Accueil



p, t, k, s, f (sonorisations...),
pr, pl, tr, cr, cl, fr, fl...
22-04-2025
  

(GIPPM-2:70, 81...)

 

Ce chapitre présente l'évolution des consonnes latines p, t, c, s, f (consonnes sourdes), ainsi que des muta cum liquida pr, pl, tr, cr, cl, fr, fl. Il traite notamment des transformations phonétiques appelées sonorisations, qui affectent p, t, c, s, f en position intervocalique. D'autres transformations renvoient à d'autres chapitres avec des liens.


Précision sur les consonnes sourdes : Les consonnes sourdes sont celles qui se prononcent sans utiliser les cordes vocales, à savoir : [p - t - f - s - k - ʃ]. Les autres consonnes, qualifiées de sonores ou voisées , ont besoin des cordes vocales pour être articulées (on peut le constater en plaçant les doigts sur la pomme d'Adam, qui vibre) : [b - d - v - z - g - j - l - m - n - r] .




I. Vue d'ensemble sur les sonorisations
   
A. Cas général (sonorisations)

Une sonorisation (ou voisement) est la transformation d'une consonne sourde en consonne sonore (ou voisée).


1. Schéma général (sonorisations)

Vers l'an 400, les consonnes sourdes intervocaliques subissent la sonorisation dans la Romania occidentale, c'est-à-dire pour simplifier :

/p/ > /b/, /t/ > /d/, /k/ > /g/



Pour être plus complet, voici un tableau montrant la sonorisation de toutes les consonnes, ainsi que les étapes postérieures à la sonorisation pour le français :


latin LPC

occitan

français
-p-
rīpă(m)
> -b-
riba

> -β- > -v-
rive
-pr- > -br-

> -βr- > -vr-
-pl-
>
-bl-

-bl-
-t-
vītă(m)

>
-d-
vida

> -δ- >
vie
-tr- > -dr- > -ir-

> -δr- > -rr-, -r
  tĭ, tĕ (devant voyelle)
  > /(i̯)ts'/

rătĭōnĕ(m)


>
/(i̯)dz'/ > /(i̯)z/

rason

/i̯z/

raison






-c- (devant a, o, u )

sēcūrŭ(m)

>
-g-

segur

> -ɣ- >

seür > sûr
-cl- > -/λ/-
-/λ/-
-cr-
>
-gr- (> -yr- parfois )

-ɣr - > -r-
voyelle + c /k/ + e, i :
  -c- (devant e, i)   >  /ts'/
plăcērĕ
>

/dz'/ > /z/
plaser

-/i̯z/-
plaisir






-s-
>
-/z/-

-/z/-
-f- (1)
>
-v-,


-v-,





Tableau ci-dessus : sonorisations des consonnes sourdes intervocaliques vers l'an 400. Pour le français, la sonorisation est souvent suivie d'autres étapes, qui mènent à l'amuïssement pour t et c latins.


(1) Le f intervocalique latin a une prononciation incertaine : [ϕ] ou [f]. Il disparaît souvent au contact de o, u, sinon il évolue souvent en v.







2. Datation des sonorisations
   

Les auteurs datent les sonorisations ainsi :

IPHAF:43 : "Dans la Romania occidentale, cette tendance à la sonorisation commence à se manifester vers la fin de l'époque impériale [n.d.l.r : fin de l'Empire : 476 après J.-C.]" ;

IPHAF:187 : "sonorisations : vers 400" ;

HDLL:68 : "au début du Ve siècle".

Plus précisément Ronjat d'après Gaston Paris (GIPPM-2 :70) donne : "Les inscriptions, textes vulgaires, chartes, etc... ont fréquemment

- d pour t dès le IIe s. après J.-C.,

- b pour p seulement au VIe ,

- g pour pour c au VIIe ou au VIIIe, et encore rarement ; cf. aglsax. eced < acētu emprunté vers le VIe."

Mais ces datations ne sont pas reprises par les ouvrages récents : elles ont été probablement remises en cause.


Rappelons que la date "vers l'an 400" n'est qu'une hypothèse de travail, et qu'elle ne demande qu'à être critiquée pour le domaine d'oc. Voir notamment les incertitudes sur la datation t > d.




Il s'agit donc d'étudier la sonorisation des consonnes p, t, k, s, f, ainsi que de la consonne néoformée /ts'/. Pour ʃ (ch), il n'existe pas en latin (à vérifier pour les mots d'origine étrangère).



3. Les sonorisations dans la Romania
   


La sonorisation des sourdes intervocaliques est l'un des deux traits principaux qui définissent la Romania occidentale par rapport à la Romania orientale : en italien (essentiellement dans la Romania Orientale), les consonnes du latin sont conservées (en gras) : ripa, vita, sicuro, capra (et pour s : casa avec /s/ au sud, /z/ au nord), alors que l'occitan a riba, vida, segur, cabra.

L'autre second trait important caractérisant la Romania occidentale est le -s du pluriel. (Voir Ligne La Spezia–Rimini).


Pour l'Italie, il faut remarquer que la situation est complexe :

1. Des sonorisations existent au sud de la ligne La Spezia–Rimini. Le toscan, à la base de l'italien, situé au sud de la ligne, montre certaines sonorisations.

(VSLR :146) "Pourtant, leur position intermédiaire [celle des dialectes toscans] au milieu des isoglosses qui séparent les dialectes du nord de ceux du sud, la sonorisation n'est pas exclue: strata > strada, lacus > lago, locus > luogo, pauperu > povero, ripa > riva, etc.". Mais ici l'auteur ne précise pas que la sonorisation n'aurait pas dû donner povero et riva, mais pobero et riba, voir 2. ci-dessous).

(RLHI:46-47) (trad.angl.) "Le destin de /p t k/ originaux en italien est variable et discuté. Alors que notre schéma indique que /p t k/ intervocaliques restent toujours intacts, ils deviennent en fait /v d g/ dans un bon nombre de mots, par exemple :

ripa "rive" > riva

episcopu "évêque" > vescovo

pauperu "pauvre" > povero

recipere "recevoir"> ricevere

spatha "épée" > spada

strata "pavée" > strada

metipsimu "même" > medesimo

quirītat "crie" > grida

lacu "lac" > lago

locu "lieu" > luogo

lactuca "laitue" > lattuca

precare "prier" > pregare

Les résultats de ce type seraient réguliers pour les dialectes d'Italie du nord, qui appartiennent au domaine gallo-roman. La diffusion des mots depuis ces dialectes a été avancée comme étant la cause des résultats mêlés dans l'italien standard, mais le problème reste irrésolu."

Là encore, l'auteur ne signale pas que la sonorisation de -p- aurait dû donner -b-, non -v-. Voir 2. ci-dessous.

2. Surtout, -p- a un comportement particulier au nord.

Pour -p- latin, la situation est en effet particulière : l'évolution -p- > -b- n'est pas représentée. Au nord de l'Italie, -p- évolue en -v-, et au sud il est conservé. Par exemple :

lŭpŭ(m) > tosc. it. lupo, sard.logud. lupu, val., h.engad. luf, frioulan lof, lŭpă(m) > piém. lova (FEW 5:461a,b) (-f représente un durcissement de -v après apocope).

rīpăm > tosc. it. ripa, obeng. riva, it. nord. riva, mais sard.logud. riba, frl. rive (FEW 10:414a).

Ce comportement est le même que celui du français ; il faut rechercher (dans la littérature ?) un scénario cohérent proposant l'évolution des occlusives en Italie du nord, et dans l'ensemble de la Romania occidentale.




4. Processus phonétique des sonorisations
   

De façon générale, on sait qu'une consonne en position intervocalique est "en position faible", c'est-à-dire qu'elle a tendance à s'user, à perdre de sa force (lien).


De façon plus précise, plusieurs linguistes justifient l'évolution <voyelle-sourde-voyelle> vers <voyelle-sonore-voyelle>.


(HDLL:68) "Notez qu'une telle consonne [consonne sourde] se trouve dans la situation suivante : vibration de cordes vocales, non-vibration de cordes vocales, vibration de cordes vocales. En effet, selon la théorie de l'économie des changements phonétiques, il est plus facile, pendant ce temps très court, de laisser vibrer les cordes vocales au lieu de déclencher ces vibrations."


(IPHAF:43) "Quand une consonne sourde se trouve à l'intervocalique, on est en face de la situation suivante : vibration des cordes vocales + non-vibration + vibration. Il faut donc une précision neuro-musculaire importante pour déclencher, bloquer et redéclencher ces vibrations en un temps très court.

En période d'imprécision articulatoire, cet effort risque de n'être pas accompli, ou de l'être mal, et la consonne sera contaminée par les vibrations immédiatement antécédentes et subséquentes. Il en résulte qu'en période d'imprécision articulatoire, la position intervocalique est, pour une consonne sourde, une position périlleuse, qui l'expose à la sonorisation. De fait, la sonorisation (passage de l'occlusive ou de la spirante sourde à la sonore correspondante) est le premier degré de l'affaiblissement, car en même temps, le contact de la langue avec le palais s'il s'agit d'une linguale, ou celui des deux lèvres s'il s'agit d'une bilabiale, perdra de son énergie, caractéristique des sourdes."


Peter Machonis compare la sonorisation antique de t avec la sonorisation de t en anglais américain (butter, city, artist...), et introduit la notion d'inconscience du processus :

(HDLL:45-46)  (c.g.t.o.) "En outre il faut comprendre que ces changements se passent inconsciemment de la part des individus qui parlent. C'est-à-dire qu'à part quelques rare exceptions, on ne contribue pas à un changement phonétique intentionnellement. Par exemple, en anglais américain, pour le mot butter même si on dit [bʌdər] (la prononciation normale), on croit toujours faire entendre [bʌtər] (la prononciation prescrite). On ne se dit pas qu'il est plus facile de mettre la consonne sonore en position intervocalique; on n'y pense pas du tout -- c'est un phénomène inconscient. De même, en latin populaire la prononciation de [padrem] "père" pour [patrem] en latin classique, est passée inaperçue chez les gens -- on croyait toujours dire [patrem]."




On peut tenter d'aller plus loin : pourquoi ce changement ? Les sononorisations n'ont affecté que la Romania occidentale (ci-dessus) ; par ailleurs on dit toujours "cité", "habiter", "têtu" avec [t], et les anglais prononcent toujours butter, city, artist avec [t].


François de La Chaussée invoque une "période d'imprécision articulatoire" (ci-dessus), mais cela reste vague.


