous)



(Il faut que je recherche des cas consonne + r + ĭ, ĕ : il doit y avoir muta cum liquida + ĭ, ĕ : patria, avec aboutissement populaire en occitan)



Détails (r + ĭ, ĕ en hiatus)

Au cours du Ier siècle après J.-C., on obtient /ry/. Ce n'est que vers la fin du IIIe siècle et le début du IVe siècle après J.-C. que le y s'assimile au r qui subit alors une demi-palatalisation (IPHAF:73). On obtient /ry/ > /r'/ : au cours de la demi-palatalisation, il y a apparition d'un i diphtongal (voir ci-dessous i diphtongal de transition).


Selon IPHAF:63 : "le r apical, en raison des battements de la pointe contre les alvéoles, ne peut pas subir, sans faire disparaître ces battements, une élévation considérable du dos de la langue : le r ne se palatalise donc jamais complètement, du moins en domaine français." On obtiendra donc un r demi-palatal : r'.


Le r palatalisé provoque aussi une diphtongaison conditionnée (par r) de ĕ et ŏ toniques antécédents, (voir aussi pour des cas difficiles à expliquer : ārĕăm > iera, fērĭăm > fiera).


Pour le fr. "huître", dans ŏstrĕăm > huistre, je pense qu'on a affaire à un cas remarquable de palalisation régressive, avec contamination de la palatalisation sur deux voyelles antécédentes s et t (cas irrésolu dans IPHAF:39). En occitan, le traitement est considéré comme savant : ústria.



Évolution de type : sŏrōrĭŭm > serọrge

Ce type d'évolution appartient à consonne + ĭ, ĕ en hiatus > consonne + /dj/ ci-dessus.



r + ĭ, ĕ > /rdj/


*bŭrrĭōnĕ(m) > "bourgeon"


cērĕŭ(m) > "cierge"


Fĕrrĕŏlŭ(m) > Saint-Fergeux (08), Saint-Ferjeux (70), Saint-Fargeau (77 : de S. Fergiolo, année 1184, 89), Saint-Forgeux (69), peut-être Saint-Fréjoux (19), (S. Freioll, année 1100) (DENLF:598)


fĕrrĕŭ(m) > a.fr. ferge, fierge "chaîne, lien fermant à clef"


*pŏrrĭōnĕ(m) > a.fr. et dial.oïl porjon, pourjon "poireau..."

   

sŏrōrĭŭ(m) > a.fr. et dial.oïl serorge, AO serrge "beau-frère" (AO serrga est plutôt une analogie sur le type clrgue-clrge / clrga qu'un héritage d'un *sŏrōrĭcăm)


   


Prononciation avec yod épenthique ?

Une prononciation avec yod épenthique (cērĕŭm */kéːréyyʋ/ ) permettrait de résoudre le problème cērĕŭ(m) a.fr. cirge "cierge" soulevé par (IPHAF:86) : cirge provient normalement de *cieirge (voir iei > i) ; cela pose un problème car *cieirge requiert la diphtongaison française de /é/. Celle-ci ne peut pas se réaliser si /é/ est entravé par g. Mon hypothèse permet de considérer un /é/ non entravé :



français :



cērĕŭ(m) */kéːréyyʋ/
> */͜ts éːré ʋ/   ou  */͜ts éːrə ʋ/ 
> */͜ts éːrə ó/
> (action fermante de la palatale sur é subséquent) */͜ts éːrə ó/



Voie 1 : syncope précoce

> (vers le VIIe s. : syncope, dépalatalisation, etc.) /tsi̯ érdjó/ fr "cierge" (hypothèse 1)


Voie 2 : syncope tardive

> (VIe s. : diphtongaison française) */͜ts i̯ é rə ó/
(ici, i̯r  est donc obtenu d'une façon très différente de la palatalisation du r ci-dessus)

> (iéi > i) */͜tsrə ó/
> (vers le VIIe s. : syncope, dépalatalisation) /tsiːrdjó/
> (ó final > ə ou é ?) /tsrdjə/ ou /tsrdjé/
> (XIIe s. : désaffrication) /srjə/ ou /srjé/    a.fr. cirge "cierge"
> (date ? effet ouvrant de r ?)  /si è̯ rjə/
> (bascule des diphtongues) /si̯ è rjə fr "cierge" (hypothèse 2)






Évolution en finale : */-i̯ró/ > /-r/


Au moment des apocopes, */-i̯ró/ > */-i̯r/ s'est simplifié en /-r/. Le i diphtongal a disparu ; peu d'attestations montrent son maintien en AO (variante mestieir pour mestier).


En effet -ātōrĭŭ > -ador, mais -ātōrĭă > -adoira (le i diphtongal est conservé si l'apocope ne peut pas se réaliser à cause du -a résistant).

Également : -ōrĭŭm-or (excŭssōrĭŭm > escossor), cŏrĭŭm > cuer "cuir", Cŏrĭŭs > Cuèrs "Cuers" (83), *quærĕō > quȩr, quiȩr.


Le cas se rapproche de la simplication ieir > ier.


Par contre en français, -ātōrĭŭ > a.fr. -eoir : le i diphtongal est bien conservé. Je pense que son évolution rejoint celle de ē (tēlăm > toile) au stade /ói̯/ (*/tói̯lə/).



-ārĭŭs, -ārĕă

À faire.

Voir notamment IPHAF:122-123, Fouché, AVO:5-9.

(AVO:8) "j'admettrai donc une évolution uniforme de -ai- ancien (issu de métathèse) en [-εj-] (...)"




Tableaux d'exemples pour r + ĭ, ĕ en hiatus


latin LPC

occitan
rĭ, rĕ en hiatus >
/i̯r/,
-r en finale après les apocopes
(-ador, cuer)



-ārĭŭ(m) >
-ier "-ier"
-ātōrĭă(m) >
-adoira, a.fr. -eoire, "-oire"
-ātōrĭŭ(m) >
-ador a.fr. -eoir, "-oir"
ārĕă(m) (1) >
ièra "aire" (1)
(ăriĕtĕm) >
(cas particulier : ărjĕtĕm "bélier" ci-dessus)
*clārĕă(m)
>
glaira (et clara ?) "glaire ; blanc d'œuf)
cŏrĭŭ(m)
>
cuèr "cuir"
Cŏrĭŭs
>
Cuèrs "Cuers" (83)
*exclārĭā >
esclairar "éclairer"
extĕrĭŭs
>
AO estiers "autrement"
fērĭă(m) (1)
>
AO fieyra, fȩira, fiera > fiera, (l) fièira... "foire" (1)
fōrĭă(m) (2)
foira "foire, diarrhée"
glārĕă(m)
>
glaira "gravier"
mĭnĭstĕrĭŭ(m) > *mĭstĕrĭŭ(m)
>
mestier "métier"
mŏnastērĭŭ(m)
>
monastier, mostier "monastère"
(păriĕtĕm) >
(cas particulier : părjĕtĕm "mur" ci-dessus)
*quærĕō
>
AO quȩr, quiȩr "je cherche"
Quarĭātĕs
>
Cairàs "Queyras" (05)
*tĕrĭă(m)
>
tieira > tiera "tire"
vărĭā
>
vairar "changer de couleur"
vărĭātŭ(m)
>
vairat "maquereau"
vărĭŭ(m) >
AO vair, vaire, var, vari "vair"
vărĭōlă(m) >
vairòla "vérole ; variole"






Tableau ci-dessus : évolution de rĭ, rĕ en hiatus en LPC et aboutissements en occitan. Pour le français, on peut citer aussi : părĭăm > paire, *clārĭŭm (?) > clair ; pour le portugais : cŏrĭŭm > (portugais) coiro (FLTS:184).


(1) Pour ārĕăm, fērĭăm, la diphtongaison est difficile à expliquer, voir "diphtongaison devant r palatalisé". Pour ārĕăm, l'évolution semble la même que pour le délicat suffixe -ārĭŭm, -ārĭăm.

(2) Pour fōrĭăm, il semble que le o latin soit long (et non fŏrĭăm) conformément aux formes des langues romanes actuelles (FEW 3:713a,b). En effet, un o bref aurait conduit à oc fueira.





