Accueil



Troisièmes palatalisations (ce, ci en position faible et cl, gl intervocaliques)
07-06-2025
 



Dans la première moitié du IIIe siècle ont lieu les troisièmes palatalisations (date pour la Gaule du nord, IPHAF:181). Le vocable "troisièmes palatalisations" est conforme à la terminologie de IPHAF:181.



I. Palatalisation de ce, ci en position faible

Il faut noter qu'en position faible, ce, ci latins montre une évolution identique à l'évolution de t + ĭ, ĕ en hiatus (pōtĭōnĕm > poison), mais pour l'occitan, l'absence de i diphtongal de transition est cette fois nette (voir i diphtongal de transition).



A. Cas général pour ce, ci en position faible



Schéma général (ce, ci en position faible):


V + /-k-/ (suivi de e, i) > V + -s- /-z-/

V + /-k-/ (suivi de e, i) > V + -tz /-s/   (en finale après les apocopes)


Détails :


Dans les années 200 après J.-C., dans le nord de la Gaule, la consonne k intervocalique devant e ou i évolue en t' ; c'est précisément une demi-palatalisation (IPHAF:181) (la consonne t' est différente de ). En français cela réalise un i diphtongal de transition devant t'. Dans le sud de la Gaule, le même phénomène s'est réalisé sans doute vers la même date. Mais en occitan cette palatalisation ne réalise pas de i diphtongal : plaser, fasèm, lusir, rasim, dètz / français : "plaisir", "faisons", a.fr. "luisir" luire, "raisin", a.fr. "dièis" dix.


Remarques sur le i diphtongal :

Si le i diphtongal apparaît souvent devant tĭ, tĕ + voyelle, il n'apparaît pas devant ce, ci en position faible (sauf en "dauphinois"). Je renvoie à la discussion Étude de i diphtongal devant tĭ, tĕ + voyelle.

L'AO pais, variante de patz "paix" (< pācĕm) peut s'expliquer par l'évolution du n.s. pāx (comme le dit J. Ronjat GIPPM-2:89), ou bien en d, par un traitement de type français, voir d actuel pais ci-dessous (conformément à crois "croix", nòis "noix"...). Voir explication possible à "Le i diphtongal de transition n'apparaît pas dans certains cas en occitan".



Puis pour répéter ce que j'ai dit pour les premières palatalisations concernant t + ĭ, ĕ en hiatus, il y a eu très rapidement sans doute, assibilation avec affrication de la nouvelle consonne : /t'/ > /ts'/ . À l'intervocalique, vers l'an 400, la demi-palatale /ts'/ subit la sonorisation. Donc : /ts'/ > /dz'/.


L'évolution ultérieure montrera (dates pour le français IPHAF:82) : à partir de la fin du VIe siècle, plutôt au VIIe siècle, une dépalatalisation ; vers l'an 1200, une "désaffrication" (perte de la composante occlusive de l'affriquée).



En bilan, on aura pour cĭ, cĕ en position faible :

 

ce, ci (derrière voyelle)  >   (IIIe siècle) /t'/   >   (IIIe siècle) /ts'/   >   (vers l'an 400) /dz'/   > (VIIe siècle) /dz/   >   (vers 1200 ?) /z/



*ămīcĭtātĕm

Pour ămīcĭtĭăm > *ămīcĭtātĕm > oc amistat, fr "amitié", la syllabe est préconsonantique. Le c devant ĭ s'est bien palatalisé ; en voici la preuve :


Pour le français "amitié" (< *ămīcĭtātĕm), la présence du deuxième i indique que la loi de Bartsch s'est exercée (voir le type "moitié"). Donc le t latin dans la syllabe s'est palatalisé, ce qui n'a pu se réaliser qu'au contact de c antécédent palatalisé. Ce contact entre les deux consonnes s'est réalisé par syncope de la prétonique ; datée selon IPHAF:85 d'avant la sonorisation /ts'/ > (vers l'an 400) /dz'/.