Il me semble qu'on doit rapprocher les sonorisations de la mutation consonantique du corse (et du sarde ?).


La langue corse est bien connue par son phénomène de mutation consonantique, c'est-à-dire par des adoucissements de consonnes en position intervocalique. Ce phénomène s'appelle aussi sandhi (ELC:108 "sandhi initial").








B. Cas particulier 1 : sonorisation de certaines consonnes initiales

Voir transformation de certaines consonnes initiales. Ci-dessous, le cas échéant, les sonorisations des consonnes initiales sont mentionnées.







C. Cas particulier 2 : effets de la diphtongue au sur la consonne subséquente

Les effets de la diphtongue latine au sont en général différents d'une simple voyelle sur la consonne subséquente. Entre deux voyelles simples, une consonne occlusive subit la sonorisation. Mais si la première voyelle est la diphtongue latine au (maintenue encore aujourd'hui en occitan), souvent la sonorisation est bloquée. C'est ce que je déduis de la "nouvelle étude" ci-dessous.




1. Position de Jules Ronjat : au avait le comportement d'une simple voyelle dans le sud de la Gaule
   

Pour Jules Ronjat, la diphtongue au se comportait comme toute autre voyelle concernant son action sur la consonne subséquente :


(GIPPM-2:71) (j.d.a.r.g.) "À l'intérieur d'un mot le traitement est le même entre deux voyelles simples latines et entre diphtongue latine et voyelle simple latine : oe > , ae > ȩ ou (...) : causa > prov. litt. causo, lim. chauso, et ainsi partout [z] < latin s , sauf évolution dialectale ultérieure telle que méd. cauvo ~ cauo ~ cavo (réf.) ; audīre > prov. litt. l. ausi (d > [dz>z]), lim. óuvi ( d > [ð > ]) > v intercalé en hiatus ; paup(e)ru > lim. paubre, aq. métathèse praube."

(Ci-dessus pour audīre J. Ronjat adoptait un scénario abandonné pour d ; pour paubre "pauvre", voir la synthèse ci-dessous : paupĕrŭm > paure).


Cela conduit l'auteur à donner le latin *avica > * avca pour expliquer le maintien de -ca dans auca (lim, Vel aucha) "oie", sinon on aurait eu auga, n.oc. auja .


Dans une longue note (GIPPM-2 :72, note 1), il développe sa position sur le fait que au fonctionne comme une voyelle en occitan, mais qu'elle fonctionne comme [aw] en a.esp. : "(...) le [w] de [*páwk], etc... < paucu , etc... est resté [w], laissant [k] appuyé pendant que s'accomplissait la sonorisation des consonnes intervocaliques dans lacu, pācat, amīcu, etc... > lago, paga, amigo, etc..."




2. Nouvelle étude : le segment final de au avait souvent le comportement d'une consonne dans le sud de la Gaule

a. Vue d'ensemble : l'effet de au sur la consonne subséquente

α. Domaine d'oc et domaine d'oïl (comportement de la diphtongue au )

α1. En domaine d'oc (comportement de la diphtongue au )

Voici ma position personnelle :


En domaine d'oc, la diphtongue au a agi comme une consonne, au moins sur c et t subséquents : la sonorisation a été bloquée (pace Jules Ronjat).


Mes arguments sont présentés dans "arguments..." ci-dessous.


En domaine d'oc, pour comprendre l'évolution phonétique de "au + consonne sourde", une difficulté notable est l'apocope. En effet, les "masculins" pauc "peu", trauc "trou", rauc "rauque", étaient prononcés avec /k/ en AO et sont souvent encore prononcés ainsi dans certaines régions (voir /trawk/ dans les dialectes alpins : carte, et plusieurs dialectes à l'ouest du Rhône). L'étude de ces seuls mots ne permet pas de décider lequel des deux scénarios ci-dessous est le bon : sans sonorisation ou avec sonorisation. Alors que pour it, esp poco, port pouco "peu", la prononciation /k/ montre qu'il n'y a pas eu sonorisation.



  

Scénario 1 (sans sonorisation) :

(je montre ci-dessous que c'est le bon scénario : pas de sonorisation de c

paucŭ(m)

> (V e s. : -u > -ó) *pauco

> (VIII e s. : apocope) oc pauc "peu"




Scénario 2 (avec sonorisation) :

(je montre ci-dessous que c'est le mauvais scénario)

paucŭ(m)

> (vers l'an 400 : sonorisation) * paugu

> (V e s. : -u > -ó) *paugo

> (VIII e s. : apocopeoc *paug

> (juste après l'apocope : durcissement de la consonne devenue finale) pauc "peu"





α2. En domaine d'oïl : problème de chronologie (comportement de la diphtongue au)

En domaine d'oïl, la sonorisation (suivie de la spirantisation et de l'amuïssement) de la consonne après au (évoluée en ò ?) est sûre : aucăm > "oie" comme jŏcārĭ > "jouer", *gautăm > "joue" comme rŏtăm > "roue".

Mais il se pose le problème de la chronologie "sonorisation par rapport à monophtongaison de au ". Bien que les deux scénarios ci-dessous mènent au même résultat, il convient de savoir lequel est le bon (par exemple pour comprendre ce qui s'est passé au nord par rapport au sud de la Gaule et dans les péninsules ibérique et italienne). Le scénario 2 a la faveur de F. de La Chaussée (IPHAF:117, 189) mais la situation n'est pas claire.



Scénario 1 : (1) monophtongaison, (2) sonorisation : la voyelle /ò/ (< au) est une voyelle simple, donc la sonorisation se réalise normalement comme dans jŏcārĭ > *jogar > (spirantisation puis amuïssement etc.) "jouer" (oc jogar). Par exemple :


paucŭm > *pòcu > *pògu > *pòɣu > *pòu > a.fr. pou , "peu"


  

Scénario 2 : (1) sonorisation, (2) monophtongaison, cela impliquerait que la sonorisation se réalise derrière au :


C'est le bon scénario selon IPHAF :117, 189 (ci-dessous de façon plus détaillée : paucŭm)


paucŭm > *paugu > *pògu > *pòɣu > *pòu > a.fr. pou , "peu"




Les sonorisations sont réputées dater de l'an 400 environ, mais elles semblent débuter bien plus tard dans certaines régions, et on peut se demander combien de temps elles ont agi. Quant à la monophtongaison de au, elle daterait de la fin du V e siècle (IPHAF :117, 189). Donc selon les régions, la chronologie d'un phénomène par rapport à l'autre a pu être variable.


Bien que la chronologie soit mal établie, pour F. de La Chaussée, en domaine d'oïl, la sonorisation précède la monophtongaison : voir paucŭs ci-dessous. Il est vrai que le latin médiéval traugum (< * traucŭm "trou") semble montrer une sonorisation derrière au .


Fragilité du scénario 2 ?

- La sonorisation de c après au serait un comportement unique dans la Romania (voir α3 ci-dessous), différent de l'occitan, de l'espagnol, du portugais, de l'Italie du nord. W. Meyer-Lübke constate le phénomène (ci-dessous pour aut), mais en le survolant et sans se poser la question de savoir si le scénario 1 ou le 2 est le bon. Voir ci-dessous prononciation variable de au.

- Certains indices montrent une monophtongaison française très précoce (voir ci-dessous aucĕllŭm > oiseau ; voir aussi nausĕăm > noise).




α3. Reste de la Romania (comportement de la diphgongue au)
   

Dans la Romania occidentale, caractérisée en particulier par la sonorisation des voyelles intervocaliques (ci-dessus), on observe une absence de sonorisation après -au- latin, monophtongué en -o- (espagnol) ou non (portugais) (voir devenir de au).


Pour -auc- (ci-dessous) :


paucŭ(m) > esp poco, port pouco ;

aucă(m) > esp oca ;

raucŭ(m) > port rouco ;


Dans ces mots, le /k/ ne peut s'expliquer que par l'effet du -au- antécédent, et la monophtongaison espagnole au > o se serait réalisée à une époque tardive, où la sonorisation était terminée (voir la note de J. Ronjat ci-dessus). Voir aussi ci-dessous la référence de GRS1:358.


Dans des contextes vocaliques similaires, les évolutions fŏcŭm > esp fuego, jŏcŭm > esp juego, port jogo, lŏcō > esp luego ; *nŭcālĕm > esp nogal, offōcăt > port ofoga, montrent une sonorisation de /k/ pour l'espagnol et le portugais.


Pour -aut- (ci-dessous) :


Concernant la consonne t, on peut peut-être déduire le même phénomène : autŭmnŭ(m) > esp otoño "automne", fautŭ(m) > esp hoto in GLR1:386, a.esp. enfoto (à moins que ces mots espagnols aient subi une influence savante). Dans un contexte vocalique similaire, l'évolution rŏtă(m) > esp rueda, port roda "roue" montre une sonorisation.


Ces constatations permettent de conclure qu'en Espagne et au Portugal, la diphtongue au a empêché la sonorisation de se réaliser pour une consonne subséquente.




β. Arguments en faveur d'un comportement consonantique du segment final de au en domaine d'oc


β1. Étude de certains mots (aucĕllŭs, *gaută...)


Ci-dessous, les évolutions aucĕllŭm > aucèu "oiseau", *gaută(m) > gauta "joue", etc. montrent que la consonne subséquente à au ne s'est pas sonorisée (sinon on aurait obtenu ausèu, qui existe bien dans l'ouest du domaine d'oc, et gauda). Cette consonne n'était donc pas en position intervocalique : le u de au a agi comme une consonne.





β2. Étude des dérivés (comportement de la diphtongue au : pauc / pauquet comparé à fuòc / fogau)

Cette partie est construite à partir d'une réflexion personnelle (juillet 2019).


Les dérivés montrent une double opposition :



1. Opposition entre les familles occitanes en au et les familles occitanes en ó, ò ...


• familles en au : /k/ > /k/

paucŭm > pauc → pauquet, pauquetat, pauquẹza, pauca, apaucar, espaucat ;



• familles en ó, ò : /k/ > /g/

fŏcŭm > fòc, fuòcafogar, fogairon, fogau, foganha, fogatge, fogunc, foguinc ... ;



On voit que ces dérivés ont une consonne sourde derrière au , alors qu'elle est sonore derrière ó, ò. Cette règle souffre très peu d'exceptions ; ci-dessous je présente les études des dérivés pour chaque mot en au.