Occlusive + r + ĭ, ĕ en hiatus


Selon




G. Évolution de s + ĭ, ĕ en hiatus

Certains mots latins contiennent sĭ, sĕ en hiatus : bāsĭārĕ "baiser", *bassĭārĕ "baisser"...

Pour schématiser :


s + ĭ, ĕ en hiatus > is /i̯z/


ss + ĭ, ĕ en hiatus > iss /i̯s/


Au cours du Ier siècle après J.-C., on obtient /sy/. Puis vers le milieu du IIe siècle après J.-C., l'assimilation de y à s provoque la demi-palatalisation de s, conduisant à la nouvelle consonne s'. Il faut distinguer alors les cas ci-dessous.


Il faut noter que dans les cas ci-dessous, le ̯s' provoque la diphtongaison conditionnée (par ̯s') de ĕ, ŏ toniques (*cĕrĕsĭă, ecclēsĭă, *pŏssĭō).



1. Voyelle + sĭ, sĕ + voyelle


Schéma général (voyelle + sĭ, sĕ + voyelle)

s + ĭ, ĕ en hiatus > is /i̯z/



Détails (voyelle + sĭ, sĕ + voyelle)


Pour les mots comme bāsĭārĕ "baiser", ecclēsĭăm "église", la demi-palatalisation de s se réalise ainsi :  /sy/ > /s'/. Au cours de la demi-palatalisation, il y a apparition d'un i diphtongal (voir i diphtongal de transition). 


Puis vers l'an 400, la demi-palatale s' subit la sonorisation. (Remarque : cela prouve que i n'est pas un y, sinon il ferait entrave et il n'y aurait pas sonorisation, PHF-p.:157).

Donc : /s'/ > ? (probablement un z demi-palatal ; IPHAF:80 comporte une erreur). Puis à partir de la fin du VIe siècle, il y a dépalatalisation et aboutissement à /z/.




Tableau d'exemples (voyelle + sĭ, sĕ + voyelle)



latin LPC

occitan
voyelle + sĭ, sĕ en hiatus >
is /i̯z/
Alĕsĭă(m)

n.d.l. Alise (?)
artĕmīsĭă(m) / artĕmēsĭă(m) >
artemisa, lim armisadial.oïl armise / (*armeise >) armoise (FEW 25:360-365)
bāsĭā >
baisar "baiser"
*cĕrĕsĭă(m) (1) >
cerièisa "cerise" (1) (2)
*clausĭōnĕ(m)
>
clauz n(AO), clauson "cloison" (ausy ci-dessous)
ecclēsĭă(m) > eclĕsĭă(m) >
glièisa, glèisa "église" (2)
făsĕŏlu(m) >
faizǫl (AO), faiòu, faviòu, fajòu (Var), fasiòr, fasuel "haricot"
fūsĭōnĕ(m) > *fŭsĭōnĕ(m)
>
foison "foison"
ma(n)sĭōnĕ(m)
>
maison "maison"
*nasĭā
>
AO naizar > naisar ("rouir le chanvre")
nausĕă(m)
>
AO nǫiza, nauza "noise" (ausy ci-dessous)
occāsĭōnĕ(m)
>
AO ocaizn, lim.a. enchaison, a.fr. ochaison
> AO ocaziọn, a.fr. occasiun, oc ocasion, fr. "occasion"
pĕrtūsŭs > *pĕrtūsĭā >
a.fr. pertuisier "percer" (3)
*pĕrtūsĭŭ(m) >
AO pertuis "trou" (3)
phāsĭānŭ(m) >
AO faizan, fazan, faian "faisan"
prĕhĕnsĭōnĕm > prēsĭōnĕ(m)
>
preison "prison"
*pūtĭnāsĭŭ(m) >
AO putnais, punnais "punais, puant" (voir "punaise")
tonsĭōnĕ(m) > *tōsĭōnĕ(m)
>
AO toizn "toison"
Vasĭōnĕ(m)
>
Vaison "Vaison"






Tableau ci-dessus : évolution de sĭ, sĕ en hiatus. En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore i après s.


(1) Pour *cĕrĕsĭăm > cerièisa "cerise", P. Sauzet propose l'étymon attesté cĕrăsĕăm. (AVO:9, à étudier). Mais un étymon *cĕrĕsĭă pourrait s'expliquer par l'apophonie des emprunts au grec.

(2) *cĕrĕsĭăm, eclĕsĭăm subissent une diphtongaison conditionnée devant s palatalisé (en occitan comme en français).

(3) Pour *pĕrtūsĭārĕ (voir FEW 8:290b), on n'a que le représentant AO pertuzar ; il semble donc que l'étymon soit *pĕrtūsārĕ, mais on a les deux formes AO pertús < pĕrtūsŭm / pertuis < *pĕrtūsĭŭm. Pour pertuisier / percer, voir les interactions entre formes rhizotoniques et téléotoniques.




2. Diphtongue au + sĭ, sĕ + voyelle

Voir aussi étude de -aus-.


Schéma général :


aus + ĭ, ĕ en hiatus > aus /aʋ̯z/

                                      (parfois ois /ʋi̯z/, òis /òi̯z/)



latin LPC

occitan
au + sĭ, sĕ en hiatus >
aus /aʋ̯z/



*clausĭōnĕ(m)
>
clauzn (AO), clauson "cloison"
nausĕă(m)
>
AO nauza, nǫiza "noise"



Tableau ci-dessus : évolution de au + sĭ, sĕ en hiatus.


Pour l'occitan :

Comme pour le schéma général ci-dessus, *clausĭōnĕm > clauson "cloison", nausĕăm > AO nauza, nǫiza "noise", l'évolution montre la sonorisation de /s'/. Mais les descendants AO et actuels ne contiennent jamais la "triphtongue" aui, et en général le résultat est la disparition de i au profit du maintien de la diphtongue au (voir aussi aucèu). On peut penser que la triphtongue *aui était trop complexe à prononcer et qu'elle s'est simplifiée souvent en au.



Pour le français :


En français, les descendants ont toujours oi ("cloison", "noise", voir aussi "oiseau"), voir digramme oi.


Yves-Charles Morin donne : "La diphtongue proto-française [au̯], [est devenue] [ɔi̯] devant consonne palatalisée, comme dans noise < NAUSĔĂM." (HSPGF:6).


Si [au̯] s'est d'abord monophtonguée en [ó], on doit se poser la question de la date de cette monophtongaison. Les linguistes estiment que pour le français, il y a eu : 1. palatalisation, 2. monophtongaison.

Cela implique l'évolution aui > oi : (PHF-f2:285) nausea > *náoi̯sya > *nǫi̯s(y)a > "noise".


F. de La Chaussée date la monophtongaison au > ó de la fin du Ve siècle (IPHAF:117,189). Si le i diphtongal est apparu vers le IIesiècle (voir les différents schémas détaillés ci-dessus), cela suppose un maintien de cette triphtongue pendant plusieurs siècles. Cela semble difficile à envisager, surtout au regard de l'occitan où il est quasi-certain qu'un i diphtongal soit apparu au contact de la diphtongue au, avec l'évolution fréquente : aui > au. Donc je pense que dans les cas "au + sĭ, sĕ + voyelle" et  "-auce-", il a pu y avoir monophtongaison précoce en français, avant ou en même temps que les palatalisations (IIe siècle).







3. Voyelle + ssĭ, ssĕ + voyelle

Schéma général :

ss + ĭ, ĕ en hiatus > iss /i̯s/



Détails :


Pour le cas de ssĭ, ssĕ (*bassĭārĕ "baisser", messĭōnĕm "moisson"), le deuxième s palatalise le premier (voir par exemple PHF-p:195). C'est une palatalisation régressive.


F. de La Chaussée indique (pour le français) "la géminée ss est la seule à se comporter devant y comme la simple" (IPHAF:38). Cela signifie que le i diphtongal apparaît devant s, comme devant ss : il y a sans doute évolution /ss'/ > /s's'/ > /i̯ss/. 