[amits'étté] > [amits'taːté] (IPHAF:85)



Pour l'occitan amistat, le c devant ĭ s'est aussi palatalisé, parvenant sans doute aussi jusqu'au stade /ts'/, mais l'effet de Bartsch, limité au français et au francoprovençal, ne s'est jamais réalisé.


Scénario à écrire  ici.


Cas à étudier :

rādīnăm > */raδisina/ > racine




B. Évolutions dialectales particulières



Comme ce, ci en position faible rejoint te, ti en position faible, ces évolutions doivent recouper les évolutions dialectales de t + ĭ, ĕ en hiatus (pōtĭōnĕm > poison).


- Dauphinois (d) : plusieurs mots laissent penser que le i diphtongal est apparu, comme en français, et en opposition avec le reste du domaine d'oc : crŭcĕm, lĭcērĕ, nŭcĕm, pācĕm, plăcērĕ, *vēcīnŭm > crois, leisir, nois, pais, plaisir, veisin. Cette évolution semble conforme à l'évolution dauphinoise de t + ĭ, ĕ en hiatus


- Bordelais (Aquitaine) (bord) : parfois ce, ci > de, di : aucĕllŭm, cŏcīnăm, dīcĕrĕ, *lūcīre > audet, codina, díder, ludir. Cette évolution est attestée dès le XIIIe siècle (GIPPM-2:121-122) ; elle est conforme à l'évolution bordelaise de t + ĭ, ĕ en hiatus, et elle rejoint l'évolution aquitaine de d intervocalique.


- Gascon (g) : finale parfois ce, ci > -ch : dĕcĕm, vōcĕm > dèch, voch.


- Nord-occitan (n.-o.) : parfois ce, ci > ge, gi : aucĕllŭm, plăcērĕ > (d) augel, (a) plager ; (auv) plagir (mais je ne crois pas que ce soit typique de ce, ci, voir maijon "maison".




C. Problème de la voyelle finale


Dans certains cas ci-dessous, Atăcĕ(m) > Aude, ădjăcĕntĕm > *ădjăcĕ(m) > aise, nŭcĕ(m) > nose : le -e semble être resté. Voir conservation apparente du -e dans certains cas.





D. Exemples pour ce, ci en position faible


 
latin

occitan
-ce- /ke/
>
/zé/, /zè/
en finale : /ts/ (> /s/)



ăcĕrbŭ(m)
a asèbre "dur, âpre", aseure (FEW 24:100b)
addūcĕrĕ
AO aduzer... > (a) adúser "amener" (1)
addūcĕntĕ(m)
AO aduzen > adusènt "amenant"
ădjăcĕntĕm > *ădjăcĕ(m)

AO aitz, aise "aise" (voir étymologie de aise)
ămīcĭtĭăm > *ămīcĭtātĕ(m)

AO amistat, fr "amitié"
Atăcĕ(m)
AO *Adaze > *Azade > Azde > Aude "Aude" (hydron.) (LNDFA)
aucĕllŭ(m)

AO aucèl, auzèlaucèu ; auzèu... ; (d) augel, usèu ; (bord) audet "oiseau" (voir diphtongue au : aucĕllŭs)
berbīcĕ(m)

AO berbitz > (lim) berbitz "brebis"
Cŏlōnĭcĕllăs (2)

Colonzèlas ou Coronzèlas (26) "Colonzelle"
(à comparer avec La Collancelle, 58, (aussi Vinzèla ci-dessous).
cŏquīnă(m) > cŏcīnă(m)

