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m, n (nasalisations...)
18-04-2025


I. Amuïssements antiques de nasale



A. Amuïssement de -m et aspect corollaire


Le -m final, notamment le -m de l'accusatif n'est conservé qu'à l'écrit ; il ne se prononce plus depuis longtemps à la fin de l'époque républicaine (qui finit en 27 avant J.-C.). Il était "amuï dans la prononciation même soignée, comme le prouve la métrique." (IPHAF:173). Ce processus n'affecte pas  les monosyllabes : rĕm ci-dessous.

Pour Georges Millardet, -m avait tout de même une "résonance nasale" (LDR:86) : "Dans un polysyllabe, l’m finale était réduite, devant voyelle, à une simple résonance nasale dès la période littéraire du latin."


Par exemple :


vītăm > vita "vie"

sēcūrŭm > securu "sûr"


 

L'aspect corollaire de l'amuïssement du -m est donc une disparition de la distinction entre les formes nominatives et les formes accusatives (rŏsă / rŏsăm ; pătrĕ / pătrĕm), voire une mauvaise distinction avec les formes ablatives : (rŏsā ; pătrē), qui deviendra complète avec la disparition de la quantité des voyelles. Le système des délinaisons commence à évoluer et on assiste à un développement de la "tournure prépositionnelle" (CLD, source archivée) : 


"Le LPC développe un usage remarquable du système prépositionnel, qui complète et éclaire le système casuel : ad/ in/ circa/ super/...+ accusatif ; ab/ ex/ de/ in/ + ablatif."


Exemple :

dăt pătrē > dat ad patre "il donne au père"




Type rĕm (monosyllabes)
  

On constate que rèn "rien", conserve la trace du -m de l'accusatif sous la forme -n, dès les premiers textes occitans et français.



(LDR:86) « L'espagnol padre < patrem s'oppose à esp. quien < quem par le traitement de l’m finale. La raison en est bien connue. Dans un polysyllabe, l’m finale était réduite, devant voyelle, à une simple résonance nasale dès la période littéraire du latin. Au contraire, dans un monosyllabe accentué comme quĕm > esp. quien, la langue a maintenu l'm finale pour éviter de faire du monosyllabe ce que M. Gilliéron appelle "un mutilé phonétique". Elle a généralisé pour ce mot, comme pour le rĕm qui est à la base de fr. rien, monosyllabe aussi, la forme où l’m finale latine était suivie de consonne et se prononçait avec plus de force, comme la scansion latine suffit à le montrer. Ce traitement, en apparence exceptionnel, est au contraire conforme à une tendance générale à laquelle ont obéi les monosyllabes dans plusieurs langues indo-européennes. »





B. Amuïssement de n devant f et s et conséquences


1. Un exemple introductif : les représentants occitans de infans, -tĭs

Le latin infans (-tĭs) "qui ne parle pas ; jeune enfant" contient les groupes consonantiques nf et ns. La variété des descendants occitans illustre la complexité des tendances latines de l'antiquité ; cette complexité provient d'une tendance à l'amuïssement de n devant f ou s, et des réactions contre cette tendance. En latin, pour des raisons phonétiques (ci-dessous), n s'est amuï avec allongement compensatoire de la voyelle précédente (ĭn > ī) ; par la suite, "des considérations étymologiques firent réintégrer l'n d'abord dans l'orthographe et ensuite de plus en plus aussi dans la langue parlée des couches sociales supérieures" (PHL4:155). Dans la langue populaire, n a été restitué seulement dans les préfixes con- et in-. Lors de cette restitution, la quantité brève a été restituée à la voyelle (ī > ĭn), alors que dans la langue littéraire, la quantité longue est restée (ī > īn), voir ci-dessous le passage de Cicéron.


Voici les types occitans, et leur explication :

- type ifant : ifan (Trévignin, 73, FEW 4:658b), ifon (ALF 461, point 719 : Les Ternes, 15), a.esp. yffante < īfantem (FEW 4:663a note 2) ; ce dernier terme latin est attesté dans les defixiones (ibid.) : ce type proviendrait de l'amuïssement de n devant f avec allongement compensatoire de ĭ > ī (FEW 4:663a note 2 reste imprécis sur la cause).

- type infant [ĩfã] (béarnais TDF) : ce type doit provenir de la variante latine littéraire īnfantĕm.

- type enfant (très courant) : (PHL4:156) : en latin populaire, il y a eu rétablissement du n par réaction contre sa chute, en rétablissant aussi la quantité brève originelle (préfixes cŏn-, ĭn-).

- type efant (très courant) : ce type s'explique sans doute par une dissimilation de nasales (voir type "compain" > "copain") : ĭnfantĕm > enfant > (dissimilation) > efant  ;

- type enfas (sans doute avec l'accent tonique que la 1e syllabe) (cas sujet "normal" en AO) < ĭnfans avec amuïssement de n devant s : *ĭnfās ; le second n n'avait pas été restitué en latin vulgaire, probablement car on n'y reconnaissait pas in- ni con-, comme dans mes "mois" (< mens, mensĕm) ;

- type ufant [ufã] (carte ALF 461 point 812 : Paulhaguet, 43, également sans doute les variantes de Haute-Loire de type "œ́fã" = [ëfã]). Ce type provient des labialisations.