Mais comme le s est double, on ne peut pas avoir sonorisation vers l'an 400, et on aboutit à /s/.


Il faut remarquer qu'on obtient le même résultat que pour sc + ĭ, ĕ  et st  + ĭ, ĕ (ci-dessus).


Exemples :


latin LPC

occitan
voyelle + ssĭ, ssĕ en hiatus >
iss /i̯s/



*bassĭā >
baissar "baisser"
*crassĭă(m)
>
graissa "graisse"
messĭōnĕ(m) >
meisson "moisson"
*pissĭā >
pissar "pisser"
*pŏssĭō >
AO pues... (1) > d, a poei, pois "(je) puis, peux"






Tableau ci-dessus : évolution de ssĭ, ssĕ en hiatus.


(1) *pŏssĭō subit une diphtongaison conditionnée devant s palatalisé (en occitan comme en français).




H. Évolution de t + ĭ, ĕ en hiatus

Ci-dessous je distingue deux grandes situations : V + tĭ, tĕ et C + tĭ, tĕ.


À l'initiale, il doit être possible de trouver des mots romans actuels montrant une palatalisation de t à l'initiale (à rechercher). Tĭāră "tiare", thĕātrŭm "théâtre" ne semblent avoir que des issues savantes, cependant voir l'inscription ci-dessous ampitζatru pour amphĭthĕātrŭm).



1. Voyelle + tĭ, tĕ + voyelle



Il faut noter que [voyelle + tĭ, tĕ + voyelle] rejoint l'évolution de ke, ki en position faible, qui la suit de peu dans le temps, mais qui n'aura jamais de i diphtongal en occitan.


De nombreux mots latins contiennent voyelle + tĭ, tĕ en hiatus : pălātĭŭm "palais", rătĭōnĕm "raison"...


Schéma général :


voyelle + t + ĭ, ĕ en hiatus > voyelle + -(i)s- /-()z-/


voyelle + t + ĭ, ĕ en hiatus > voyelle + -(i)tz /-()s/ (en finale après les apocopes)


(en français, l'aboutissement phonétique est le même, avec un i diphtongal systématiquement présent)


Détails :

Au cours du Ier siècle après J.-C., on obtient /ty/. Puis vers le milieu du IIe siècle après J.-C., l'assimilation de y à t provoque la demi-palatalisation de t. On obtient /ty/ > /(i̯)t'/ : au cours de la demi-palatalisation, il y a souvent apparition d'un i diphtongal (voir ci-dessous i diphtongal de transition). Voir juste ci-dessous l'étude du i diphtongal devant t + ĭ, ĕ en hiatus.


Très rapidement (IIe siècle), il y a assibilation avec affrication de la nouvelle consonne : /t'/ > /ts'/ (IPHAF:81).


Attestations antiques :


Dans le defixio (Audollent 253) trouvé dans l'amphithéâtre de Carthage (actuelle Tunisie), datant du IIe siècle après J.-C., l'emploi de dzêta (ζ) montre sans doute l'assibilation de ty (ILV:54) :


[...] Vincentζus Tζariζo in ampitζatru Cartang[in]is in ζie Merccuri in duobus cinque in tribus nove [Vi]ncentζo Tζaritζoni quen peperit Concordia ut urssos ligare non possit in omni ora in omnni momento in ζie Merccuri [...] (Audollent 253 in PRHMAC:136-137)


(trad. PRHMAC:136) "Vincentius Tzarizo, dans l'amphithéâtre de Carthage, le jour de Mercure, dans deux cinq, dans trois neuf. [Envoûtez] Vincentius Tzaritzo que Concordia a mis au monde, pour qu'il ne puisse enchaîner les ours à aucune heure, à aucun moment, le jour de Mercure [...]"


Commentaires sur ce dernier extrait :

- On voit que Vincentius et amphitheatrum sont écrits avec ζ à la place du yod (pour le p de ampitζatru, voir φ > p) : ty a abouti à une sibilante affriquée (il est difficile de dire quel type de sibilante s'est formée, puisque le système graphique ne permettait pas d'être plus précis ; on peut également se demander pourquoi le scribe a écrit ζ et non s : le son différait-il de s ? Ou bien le scribe, sans doute suivant une tradition locale, a-t-il utilisé la lettre grecque pour marquer le caractère informel de l'orthographe ?).

- Le nom Tzaritzo, Tzaritzonis est sans doute d'origine carthaginoise (thèse Venationes africanae:174).

- in ζie pour in diem "le jour" montre sans doute aussi la palatalisation de d + ĭ, ĕ en hiatus.

- Dans Vincentius, apparemment c dans -ce- n'est pas encore affriquée : on peut penser que le scribe aurait écrit quelque chose comme Vintζentζus, tζinque, quoique ce, ci n'ont pas le même aboutissement que ty en italien (Vincenzo). Cela confirmerait que la palatalisation de ke, ki en position appuyée est plus tardive (ILV:54). On pourra opposer qu'aujourd'hui, la graphie it Vincenzo "Vincent" conserve c latin alors qu'il est prononcé [tʃ]. Il faut aussi remarquer que la graphie tζ employée au IIe siècle reste encore en usage sous la forme z (Vincenzo). (

___________________

Crescentsianus pour Crescentianus (CIL XIV, 246) de l'année 140 après J.-C.

__________________


Dans Prob,46 "Theophilus non Izophilus" a donné lieu à plusieurs hypothèses, notamment axées sur une palatalisation ty > tz.


En effet, peut-être faut-il comprendre : "Theophilus non Tzophilus" comme l'ont dit certains auteurs (voir discussion à Prob,46).

  

__________________


(Pomp.Gr., GL5 286, j.m.c.g., v.c.d.e.<s>) Iotacismi sunt, qui fiunt per i litteram, siqui ita dicat, Titius pro eo quod est Tit<s>us, Aventius pro eo quod est Avent<s>us, Amantius pro eo quod est Amant<s>us. quo modo ergo hoc fit vitium? definiamus illud, et videbimus. postea, quo modo cavere debemus. fit hoc vitium, quotiens post ti vel di syllabam sequitur vocalis, si non sibilus sit. quotienscumque enim post ti vel di syllabam sequitur vocalis, illud ti vel di in sibilum vertendum est. non debemus dicere ita, quem ad modum scribitur Titius, sed Tit<s>us; media illa syllaba mutatur in sibilum.


Explication de <s> dans la retranscription du manuscrit ci-dessus :

1. Le manuscrit contient : Titius pro eo quod est Titius, Aventius pro eo quod est Aventius, Amantius pro eo quod est Amantius. Donc si on traduit : l'erreur serait de dire "Titius au lieu de Titius, Amantius au lieu de Amantius, etc." : cela ne veut rien dire. Les linguistes ont donc tenté de corriger cette apparente aberration, j'utilise ici <s>.

2. Certains linguistes estiment que l'auteur voulait écrire Titsius comme forme correcte. Or Pompeius écrit (trad.lat.) "ce ti ou ce di doit être changé en sifflante". Il voulait donc sans doute écrire Titsus (comme le fait remarquer J. N. Adams, GLA:99-100, et comme cela est conforme à l'évolution phonétique connue : rationem > *ratsone > *radzone > "raison").
3. Selon Adams (GLA:100), le plus probable est que Pompeius dictait à son scribe, que ce dernier aurait bien écrit Titsus, et qu'un copiste aurait plus tard "corrigé" en Titius, par mauvaise compréhension du manuscrit (GLA:100).


(prop.tradu.) "Les iotacismes sont ceux [les défauts] qui concernent la lettre i, par exemple lorsqu'on dit Titius au lieu de Titsus, Aventius au lieu de Aventsus, Amantius au lieu de Amantsus. En quoi cela est-il un défaut ? Décrivons cela, puis nous verrons comment l'éviter. Ce défaut consiste à ne pas prononcer de sifflante (sibilus) chaque fois qu'une voyelle suit la syllabe ti ou di. En effet, chaque fois qu'une voyelle suit la syllabe ti ou di, ce ti ou ce di doit être changé en sifflante. Nous ne devons pas dire Titius comme il est écrit, mais Titsus, avec la syllabe médiane changée en sifflante."