AO cozina > cosina ; (lim) coisina ; (d) cuisina ; (bord) codina ; (pr.ma.) coïna... 
dĕcĕ(m)
AO dȩtz, dȩi > dètz ; (g) dèch ; (lim) diètz ; (auv) deitz, detzi "dix"
crŭcĕ(m)
AO crotz > crotz ; (d) crois, croeis "croix"
*dŏm(ĭ)nĭcĕllă(m)
AO donzèla "demoiselle" (à comparer avec doncèla)
dīcĕntĕm
AO dizen > disènt "disant"
dīcĕrĕ
AO dizer... > (g) díser ; (bord) díder... "dire" (1)
ēlĭcĕ(m) (3)
AO euse "chêne vert, yeuse"
făcĕrĕ
(l) fàser... "faire" (1)
jăcĕrĕ
AO jazer (prob. jazer et jazr), jazir...
>  (g) jàser ; (lim) jasei ; (a) jasir... "gésir" (1)
īlĭcĕ(m)
voir ci-dessus ēlĭcĕm.
lĭcē
AO lezr, lezir > leser, lesir ; (d) leisir "loisir"
lĭcĕt
AO ltz "il est permis"
lūcĕ(m)
AO lutz > lutz "lumière"
*lūcĕrĕ
AO luzer > (pr.ma., a) lúser "luire"
măcĕllŭ(m)
AO mazȩl > masèu ; (a.fr.) maisel "abattoir ; boucherie"
mūcērĕ > *mŭcē
AO mozir > mosir ; (g) mossir ; (bord) amossir ; (d) musir... "moisir"
nŏcērĕ > nŏcĕrĕ  
AO nozr ; nǫzer, nǫire "nuire"
nŭcĕ(m)
AO ntz, nze, nt > (l, a, d) nose ; (pr) nòse ; (g, Vel, auv) notz ; (g, béar) nòtz ;  (g, lim) not ; (l) nòt ; (a) nois ; (d) nòis, noeis...
pācĕ(m)
AO patz, pais > patz ; (d) pais "paix"
perdīcĕ(m)

AO perditz, perdritz... > perditz, perdritz... "perdrix"
plăcē
AO plazr > plaser ; (a) plager ; (lim) plasei ; (auv) plasir, plagir ; (d) plaisir "plaisir (plaire)"
sălĭcĕ(m)
sause "saule"
Ūcĕtĭăs (acc.f.pl.) > *Ūcĕtĭŭ(m) ?
AO Uzȩtz, Uzes > Usètz "Uzès"
*Vīnĭcĕllăm (4)
Vinzèla (63), Vinzelles (71) (à comparer avec Vincelles) (aussi ci-dessus Colonzèlas) (4)
vĭtĭcĕ(m) (5)
vetge, pr.ma. vese "saule Salix eleagnos" (5)
vōcĕ(m)
AO vtz > votz, (l, g) voch... "voix"



-ci- /ki/
>
/zi/, /zé/
en finale : /ts/ (> /s/)



ăcĭnŭ(m) (6)
AO ? > (Av., Loz., Hte-L., Va.) ase "grain de raisin ; mûre ; framboise" ; age (6)
*ămīcĭtātĕ(m) (7)
amistat "amitié" (7)
cŏquīnăm > cŏcīnăm

AO cozina > cosina "cuisine"
*lūcīre

AO luzir > lusir ; (Vel) lugir... ; (bord) ludir "luire"
răcēmŭm > *răcīmŭm
AO razim > rasim ; (g) rasim, radim ; (béar) arrasim ; (bord) arresim, arredim ; (niç) raïm  ; (pr.ma.) rim... "raisin"
vīcīnŭm > *vēcīnŭm (7)

AO vezin > vesin ; (d) veisin, vecin "voisin"




Tableau ci-dessus : la palatalisation de -ce-, -ci- en position faible. Les différentes formes en AO et OA données ici donnent un éclairage sur la non-apparition du i diphtongal en occitan (sauf en d ?), et sur certains aboutissements dialectaux : bord de, di, parfois ge, gi en n.-o.. (En AO, le z intervocalique se prononçait d'abord /dz/,  puis /z/). En rouge : mots obtenus par la voie savante, contenant encore le i après la consonne.


(1) Pour dīcĕrĕ, făcĕrĕ, jăcĕrĕ, en (g) il y a apocope des proparoxytons ; ailleurs la syncope est généralisée : *dīcrĕ, *făcrĕ, *jăcrĕ puis évolution de -kr- intervocalique > -ir-. (dire, faire, jaire). Voir aussi far dans le dictionnaire. Voir aussi addūcĕrĕ > (a) adúser, etc.