2. Exemples de ns > s



latin LPC
>
latin LPC
(Ier après J.-C.)
>
occitan
ns
>
s
>
s
-ensĕ(m),
-ensă(m)

*-ēsĕ(m) [éːsé],
*-ēsă(m) [éːsa]

-és, -esa "-ois(e), -ais(e)"
ensĕ(m)

*-ĭēsĕ(m) [iéːsé]

(pal.)-és (1es palat.)
 
fr i̯éi̯ > -is :
*părīsĭensĕm > Parisis
(aussi : Cambraisis)

adjăcēns
*aiacēs → *ai(a)ce(m)

AO aise "aise" (1)
Cōnsorannōs
*cōserannōs

topon. Coserans (09)
consŭĕre > *consĕre (2)
*cosĕre [kóːséré]

AO czer "coudre"
censŭ(m)
*cēsŭ(m) [kéːsʋ]

AO cs "cens (impôt...)"
dēfensă(m)
*dēfēsă(m)

AO devza "défens, bois en défens"
īnsŭlă(m)
*īsŭlă(m) [iːsʋla] > *īssŭlă ?

ila, iscla "île"
mansŭ(m)
*māsŭ(m) [maːsʋ]

mas "mas (ferme)"
mansĭōnĕ(m)
*māsĭōnĕ(m) [maːsyóːné]

maison "maison"
mensĕ(m) ()

*mēsĕ(m) [méːsé]
mes "mois"
mensĭōnĕ(m) ()

*mēsĭōnĕ(m) [méːsyóːné]
AO moizn "mesure, appréciation"
mensūră(m) ()

*mēsūra(m) [méːsʋːra]

mesura "mesure"
mŏnstrăt

*mŏstrăt [mostrat]

mòstra "(il) montre"
pāgensĕ(m)
*pagese(m) [pagéːsé]

AO pas, païs "pays" ; pags "paysan"
pensăt
*pēsăt [péːsat]

pesa "(il) pèse"
pēnsĭlĕ(m)
*pēsĭlĕ(m) [péːsilé] > pĕssĭlĕ ?

(a, niç) pèile "poêle"
pensŭ(m)
*pēsŭ(m) [péːsʋ]

pes "poids"
prĕhensăt > prēnsăt


voir (AO) apresa ? (3)
prĕ(h)ĕnsĭōnĕm
*prēsĭōnĕ(m) [préːsyoːné]

preison "prison"
sĕrpĕns

*serpes → *serpe(m)

sèrp "serpent" (1)
sponsă(m)

*spōsă(m) [ispóːsa]

esposa "épouse"
sponsĭōnĕ(m)

*spōsĭōnĕ(m) [ispóːsyóːné]

AO espoizn "gageure"
*tensă(m)

*tesă(m) [téːsa]

tesa "toise ; tendue (4)"
tonsĭōnĕ(m)

*tōsĭōnĕ(m) [tóːsyóːné]
AO toizn "toison"

Tableau : amuïssement de n devant s à l'époque classique



(1) Pour adjăcĕns, sĕrpĕns, voir conséquences sur les participes présents latins ci-dessus.
(2) consŭĕre > *consĕre "coudre" : cette évolution est décrite à groupe consonantique + V + voyelle.
(3) Pour prĕhensăt "il cherche à prendre", voir GIPPM-2:17 (AO) apresa < apprĕhēnsă. Mais confondu avec prēndĕrĕ ? Et aussi son descendant serait le même que presar  (< prĕtĭārĕ "priser, estimer")
(4) *tensă(m) > "tendue, allée d'arbres dans laquelle on tend des filets transversaux pour prendre des oisillons".




3. Perte de n devant f ou s : évolution populaire et réactions savantes
   

(GIPPM-2:210-211) : (r.g.f.d.a.) "Une voyelle latine suivie de nf, ns n'était probablement, dans la prononciation usuelle au moins vers l'ère chrétienne, qu'une longue (fermée) plus ou moins nasalisée suivie de f, s (cf. M.-L. I, 403, 484, Niedermann, Phon. 44 et 133, Gauthiot, Fin de m. 144, Juret, Phon. 187, Grammont, MSL XIX, 255 et BSL XXIV, 43-4). Nos parlers présentent une voyelle orale suivie de f ~ h, s ou, dans des mots savants en général et, dans des mots populaires, quand on reconnaît ou croit reconnaître un préfixe, une voyelle suivie de nf ~ nh, ns ; dans plusieurs exemples de ce dernier cas le rétablissement de n est de date latine."


À l'époque républicaine (qui finit en 27 avant J.-C.), n s'amuït devant f et s. Cela entraîne un allongement compensatoire de la voyelle précédente, c'est-à-dire que de brève en général, elle passe à longue (PHL4:68-69, 155-156, IPHAF:173, etc.). Sinon les aboutissements occitans eussent été : cès "cens", mès "mois", pèsa "il pèse", pès "poids", espòsa "épouse"... au lieu de ces, mes, pesa, pes, esposa... (voir ĕ, ē, ŏ, ō).


Donc par la voie populaire tout se passe comme si ce n n'existait plus et si la voyelle s'allongeait.


En latin parlé soutenu, n était réapparu par réaction savante mais en conservant la quantité longue de la voyelle (IPHAF:173) donc l'évolution a été par exemple ĭn > ī > īn. Je n'ai pas trouvé d'explication à cette bizarrerie, qu'on pourrait considérer comme une erreur des savants latins : īn au lieu d'un retour vers un latin "authentique et désiré" ĭn. Le cas est très semblable à *ăgtos > āctus.