Commentaires sur ce dernier extrait :


- Pompeius prône une prononciation bien différente de celle du latin classique : [ts] et [dz]. Selon LL:275, sa position semble s'inscrire dans le cadre d'un renoncement aux règles de prononciation du latin classique (mais ici Pompeius va plus loin en condamnant la prononciation du latin classique, ou une prononciation apparentée : /titiʋs/ ou /tityʋs/).


- Cet extrait illustre bien le style de Pompeius : sens très clair, avec des phrases simples et avec des répétitions. Ce style a conduit certains linguistes à estimer que Pompeius était peu érudit, c'est possible mais à l'opposé, on peut estimer que ce style était utilisé dans le but de faire passer le message au plus grand nombre. On peut aussi se demander s'il connaissait la prononciation classique de Titius ; ou bien il la connaissait très bien mais il se mettait à un certain niveau pour enseigner la prononciation courante.






À l'intervocalique, vers l'an 400, la demi-palatale /ts'/ subit la sonorisation (voir ci-dessus la sonorisation des demi-palatales). Donc : /ts'/ > /dz'/.


À partir de la fin du VIe siècle, plutôt au VIIe siècle, une dépalatalisation affecte dz'. Puis vers l'an 1200, une "désaffrication" se réalise, c'est-à-dire une perte de la composante occlusive de l'affriquée (occitan : XIIIe siècle, LT:15 ; français vers l'an 1200, IPHAF:82). En AO comme en a.fr., on trouve les graphies dz, tz, représentant bien des affriquées. Mais la consonne z peut très bien représenter aussi l'affriquée à elle seule.



En bilan, on aura pour tĭ, tĕ en hiatus après voyelle :


tĭ, tĕ > (Ier siècle) /ty/ > (IIe siècle) /(i̯)t'/ > (IIe siècle) /(i̯)ts'/ > (vers l'an 400) /(i̯)dz'/ > (VIIe siècle) /(i̯)dz/ > (vers 1200) /(i̯)z/


Il faut noter que /t'/ semble bien provoquer une diphtongaison conditionnée (par t') de ĕ, ŏ toniques en français, mais pas en occitan.



Type rătĭōnĕ(m) > AO rezọn


Jules Ronjat (GIPPM-2:389) propose une explication à (AO) rezn "raison" : dissimilation a-a > a-e dans rătĭōnĕ > arra- > arrezon > rezon. Le mot reson dans ce cas n'est donc pas un francisme.


Pour les autres mots du même type (OM oreson, rogueson, seson), il s'agit soit de francismes, soit d'influences analogiques à partir de AO rezn.




Évolutions dialectales particulières :


Comme [voyelle + tĭ, tĕ + voyelle] rejoint l'évolution de ke, ki en position faible à une date très précoce, ces évolutions dialectales doivent recouper les évolutions dialectales de ke, ki en position faible (vīcīnŭm > vesin).


- Dauphinois (d) : on peut penser qu'il y a toujours i diphtongal (voir ci-dessous dans le tableau : raison, saison), mais il faudrait étudier plus de mots, si c'est possible. Cette évolution semble rejoindre la présence systématique du i diphtongal pour l'évolution dauphinoise de ke, ki en position faible.

Voir notamment Gratiapolitanum > Graisivaudan (avec ai).


- Bordelais (sous-dialecte du gascon) (bord) : souvent tĭ, tĕ > d :


*ăcūtĭārĕ > agudar "aiguiser"

dīcĕrĕ > dider [didé] "dire"

făc(ĭ)ē(b)ăt > hadé "il faisait"

pōtĭōnĕm > podon "poison"

răcēmŭm > *răcīmŭm > arradim "raisin"

Cette évolution est attestée dès le XIIIe siècle (GIPPM-2:121-122). Elle est conforme à l'évolution bordelaise de ke, ki en position faible, et elle rejoint l'évolution aquitaine de d intervocalique. Certains mots n'ont jamais d'aboutissement d : rătĭōnĕm, sătĭōnĕm (mots très sujets à emprunt selon GIPPM-2:122). Il est possible que l'aboutissement d soit une réduction du stade /dz'/ ou /dz/ ; J. Ronjat parle de réduction à d de [dz] (GIPPM-2:121). Ainsi seule la composante occlusive de l'affriquée aurait demeuré en bordelais, alors que seule la composante sifflante aurait demeuré dans les autres dialectes.


- Gascon (g) : finale parfois > -ch : ?


- Nord-occitan (n.-o.) : parfois > /dj/ ?





Tableau d'exemples :




latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

AO > OA


À l'intervocalique

tĭ, tĕ en hiatus >
/(i̯)dz/ > /(i̯)z/ -(i)s-
/(i̯)ts/ > /(i̯)s/ -(i)tz si position finale après l'apocope
-ātĭōnĕ(m)
>
(AO) -azn (fenazọn), -izn, -ezn > -ason, -ison, -eson "-aison", "-ison"
>
-acion
-ĭtĭă(m)
>
AO -za (riquza) ; a.fr. -eise, -oise (richeise, richoise), remplacé par -ĭcĭăm > -esse ? (CNRTL "-esse")
*ăcūtĭārĕ
>
agusar "aiguiser"
Cŭrretĭă(m) (ē ?)
>
Corresa "Corrèze"
Dĕcetĭă(m) (ĕ ?)
>
fr Décize (58) (1)
*Grātĭăpŏlitānŭ(m)
>
(d) Graisivaudan ("Grésivaudan") (38)
jŭstĭtĭă(m)
>
AO justicia (et formes mi-savantes) > justícia "justice"
ōrātĭōnĕ(m)
>
>
AO orazn > (l) orason ; oreson () ;
AO oracin > (g) oracion,... "oraison"
pălātĭŭ(m)
>
AO palatz, palaitz, palais > palais..."palais" (2)
pōtĭōnĕ(m)
>
AO poizn, pozn > poison, (g) poson, (a) poijon... "poison"
prĕtĭŭ(m)
>
AO prȩtz (2) > (pr) pretz ; prètz... "prix" (3)
pŭtĕŭ(m)
>
AO ptz > (pr) potz ; (d) poitz... "puits"
rătĭōnĕ(m) >

>
AO razn, arrazn, rezn () > (g) rason, arrason ; (l) rason ; (d) raisonreson () ; (lim) rajon... "raison" (4)
racion "ration"
rŏgātĭōnĕ(m)
>
AO roazn, rozazn, rogazn > (l, g, a) rogason ; (pr.rh.) rodason, rovason ; rogueson ()...
a.fr. roüaison, ruvaisun "rogation"
sătĭōnĕ(m)
>
AO sazn, saizn > (l, g) sason ; (d, béar) saison ; (e.f.?) seson () "saison"
spatĭŭ(m)
>
>
AO espatz "espace" > prob. (pr.ma.) espai
AO espaci > oc. espaci
stătĭōnĕ(m)
>
AO estazn "demeure, maison", voir (a.fr.) estaison, estaçon...
tītĭōnĕ(m)
>
AO tizn, tuzn > tison ; (l) tuson ; et formes avec amuïssement du s : tion, tien, tuen "tison"
Ūcĕtĭăs (acc.f.pl.) > Ūcĕtĭŭ(m)
*Uzȩz (*Uzȩtz)... > Usètz, Usès "Uzès"
Vĕnĕtĭă(m)
AO Venesa, fr Venise (1)
vēnātĭōnĕ(m)
AO venaizn, venazn "venaison ; chasse"
vĭtĭŭ(m)
>
AO vtz "habitude", voir it vezzo



Tableau ci-dessus : évolution de tĭ, tĕ en hiatus après voyelle. Les différentes formes en AO et OA données ici donnent un éclairage sur l'apparition du i diphtongal. (En AO, le s intervocalique se prononce /s/, consonne sourde). En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne.