Voir le raisonnement au paragraphe "Durcissement de la consonne devenue finale" : Étude des dérivés : lobet, fogau..., pauquet.... Par déduction, les dérivés de type pauquet. .. ont des étymons aussi anciens que les étymons de fogau, lobet ... Donc leurs étymons sont apparus par dérivation avant les apocopes (avant le VII e siècle) :

- soit après les sonorisations, à partir de *paucu / *pauco qui aurait échappé aux sonorisations ;

- soit avant les sonorisations : *pauquettu..., qui auraient par la suite échappé aux sonorisations.


Cela est un argument en faveur de la proposition : "en domaine d'oc, la diphtongue au empêcha la sonorisation de la consonne subséquente" .


Cela est cohérent aussi avec les variantes n.oc.m. trauchar "trouer", enrauchar "enrouer"... Ces formes supposent l'existence d' étymons *traucare, *enraucare existant au début des années 400, et qui auraient subi la palatalisation ka > cha pour c en position forte.



2. Opposition entre les familles occitanes en au et les familles françaises en ó < au


• occitan : /k/ > /k/

raucŭm, raucăm > rauc, rauca → AO rauquet, rauquejar, rauquezir, rauquza, enraucar ;

aussi en n.oc.m. : enrauchir, enrauchar ...

*traucŭm > trauc → AO trauquet, traucar, traucable, traucador, trauquilhar, trauquilhós.

aussi n.oc.m. trauchar (TDF, FEW 13/2:230b) , trauchilhar FEW 13/2:231a)


• français : /k/ >

raucŭm, raucăm > a.fr. ro / roe → roeté, raueteit, roueüre, esrouer, esrouement...   "enrouer" ;

* traucŭm > "trou" → dial traouet, trouet, troueüre, entrouer, "trouer".


On voit que les dérivés occitans ont une consonne restée sourde , alors que les dérivés français ont une consonne amuïe (sonorisation puis amuïssement). Si le scénario 2 pour le français est vérifié (ci-dessus), cela est encore un argument en faveur de la proposition : "en domaine d'oc, la diphtongue au empêcha la sonorisation de la consonne subséquente ".



En conclusion, l'étude des dérivés fournit des arguments pour prouver qu'il n'y a pas eu de sonorisation des consonnes sourdes après la diphtongue au en domaine d'oc. La diphtongue au, dans son segment final, avait donc un comportement de consonne.




β3. Étude des féminins (comportement de la diphtongue au)


- Certes pour les adjectifs féminins (rauca "rauque", cauta "prudente"), on pourrait penser qu'ils ont subi l'influence analogique du masculin (rauc, caut avec consonne finale prononcée partout en AO).


- Cependant pour les noms féminins aucă "oie", craucă "terrain caillouteux", *gaută "joue", également pour le masculin naută "matelot" (> nautanier), il y a absence de sonorisation de c, t après au. Les cas de oc paucha "servante", pauta "patte" ne sont pas clairs car il a peut-être existé des géminations : *paucca, *pautta (voir ci-dessous paucŭs, paută).


- Des féminins nord-occitans sont affectés par la palatalisation ca > cha : aucha "oie, raucha "rauque". Normalement, cela n'est possible qu'avec c en position forte, donc avec une valeur [aw] de au.


En conclusion, l'étude des féminins montre également que le segment final de au a agi comme une consonne.






γ. Conclusion : prononciation variable de au en gallo-roman

Les arguments qui précèdent permettent de considérer les mots occitans concernés comme un ensemble cohérent, sans sonorisation de c, t après au. Pour p, on a trop peu d'exemples pour faire des déductions. Pour f, on n'a aucun exemple.


Pour s, la situation est complètement différente : il y a sonorisation en occitan après au (/s/ > /z/), avec des traitements dialectaux particuliers : aus > auv, av.


Par conséquent, dans les paragraphes qui suivent, je donne des scénarios avec pour hypothèse de travail :


au réalisé *[aʋ̯], ce qui autorise une sonorisation (domaine d'oïl) (si la chronologie de F. de La Chaussée ci-dessus est juste) ;


au réalisé *[aw], ce qui bloque la sonorisation (domaine d'oc) (comme dans la réflexion de J. Ronjat pour l'espagnol ci-dessus).


La notation phonétique *[aw] amène à réfléchir sur certains problèmes : 


- Concernant la genèse de [aw], il est possible que [aʋ̯] fût parfois réalisé [awʋ], voir w épenthique inséré dans la diphtongue au. On peut alors imaginer une syncope [awʋ] > [aw ' ].


- En Gaule du sud, il n'est pas impossible que ce [w] évoluât selon le scénario : [w] > [β] (> [v]) > [ʋ̯], voir vocalisation de v préconsonantique.





b. -aucă-, -aucŭ-


Vue d'ensemble sur -aucă-, -aucŭ- :


En domaine d'oc, c ne s'est pas sonorisé dans -aucă-, -aucŭ-.

Cela est prouvé par :

- l'étude des dérivés (ci-dessus) ;

- l'étude des féminins (ci-dessus).

Il est remarquable que cette absence de sonorisation se trouve aussi dans aucĕllŭm > aucèu (ci-dessous).


 

En domaine d'oïl, il y a toujours eu sonorisation de c (suivie d'amuïssement). De plus il semble y avoir deux traitements dialectaux : -auc- > -ou- et - oi- (FEW 25:771b "auca"). Dans ce domaine se pose le problème de la chronologie sonorisation / monophtongaison :


- si la sonorisation a lieu après la monophtongaison, on a une sonorisation banale en français : par exemple : aucăm > *oca > a.fr. oue / oie ;

- si au se monophtongue après la sonorisation, cela implique que au s'est comporté comme une voyelle, contrairement à l'occitan.




Dans les langues voisines, en it, esp, cat, oca "oie" est sans doute issu partout d'une monophtongaison tardive au > ó , postérieure à la sonorisation (voir dates de la monophtongaison de au). De même pour it , esp poco , port pouco "peu". Ces langues montrent donc un traitement identique à l'occitan pour l'évolution de - c- dans -aucă-, -aucŭ-.


Ci-dessous je propose une étude de chaque mot latin concerné.



aucă   "oie"

  

Pour oc auca "oie", il n'y a pas eu de sonorisation de c : l'évolution de c se réalise comme si cette consonne n'était pas en position intervocalique. Jules Ronjat (GIPPM-2 :71, voir ci-dessus) propose un étymon latin ancien * avica > * avca pour expliquer l'absence de sonorisation. Cette explication est possible, mais je pense qu'il faut établir un scénario cohérent avec les autres mots en -auc- . Voir l' étude des féminins ci-dessus : au réalisé [aw] bloquerait la sonorisation.


La variante n.oc. aucha "oie" est cohérente avec ce scénario (ci-dessus).


Ainsi je pense qu'il y a eu une évolution directe :



lat aucă(m) [awka] > oc auca     (sans oublier l' origine possible de [aw])


Dérivés :

aucat "oison", aucon "oison", auc "jars"


Pour le domaine d'oïl, la sonorisation (suivie d'amuïssement) s'est bien réalisée : aucăm > a.fr. oue ; également en fr-pr oya.

(La variante actuelle fr "oie" peut s'expliquer de diverses manières ; traitement dialectal, ou peut-être par influence de "oiseau" voir FEW 25:771b).




*craucă   "terrain caillouteux, stérile" (étymon pré-lat, en rapport avec Crau "la Crau")

  

(Les variantes et l'étymologie proviennent de FEW 2:1295b).


En occitan, AO crauca / grauca "terre stérile" ne montre pas de sonorisation de -c-. Voir l'étude des féminins ci-dessus.


Cela laisse supposer une évolution directe : 


lat *craucă(m) [krawka] > AO crauca   (sans oublier l' origine possible de [aw])


En domaine d'oïl, il y a une sonorisation (suivie d'amuïssement) : craucăm > poit. groie. (Pour gr , voir cr- > gr-).



La variante groge "terrain pierreux", de la région Centre, suppose :
- d'abord une sonorisation c > g en position faible (prononciation de au "de type français") ;
- puis :
- soit palatalisation ga > ja en position forte (prononciation de au "de type occitan") ;
- soit une évolution de type plĭcārĕ > plejar : *grauga / *groga > * grauja / *groja > groge .

En tout cas pour groge , on doit faire intervenir deux influences : d'oïl puis d'oc.





glaucŭs "glauque, verdâtre"

  

glaucŭm, glaucam > AO glauc, glauca "glauque"

Cet adjectif semble emprunté au latin (FEW 4:150b, 151a). Donc apparemment on ne peut pas l'utiliser pour faire des déductions sur l'évolution phonétique populaire.




*mauka "ventre" ou "intestins" ?

  

mauka serait d'origine gotique (FEW 16:544)



*mauka > AO mauca, maucha, maucut... maugueta, amaugueta "un des estomacs du ruminant".


Les dérivés sont tantôt avec /k/, tantôt avec /g/. L'origine gotique rend la datation difficile pour l'entrée de ce mot dans le lexique gallo-roman, et la diphtongue au a pu avoir une autre valeur que la diphtongue latine.




paucŭs, -ă   "peu"

  

En espagnol et en italien, poco < paucŭm montre l'absence d'une sonorisation (sinon on aurait eu pogo). Pour l'AO, pris isolément, pauc "peu" < paucŭm ne permet pas de conclure sur une éventuelle sonorisation de c (voir les deux scénarios ci-dessus).



Féminin :

Les féminins lim paucha "servante", dial.C. pauque "femme ou fille, servante" (mot venant du sud ?) (FEW 8:53b) pourraient montrer qu'il n'y a pas eu sonorisation. Voir l'étude des féminins ci-dessus. Mais P. Fouché (PHF-f2 : 311) a supposé l'existence d'un étymon *paucca , qui entraîne la résistance de /k/ à la sonorisation. Il invoque aussi un *pauccu pour expliquer le wallon poc "peu". Voir carte ALF:1007 : en wallon oriental (Vielsalm, Malmédy, Dolhain en Belgique), "peu" se dit [pók], [póːk]. On pourrait aussi proposer une absence de l' amuïssement au stade /g/, suivi logiquement d'un renforcement en position finale > /k/. Mais l'absence d'un wallon troc "trou" ne vient pas confirmer cette hypothèse.



Dérivés :

AO pauquet, pauquetat, pauquẹza, pauca, apaucar, espaucat.

L'étude des dérivés (ci-dessus) montre qu'il n'y a jamais eu de sonorisation de c en Gaule du sud. 