Toujours concernant la réintroduction du n, "la langue populaire n'avait suivi que là où les préfixes in- et con- étaient reconnaissables, par exemple īnfans et cōnsilium, tout en rendant à la voyelle du préfixe sa quantité brève (ĭ, ŏ)." (IPHAF:173, j.m.c.g., voir ci-dessous l'attestation de Cicéron).




Attestations antiques :


● Le passage de Quintilien ci-dessous montre que n devant s était écrit mais non prononcé.


Quintilien (Inst. 1, 7, 26) : columnam et consules exempta n littera legimus
"nous lisons columnam et consules sans prononcer la lettre n".

(pour columnam, voir mn primaire à "Groupes consonantiques").


● Le passage de Cicéron ci-dessous montre la restitution du n devant s et f dans in- et con-, avec maintien de la quantité longue de i et o dans la langue littéraire.


Cicéron (Orat. 159) : Quid vero hoc elegantius, quod non fit natura, sed quodam instituto, indoctus dicimus brevi prima littera, insanus producta, inhumanus brevi, infelix longa et, ne multis, quibus in verbis eae primae litterae sunt quae in sapiente atque felice, producte dicitur in, in ceteris omnibus breviter ; itemque conposuit, consvevit, concrepuit, confecit : consule veritatem, reprehendet, refer ad aures, probabunt.
(trad. PHL4:68) "Conçoit-on un fait de langue plus délicat que le suivant qui n'a pas une origine naturelle, mais repose sur une habitude établie ? Nous prononçons indoctus avec un i bref, mais īnsānus avec un i long, inhumanus avec i bref, īnfēlīx avec i long ; enfin, pour ne pas multiplier les exemples, toutes les fois qu'un mot commence par les mêmes lettres que sapiēns ou fēlīx, la voyelle du préfixe in- est allongée, partout ailleurs elle demeure brève, et la même remarque s'applique à la voyelle du préfixe con- dans conposuit, cōnsvēvit, concrepuit, cōnfēcit. Si l'on s'en tient à l'étymologie, on désapprouvera cette discrimination, mais si l'on s'en rapporte à son oreille, elle la confirmera.

● De nombreuses inscriptions montrent, selon Max Niedermann (PHL4:68-69), la même restitution du n devant s et f, avec maintien de la longueur de la voyelle précédant n, pas seulement dans in- ou con- :

Emploi de l'apex (partie "Mutation vocalique")
cénsor (CIL XII, 3102)
accénsus (CIL VI, 1887)
paréns (CIL X, 4041)
pugáns (CIL VI, 1377)

Emploi de l'i longa ou de l'ancienne diphtongue ei pour ī (partie "Mutation vocalique") :
INFRA (CIL VI, 10239)
INFERIOR (CIL II, 4510)
eimferis (= īnferīs) (CIL XV, 6265)

De plus : "l'alphabet grec possédant deux signes différents pour e et ē et de même pour o et ō, la transcription grecque de mots latins dans des inscriptions, dans des papyrus et chez des auteurs peut, elle aussi, nous renseigner dans une certaine mesure sur la quantité des voyelles suivies de -nf- et -ns-. Or, ce témoignage encore prouve absolument en faveur de la longue." (PHL4:69).

● Les réactions savantes dans Prob témoignent de la disparition du n devant s, et des efforts des lettrés pour rétablir les formes initiales :

- ansa non asa


(Prob entre probablement dans le cadre d'une réaction savante qui a réussi puisque les plus anciennes attestations donnent AO ansa "anse" et a.fr. anse).

- mensa non mesa

(Le latin populaire mesa a triomphé en espagnol puisque "table" se dit mesa. L'AO mensa "nourriture" - XIVe siècle à Tarascon, etc. - provient d'un emprunt au latin : en français mense "table" est aussi un emprunt au latin, attesté en 1558 dans Rabelais).

Des mots latins classiques (avec n) ont "réapparu", par exemple en français : "cens", "mensuel", "penser"..., qui deviennent des doublets étymologiques des mots du tableau ci-dessous.


Si c'est possible dans un mot actuel avec n, il faudrait étudier au cas par cas si on a affaire à un mot transmis de façon ininterrompue, corrigé par réaction savante, ou si on a affaire à un emprunt (c'est-à-dire avec une véritable lacune d'usage). Pour "mensuel" ils 'agit clairement d'un emprunt (attesté seulement en 1795, soit de mensualis, soit de mensis + -uel sur le modèle de "annuel").



Mots occitans montrant une disparition de n devant consonne :

Pour n devant f, on trouve en AO les variantes efan, effan "enfant", cosselh "conseil", ifȩrn "enfer", ifami "infâme"... Aussi lang coflar, bord goflar "gonfler".

Pour AO efan, effan "enfant", il y a sans doute eu disparition "tardive" de n car sinon on aurait ifan, iffan (*ifantĕm avait probablement ī et non ĭ).

Pour AO cosselh "conseil", goflar "gonfler"... il s'agit a priori aussi d'une disparition "tardive" de n.

Pour AO ifȩrn "enfer", ifami "infâme" : s'agit-il d'emprunts avec disparition de n ?




4. Raisons de l'amuïssement de n devant f, s en latin
   

Il faudrait chercher des explications dans la littérature scientifique ; je présente un raisonnement personnel.


On doit déjà remarquer que les consonnes implosives sont en position faible, c'est-à-dire qu'elles sont susceptibles de se transformer ou de disparaître par l'usure du langage (par exemple tendances de l'occitan à "Groupes consonantiques"). Mais ce n'est qu'une tendance.