(1) Pour Dĕcetĭăm, Vĕnĕtĭăm > fr. Décize, Venise, le traitement présente deux étapes typiquement françaises : il y a eu diphtongaison spontanée de ĕ, d'où la triphongue iei, puis iei se réduit à i. Pour Ucĕtĭŭ(m) > Usètz, le traitement est occitan. L'AO Venesa est incertain (CansAntM) ; l'aboutissement logique serait AO Venȩza, voir port Veneza.

(2) Pour pălātĭŭm, c'est peut-être un francisme très ancien, de par l'importance politique du "maire du palais" chez les mérovingiens (Ve-VIIIe siècle).

(3) Pour prĕtĭŭm > pretz "prix", le DOM donne AO prȩtz, mais la voyelle pose certains problèmes, voir fermeture de è dans pretz, presa.

(4) pour rătĭōnĕm, pour l'AO, GIPPM-2:89 donne la forme alternante raizn, non reprise dans DOM. Origine de cette forme à rechercher.




2. Consonne + tĭ, tĕ + voyelle


Palatalisation par régression :

Dans de nombreux cas, la première consonne est palatalisée par régression.


Absence de sonorisation : /s/ et non /z/

La présence d'une consonne antécédente empêche /ts'/ de se sonoriser puisqu'il y a entrave. Donc on obtient non pas /z/, mais /s/ noté ç en graphie classique (sauf pour le cas s + tĭ, tĕ où l'on obtient iss). On retrouve donc souvent le même aboutissement de cĭ, cĕ en hiatus ; voir l'origine de la cédille ci-dessus.


Voici les différents cas selon la consonne antécédente.



a. ctĭ, ctĕ + voyelle


Aussi, aboutissement ich, voir A. Thomas (QNLFOG:6): Actia > Aicha des textes limousins, aujourd'hui Aixe-sur-Vienne, oc Aissa.


Pour le cas de ctĭ, ctĕ : parfois un i apparaît, parfois non : făctĭōnĕm > faiçon / façon, lectĭōnĕm > leiçon, leçon. Parfois il n'y a pas de i : *extractiāre > estraçar.


Je pense que l'absence ou la présence de i devant ç retrace deux évolutions possibles :

- d'abord assimilation -ct > -tt- : cela ne produit pas de i diphtongal (voir ci-dessous -ttĭă) (comme en français : IPHAF:47) ;

- d'abord spirantisation -ct- > -yt- : cela produit /y/ qui évolue ensuite en i diphtongal (voir évolution de -ct-).


Les deux évolutions -ct- > -tt- et -ct- > -yt- se produisent peut-être dans les mêmes périodes dans le sud de la Gaule, vers les IVe et Ve siècles, ce qui a dû permettre l'une où l'autre évolution selon les régions. Dans le nord de la Gaule, apparemment on n'a eu que la première évolution -ct > -tt- (pas de i en français).





latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

AO > OA

ctĭ, ctĕ en hiatus >
/yts/ > /(i̯)s/ (i)ç
ăctĭōnĕ(m)
>
(AO) accin > accion "action"
*dīrectĭāre
>
(AO) dreisar, dresar > dreiçar ; (g, lim, rouerg) dreçar ; (a) drechar ; (auv, pr.ma., niç) driçar "dresser"
*extractĭāre
>
(AO) estrasar > estraçar "déchirer"
făctĭōnĕ(m)
>

>
(AO) faisn, fasn > façon ;
(lang, gasc, lim, auv) faiçon "façon"
faccion "faction"
lectĭōnĕ(m)
>
(AO) leisn, lesn, lisn > leiçon ; (pr.rh., l) liçon ; (l) lichon, lijon ; (a) leson ; (g) leichon, luçon ; (béar) lechon "leçon"
*suctiāre
>
(AO) susar, susar > suçar ; (niç) siçar ; (auv) suchar "sucer"
*tractiāre
>
(AO) estraçar "suivre à la trace" ; estraiça "trace"



Tableau ci-dessus : évolution de ctĭ, ctĕ en hiatus. Les différentes formes en AO et OA données ici donnent un éclairage sur l'apparition du i diphtongal. (En AO, le s intervocalique se prononce /s/, consonne sourde). En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne.




b. stĭ, stĕ + voyelle



Pour le cas de stĭ, stĕ (ăngŭstĭăm > angoissa), le s subit une palatalisation régressive. Au stade /sts'/ ou /s' ts'/ , la composante occlusive de l'affriquée (t) a très probablement disparu rapidement, bien avant l'an 1200 car le groupe /sts'/ est difficile à prononcer. On obtient donc s' géminé, demi-palatale au contact de laquelle apparaît le i diphtongal de transition (IPHAF:75) : /sts'/ > /s's'/.


Le cas rejoint donc l'évolution de scĭ, scĕ ci-dessus et l'évolution de ssĭ, ssĕ ci-dessous.


stĭ, stĕ > /sty/ > /st'/ > /sts'/ > /s's'/ > /i̯ss/


Dans ce cas, comme le son /ts/ n'est pas apparu (ou bien seulement de façon fugace), on n'utilise pas ç mais ss.





latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

AO > OA


Après s

stĭ, stĕ en hiatus >
/i̯s/ iss
ăngŭstĭă(m)
>
(AO) angisa, engisa... > angoissa ; (l) engoissa ; (a) engoicha... "angoisse"
bēstĭă(m)
>
(AO) bȩstia > bestia "bête"
bīstĭă(m)
>
? > (niç) bissa, (Va) bicha "couleuvre ; orvet" ; (e.f.?) bicha "biche" (1)
pŏstĭŭs
>
(AO) pǫis, pueis... > puei, piei ; (g) puch... "puis" (2)
ōstĭŭ(m) > ūstĭŭ(m)
> (AO) uis, ueis, us > us, uis ; (a) uich "huis"



Tableau ci-dessus : évolution de stĭ, stĕ en hiatus. Les différentes formes en AO et OA données ici donnent un éclairage sur l'apparition du i diphtongal. (En AO, le s intervocalique se prononce /s/, consonne sourde). En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne.


(1) Pour bīstĭăm, l'origine de la variante bicha est mal expliquée, voir CNRTL "biche". On trouve l.m. bissa, bischa, bicha "biche".
2) Pour pŏstĭŭs, il y a eu logiquement diphtongaison conditionnée par le s palatalisé.



c. ntĭ, ntĕ + voyelle



Pour le cas de ntĭ, ntĕ (căntĭōnĕm > cançon), la palalasation régressive mène à /ñ t'/. La situation est presque la même que pour vĕrēcŭndĭăm (voir ci-dessus) mais ici l'assimilation réciproque entre ñ et t' n'a pas pu se faire car ces consonnes sont trop différentes : sonore et sourde (IPHAF:74-75).


Pour le français, le i diphtongal apparaît si /ñ ts'/ parvient en position finale (*antĭŭs > aints) (IPHAF:75), mais cela ne se réalise pas en occitan (*antĭŭs > ants).


Ainsi : ntĭ, ntĕ > (Ier siècle) /nty/ > (IIe siècle) /ñ t'/ > (IIe siècle) /ñ ts'/ > (VIIe siècle : dépalatalisation) /nts/ > (vers 1200 ?) /ns/ (puis nasalisation de la voyelle antécédente).





latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

AO > OA


Après n

ntĭ, ntĕ en hiatus >
/nts/ > /˜s/
-ăntĭă(m)
>
>
(AO) -ansa (esperansa...) > -ança "-ance"
(AO) -ancia > -ancia "-ance"
-ĕntĭă(m)
>
>
(AO) -ensa > -ança "-ance"
-ancia "-ance"
*abantĭāre >
(AO) avansar > avançar "avancer"
adnŭntĭārĕ, de-, re- > (AO) annonciar, annunciar, anunciar > anonciar, anonçar "annoncer"
(AO) denonciar, denunciar > denonciar, denonçar "dénoncer"
(AO) renunciar > renonciar, renonçar "renoncer"
*antĭŭs

(AO) ants "avant"
căntĭōnĕ(m)
>
(AO) cansn > cançon "chanson"
līntĕŏlŭ(m)
>
(AO) linsǫl, lensǫl, lansǫl > linçòu, lençòu, lançòu... "drap, linceul"
*tentĭārĕ
>
(AO) tensar "quereller, disputer"



Tableau ci-dessus : évolution de ntĭ, ntĕ en hiatus. (En AO, le s intervocalique se prononce /s/, consonne sourde). En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne.




d. Consonne autre que (c, s, n) + tĭ, tĕ + voyelle



Si tĭ, tĕ est précédé de l, p, r, ou t : je n'ai pas encore bien résolu le cas, qui ouvre sur des domaines vastes et discutés, (mots difficiles à expliquer en français comme "tiers", géminations de consonnes en latin).