Le scénario est donc très probablement l'évolution "directe" (sans sonorisation : scénario 1 ci-dessus) :


occitan


paucŭ(m) */pawkʋ/
(sans oublier l' origine possible de [aw])

> (V e siècle : -u > -ó) */pawkó/
> (VIII e s. : apocope) */pawk/
l , g   pauc   /pawk/
> (amuïssement consonne finale) */paw/  pr   pauc   /paw/, /pòw/


  

français


Pour la Gaule du nord, je donne le scénario de F. de La Chaussée : 


- sonorisation derrière au (IPHAF :56) (mais voir ci-dessus : la chronologie est incertaine dans cette région) ;


- amuïssement de ɣ avec diphtongaison par coalescence : ò + ŭ final latin > òʋ̯, (alors que P. Fouché propose -ɣ- > -w- > (apocopes) - ʋ̯, PHF-f3 :631-632 ; voir le problème du même type à fāgŭm > fau et fŏcŭm > "feu").


paucŭ(m) */paʋ̯kʋ/
> */paʋ̯gʋ/
> (vers l'an 400 : sonorisations) */paʋ̯ɣʋ/
> (au > ò) */pòɣʋ/
> (amuïssement de ɣ => synérèse) */pòʋ̯/ Alexis pou */pòʋ̯/

Pour pou > "peu", je donne le scénario de P. Fouché (PHF-f2 :309) :


*/pòʋ̯/
> (assimilation d'aperture de ò avec ʋ) */póʋ̯/
> (même évolution que flōrem depuis le stade /flóʋ̯ré/)       */pë/ peu /pë/






raucŭs   "rauque"

  

L'AO rauc, rauch, avec ses dérivés montrent qu'il n'y a sans doute jamais de sonorisation de c


Féminin :

Voir l'étude des féminins ci-dessus. Le féminin nord-occitan raucha "rauque" (TDF, FEW 10:128b). Le masculin rauch /rawt ʃ / est sans doute construit par analogie sur le féminin raucha , dans les régions où se sont réalisées les quatrièmes palatalisations (n.oc.).


Dérivés :

AO rauquet, rauquejar, rauquezir, rauquza, enraucar...

L' étude des dérivés (ci-dessus) montre qu'il n'y a jamais eu de sonorisation de c en Gaule du sud. 




Par contre en a.fr., il y a sonorisation (suivie d'amuïssement) : raucŭs > rois , roie (f.), ro ; dér. a.fr. rouet , fr "enrouer" (voir FEW 10:128b). Le français actuel "rauque" serait un emprunt au latin (1377, voir CNRTL "rauque") (mais on pourrait aussi proposer un emprunt à l'AO).


Pour l'occitan il y a donc eu très probablement l'évolution "directe" (sans sonorisation) :


raucŭ(m) */rawkʋ/ > */rawkó/ > (VIII e s. : apocope) */rawk/


(sans oublier l' origine possible de [aw])



*traucŭm "trou"

  

Pour l'AO, pris isolément, trauc "trou" < *traucŭm ne permet pas de conclure sur une éventuelle sonorisation de c (voir les deux scénarios ci-dessus).


Dérivés :


traucAO trauqut, traucar, traucable, trauquilhar, trauquilhs ... ;

aussi n.oc.m. trauchar (TDF, FEW 13/2:230b), trauchilhar FEW 13/2:231a)


L'étude des dérivés (ci-dessus) montre qu'il n'y a jamais eu de sonorisation de c en Gaule du sud.


 

Le latin médiéval traugum (Lex Ripuaria, VIII e siècle) est très intéressant : il représente sans doute une étape d'évolution en domaine d'oïl (et pays germaniques) vers le français "trou", avec sonorisation c > g derrière au. Le g sera par la suite spirantisé puis amuï (il l'était déjà sans doute en langue vulgaire dès le Ve siècle).




Pour l'occitan il y a donc eu très probablement l'évolution "directe" (sans sonorisation) :


*traucŭ(m) */trawkʋ/ > */trawkó/ > (VIIIe s. : apocope) */trawk/


(sans oublier l' origine possible de [aw])





c. -auce-

aucĕllŭs "oiseau"

  

Depuis les Hautes-Alpes jusqu'à l'Aveyron et au Cantal, on a le type aucèl, aucèu "oiseau". Ailleurs en général, on a le type ausèl, ausèt (carte 0938 de l' ALF).

- Le type avec aucèl, aucèu montre une évolution /ké/ > /sé/ : voir deuxièmes palatalisations (position forte)

- Le type ausèl, ausèt montre une évolution /ké/ > /zé/ : voir troisièmes palatalisations (position faible).

L'étude de aucĕllŭs paraît ainsi montrer un comportement variable de au selon la région. La sonorisation en domaine d'oc occidental semble rejoindre la sonorisation dans paupĕrĕm > paubre (ci-dessous).

Je propose les deux scénarios suivants :




voie 1 : aucĕllŭm > aucèl, aucèu : palatalisation, pas de sonorisation (au réalisé [aw] ?)


aucĕllŭ(m) /awkéllʋ/   

> (IIe-IIIe siècles : 2 es palatalisations) */awèllʋ/ > */awt͜sèllʋ/

> (vers l'an 400 jusqu'à ? : sonorisation de c /t͜s/ bloquée par w) * /awt͜sèllʋ/

> (u final > ó) /awt͜sèlló/

> (VII e s. : dépalatalisation, apocope) */awtsèl/

> (vers 1200 : désaffrication) aucèl   /awsèl/                        → aucèl (05, 12 ...)

> (vocalisation de -l) aucèu /awsèʋ̯/, /ówsèʋ̯/                    → aucèu (Provence)



voie 2 : aucĕllŭm > ausèl : palatalisation, sonorisation (au réalisé [aʋ̯] ?)


* ăucĕllŭ(m) /aʋ̯kéllʋ/

> (1 e moitié du III e siècle : 3 es palatalisations) */aʋ̯t'èllʋ/ > */aʋ̯ts'èllʋ/

> (vers l'an 400 : sonorisation) * /aʋ̯dz'èllʋ/

> (u final > ó) */aʋ̯dz'èlló/

> (VII e s. : dépalatalisation, apocope) */aʋ̯dzèl/                     → auzȩl (AO)

> (vers 1200 : désaffrication) ausèl /aʋ̯zèl/
> (consonification ʋ̯ > w?) ausèl /awzèl/                               → ausèl (l)




Pour le français :


aucĕllŭm > oiseau : monophtongaison précoce, palatalisation, puis sonorisation.

(Il me semble qu'on doit envisager une monophtongaison précoce, peut-être contemporaine des troisièmes palatalisations, car sinon on aurait obtenu un i diphtongal conduisant à auicellu > oseau)
(voir au + sĭ, sĕ + voyelle ) ; en français les 3 es palatalisations induisent un i diphtongal .


*aucĕllŭ(m) /aʋ̯kéllʋ/

> (1 e moitié du III e siècle : 3 es palatalisations avec i diphtongal, et avec monophtongaison précoce ?) */ói̯t'èllʋ/ > */ói̯ts'èllʋ/

> (vers l'an 400 : sonorisation) */ói̯dz'èllʋ/

> (fin V e s. : u final > ó) */ói̯dz'èlló/

> (VII e s. : dépalatalisation, apocope) */ói̯dzèl/

> (évolution de ói̯ se calquant sur meitié > "moitié") */ʋé̯dzèl/

> (vers 1200 : désaffrication, bascule des diphtongues) /ʋ̯ézèl/

> (étudier /èl/ > /ó/) /wazó/ oiseau







d. -aup-
  

caupŭlŭs "petite barque"

  

caupŭlŭm > AO caupol "sorte de navire"


Il est possible que ce mot présente une influence savante (absence de syncope pŭl > pl). Il faut remarquer que Antĭpŏlĕm > Antíbol "Antibes" montre une sonorisation de p, mais pas caupŭlŭm > caupol : effet de la diphtongue au ? Pour les descendants de caupŭlŭm, l'espagnol coble et l'ancien breton caubal (glose) (FEW 2:541a) montrent une sonorisation.





paupĕr "pauvre" (devenu paupĕrŭs au IV e siècle : FEW 8:59a)

  

paupĕrŭm > AO paubre ~ paupre ~ paure ~ praube, dér. paubret, empaurir, empaubrir, empaubrezir, paubrẹza, paurẹza, praubẹza...

En OM, dans les deux tiers orientaux du domaine d'oc, le mot est paure. À l'ouest on trouve surtout praube, également paubre vers la Dordogne et la Haute-Vienne (carte ALF :981). Praube provient de la métathèse de paubre (voir type comprar > crompar). Le TDF donne aussi bord praue [prawé] (type gascon, voir b intervocalique). Il y a aussi un mystérieux pauber (DPF-H:818), sans localisation géographique (peut-être a.g., de type negue(r) "noir").


Problèmes de la syncope et de la dissimilation de labiales

La syncope paupĕrĕm > *paupre aurait pu se réaliser très tôt (fin IIe, début IIIe siècle) puisqu'il s'agit d'une syncope au contact de r. Mais justement, si p n'est "pas vraiment" en position intervocalique (effet de la diphtongue au), cela pourrait avoir retardé la syncope. L'italien n'a pas cette syncope : *paupĕrŭm > povero "pauvre", alors qu'il l'a pour lĕpŏrĕm > lepre "lièvre". Mais il est difficile de conclure : souvent les mots italiens conservent la voyelle atone, et de plus pour povero il y a eu une "sonorisation" particulière : voir ci-dessus les mots italiens avec p > v).


En tout cas, je pense que la variante occitane la plus fréquente paure provient d'une dissimilation de labiales : sur les deux p présents, le second s'est effacé, que ce soit au stade *paupere, ou au stade *paupre.

Dans l'ouest du domaine d'oc, paubre (et son avatar praube) montrent bien une sonorisation de p, comme dans cabra/craba "chèvre". La sonorisation après au en domaine occidental semble en conformité avec la sonorisation de aucĕllŭ(m) > ausèu dans à peu près le même domaine. Voir ci-dessus aucĕllŭs.


La variante AO paupre ne semble plus exister aujourd'hui. Jules Ronjat (GIPPM-2 :224) donne : "-p- propagation de p- par sentiment de redoublement". Il me semble que l'auteur aurait dû faire le rapprochement avec auca "oie", esp poco (< paucŭs), qu'il cite lui-même (voir sa position ci-dessus) : il est beaucoup plus logique de considérer que la diphtongue au empêchait la sonorisation de la consonne subséquente dans une grande partie du domaine d'oc et dans le domaine ibérique.