Dans un premier temps, en latin ancien, le contact de m avec f, s subséquents avait donné n : cum + făcĭō > confĭcĭō, cum + sūmō > consūmō. Puis ce n s'est amuï dans le latin parlé, ainsi que dans les composés en in- et les autres mots (mensis, pensare...). Comment l'expliquer ? Pour les groupes nf, ns, sur le plan phonétique, il y a contact entre la nasale n qui requiert un contact langue-palais et une résonance dans les fosses nasales, et la fricative f ou s, qui requiert d'autres organes. On peut donc comprendre que, dans un contexte de débit rapide de la parole, n ne se prononce plus ; mais quand on a dit cela, on se rend bien compte qu'il manque un élément clé : les paramètres linguistiques de l'époque. Par exemple, la voyelle antécédente aurait pu aussi se nasaliser (voir pr enfant). Je conclus donc ainsi : n devant f ou s tendait à subir un amuïssement en latin parlé (accompagné d'un allongement compensatoire), du fait que n d'une part, et f ou s d'autre part, sont hétérorganes, et du fait des contraintes imposées par les paramètres linguistiques de l'époque.



Pour poursuivre cette étude phonétique, on constate que f et s ne sont pas des occlusives ; à l'opposé, le contact de m et n avec une occlusive subséquente permet leur maintien. Ce maintien se réalise avec une évolution vers m devant occlusive labiale p, b, et vers n devant occlusive dentale t, d et vélaire c, g, avec peut-être avec un certain degré de nasalisation de la voyelle dès le latin : cum-compărō, contineo, concedo,  in- > imploro, intĕgĕr, incanto.


Pour les consonnes restantes l, r, ce ne sont pas non plus des occlusives, tout comme j et v. Étudions ces derniers cas :


- Pour l et r (consonnes liquides), le latin ancien avait évolué auparavant vers une autre solution : assimilation de m et n à la consonne suivante (ml > ll : collăbōrō, mr > rr : correctusnl > ll : illūmĭnō, nr > rr : irrătiōnālĭs). Donc, au lieu d'un allongement compensatoire de la voyelle précédente, on aboutit à une gémination de la consonne suivante. Plus tard, lors des syncopes, lorsque ces mêmes groupes consonantiques apparaîtront dans d'autres mots, ils n'aboutiront pas au même résultat, mais à une épenthèse (nasale + liquide, par exemple ml > mbl : sĭmĭlăt > sembla "il semble") : cette évolution est conditionnée par d'autres paramètres linguistiques d'une autre époque.


- Pour j et v, le contact avec n est resté en latin classique : injuria, invasio, conventum, conjunctio. Mais en latin vulgaire, ce n'est pas clair, par exemple conventus "assemblée, réunion" a donné les descendants avec amuïssement de n de type covent, couvent (FEW 2:1131a, b, qui ne précise pas s'il s'agit d'une évolution phonétique "régulière" ou une dissimilation de nasales), *convitare > "convier", convidar / covidar... (FEW 2:1136-1137). En fait, tous (?) les descendants de inj-, inv-, conj-conv- semblent être des descendants de type savant, à étudier. Peut-être pourrait-on trouver un témoignage antique décrivant les erreurs de prononciation sur ce sujet : absence de prononciation du n devant j, v... Devant j [yy] puis [dj], n a dû persister, mais devant v [w], [β], [v], on peut supposer un amuïssement facile puisque ces consonnes et n sont hétérorganes. Concernant le contact de m avec j, v subséquents, remarquons qu'en latin ancien, comme ci-dessus pour nf, ns, m a donné n (conjunctio, conventum).


- Pour c et g : à faire.










5. Hypercorrections induites par la perte de n devant s : Măssĭlĭă > Mansilia


Certains mots latins avec voyelle longue suivie de -s- intervocalique ont évolué en -ns-. On peut penser qu'il s'agit d'un phénomène d'hypercorrection.

Je range l'évolution -ss- > -ns- dans la même évolution (il faudrait davantage étudier cet aspect).



Je cite RLHI:35 à propos de formonsus, occansio, hypercorrections de formosus, occasio (ci-dessous dans Prob) :


(trad.angl.) "formonsus, occansio reflètent une hypercorrection : les locuteurs connaissent les variantes /mensa/, /mesa/ ["table"], savent que /mensa/ est "meilleur", et ont ainsi tendance à créer des groupes /ns/ à des endroits inappropriés".


Attestations antiques :


Le manuscrit Prob blâme formonsus (voir esp hermoso "beau" et n.d.f. Hermonso) et occansio "occasion" :


Prob, 19 Hercules non Herculens (Hercules "Hercule")

Prob, 75 formosus non formonsus (formōsŭs "beau") ;

Prob, 123 occasio non occansio (occāsĭō "occasion") ;



Commentaire :

Max Niedermann (PHL4:155) classe ces occurrences dans les contrépels : "[...] des contrépels, reflétant la prononciation de gens illettrés qui cherchaient à imiter le parler de la bonne société".

Les auteurs divergent sur le fait que certaines des orthographes ci-dessus étaient purement graphiques ou réellement prononcées ; en tout cas, certains descendants actuels montrent qu'elles pouvaient parfaitement être prononcées (n.d.f. Hermonso pour hermoso < formōsŭs, voir ci-dessus Prob, 75 formosus non formonsus).


(ÉCNCL:5) Herculens est un "banal contrépel", quoique l'auteur ne donne pas la définition de contrépel.