- En occitan :

Les mots concernés ne montrent ni i diphtongal, ni diphtongaison conditionnée (pour ŏ, ĕ, voir descendants de *bŏttĭă, *plăttĕă, fŏrtĭă, scŏrtĕa, nĕptĭă, nŏptĭăs...). On peut penser qu'il n'y a pas eu de palatalisation régressive (sinon on aurait eu par exemple : *bŏttĭă > buòiça "bosse"). Donc :


-ttĭă > (IIe siècle) /-tts'a/ (voir ci-dessous : gémination t > tt)

> (VIIe s. : dégémination et dépalatalisation) /-tsa/

> (vers 1200 : désaffrication) > /-sa/ -ça (plaça, bòça)


-ptĭă > (IIe siècle) /-pts'a/

> (assimilation pt > tt) > /-tts'a/

> (VIIe s. : dégémination et dépalatalisation) > /-tsa/

> (vers 1200 : désaffrication) /-sa/ -ça (nèça)


-rtĭă > (IIe siècle) /-rts'a/

> (VIIe s. : dépalatalisation) /-rtsa/

> (vers 1200 : désaffrication) /-rsa/ -rça (fòrça)


-ltĭă > (IIe siècle) /-lts'a/

> (VIIe s. : dépalatalisation) /-ltsa/

> (vocalisation du l devant consonne, désaffrication) /-ʋ̯sa/ -uça (auça)




- En français :
Quelques mots montrent une diphtongaison (conditionnée ?), mais rarement avec le i diphtongal. Cela est paradoxal et mal expliqué (IPHAF:39) ; je propose quand même qu'il y ait eu palatalisation régressive, impliquant une diphtongaison conditionnée devant t palatalisé en français). Donc : /-tts'-/ > /-tts'-/ ; /-pts'-/ > /-tts'-/.
*bĕttĭŭm > a.fr. biès "bouleau";
nĕptĭăm > "nièce" ;
nŏptĭăs > a.fr. nueces "noces" ;
*pĕttĭăm > "pièce" ;
tertĭŭm > "tiers" (a.fr. tieirs).
Le i diphtongal apparaît quelques rares fois (voir d pèiça, a.fr. tieirs, tèirs).




- Gémination t > tt :


On doit aborder ici le problème de la gémination des consonnes latines, qui constitue un domaine mal connu. On est ainsi contraint de reconstituer *plăttĕă (pour plătĕă) pour expliquer plaça "place" et non pla(i)sa /pla(y)za/, fr plaise.


Il faut relier cette gémination aux doublets italiens prezzo / pregio (< prĕtĭŭm), stazzo(ne) / stagione (< stătĭōnĕm), palazzo / palagio (< pălātĭŭm), etc. (zz est prononcé /ts/, gi est prononcé /dj/).


Remarque : Il ne faut pas confondre avec les mots italiens en /tsy/ : stazione, vizio, spazio constituent des emprunts au latin stătĭō, vĭtĭŭm, spătĭŭm, avec adaptation de la prononciation, tout comme pour le français "station", "vice", "espace".


Certains auteurs estiment que le type italien gi (pregio) est un gallicisme (LDIL:134, TK:142a : pregio proviendrait de prĕtĭŭm à travers un intermédiaire gallo-roman, ou peut-être du nord de l'Italie). D'autres estiment que le type pregio est inhérent à l'italien (c'est-à-dire au toscan). La position de ces derniers auteurs est fondée sur la toponymie toscane (Castellani in TK:142). On aurait ainsi en toscan une alternance de type imprévisible -zz- / -gi- (Davide Pioggia sur internet). Certains auteurs font intervenir une géminée latine à l'origine de -zz- : *prĕttĭŭm, *pŭttĕŭs, *vĭttĭŭm (in MLI:11).


Cette gémination du t serait la conséquence du renforcement consonantique devant yod en latin vulgaire.






latin LPC
(latin classique ancien ou conservateur)

AO > OA


Après consonne autre que c, s
, n

Ctĭ, C en hiatus >
/(C)ts/ > (C /(C)s/
*altĭā
>
AO alsar, ausar > rouerg alsar ; auçar "hausser"
*bĕttĭŭ(m)
>
AO ? > beç, for bieç "bouleau" (1)
*bŏttĭăm)
>
AO bǫsa > bòça ; d bòcia i.s.? "bosse"
*captĭā >
AO casar > caçar "chasser"
*cattĭă(m) >
AO casa > caça "poêlon pour prendre l'eau"
fŏrtĭăm (pl.n.a.>sing.f.s.) >
AO fǫrsa > fòrça ; d fòrcia i.s.? "force"
*mattĕă(m) (2) >
AO masa > maça "masse (outil ou arme)"
matĕŏlăm > *mattĕŏlă(m) >
AO masǫla > maçòla "petite masse ; maillet ; massue"
nĕptĭă(m) >
AO nȩsa, nȩpsa, nȩta... > nèça "nièce" (1)
nŭptĭă(m) > nŏptĭă(m) >
AO nǫsa... > nòça "noce"
*pĕttĭă(m) (2) >
AO pȩsa > pèça ; d pèiça, pièça "pièce" (1)
plătĕă(m) > *plăttĕă(m) >
AO plasa > plaça ; d placia i.s.? "place"
scŏrtĕa(m) >
AO escǫrsa > escòrça ; l escòrcha "écorce"
tertĭŭ(m), -ĭă(m) >
AO tȩrtz / tersa, tercia > tèrç, -a / tièrç, -a "tiers" (1)



Tableau ci-dessus : évolution de tĭ, tĕ en hiatus après consonne autre que c, s. (En AO, le s intervocalique se prononce /s/, consonne sourde). En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne. Pour *bŏttĭăm, fŏrtĭăm, *plăttĕăm > (d) bòcia, fòrcia, placia : influence savante ? Trait dialectal ?.



(1) Pour *bĕttĭŭm, nĕptĭăm, *pĕttĭăm, tertĭŭm, voir diphtongaison conditionnée par t palatalisé en français.
(2) Pour *mattĕă, *plăttĕă, voir ci-dessus la gémination de t en latin populaire.




3. Étude de i diphtongal devant tĭ, tĕ + voyelle


En français, l'apparition du i diphtongal est systématique (rătĭōnĕm > "raison") (sauf dans les cas complexes juste ci-dessus : biès, nièce, nueces, pièce, tiers).


En occitan, la situation est variable. Jules Ronjat (GIPPM-2:88-89) réalise une brève étude de cet aspect, et réunit dans le même destin les continuateurs de tĭ, tĕ latins et de ce, ci latins en position faible. Il conclut qu'à l'intérieur d'un mot, on obtient AO z ou iz, et qu'en finale on obtient AO tz, rarement is et itz. Selon lui, la présence ou l'absence du i diphtongal ne serait d'origine dialectale qu'en Aquitaine, où il n'y aurait jamais eu de i diphtongal jusqu'à aujourd'hui.
Ailleurs, on aurait eu une alternance en fonction de la place par rapport à l'accent tonique : ´ dz / i̯ dz ´ (GIPPM-2:80, 89, j'adapte la notation de la palatale, qu'il écrit j).

Mais le i diphtongal est lui-même facultatif dans i̯ dz ´ puisqu'on a AO pozn / poizn, sazn / saizn, razn / raizn, sazir / saizir. Donc l'alternance s'écrit : ´ dz / (i̯) dz ´



Il faut corriger cette vision puisque les continuateurs de tĭ, tĕ latins et les continuateurs de ce, ci latins en position faible ont des destins différents. Il n'y a jamais eu de i diphtongal pour ces derniers (sauf en d), alors qu'il y en a pour les continuateurs de tĭ, tĕ + voyelle.