(GIPPM-2 :374 "Loi VIII", r.g.f.d.a.) "De même encore le type très répandu paure (§ 344) s'explique non par un latin *pauv(e)ru à tous égards très improbable, mais par une dissimilation VIII ou XVI de paubre < paup(e)ru."







e. -aus-

Dans tous les cas, s est sonorisé en français comme en occitan : /s/ > /z/.

Exemple :


causam /kaʋ̯sa/ > /kaʋ̯za/ "chose"


Voir aussi aus + ĭ, ĕ en hiatus > aus /aʋ̯z/ : *clausĭōnĕm > clauson, nausĕăm > AO nauza, nǫiza .


Il reste à expliquer le blocage de la sonorisation dans -auc-, -aup-, -aut- et non dans -aus-. La question n'est pas simple à résoudre. Voir



latin LPC

occitan
-s- > -z-
ausăt
ausa "(il) ose"
causă(m)
causa "chose"
clausūră(m)
AO clauzura "clôture ; enceinte"
* lausă(m)
lausa (pierre plate)
pausăt
pausa "(il) pose"



Tableau : évolution de -aus- .





Évolution dialectale -aus- > -auv-, -av-

Certains mots dans plusieurs régions du domaine d'oc sont du type cauva, cava (< causa) "chose" : voir /z/ intervocalique roman.






 

f. -aut-  (-eut-)



Le cas de -aut- est semblable à -aucă-, -aucŭ- ci-dessus : en domaine d'oc, t n'est jamais sonorisé ; en domaine d'oïl, il y a eu en général sonorisation de t (suivie d'amuïssement). Dans ce domaine se pose le problème de la chronologie sonorisation / monophtongaison. Je cite FEW 25:1176a (autŭmnŭs) : "L'absence de sonorisation du -t- dans la subséquence de la diphtongue au- est régulière en domaine occitan (MLRG 1, 433 1) ; on la considère généralement comme régulière en francoprovençal, y compris une partie de la Franche-Comté (références), mais son caractère autochtone est également discuté (référence)."


Il faut rajouter le cas de la diphtongue grecque ευ /èʋ̯/ qui a évolué en au dans tautena "calamar" (< τευθίς teuthís "calamar").



(1) Il s'agit de GRS1:358 (bibliographie DEAF)  (ou GLR1:383) : "Partout, à l'exception de la France du Nord, au exige un phonème sourd après lui; au provençal s'apparente encore le saintongeais avec ḣota (gauta)".



autŭmnŭs "automne"

  

Selon FEW 25:1176a : "Au total [pour la France continentale] seuls les représentants occitans de autumnus de type autoun, dans le sud-est, peuvent être héréditaires (Ronjat 2, 214 [GIPPM-2:214 à propos du traitement de -mn-]). Mais leur rareté à date ancienne et la présence de formes semi-savantes du même type en domaines francoprovençal et oïlique ne permettent pas d'écarter avec certitude l'hypothèse qu'il s'agit, là aussi, de formes semi-savantes."


En tout cas, AO autọm (et ses représentants actuels : auton /awtʋ̃/, /ówtʋ̃/), pourraient très bien être des héritages du latin, notamment au regard de l'étude de la terminaison du mot (cela permet d'éviter tant bien que mal le raisonnement circulaire). Auquel cas la diphtongue au aurait empêché la sonorisation de t.



cautŭs "entouré de garanties ; qui se tient sur ses gardes", cautēlă "défiance, précaution"

  

Il semble que ces mots soient passés aux langues romanes par la voie savante (français caut "avisé, rusé", XIIIe siècle, cautèle "ruse", vers 1270)

FEW 2:547b : (trad.all.) "comme pour les formes françaises, les formes it cauto, cat caut, esp port cauto sont aussi empruntées au latin".


Dérivés :

cautŭm, cautam > caut → cautęla (cautelọs, cautelozament), encaut (encautar, encautatiu) (mais FEW 2:547a : caudad "donné à caution", Toulouse, année 1179).


Comme il semble qu'on ait affaire à des mots empruntés au latin, on ne peut pas conclure sur l'évolution phonétique.





fautŏr "celui qui favorise" (voir "fauteur de trouble")

  

(făvĕō, fāvī, fautŭm, făvēre "être favorable")


fautōrem > AO fautor "fauteur"

C'est probablement un emprunt au latin (mais voir l'espagnol fautum > hoto in GLR1 :386)





*gaută "joue"

  

Il est possible que *gaută provienne d'une ancienne forme *gabŏtă, *gabŭtă ( FEW 4:10a). Il y a plusieurs points obscurs sur l'origine et l'évolution de *gaută , mais toujours est-il qu'en occitan, le -t- est conservé : gauta, (lim , d , a) jauta.

Voir l' étude des féminins ci-dessus : au réalisé [aw] bloquerait la sonorisation.


En français il s'est sonorisé puis amuï : "joue".


 

naută (m) "matelot"

  

Le scénario en latin populaire serait (CNRTL "nautonier", FEW 7:57) :


n naută */nawta/, acc nautăm (m)
> n naută */nawta/, acc *nautānĕ(m) (m) (1) → (dérAO nautanier
> n nautō */nawtoː/, acc *nautōnĕ(m) (1) →  AO *nauton (selon moi, voir ci-dessous)
→ (dér) AO nautonier


(1) Les formes *nautānĕm et *nautōnĕm entrent bien dans le schéma de -ăm à -ānĕm (et -ōnĕm) (partie Déclinaisons).


En France, les représentants romans de nauta par la voie populaire sont :


- AO nautanier, nautonier > (emprunt à l'oc) fr "nautonier, nautonnier" (personne qui conduit une barque)


a.fr. noon ; a.fr. noton provient à mon avis d'un emprunt à un mot AO non attesté *nauton.

De façon surprenante, FEW 7:57 tente d'expliquer la perte de t dans noon par une analogie avec noer "nager", alors cette perte du t est régulière en français (*gautăm > joue ) ; c'est le maintien du t qui n'est pas régulier.


- AO : CS nautre / CR nautọr "nautonnier". Je pense qu'on peut raisonnablement poser un étymon latin non attesté : n *nautŏr , acc *nautōrĕm "matelot".


Donc l'étude de la famille de naută permet là aussi de montrer qu'il n'y a pas de sonorisation de t après au en occitan. On peut même déduire que la diphtongue au empêche -tr- subséquent d'évoluer en -i̯r- (n *nautŏr > AO : CS nautre).




*paută "patte" (et plautŭs "à pieds plats")

  

Le cas de *paută "patte" est difficile car il semble y avoir eu parfois une gémination expressive de -t- , voir ci-dessous l'extrait du FEW. Il y a eu aussi probablement des interactions avec "patte" (d'un radical onomatopéique * patt- ). Ces phénomènes expliqueraient le maintien de t dans "empoté", "potelé" (CNRTL). En tout cas, dans les dialectes a.fr. il y a souvent sonorisation puis amuïssement de -t- : "flandr. pik. agn." poe, powe, poue (FEW 8:75b). Au contraire, en occitan il n'y a jamais sonorisation : le -t- est conservé.


(FEW 8:77b "pauta") : (trad.all.) "Parmi les dérivés classés sous 1, dans les régions où -t- devrait disparaître après au , on trouve aussi des formes avec -t- (par exemple "ang. norm. bmanc."), si bien qu'on doit admettre qu'à côté de la forme * pauta a existé une forme * pautta . Cela est probablement une forme renforcée par la gémination expressive de la consonne. Une distinction des deux types [* pauta et * pautta ] serait difficile à réaliser, puisque le comportement des occlusives intersyllabiques après -au- n'est pas clairement établi, faute d'un nombre suffisant d'exemples parallèles".


Le cas de plautŭs "à pieds plats" est également délicat : des interactions avec le mot précédent ont dû se réaliser, ainsi qu'avec plòt "billot de bois" (< plautusm.néerl. block : CNRTL "plot"). Les descendants de plautŭs sont assez localisés : ils sont représentés dans le sud-est de la France (franco-provençal, nord-occitan, rarement dialectes d'oïl), en Suisse et en Italie. Pour la France et la Suisse, ils ne montrent jamais de sonorisation de t, par exemple (FEW 9:53b) d plauta "patte d'animal", Barc. piauta "idem", Lyon plota "patte d'un animal ; pied d'un meuble", Vien. piaute "patte", for plotta "patte d'animal", Gen. piote "patte", sav. piottenâ "trépigner". Par contre dans les dialectes italiens, certains descendants sont sonorisés : (FEW 9:53b) Arb. piòda "plaque de pierre", Côm. piœuda "idem", mais piém., également Dante piota "plante des pieds"... Il y a peu de représentants dans les dialectes d'oïl ; W. von Watburg (ibid.) cite  89 ploute "berge de lavoir ; poutrelle". Ainsi dans le domaine occitan et franco-provençal, il semble ne jamais y avoir de sonorisation de t dans les descendants de plautŭs , mais il a pu y avoir gémination expressive de t .




  teuthís τευθίς "calamar"

  

Voir l'évolution de la diphtongue eu grecque.


La diphtongue grecque a été assimilée à au , et les attestations en AO sont taute, tautenon "calamar".


Donc on constate que, là aussi, t n'est pas sonorisé après au en occitan.


Dans d'autres régions de la "Grande Grèce", le mot est aussi représenté : sic. tòtanu, cal. tòtanu, tòtinu, tòtaru, nap. tótare. Les pêcheurs italiens emploient aussi totano, todaro (treccani.it). La dernière variante est sonorisée (t > d).











II. Évolution de p, pr, pl


Remarque : les groupes p + ĕ, ĭ + voyelle ont auparavant subi les premières palatalisations.


Pour la comparaison avec le français, voir évolution de p (clivage oc/oïl).




A. Évolution de p, pr, pl en position forte

En position forte, p, pr, pl sont presque toujours conservés depuis le latin jusqu'en occitan (et en français).



1. Évolution de p, pr, pl à l'initiale

Schéma général :


p- > p-                    (rarement p- > b- )

pr- > pr-

pl- > pl-                 (rarement pl- > bl- )



pl- > pi- : type italien


D'après les cartes de l'ALF, le type italien pl- > pi- se rencontre à Menton (06), dans quelques vallées italiennes : Bobi (oc),  (fr-pr) Champorcher, Châtillon, Ayas, et largement vers le nord : depuis le Jura suisse jusque dans la Nièvre, la Côte-d'Or, la Haute-Marne, la Meurthe-et-Moselle, également très largement vers l'ouest : 16, 17, 22, 44, 56, 49, 50, 53, 56, 61, 72, 79, 85, 87 (carte "plein", et aussi "plaisir", "plaindre", "plantain", "plat", "pleuvoir", "plier").