(OTTCDE:172, citant JAKOBI 1996, Die Kunst der Exegese im Terenzkommentar des Donat, p. 87-88) "La graphie thensaurus résulte d’un contrépel lié à l’équivalence phonique des séquences graphiques -ēs- et -ens- = [ēs], consécutive à la chute du n implosif devant s." Pourtant la phrase de Donat commentant thesaurus / thensaurus pourrait très bien concerner la prononciation (proferebant "mettaient en avant") :

(Donat, commentaire sur L'Eunuque de Térence)

« 10.1 : THESAURO : Latini ueteres secundum Graecos sine n littera proferebant.
"En latin ancien, on énonçait thēsaurus (‘trésor’) sans n, conformément à son origine grecque [θησαυρός]." »


dĭœcēsĭs (διοίκησις) > diocensis "diocèse" : cette dernière forme est fréquente, notamment dans Lat.Ver..







immēnsŭs
   

Selon Romain Garnier (ÉCNCL:5), immēnsŭs "immense" serait un contrépel :


« On doit poser un couple *mḗt-ĭtus "mesuré" : *im-mḗsus (< *in-mḗt-ĭtus) "immesurable" (d’où "immense"). La syncope s’explique par l’intolérance de la langue latine au schéma rythmique de forme *[–̀ –́  ̆  ̆ ] (GARNIER, 2012 : 250). La graphie immensus est un banal contrépels [pour *immēsŭs], tout comme le lat. vulg. Herculens /hĕ́r.kǝ.lēs/ "Hercule" blâmé dans l'Appendix Probi. »


Cette explication implique que mēnsŭs "mesuré", participe passé de mētĭŏr "je mesure", soit aussi un contrépel. Wiktionary ne voit pas un contrépel, mais une analogie avec pēnsus “pesé”. L'autre famille de mots mēnsĭs "mois" (< pr-i-e. *mḗh₁n̥s) et ses dérivés (mensualis, menstruus, mensurare...), ont eu un n bien articulé. Le mot mēnsĭs "mois" a peut-être exercé une analogie sur *mēsŭs "mesuré" et *immḗsus pour donner immēnsŭs.




Tableau d'exemples (hypercorrection n devant s)
   

Il me semble qu'on peut faire entrer les mots suivants dans ce type d'hypercorrection :


latin LP

> langues romanes







exăgĭŭm > *essăgĭŭm

var.AO. ensai, var.prov. ensailang, rouerg ensag, lim ensaje, esp ensayo, cat ensaig "essai", port ensaio "répétition"
a.b.fr. *makjo
AO masn, mansn ("maçon")
Măssĭlĭă

Mănsĭlĭă > AO Manselha ("Marseille") (1)
*merdācĕŭm

oc merdàs, merdans "gros excrément"
(voir merdanson)
*missatĭcŭm

esp mensaje "message"
*pressā

AO premsar, prensar, esp prensar "presser"



Tableau : hypercorrections probables de type formosus > formonsus


(1) Mansilia, Mansella sont attestés au XIe siècle dans Cartul.S.Vict-DSM, SFoi. Manselha pourrait être à l'origine de Marselha, voir n > r.




6. Conséquences sur les participes présents latins



Antoine Thomas (EPF:220) signale la perte de n devant s dans des participes présents au nominatif singulier (en -ēns) : sĕrpēns > *serpes et adjăcēns > *aiaces (voir aise). Ces variantes nominatives ont entraîné un paradigme en -ēs, -ĕm au lieu de -ēns, -ĕntĕm.


Le même auteur signale que *serpes, *serpem est passé dans toutes les langues romanes. Par ailleurs par exemple en AO, serpen est attesté, tout comme sȩrp. Les deux paradigmes ont coexisté, à l'origine des deux variantes actuelles sèrp et serpènt. Le nom. serpes est attesté en latin médiéval du VIIe au Xe siècle, et dès le VIe siècle, serps est employé par Venance Fortunat (FEW 11:523a).


Je tente de recenser ci-dessous les mots entrant dans ce schéma.


nom. absēns > nom. *absēs / acc. *absĕm > AO abs, aus "non cultivé" (abs > aus) (DOM)

nom. adjăcēns > nom. *adjăcēs / acc. *adjăcĕm > oc aise "aise"

nom. rĕcēns > nom. *rĕcēs / acc. *rĕcĕm > roum. rece "frais, récent" (FEW 11:523b note 18)

nom. sĕrpēns > nom. *sĕrpēs / acc. *sĕrpĕm > oc sèrp "serpent"


Par contre, pour les mots latins de type pŏns, pŏntĭs, il semble que le type pōs ne fut pas employé (à mieux étudier). Voir alternance de type pon / pont.








Mots occitans montrant une disparition de n devant consonne (à mieux étudier) :

Pour n devant f, on trouve en AO les variantes efan, effan "enfant", cosselh "conseil", ifȩrn "enfer", ifami "infâme"... Aussi lang coflar, bord goflar "gonfler".

Pour AO efan, effan "enfant", il y a sans doute eu disparition "tardive" de n car sinon on aurait ifan, iffan (*ifantĕm avait probablement ī et non ĭ).

Pour AO cosselh "conseil", goflar "gonfler"... il s'agit a priori aussi d'une disparition "tardive" de n.

Pour AO ifȩrn "enfer", ifami "infâme" : s'agit-il d'emprunts avec disparition de n ?