(2) Pour *Cŏlōnĭcĕllăs : la racine cŏlōnĭca (terme de droit féodal, éloigné du latin classique cŏlōnĭca), signifie "ferme confiée à un colon, c'est-à-dire à un fermier perpétuel et héréditaire, attaché au sol mais homme libre" + suffixe diminutif -ĕllă


(3) Pour ēlĕx, ēlĭcĭs "chêne vert", il s'agit de la forme osco-ombrienne du latin īlĕx  (FEW 4:544-545).


(4) Pour *Vīnĭcĕllăm, DENLF:725 propose "petite vigne" ; TGF1:353 propose "cave à vin". Le suffixe diminutif -cĕllă existe (DD-lus:113, 122), voir dŏm(ĭ)nĭcĕllăm > donzèla ci-dessus.


(5) Pour vĭtĭcĕm "gattilier (arbuste)", le DFL donne vītex, -ĭcis avec i long, mais c'est une erreur (voir FEW 14:551b). Par ailleurs l'aboutissement aurait dû être [védzé] ; la forme [védjé] provient peut-être de l'interprétation de [dz] comme provenant d'une région à prononciation sifflante de -ge- et refaite en chuintante.


(6) Pour ăcĭnŭm, l'aboutissement régulier est ase, à mieux étudier. Il faut remarquer que fr. "cenelle" s'explique par déglutination très précoce de a- dans *ăcĭnĕllă (FEW 24:109a), le mot entrant alors dans le cadre des deuxièmes palatalisations.


(7) Pour vīcīnŭm > *vēcīnŭm, voir dissimilations i-i > e-i.









II. Palatalisation de cl, gl intervocaliques


Remarque : voir aussi à la palatalisation à l'initiale pour le type arverno-suisse cl- > çlh-.



Dans la première moitié du IIIe siècle, /kl/ et /gl/ intervocaliques se palatalisent en /λ/ (IPHAF:69,182). L'aboutissement /λ/ est donc le même que pour lĭ, lĕ en hiatus, et transcrit avec le digramme lh.


À l'intérieur des mots, les groupes /kl/ et /gl/ seraient forcément secondaires (IPHAF:69, mais l'auteur semble avoir oublié la famille de nĕglēctŭs).


Il y a aussi le cas particulier de cl + ĕ en hiatus dans cŏchlĕārĭs, voir c l +ĕ .




Par ailleurs, comme pour lĭ, lĕ en hiatus, on observe une tendance à la fermeture de la voyelle antécédente, par exemple : /é/ > /i/. Aussi en français : "étrille"ci-dessous dans le tableau, et voir ci-dessus fermeture de la voyelle devant lh.



latin

occitan
cas /kl/ + ĕ en hiatus
cŏchlĕārĕ(m)

culhier "cuillère"



/k'l/
>
/λ/



*aurĭcŭlă(m)

aurelha "oreille"
cănīcŭlă(m)
canilha "chenille"
măcŭlă(m)
malha "maille"
mănĭcŭlă(m)
manelha "anse"
*sōlĭcŭlŭ(m)

solelh (> soleu) "soleil"



/t'l/ > /k'l/
(voir t'l > k'l)

/λ/



*hĭnnītŭlāre

endilhar "hennir"
portŭlācă(m) > porcāclă (1)

porchalha "pourpier"
vĕtŭlŭ(m)

velh > vielh "vieux"



/gl/
/l/ ?



nĕglēctŭ(m)

 (AO) nelyt, nelch, nelg "tort, faute"



/g'l/
/λ/



cŏāgŭlā
calhar
*ragŭlā
ralhar
rēgŭla(m) > regla

relha
*strĭgĭla(m)
estrelha, estrilha
vĭgĭlā

velhar



 Tableau ci-dessus. Évolution de cl, gl intervocalique.


(1) Pour portŭlācă : portŭlācă > *portlācă > porclācă > Marcel. Emp. porcāclă (in TP:356).