À noter souvent ch- à Fontan (06) : chánher < plangĕrĕ "pleurer", chen "plein", chòu "pleuvoir", comme ci-dessous cl- > ch- fl- > ch-.


Voir ci-dessous les types italiens cl- > ki-, fl- > fi-.


Exemples :


LPC

occitan
p-
> p-



pāvōnĕ(m)

pavon "paon"
paupĕrŭ(m)

paubre, paure "pauvre"
pĕllĕ(m)

pèu "peau"
pĭlŭ(m)

peu "poil"
pŭngĕrĕ

pónher "piquer"
pūrŭ(m)

pur "pur"



p-
> b-
portŭlācă(m)

bortolaiga "pourpier"






pr-

pr-



prædă(m)

presa "proie"
prātŭ(m)

prat "pré"
prĕhĕndĕrĕ > prēndĕrĕ

prendre "prendre"
prĕtĭŭ(m)

pretz "prix"
Prōvĭncĭă( m)

Provença "Provence"






pl-

pl-



plānă(m)

plana "plaine"
plēnŭ(m)

plen "plein"
plŏvĕrĕ

plòure "pleuvoir"
plūmă(m)

pluma "plume"



pl-

bl-
plătănŭ(m)

blai "érable à feuilles d'obier"



Tableau : évolution de p, pr, pl à l'initiale.


 


2. Évolution de p, pr, pl après consonne

Schéma général :


-Cp- > -Cp-

-Cpr- > -Cpr-

-Cpl- >  -Cpl-



Exemples :


LPC

occitan
- C p-
> - C p-



impĕrātŏr

emperaire "empereur"
sĕrpĕntĕ(m)

serpènt "serpent"
tălpă(m)

taupa "taupe"






- C pr-
> - C pr-



adprŏpĭārĕ > apprŏpĭā

aprochar "approcher"
*ĭmprĕhĕndĕrĕ

AO empr ndre "entreprendre"






- C p ' r-
> - C pr-



cŏmpărārĕ > * cŏmprā
AO comprar > OA crompar "acheter"
rŭmpĕrĕ > * rŭmprĕ
rompre "rompre"
sēpărārĕ > * sēprā
sebrar "séparer" (voir "sevrer")






- C pl-
> - C pl-



amplŭ(m)

ample
complĕrĕ

complir
tĕmplŭ(m)

tèmple
simplĭcĕm

semple



Tableau : évolution de p, pr, pl après consonne.






B. Évolution de p, pr, pl intervocaliques : sonorisations

Pour la comparaison avec le français, voir évolution de p (clivage oc/oïl).


1. Vue d'ensemble sur p, pr, pl intervocaliques


Schéma général :


p > b

pr > br

pl > bl


Voir aussi comparaison occitan / français.



2. Évolution de p intervocalique

(GIPPM-2 :81)


Schéma général :


p > b


p >  b > v    (quelques régions alpines et auvergnates)


-p- > -b- > -p   (si b parvient en position finale par apocope)


Voir aussi comparaison occitan / français.



Détails :


Vers l'an 400, p intervocalique est sonorisé en b ; de même les muta cum liquida : pr > br et pl > bl ( IPHAF :44). De même pour les muta cum liquida secondaires : p ' r > br et p ' l > bl .


Évolution de type français (p > b > v) :

Je cite GIPPM-2 :81 (e.d.l.a.) "Le changement de p en v s'observe le long de la ligne de faîte des Alpes et sur une bande de terrain au Nord, des Alpes jusque vers l'Auvergne ; plus à l'Ouest au contraire p > b s'étend assez loin au Nord en domaine français". 

(Ronjat : GIPPM-2:81 et suivantes).


Vers le VII e siècle, au moment des apocopes, si b parvient en position finale, il "redevient" p (durcissement des consonnes devenues finales) : lŭpŭm > */lóbó/ > */lób/ > lop.


Exemples :


LPC

occitan



-p-
> -b-



Antĭpŏlĕ(m)
Antíbol "Antibes" (1)
ăpĭcŭlă(m)

abelha "abeille" (2)
ăpŭd

* abó > AO ab "avec"
adrīpā

arribar "arriver"
căpĭllōs

cabèus "cheveux"
cæpă(m)

ceba (oignon, voir "cive")
crĕpā

crebar "crever"
lŭpă(m)
loba "louve"
nĕpōtĕ(m)

nebot "neveu"
rāpă(m)

raba "rave"
rīpă(m)

riba "rive"
săpă(m)

saba "sève"
săpē

saber "savoir"
sāpōnĕ(m)
sabon "savon"
sāpōrĕ(m)
sabor "saveur"
scōpă(m)
escoba "balai"
* trĭpālĭā
trabalhar "travailler"
* trŏpā
trobar "trouver"






En position finale (voir p : durcissement de la consonne devenue finale)
-p-
>
-p
lŭpŭ(m)

lop "loup"



Tableau : sonorisation de p intervocalique.


(1) Pour  Antĭpŏlĕm , remarquer la différence d'évolution avec Grātĭānŏpŏlĕm > Grenòble (ci-dessous).

(2) Pour ăpĭcŭlă, le français "abeille" est un occitanisme (CNRTL "abeille").



ăpŭd

(Le -d est sans doute tombé tôt, voir ăpŭd "d latin final").

En gallo-roman, ăpŭd "chez ; près de" a pris la signification "avec".


Occitan :


Le latin ăpŭd a donné l'AO ab "avec", puis l'OM amé, ambé, emé, etc.


ăpŭd  */apʋ/

> */abʋ/

> */abó/

> AO ab

> ambé, amé...



Français :


Le latin ăpŭd a donné l'a.fr. "avec" ; également les formes avec consonne : ob, od, ot, of... (le titre d'article est od dans DALF). Pour expliquer l'a.fr. , P. Fouché (PHF-f3:659) estime que dans ăpŭd, la sonorisation -p- > -b- a dû être très rapide en raison de l'emploi proclitique du mot, donc le scénario normal ne s'est pas réalisé (à savoir :  */apʋ/ > */abʋ/ > /avó/ > /af/, n.d.l.r).

En français (d'après PHF-f3:659) :


*/apʋ/

> */abʋ/

> */aβʋ/

> */awʋ/

> (avant -ʋ > -ó) */aʋ̯/

> (au > ò, ó en position atone)  /ó/    → a.fr. "avec"

> (épenthèse de consonne devant initiale vocalique) → a.fr. od, ot...

ob utilisé dans Léger pourrait provenir d'un croisement avec la forme ab, voir remarque ci-dessous (PHF-f3:659, remarque IV).


Remarque. Deux textes a.fr. comportent ab (SerStra, Léger), qui est la même forme qu'en AO. Outre que le caractère vraiment français de ces textes n'est pas très clair, je dirais qu'il est possible que cette variante "conservatrice", plus proche du latin, existât dans des milieux savants, qui refusaient d'employer / od trop populaires. P. Fouché signale aussi ab dans PassClerm, mais ce dernier est encore moins clairement français, et davantage occitan (voir Passion de Clermont à "d et t intervocaliques").



*ăpŭd-hŏquĕ

L'autre forme commune pour dire "avec" provient de *ăpŭd-hŏquĕ (> "avec"). D'après les explications de PHF-f3:659 (remarque II) :

*ăpŭ-hŏquĕ

> *apŏque

> (diphtongaison romane) avuec

> (réduction de diphtongue) "avec".







3. Évolution de pr intervocalique

Schéma général :


pr , p'r > br


pr, p'r >  br > vr   (quelques régions alpines et auvergnates)



Voir aussi comparaison occitan / français.



Exemples :


latin LPC

occitan



-pr- > -br-
aprīcā
abrigar "abriter" (1)
ăprīlĕ(m)
abrieu "avril"
căpră(m)
cabra "chèvre"



-p'r- > -br-
jŭnĕpĕru(m) > *gĕnĕprŭ
genèbre "genièvre"
lĕpŏrĕ(m) > *lĕprĕ
lèbre "lièvre"
ŏpĕră(m) > *ŏpră
òbra "œuvre"
paupĕrĕ(m) > *pauprĕ
paubre (> paure) "pauvre"
pĭpĕrĕ(m) > *pĭprĕ
pebre "poivre"






Tableau : sonorisation de pr intervocalique.


(1) "abriter" se dit "avrier" dans les dialectes lorrain et franco-provençal, qui correspond à la forme régulière en français. Pour expliquer "abriter", on peut faire intervenir un emprunt à l'occitan, ou bien supposer une interprétation par les anciens locuteurs de * abrigare comme a-brigare (CNRTL à "abrier").





4. Évolution de pl intervocalique

Schéma général :


pl , p'l > bl



Exemples :


latin LPC

occitan



-pl-

dŭplŭ(m)
doble "double"



-p ' l- > -bl-
căpŭlŭ(m)
cable "câble"
cōpŭlă(m)
coble "couple"
Grātĭānŏpŏlĕ(m)
Grenòble "Grenoble" (1)
stŭpŭlă(m)
estobla "éteule"



Tableau : sonorisation de pl intervocalique.


(1) Pour Grātĭānŏpŏlĕm, constater la différence d'évolution avec Antĭpŏlĕm > Antĭból (ci-dessus).


 

  

III. Évolution de t, tr, t'l


Remarque : les groupes t + ĕ, ĭ + voyelle ont auparavant subi les premières palatalisations .


Pour la comparaison avec le français, voir évolution de t (clivage oc/oïl).



A. Évolution de t, tr en position forte

En position forte, t, tr sont presque toujours conservés depuis le latin jusqu'en occitan (et en français).



1. Évolution de t, tr à l'initiale

Schéma général :


t- > t-

tr- > tr-         (tr- > dr-)



Exemples :


LPC

occitan
t-
> t-



tăbŭlă(m)

taula "table"
tēlă(m)

tela "toile"
tīnă(m)

tina "cuve à vin"
tondērĕ > *tondĕrĕ

tondre "tondre"
tūtārī > *tūtā

AO tudar, tuar "tuer"



tr-

tr-



trăgŭlā(m)

tralha "traille (corde)"
gaul trĕbā
trevar "fréquenter (un lieu)"
trēs

tres "trois"
trīstĕ(m)

triste "triste"
* trŏpā

trobar "trouver"






tr-

dr-
trăgŭlā(m)
dralha "chemin pour les moutons"



Tableau : évolution de t, tr à l'initiale.