II. Consonne m
   

(GIPPM-2:140) (graph.abrév.symb.) "Sauf palatalisation dans certains parlers du N. (v. § 235), m reste inaltéré, ex. amōre > amour ~ -ou ; pour la finale romane, voir §§ 384, 387."



III. Consonne n
   


A. Évolution de n intervocalique latin
   
Schéma général (évolution de n intervocalique latin)
   




-n-  >   -n- (cas général)
 

-/ñ/-  (parlers du nord ci-dessous)
 

--  (gascon ci-dessous)
 

-r-  (briançonnais ci-dessous)




(GIPPM-2:140) (graph.abrév.symb.) "Sauf palatalisation au N. (voir § 235 [p. 28]) et traitements particuliers dans la plupart des parlers aq. et en brianç.dial., etc. (voir plus loin), n reste inaltéré, ex. lāna > lano ~ -o ; pour la finale romane, voir §§ 385, 387."




Cas de nn latin
   

Voir nn (Groupes consonantiques).




Évolutions dialectales de n
   



Au nord : n > /ñ/

   


(GIPPM-2:28) (graph.abrév.symb.) « n est mouillé en [ñ] par i suivant en viv. N. vel. (y compris Langogne) auv. (y compris Merlines), voir ALF finissent, etc., nids ; je pense que la mouillure devant [u] est moins répandue: elle est générale en vinz. et parlers voisins, ex. nūdu > [ñu] (Dauzat : PHPV:50, GPRBA:18) ; amb. [ñu] et [nu]. Suivant M. A. Thomas, la mouillure de n en march. E. se produit devant les mêmes voyelles et a la même aire que l'altération de [t, d] (voir § 234). On trouve déjà chez Clet (Pui, milieu du XVIIIe s.) figni, pugni "finir, punir" ».




En gascon : n >

   

Voir le portugais luna > lua, catena > cadea, corona > coroa ; gallicien : lúa, cadea, coroa.



En briançonnais : n > r

   






IV. Nasalisations de voyelles
   


La nasalisation en occitan

   


(GIPPM-2:186 et suivantes ; les analyses de J. Ronjat et des autres auteurs sont incontournables, mais ne mènent encore qu'à une vue fragmentaire sur le phénomène des nasalisations. J'essaie ici de poursuivre la réflexion mais il faudrait des enregistrements de plusieurs mots pour toute la zone occitane et francoprovençale. L'ALF apporte une somme considérable d'informations mais concernant la subtilité du phénomène de nasalisation, il n'est pas assez précis et même aujourd'hui, pour transcrire les prononciations occitanes des voyelles "nasales", je pense que les procédés ne sont pas assez élaborés).



Idées clés :


● L'influence de m, n sur la voyelle antécédente est très variable si l'on considère l'ensemble du domaine gallo-roman.


● Pour m, n en position implosive :

- En sud-occitan typiquement, selon moi, la nasalisation de la voyelle ne se réalise pas (ou très peu) devant m, n implosifs, ainsi les voyelles du latin tardif se maintiennent notamment en provençal (où én et èn sont encore distingués) : an, én, èn, in, ón, òn, un.

- En domaine d'oïl, la nasalisation se réalise toujours, ce qui entraîne la convergence des sept voyelles latines vers les quatre voyelles nasales françaises : /ɑ̃/, /ò̃/, /è̃/, /œ̃/ (influence ouvrante de la nasalisation).

- En domaine nord-occitan et en domaine francoprovençal, la nasalisation est sans doute intermédiaire avec de nombreuses nuances selon les régions.


● Pour m, n en position intervocalique :

Dans une zone essentiellement francoprovençale mais qui se prolonge jusqu'en Aveyron, un phénomène pouvant paraître curieux affecte a libre devant m, n, qui est nasalisé en /ɑ̃/ : ALF1214 "semaine" (semana/senana prononcé avec /ɑ̃/) (du Rhône jusqu'au Val d'Aoste et au Valais en Suisse, du sud de la Côte-d'Or jusqu'à l'Aveyron). Ce phénomène paraîtra moins curieux si on le compare au même phénomène qui s'est produit en a.fr. : m, n intervocaliques ont bien produit la nasalisation des voyelles antécédentes, qui se sont par la suite dénasalisées (nasalisations puis dénasalisations devant m, n intervocaliques). Dans la zone citée, la dénasalisation ne s'est jamais produite ; les voyelles sont toujours nasalisées devant m, n intervocaliques.

- ALF41 "âne" : la forme nasalisée ano /ãnó/, /ãnʋ/ "âne" est beaucoup plus réduite (en excluant la zone ase) : quelques points surtout en Suisse, rares points en Haute-Savoie et Drôme. Cela permet de penser que la nasalisation est antérieure à l'évolution asno > ano.

- ALF147 "bon bonne" montre une nasalisation ponctuelle de ò dans bòna (deux points en Isère, un point en Savoie, nombreux points en Suisse) (mais bòna est en concurrence avec bona /bóna/, /bʋna/). A priori, cela montre une nasalisation plus difficile de ò par comparaison à a.

- ALF744 "laine" montre une nasalisation de a un peu plus réduite que pour semana : elle n'atteint pas la Haute-Loire, ni la Lozère, ni l'Aveyron. Cela peut s'expliquer par une nasalisation moins facile entre l et n (lana) qu'entre les deux nasales m et n (semana). Pour ALF1582 "graine", le domaine de nasalisation est un peu plus réduit. Pour ALF592 "fontaine", l'étude de fontana est limitée par la grande extension de la variante fònt au sud. Mais fontana /fʋ̃tãna/ est bien représenté du nord du Rhône jusque dans les vallées italiennes et suisses.