(Étudier à nouveau l'apparition éventuelle d'un i diphtongal en finale, quand j'aurai plus de mots dans le tableau ci-dessous : pălātĭŭm, prĕtĭŭm, pŭtĕŭm).


Points à éclaircir :


- pourquoi le i diphtongal apparaît toujours en français et souvent n'apparaît pas en occitan ?


- quels sont les paramètres qui le font apparaître ou non en occitan ? (J. Ronjat parle d'une alternance : de type imprévisible ?). Je pense qu'il est quand même possible, contrairement à ce qu'affirme J. Ronjat, qu'un traitement dialectal fût à l'origine de ces différences. En nord-occitan, on aurait plutôt le i diphtongal ; en sud-occitan le i diphtongal ne serait pas apparu. (Voir les anciennes attestations qui semblent dominantes à Avignon : razon, sazon HLPA). Voir la tentative d'explication (vague et hypothétique).





I. Évolution de f + ĭ, ĕ en hiatus


sŏfĭă(m) > sòfia "vandoise"..., lyonnais suiffe, Côte d'Or seuffle, seuffre, Jura soife, soufe (FEW 12:23a).


*sŏfĭă(m) "sapin" > adauph suiffe "sapin", Briançon sufi "épicéa"... (FEW 12:22b-23a)





V. Évolution de ŭ et ŏ en hiatus



A. Évolution de c + ŏ, ŭ en hiatus

Schéma général :


c + ŏ, ŭ en hiatus > /kw/ > /k/


Donc c + ŏ, ŭ en hiatus rejoint QV (ci-dessus).


Détail :

Les auteurs estiment que très tôt, dans c + ŏ, ŭ en hiatus, ŏ, ŭ ont subi une consonification. Cependant dans le détail, je pense qu'il est possible que le groupe fût d'abord prononcé avec w épenthique, puis syncope. Le w ne serait donc pas issu proprement de ŏ, ŭ, mais d'un ancien w épenthique prononcé mais non écrit :


c + ŏ, ŭ + V [kowV], [kʋwV] > [kwV] > [kV]]




Attestations antiques :

Dans Prob, les items 14 et 15 semblent bien blâmer la consonification de u après c (ILV:46) :

Prob,14 vacua non vaqua "vacua ["vide"], pas vaqua"
Prob,15 vacui non vaqui "vacui ["vide"], pas vaqui"




Les cas ci-dessous entrent dans le cadre des délabialisations tardives de QV (ci-dessus), puisque dans les mots "cacher", "cailler", n-oc calhar, ca- échappe à ca > cha dans les zones à quatrième palatalisation.


*ădcŏactĭtā > acatar

cŏactā > cachar

*cŏactĭcā > a.fr. cachier > "cacher"

cŏāgŭlā /ko-a:-gʋ-la:-ré/ > /kwa-g(u-)la-ré/ calhar "cailler"

ĭnchŏā > AO encar "commencer"



Autres cas :


văcŭŭs "vide" > > AO vac

vŏcŭŭs "vide" > AO voc






Pour :

*pascŭātĭcŭm > pascatge "pacage",

nascŭĭt > nasquèt "(il) naquit",


François de La Chaussée fait entrer ces deux derniers cas dans l'amuïssement de ŭ après groupe consonantique (IPHAF:146). On pourrait tout aussi bien les faire entrer dans l'évolution de c + ŏ, ŭ + voyelle, mais il est vrai que le graffiti de Pomp (futebatur "elle se fait foutre") indique que le ŭ en hiatus s'était déjà amuï, à l'époque où les autres ŭ en hiatus étaient encore prononcés mais "consonifiés" (À mieux étudier).




B. Groupe consonantique + ŭ en hiatus


1. Disparition de ŭ en hiatus après groupe consonantique


Certains auteurs distinguent la situation où ŭ disparaît après groupe consonantique (IPHAF:146), alors que d'autres préfèrent distinguer la situation où ŭ disparaît en posttonique devant u, o (ILV:47). Ainsi Veikko Väänänen estime que battuo "je bats", carduus "chardon", consuo "je couds", fatuus "fade ; insensé", futuo "je fous", ingenuus "indigène", mortuus "mort", quattuor "quatre", ont perdu le ŭ devant o, u. Par ailleurs, le suffixe -ŭŭs a pu être remplacé par -ĭdŭs, voir fatŭŭs > *fatĭdŭs (FEW3:438a,b).


Il faudrait mieux étudier ces aspects.


Dans battvere, battvalia, febrvarius..., le V représente la voyelle ŭ, qui disparaît par la suite (IPHAF:146).



Attestation antique

  Prob,208 : februarius non febrarius "februarius ["février"], pas febrarius"




Basculement d'accent dans les infinitifs :

Dans les infinitifs ci-dessous (battŭĕre, consŭĕre,*futtŭĕre), en latin classique ŭ porte normalement l'accent tonique. Mais dans de nombreuses formes conjuguées : battŭō "je bats", c'est la syllabe précédente qui le porte. Par analogie, l'infinitif s'est.


P. Fouché donne (PHF-f2:155) : "Ainsi d'après báttwo, báttwis, etc. (< báttŭo, báttŭis, etc.), l'infinitif battŭĕre est devenu báttwere. La chute de w antévocalique a ensuite déterminé *bátto, *báttis, etc. et *báttĕre."



aestŭārĭŭm > AO estier, ester "canal, ruisseau"

battŭĕrĕ > (IIe s.) battĕre > oc batre "battre" 

battŭālĭă > (Ve s.) batalia > oc batalha "bataille"

fĕbrŭārĭŭs > fĕbrārĭus > oc febrier "février"

*fŭttŭĕrĕ > oc fotre "foutre" (1)

lat.chr. victuālĭă > a.fr. vitaille "nourriture" (voir "ravitailler"), AO vitalha, voir aussi ci-dessus vettovaglia.


Pour consuĕre "coudre", n s'est amuï précocément pour arriver à cosuere. On n'avait donc plus de groupe consonantique devant u. Voir ci-dessous consuere.



(1) Pour *fŭttŭĕre, l'orthographe est fŭtŭĕre : elle ne note pas la géminée expressive (IPHAF:146) ; on connaît l'attestation obscène futebatur "elle se fait foutre" (Pomp), qui montre déjà un amuïssement de ŭ ; it fottere.

 

(2) Pour consuĕre, je ne sais pas quelle valeur avait u. Par ailleurs je ne sais pas si l'amuïssement de ce u a eu lieu en premier, ou bien l'amuïssement de n devant s. P. Fouché (PHF-f2:155) propose un traitement identique à battŭĕre.



Pour quattŭŏr : ce mot aurait d'abord subi une dissimilation ancienne pour aboutir à quattŏr (dissimilation kw/ttu̯ > kw/tt. La forme quattor est attestée dans CIL VI, 13302 dans ILV:47 [et non 48], ALL 7, 65 ds FEW t. 2, p. 1440b (CNRTL "quatre") (voir aussi IPHAF:146 qui signale aussi la dissimilation). 




2. Épenthèse de waw après ŭ en hiatus après groupe consonantique


Pour annŭālĕm, ēlectŭārĭŭm, Mantŭăm, certains descendants montrent une épenthèse de waw qui a demeuré sous forme de v : voir ci-dessus descendance des waws épenthiques dans les hiatus primaires. Le o ( < ŭ) a pu disparaître par syncope, ou se maintenir selon les dialectes (voir aussi le paragraphe ci-dessous).