2. Évolution de t, tr, t'l après consonne

Schéma général :


-Ct- (lt, nt, rt, st, xt) > -Ct-

-ct- > -it-, -ch-

-pt-, -dt- > -tt- > -t-


-Ctr- >  -Ctr-

-ttr- > -tr-


-st'l - > -scl-


En français, il faut signaler l'évolution parfois observée -rt- > -rd- : voir Gortona (I er siècle) > Gordonicum castrum (année 1012) (ancien nom de Sancerre, 18),  monasterium Gurthonensim (VI e siècle) > "Gourdon",  71 (TGF1 :55). Il est possible que ce type d'évolution ait eu lieu aussi en occitan, à étudier.




Exemples :


LPC

occitan
-C t-
(lt, nt, rt, st, xt)
>

- C t-




altŭ(m)

alt > aut "haut"
Antĭpŏlĕ(m)

Antíbol "Antibes"
cantā

cantar "chanter"
crŭstă(m)

crosta "croûte"
extĕndĕrĕ
estèndre "étendre"
partī

partir "partir"



-ct-

-it-, -ch-
(voir ct > it, ch )
lāctūcă(m)

laituga, lachuga "laitue"



-pt-

-t-
* Aptŭm (Aptă)

At(e) "Apt" (84)
aptŭ(m)

AO at "besoin"
rŭptŭm

rot "rompu"



-tt- (< adt- > att-)

-t-
attĕndĕrĕ

atèndre "attendre..."
attĭngĕrĕ

aténher "atteindre"






- C ' t -
>
(variable)
(voir consonne- T )




- C tr-
> - C tr-
castrā

castrar, crestar ... "castrer"
cŏntrā

còntra "contre"
extrăhĕrĕ

estraire "extraire"
ĭntrā

entrar "entrer"



-ttr- (adtr- > attr-)
> -tr-
ăttrăhĕrĕ

atraire "attirer"






- C t'r-
> - C tr-
ĭntĕr

entre "entre"
a.b.fr. martar

martre "martre"
marty̆rĕ(m), marty̆ră(m)

AO martre, martra "martyre"
n. pastŏr, ac. pastōrĕ(m)

AO CS pastre / CR pastr
n. sartŏr, ac. sartōrĕ(m)

AO CS sartre / CR sartr




-st'l -
*-stl- (emprunt)
> -scl-
(voir altération analogique stl > scl )
* ărĭstŭlăm

arescle, ariscle "éclisse"
ūstŭlā

usclar "brûler"



gaul. *bistlos
AO bscle "rate"






(ăpŏstŏlŭm)
(apòstol "apôtre")



Tableau : évolution de t, tr, tl après consonne .







B. Évolution de t, tr, t'l intervocaliques

Le groupe tl n'existe pas dans les schémas consonantiques du latin (voir muta cum liquida). Ce groupe est donc forcément secondaire (t'l).


Pour la comparaison avec le français, voir évolution de t (clivage oc/oïl).


 
1. Vue d'ensemble sur t, tr, t'l intervocaliques


Schéma général :


t > d      ( en vivaro-alpin ci-dessous, et rarement /z/)

tr > /i̯r/   (rarement dr)

t'l > /λ/   (ou traitements de type spăthŭlăm > espala...)



2. Évolution de t intervocalique


a. Cas général : t > d (> ∅ au nord)

(GIPPM-2 :82)


Schéma général :



t > d


t > d > ð > (ou parfois > i, > v) (dialecte vivaro-alpin, ci-dessous)


-t- > -d- > -t (si d parvient en position finale, ci-dessous)


Parfois :

t > /z/   (ci-dessous)

t (atone) >    (ci-dessous)






Détails :


Vers l'an 400, t intervocalique est sonorisé en d dans le futur domaine d'oc, comme dans toute la Romania occidentale.

Dans la majeure partie du domaine d'oc, cette évolution s'arrête au stade d, tout comme en espagnol, catalan et portugais (tableau synthétique de d et t intervocalique).


Mais en vivaro-alpin, l'évolution de d se poursuit jusqu'à son amuïssement, comme en français. Voir

amuïssement de d intervocalique. En vivaro-alpin, on obtient un hiatus toujours maintenu (mātūrŭm > maür), ou résolu par i ou v (maür > maiur, mavur).

Remarque : en Italie du nord, t intervocalique s'amuït aussi : "(...) avec amuissement du -t- intervocalique (bastita) propre au domaine septentrional de l'Italie (Cor., s.v. bastión; FEW t. 15, 1repart., p. 79a)" (CNRTL "bastion").



Vers le VIIe siècle, au moment des apocopes, si d parvient en position finale, il "redevient" t (durcissement des consonnes devenues finales) : prātŭm > *prado > *prad > prat.



Incertitudes sur la datation t > d


Pour la sonorisation de t : près du domaine catalan, pour le fleuve "Aude" (n. Atăx, a. Atăcĕm > *Acatem, voir Atăcĕm), l'orthographe Azde, Alde n'apparaît qu'au XIe siècle, alors qu'auparavant on écrivait Azate (années 925, 978) (LNDFA). Ces témoignages indiqueraient donc que la sonorisation de t ne s'est réalisée que vers le Xe siècle dans cette région, mais dans ce genre d'attestations, il est toujours difficile d'apprécier le degré de conservatisme de l'orthographe (on a pu écrire Azate alors qu'on prononçait Azade, ou Azde, comme les américains écrivent butter alors qu'ils prononcent buder). En tout cas, c'est bien le genre de recherches qu'il faut multiplier pour pouvoir dater les transformations phonétiques.

Concernant le nord-est de la France, on peut citer Martina Pitz (PMJNH:11) : (j.m.c.g.) "(...) l’accomplissement de la sonorisation des occlusives sourdes intervocaliques, fait phonétique intervenu relativement tard, à savoir à partir du 7e siècle, dans les parlers du nord-est du domaine d’oïl, d’après les recherches de Max Pfister (1992)".


Voir aussi ci-dessous l'évolution tr > ir attestée "entre les années 560 et 675 environ".



Exemples :


latin LPC

occitan
-t- > -d-
-ātă(m) (amātăm)
-ada "-ée" (amada "aimée)
-ātōrĕ(m) (ĭmpĕrātōrĕm)
-ador "-eur" (emperador "empereur") (1)
-ātōrĭŭ(m)
-ador "-oir" (tirador "tiroir") (2)
*batā
badar "béer ; bâiller"
bētă(m)
bleda "blette"
cătēnă(m)
cadena "chaîne"
căthĕdră(m)
cadiera "chaise"
fātă(m)
fada "fée"
fătīgā
AO se fadiar "s'efforcer en vain"
fātŭŭ(m)
AO fat "sot, niais"
fœtă(m)

feda "brebis"
gaul Lŭtēvă(m)

Lodeva "Lodève" (34)
mātūrŭ(m)
madur "mûr"
mūtā
mudar "muer"
nātālĕm

nadau "noël"
nătā

nadar "nager"
 *oblītārĕ
oblidar "oublier"
rŏtă(m)

ròda "roue"
rŏtŭndŭm > *rĕtŭndŭ(m)

redon "rond" (voir aussi rezonhar ci-dessous)
gaul Rŭtēnŏs
Rodés "Rodez" (12)
sætă(m)

seda "soie"
sternūtā

esternudar "éternuer"
vītă(m)
vida "vie"



dialecte vivaro-alpin
-t- >
Catŭrrĭgăs > Catorigas >
*Caorgas > *Caurgas
(3)

Chòrjas "Chorges" (05) (3)






-aut- + voyelle
-aut- + voyelle
(voir blocage de la sonorisation dans -aut- )
*gaută(m)

gauta "joue"



cas de syncope
-ātŏr > *-ātre (ĭmpĕrātŏr)
voir ci-dessous -t'r-

-aire "-eur" (emperaire "empereur") (1)
vĕtŭlŭ(m) > *vĕtlŭ
voir ci-dessous -t'l-

velh > vielh "vieux"



En position finale (voir t : durcissement de la consonne devenue finale )
prātŭ(m)

prat "pré"






Tableau : évolution de t intervocalique .


(1) -ātōrĕ(m) et -ātŏr sont respectivement la forme accusative et la forme nominative du même suffixe, voir ci-dessous -ātŏr.

(2) -ātōrĭŭm suit l'évolution de r + ĭ, ĕ en hiatus (en finale).

(3) Caturrigas est donné dans IA, Catorigas dans IB (IAAH :323).



b. Cas particulier : t > /z/

(GIPPM-2 :83)


Pour le t intervocalique latin, certains mots occitans ne suivent pas le modèle ci-dessus (t > d), mais montrent une évolution t > /z/ : spăthăm > espasa "épée", crātīcŭlăm > grasilha "grille, gril", quătĕrnī >  AO cazȩrn "cahier" ...



Première explication : des transformations dès le latin vulgaire


Le CNRTL et le DHLF donnent à AO cazȩrna (emprunté en français pour donner "caserne") une origine "latin vulgaire", "bas latin" *quaderna. Il s'agirait donc d'une "sonorisation avant l'heure". L'étymon *quaderna permettrait d'aboutir à AO cazȩrna en suivant d > /z/. Cependant, avec la nature de d latin adoptée dans le site, ce scénario devient moins séduisant : la prononciation serait devenue /kwaðerna/ avec /ð/ ?

Voir aussi une autre explication à la note ci-dessous : casèrna.




Seconde explication : des mots voyageurs

Ancienne version

Jules Ronjat, en reprenant Maurice Grammont, proposait comme explication de ces mots en /z/, un processus d'emprunts de parler à parler. GIPPM-2 :83-84 : "un parler où t, d sont en train de devenir d, z transforme en grazir un *gradir emprunté à un parler où t, d > d, z est déjà un fait accompli."

Les détails de ce raisonnement ne peuvent pas être donnés, en raison des incohérences de "l'ancien raisonnement" (raisonnement sur d et t).




Nouvelle version

(juillet 2019)

Le scénario de J. Ronjat et M. Grammont ci-dessus peut être ajusté au regard d'une valeur /ð/ pour d intervocalique latin (voir nature du d latin). Dans ce contexte, on peut proposer un scénario cohérent dans l'espace et dans le temps.