Il est difficile de savoir si cette zone de nasalisation était plus étendue par le passé.



Nasalisations avec ouverture

(je ne sais pas encore ou le mettre) :

Voir l'article génial de Straka, où l'on peut dater les nasalisations.


penna > fr. panne ("en panne")

femna > fr. femme [fam]



Quelle valeur phonétique pour les voyelles "nasales" provençales ?
  

Cette partie est assez théorique, mais elle n'est pas inintéressante. Ci-dessous pour la référence phonétique du provençal, j'utilise mon vécu depuis tout petit, où j'entends parler provençal, et également les nombreux enregistrements réalisés.


Voir la définition de nasalisation à "Transformations phonétiques".



Pour le provençal (dialecte sud-occitan), les ouvrages modernes indiquent l'existence de voyelles nasalisées à des degrés divers :


(GP:20) "Toute voyelle suivie de n ou m en fin de mot ou devant une consonne est nasalisée (à des degrés divers) ; le n ou le m reste alors sensible [...] :

man [mãŋ], fam [fãŋ], vin [vĩŋ], fum [fũŋ] ;

cantar [kãnta], lònga lò̃ŋgò], tombar [tʋ̃mba]".



Voici ma réflexion personnelle :


- Si l'on compare les prononciations de pr pin et angl king, les deux derniers phonèmes sont quasiment les mêmes, voir king. Le mot anglais possède un léger -g à la fin, alors qu'en occitan, ce -g n'existe pas. La phonétique note le mot anglais /kiŋ/. Si l'on prononce lentement pr pin, on se rend compte qu'on peut très bien pronononcer le début de la voyelle, ou toute la voyelle, en bloquant le passage de l'air dans les fosses nasales, et bien sûr pour prononcer la fin du mot, on doit débloquer ce passage d'air. Le i ne semble donc pas forcément nasalisé.


- Si l'on compare pr canton et all Achtung, les deux derniers phonèmes sont les mêmes (même si l'on peut discuter sur la valeur /ʊ/ ou /ʋ/ de la voyelle), voir achtung-ung. La phonétique note le mot allemand /ˈʔaχtʊŋ/. Le ʋ ne semble donc pas forcément nasalisé.


- Si l'on compare pr acampa et it stampa, les deux phonèmes précédant p sont les mêmes, voir stampa. La phonétique note le mot italien /ˈstam.pa/, mais voir esp estampa noté /esˈtampa/, [esˈt̪ãm.pa], esp finca noté/ˈfinka/, [ˈfĩŋ.ka] (avec la distinction phonologie et phonétique, qu'on pourrait discuter). On n'est pas obligé de nasaliser le a dans pr acampa.


- Si l'on compare pr lo vènt avec fr.st. "le vin", la terminaison est complètement différente. Le mot vènt avec un "accent pur" se réalise [vèŋ], alors que fr.st. "vin" se réalise [vè̃].


- Si devant la voyelle, il y a déjà une consonne nasale (m, n, nh), le voile du palais s'abaisse pour articuler cette première nasale, et reste abaissé pour articuler toute la syllabe : la man, non, lo nombre, ramentar, la menta, la montanha, lo manhan... La voyelle est donc forcément nasalisée (partiellement).



Conclusions :


- Les exemples précédents montrent qu'en dialecte provençal (et probablement dans la majorité du domaine sud-occitan), la nasalisation des voyelles n'est qu'optionnelle. Je ressens que si l'on parle le provençal lentement, en articulant bien, "en recherchant un accent pur", les voyelles ne sont pas nasalisées (ou bien même si un peu d'air passe par les fosses nasales, la différence n'est probablement pas perceptible), mais ces voyelles sont suivies simplement de ŋ ; ou de m devant p, b (acampar, semblar) ; ou de n devant t, d (sentir, candèla).


- Dans le cas nasale + voyelle + nasale finale ou devant consonne (la man, lo nombre), la voyelle est forcément nasalisée (partiellement).


- Bien sûr, dans les réalisations relâchées parfois teintées d'accent français, ou bien en progressant vers le nord en domaine nord-occitan et francogauloisençal, toutes les situations intermédiaires peuvent exister : l'air circule plus ou moins par les fosses nasales.


- Dans le site, pour me conformer aux ouvrages modernes (GP, etc.), j'utilise le tilde (~) sur la voyelle montrant qu'elle est nasalisée (même si elle ne l'est pas forcément), puis une nasale en exposant, ce qui montre que cette nasale est sensible mais peu prononcée : man [mãŋ], cantar [kãnta], lònga lò̃ŋgò], tombar [tʋ̃mba]. Mais pour le moment, dans les articles du dictionnaire, je n'ai pas placé ŋ, m, n (voir nasales en exposant à "Transcription phonétique").

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● Les voyelles fermées sont les plus difficiles à nasaliser (i, u et ʋ) ; elles ont pu aboutir à l'amuïssement de -n (lo vi, lo matí) dans une très vaste zone occitane.


● Pour toutes les voyelles, fermées ou ouvertes, le -n, dans une vaste zone appelée "zone du -n caduc" (approximativement entre la Garonne et le Rhône), ou bo pour bòn "bon", pla "bien" pour plan "doucement"




Note : Nigidius ap. Aulu-Gelle, Nuits Attiques, 19, 4, 7 "ancora"... "n" non esse, lingua indicio est [...]
"Dans ancora, il ne s'agit pas d'un n ; la langue le montre bien ; car s'il s'agissait d'un n, la langue toucherait le palais." (Biville "approche phonique de la langue", 1988, page 157)





Le -n occitan instable

Pour certains mots latins, au moment des apocopes, le n intervocalique devient final.