C. Autres cas de consonne + ŏ, ŭ en hiatus


L'évolution est disparate : ŏ, ŭ (+ w épenthique) en hiatus peuvent suivre plusieurs voies :

(ci-dessous en rouge v, b représentent le v épenthique latin décrit ci-dessus)




1. ŏ, ŭ en hiatus > v, b (souvent w épenthique)

Voir ci-dessus un scénario négligé.
Par exemple pour jānŭārĭŭm > "janvier" d'après les auteurs, ŭ en hiatus se serait consonifié, c'est-à-dire que la voyelle ŭ serait devenue la consonne w (puis w > v). Par exemple François de La Chaussée considère le "w de consonification" dans malŭa > "mauve", jānŭārĭŭ > "janvier" (IPHAF:144-145), c'est-à-dire que dans [consonne + ŏ, ŭ + voyelle], ŏ, ŭ se seraient consonifiés en w. Pour annŭālĕm, Clovis Brunel donne aussi (TGnu:212) : "Le provençal offre la vocalisation du u dans anoal, le français sa consonnification dans anvel.", pour jānŭārĭŭm : "(...) avec son développement en consonne, fr. janvier, prov. janvier (gascon gembey) et gervier (...)".


Cependant selon moi, les aboutissements v, b dans jenŭārĭŭm > AO genvier, gervier, gembei, fr "janvier", même dans annŭālĕm > a.fr. anvel "annuel", proviennent souvent (toujours ?) d'un w épenthique latin qui est resté après syncope. Pour "janvier", les variantes AO genovier, ginovier, janovier (< jānŭārĭŭm) en sont la preuve : elles contiennent à la fois o (< ŭ latin), et v qui représente le w épenthique latin ; il n'y a pas eu syncope dans ces variantes. De même pour le français : a.fr. genever, jenovier "janvier" (dans genever, le e interne provient d'un affaiblissement /ó/ > /ə/). Dans les variantes AO gembei, gervier, fr "janvier", il y a eu syncope, et v, b doivent représenter le v épenthique latin (pour gervier, voir nv > rv).


(TGnu:213) "(...) avec résolution en voyelle, prov. janoier et genoier, d'où, après intercalation d'un v entre deux voyelles en hiatus dont une labiale, genovier, phénomène qui s'est développé surtout en Italie (cf. Genova , manovale, Mantova, statova)."



jānŭārĭŭm  > AO janovier
jānŭārĭŭm > jenuarium  > AO genovier, gembei, gervier... a.fr. genever, jenovier, fr "janvier"

> AO genier, genoier



Il est sans doute hasardeux de ranger tous les cas ci-dessous dans le cas "v provient d'un w épenthique latin", mais les nombreux descendants de jānŭārĭŭm "janvier" me semblent indiquer que ce type d'évolution a été important.


Voici les autres cas susceptibles d'entrer dans ce schéma :


annŭālĕm > a.fr. anvel "annuel"

jenŭārĭŭm > AO genvier, gervier, gembei, fr "janvier"

malŭăm > AO malvaOM malva, mava, mala, maula, fr "mauve"

mănŭālem > AO manoal, manual, mambal "manuel"

tĕnŭĕm > a.fr. teneve, tenve, terve "ténu, maigre"

vĭdŭăm > *vedova > vedve > a.fr. "veuve"


Ci-dessus, pour rv (gervier, terve), voir nv > rv.




2. ŏ, ŭ en hiatus > o

jenŭārĭŭm > AO genoier "janvier" (-ārĭŭm > -ier)

mănŭālĕm > AO manoal "à main"




3. ŏ, ŭ en hiatus > ∅

Les voyelles ŏ, ŭ en hiatus peuvent disparaître (). Par exemple voir mănŭālĕm > a.fr. manel "manuel" (IPHAF:149 : "élision ancienne du ʋ").


(TGnu:211) : "Peut-être a-t-on de bonne heure fui devant l'obstacle de l'articulation nu et a-t-on pas hésité à substituer à la forme traditionnelle du latin une création analogique plus aisée, manalis, manarius à manualis, manuarius, par exemple, entraîné par l'existence à l'époque antique de annalis à côté de annualis."


dŭŏdĕciminsc.chrét. dodeci, dodece, it dodici, oc dotge/dotze, fr "douze", esp doce... (ILV:46 §79, SNEVLGS pour duodena).

jenŭārĭŭm > AO janier, genier, g gier "janvier" (TGnu:213)

malŭăm > oc mala "mauve, plante"

mănŭālĕm > AO manal "manuel"

consuĕrĕ > *cosuĕrĕ > *cosĕre > g, lim cóser "coudre", esp coser (2)

stătŭālĕm > AO estadal "sorte de cierge" (voir aussi estatuia)


Mesua, Mesoa (attesté plusieurs fois depuis le Ier siècle) > Mesa [mézò], Mèze (34)



4. ŏ, ŭ en hiatus > ov

Dans l'aboutissement ov, le v provient du w épenthique, voir notamment la série de mots italiens à ce lien.


jenŭārĭŭm > AO genovier, ginovier, janovier, a.fr. genever, jenovier "janvier" (TGnu).




5. ŭ en hiatus > u (voie savante)


annŭālĕm > AO annual, anual, a.fr. annuel "annuel"

mănŭālĕm > AO manual "à main", a.fr. manuel "qui se fait à la main"




6. Métathèse type vĭdŭă > veusa

(ci-dessous)






D. Métathèse de type : vĭdŭă > veusa

(TGnu)


On occitan, il me semble qu'on peut mettre en évidence un type de métathèse ayant connu du succès : consonne + ŭ en hiatus > ŭ + consonne. Sur le mécanisme de cette métathèse, je suis dans l'ignorance : de multiples scénarios sont possibles (voir ci-dessous).



vĭdŭăm > veusa "veuve"

malŭăm > maula "mauve" (ci-dessus LV = lŭ(w)).

tĕnŭĕm > tèune "ténu, grêle" (ci-dessus : N +V + voyelle).



săpŭī > AO saup

(la conjugaison originelle de săpĕre était : parf săpīvī / săpiī, mais elle a été reconstruite sur le modèle de hăbēre, hăbŭī > săpēre, săpŭī ; le paradigme AO ci-dessous provient de GAP:300, 308.

GAP:308-309 : "L'u de la terminaison -ui est passé au radical, par suite d'une sorte de métathèse de voyelle, due au fait que p et u semi-consonne ont une grande affinité : l'instabilité de la fricative u a d'ailleurs facilité la métathèse")

săpŭī > AO saup "je sus"

săpŭĭstī > AO saubist "tu sus"

săpŭĭt > AO saup "il sut"

săpŭĭmŭs > AO saubem "nous sûmes"

săpŭĭstĭs > AO saubetz "vous sûtes"

săpŭērŭnt > AO saupron "ils surent"


cēpĭt > *căpŭĭt > caup "il fut contenu" (GAP:309)

ērĭpŭĭt > AO ereup "il délivra" (GAP:309)

rĕcĭpŭĭt > AO receup "il reçut" (GAP:309)

(aperceup, conceup, deceup)




Plusieurs scénarios sont possibles pour expliquer cette métathèse, et il est difficile de proposer des dates.



Scénarios possibles



1. Avec w épenthique


On peut faire intervenir le w épenthique latin ; la métathèse aurait lieu alors entre deux consonnes (consonne + ŭ + w > w + ŭ + consonne), ce qui semble phonétiquement plus acceptable qu'entre consonne et voyelle.


avec une métathèse très ancienne :


vĭdŭăm *[wiðʋwa] > *vĭŭdă [wiða] > *[wiʋða] ou *[wiwða] > *[véʋ̯ða] > veusa


avec une métathèse plus tardive :

Il est aussi possible que l'épenthèse se réalisât plus tardivement, à une époque où w latin était prononcé [v], donc :


*[véðóva] > *[véða] > *[vévða] > (vocalisation de v) > *[véʋ̯ða] > veusa




2. Sans w épenthique


Un scénario sans w épenthique est possible :


vĭdŭăm *[wiðʋa] > vĭŭdă *[wiʋða] > *[véʋ̯ða] > veusa 




La variante mavələ d'Italie du sud, de malŭă "mauve" (FEW 6/1:129b), peut provenir d'une telle métathèse. L'autre variante d'Italie du sud maləvə (FEW ibid.) est construite de façon identique à vedova "veuve" (< vĭdŭăm).

(À la réflexion, je ne pense pas que ces données d'Italie du sud soient utiles pour le sujet étudié : en effet j'ai vu à plusieurs reprise ce ə employé comme voyelle anaptyctique).