En Provence, ce -n conduit à une nasalisation incomplète de la voyelle précédente.


À l'échelle du domaine d'oc, ce -n est qualifié d'instable. En effet, dans une grande partie centrale du domaine d'oc ("dans la zone comprise en gros entre la Garonne et le Rhône" (HIO:3003), de nombreux mots avec -n se prononcent comme si -n n'existait pas : lo vi pour lo vin "le vin", ou bo pour bòn "bon", pla "bien" pour plan "doucement"... Il est caduc. Ce phénomène constitue un critère dans la localisation des scriptae médiévales (ibid).


Aujourd'hui en graphie alibertine, dans cette zone où -n est caduc, on peut écrire soit avec la forme référentielle (lo vin "le vin" prononcé [lʋ vi], [lʋ bi]), soit avec des formes étroites (lo vi, lo bi). (Je n'ai pas trouvé ce thème dans PCLO).



Diphtongaison_romane_dans_la_Romania.jpg

Le -n instable. (HIO:3003)


Mais aussi pour le dauphinois (carte matin) : les voyelles fermées i, ʋ, u peuvent aussi perdre le n subséquent :


DPRN:123 (pour le département de la Drôme) "En finale absolue, le pain se dit le plus souvent lʋ, le vent lʋ vẽ, le temps lʋ tẽ, etc. [...] Devant un N devenu final, les voyelles les plus fermées i, u (< ó) et u ont échappé au contraire au processus de nasalisation dans la plus grande partie du département et la consonne nasale a eu tendance à disparaître : lʋ vi « le vin», lʋ vézi « le voisin », lʋ razi « le raisin», lʋ garsʋ « le fils », la mézʋ « la maison », kóku « quelqu'un »... [...] ce décalage des voyelles fermées par rapport aux voyelles ouvertes face à la nasalisation est un fait assez général dans la Drôme provençale. Il confirme pleinement les observations faites par M. Straka (RVN: surtout 256-257) : les voyelles ouvertes se nasalisent plus facilement que les voyelles fermées."



Allongement compensatoire de la voyelle suite à la perte de n final subséquent (béarnais)


Voir allongement compensatoire en occitan (évolution des voyelles latines).






Les mêmes mots sont parfois écrits avec une voyelle simple. On voit que bona, plena, ne sont pas écrits avec une double voyelle. Logiquement la voyelle tonique était également longue, mais la graphie boo, plee, montre peut-être que l'amuïssement du n dans le masculin crée un allongement sensible.

On trouve cependant :


arroos "rosée" < rōs (nom.)

espoos "époux" < *spōsu < spŏnsŭm

poderoos "puissant" (3 occurrences) (et aussi poderos, 5 occurrences) <  *pŏtērĕ + -ōsŭm,


geer "hier" < hĕrī,

suus "sur" < sūsŭm


Le oo provient aussi de [ol + consonne] dans cootet, cooteg "épée" (dérivé de cultellus), coopable (mais dou < dol "douleur").




Fermeture a > o devant m, n
  


Dans de nombreux dialectes occitans, a > o devant nasale (m ou n) : (GIPPM-1:191-193)


Devant -m, -n occitans (provenant de lat -m-, -n- intervocaliques) :


cănĕm > còn / cò (sauf là où l'on emploie un mot emprunté : che, chin/chi) "chien"

fămĕm > fom / fò [fwò] "faim"

grānŭm > gròn / grò "grain"

mănŭm > mòn / mò "main"

pānĕm > pòn / pò "pain"

plānŭm > plòn / plò "endroit plat"



Devant -m-, -n- situés devant consonne en occitan, ainsi que devant -n < -nn-, l'évolution serait moins fréquente selon J. Ronjat :


-antĕm > -ònt "-ant" (p.prés., saut là où l'on emploie -ènt analogique)

-antiăm > -ònça "-ance" ("espérance", "importance"...)

annŭm > on "an"

campŭm > còmp / chòmp "champ"

cămĕrăm > còmbra / cròmba / chòmbra "chambre"

cannăpŭm > còmbe / chòmbe "chanvre"

cantăt > cònta / chònta "(il) chante"

grandĕm > grònd, fém grònda "grand, grande"

plantăm > plònta "plante"

tantŭm > tònt "tant"


ambertois futur (3e.p.pl.) -an > -on (alors que an < *ant < habent)


Devant -m-, -n- intervocaliques occitans :


flammăm > flòma "flamme"

grānăm > gròna "graine"

septĭmānăm > semmòna, semòna "semaine"






Nasalisations parasites (Drôme)
  

(En chantier)

Jean-Claude Bouvier (DPRN:125) appelle nasalisations parasites un ensemble qu'il considère lui-même comme hétéroclite ; cet ensemble surprend par son abondance notamment dans la Drôme au nord de la rivière Isère, avec un maximum dans le patois de Geyssans.

Remarque : Le n dans gronzèla "groseille" est une "nasalisation parasite" ; ce type de nasalisation est fréquent dans la Drôme (DPRN:125) : ronzola [rõzʋlò] "coquelicot", nonchola [nõtsʋlò] "chouette"... Pour gronzèla, influence de donzȩla ?.