Par exemple *grātīrĕ (de grātŭs) aurait évolué en graðire dans le nord à partir du v-a : spirantisation consécutive à la sonorisation. L'étape consécutive à /ð/ serait normalement l'amuïssement en vivaro-alpin et en français, qui se produit vers le IXe siècle. Mais on peut penser que ces mots, d'abord forgés "dans le nord", ont été empruntés par l'occitan plus au sud, entre le VIe siècle et le XIe siècle ; le destin de /ð/ aurait été confondu avec celui de d primaire /ð/ : il aurait suivi l'assibilation pour donner /z/ (XIe siècle).



-t- > (vers l'an 400 : sonorisation) -d- > (VI e siècle : spirantisation : nord) /ð/ > (XI e siècle : assibilation : sud) /z/



Il faut remarquer que le a tonique libre est conservé (espasa, grasa ... et non espesa, gresa), ce qui montre que ces mots ont échappé à la diphtongaison française (qui commence à se réaliser à partir de la 2e moitié du VIe siècle). Donc soit ils auraient migré du domaine d'oïl vers le domaine d'oc précocément (vers le VIe siècle), soit ils auraient migré du domaine vivaro-alpin au domaine d'oc plus au sud entre le VIe et le XIe siècle (le domaine vivaro-alpin n'est pas concerné par la diphtongaison française).



Quelques mots particuliers (pŏtestātĕm, Rŭthēnĭcŭm, spăthăm)

Pour pŏtestātĕm "puissance", je pense qu'il est possible de faire intervenir une dissimilation ancienne : pŏtestātĕm > pŏdestātĕm /poðestaːté/. Ainsi, la forme originelle pŏtestātĕm > AO podestat, et la forme dissimilée pŏdestātĕm > AO pozestat (et poestat en nord-occitan).


Pour Rŭthēnĭcŭm "Rouergue" et spăthăm "épée", n'est-il pas possible d'envisager une prononciation /θ/ de th ? Un tel phonème est envisagé au paragraphe et, aut. /θ/ a pu exister à la faveur de situations particulières (mot gaulois pour Rŭthēnĭcŭm, mot prononcé à la grecque pour spăthăm). Ainsi les sonorisations auraient causé l'évolution /θ/ > /ð/, ce dernier phonème rejoignant le destin de d primaire (/ð/).





Exemples pour t > /z/

Tableau des mots recensés :


latin LPC

occitan
-t-
>
/z/
*ālūtă(m)

aluda / alusa "fourmi ailée"
*crātālĕ(m)

grasau "grand plat ; graal ?" (1)
crātĕ(m)

grasa "claie" (1)
crātīcŭlă(m)

grasilha "grille" (1)
grātŭ(m)

grasir / gradir "accueillir avec faveur"
pŏtestātĕm

AO podestat / pozestat / poestat "puissance"
pl.n. quătĕrnă

casèrna "caserne (e.o.)" (2)
quătĕrnī

AO cazȩrn "cahier"
rĕtŏrtă(m)

AO redǫrta / rezǫrta "lien de bois flexible"
*rĕtŭndĭā

AO redonhar / rezonhar "rogner"(redon ci-dessus)
Rŭthēnĭcŭ(m)
AO Rodergue / Rozergue / Roergue "Rouergue"
spăthă(m)

espada / espasa "épée"



Tableau : évolution t intervocalique > /z/


(1) Pour les mots latins en crā-, voir cra- > gra- .

(2) Pour casèrna , certains auteurs préfèrent un dérivé de casa "maison" sur le modèle de "caverne", "taverne" (EWRS1:91, DEO:200, 201).





c. Cas particulier : t intervocalique > au sud


Pour quelques mots, on observe que t intervocalique latin > dans le sud du domaine d'oc, où normalement t > d.


(GAP:150) : "Enfin dans certains mots, t intervocalique est tombé sans laisser de traces après une voyelle labiale, o ou un i : potestatem > podestat ou poestat, Aquitaniam > Guiana."




● On note le phénomène surtout quand t est dans une syllabe atone :


- peut-être Ar(ĕ)lātĕ(m) > *Arlate ou *Arlite > *Arlete > *Arlee > Arle "Arles" (voir Arĕlatĕm)


- lēgĭtĭmŭ(m) > lèime (lèime à "Évolution des proparoxytons")


- mītĭgā > miar / mītĭgăt  > mia


- plătănŭm : πλάτανος (plátanos) > *blătănŭm > *blătĭnŭm > *blaenu > *blainu > blai (comme plantāgĭnĕm > *plantaine > pr.ma. plantai) ; l'étape *blaenu est étayée par l'attestation blave (ALF:478 "érable" pla06), qui montre une résolution d'hiatus par insertion de v ;

ou bien :

*blătĭnŭm > (t > /z/) *blazenu > (z > ) blai comme *asenu > ai (la forme avec z : blazi, est attestée en rouerg).

Il faut exclure une syncope *blătănŭm > blatne suivie d'une vocalisation de -t-, car alors l'aboutissement aurait été blaine avec -e, comme asinu > aine.


pŏtestātĕm > poestat : voir pŏtestātĕm ci-dessus.


- Sātŭrnīnŭm > *Saornin > Savornin, Sernin, Sarnin ; pour Savornin, il y a résolution d'hiatus par insertion de v ; pour Sernin, Sarnin il y a


- sătŭrējăm > (l) sauriueja, sauriaja, fr.pr. savoriá... Pour savoriá, il y a résolution d'hiatus par insertion de v.


- trītĭcŭm : bien que sans descendance connue en domaine d'oc, je rajoute trītĭcŭm "froment, blé" ; son évolution s'apparente à mītĭgārĕ ci-dessus (mītĭgăt > mia) : trītĭcŭm > esp, port trigo, log trigu, nuor tricu, Côme triga (contre Bormio tridik, obw. tredi, a.sard. tridigu) (FEW 13/2:308b).




● Dans quelques car plus rares, on note le phénomène quand t est dans une syllabe tonique :


- Aquītānăm > lim Aiguiana /aygiyano/a/, oc Guiana /giyano/a/ "Guyenne" /güiyèn/ (voir uy > üiy en français)


- Pour RŭthēnĭcŭmAO Rodèrgue / Roèrgue / Rozèrgue "Rouergue", je propose de traiter ce mot à part (ci-dessus).







3. Évolution de tr intervocalique

Pour le groupe -tr-, je cite GIPPM-2 (p. 220) : "Lat. tr, t'r, dr et d'r sont sur presque tout notre domaine passés uniformément à [yr]. Combinée avec r alvéolaire, une dentale bien ou mal occludée (rom. très ancien dr < tr et t'r ; [δr] < dr et d'r ) est fort exposée à changer son point ou son mode d'articulation : r attire d ou [δ] en arrière, d'où une sorte de [δ] (...) ramenée à la continue usuelle [y], d'où [yr] qui peut devenir [i̯r], (...)".


Voir le tableau de comparaison avec le français dans la partie 1 (ici).


D'après NAPG, (e.g.s.p.s.) "l'occitan ne pourrait se définir génétiquement que par une seule innovation ancienne à la fois commune à tout son espace et spécifique, à savoir l'évolution en [-yr-] des groupes -tr- , - dr- primaires ou secondaires ." Cette évolution est attestée entre les années 560 et 675 environ, selon les auteurs.

GIPPM-2 cite un certain nombre d'exceptions dans des dialectes nord-occitans : medre < met(e)re, tonèdre < tonitru, teissedre < texitor , noms de famille Teissèdre, Sudre < sūtor, Péchadre < peccātor , etc., (pr) cocedra < culcitra, sadrèia < sat(u)reja . L'auteur propose une analogie avec -dor < -tōre (analogie que je ne comprends pas bien) ou bien une influence savante (pour cocedra et sadrèia : "mots de deuxième couche").

Pour certains mots latins masculins, une autre explication pourrait être l'apocope après muta cum liquida (nĭgrŭm > negre).





latin LPC

occitan



-tr- > -i̯r-
-ātrīcĕ(m) (ĭmpĕrātrīcĕm)
-airitz "-atrice" (emperairitz "imperatrice")
ărātrŭ(m)
araire "araire" (a.fr. arere) (1)
frātrĕ(m)
fraire "frère"
mātrĕ(m)
maire "mère"
pătrĕ(m)
paire "père"
pĕtră(m)
pèira "pierre"
pĕtrŏsĕlīnŭm > pĕtrŏsīnŭ(m)
AO peiressilh, peresilh "persil"
*pŭtrī
poirir "pourrir"
rĕtrō
rèire "arrière"
tŏnĭtrŭ(m)

AO tonire, tronẹire
 "tonnerre"
  vĭtrŭ(m)
veire "verre"



-trĭ- + voyelle


arbĭtrĭŭ(m) (2)

AO albire, aubire ... "décision..."






-t'r- > -i̯r-
-ātŏr > - ātre (ĭmpĕrātŏr)
-aire "-eur" (emperaire "empereur") (3)
 būtȳrŭ(m)
AO buire "beurre" (4)



-tr-, -t'r- >
(cause ?)
-dr-
cŭlcĭtră(m)

coucedra "couette, lit de plumes"
sătŭrējă(m)

AO sadrȩia, OA sadrèia "sarriette"
tŏnĭtrŭ(m)

lim tonedre, AO tondre "tonnerre"



Tableau : évolution de tr intervocalique .


(1) Le fr. "araire" est un emprunt du XIII e siècle à l'AO (CNRTL).

(2) Pour arbĭtrĭŭm, FEW 25:87b donne un i long : arbītrĭŭm. Ce i long n'est pas justifié (voir la racine arbĭtĕr et la discussion dans DOM "albire").

(3) : -ātōrĕ(m) et -ātŏr sont respectivement la forme accusative et la forme nominative du même suffixe, voir ci-dessus -ātōrĕm. Emperador et emperaire proviennent du latin, mais les suffixes -ador et -aire sont productifs en occitan.

(4) Pour būtȳrŭm "beurre", l'accent tonique respecte l'accent de l'étymon grec, en opposition avec les règles de l'accent latin (voir emprunts au grec).





4. Évolution de t'l intervocalique

Le groupe secondaire t'l , non toléré par le latin, peut suivre deux voies :


(1) Altération par analogie sur le groupe kl , puis évolution en /λ/ : voir 3 es palatalisations ;


(2) soit subir des traitement divers pour aboutir à /l/, /ʋ̯l/, / ˜ l/.





latin LPC

occitan



-t'l- > /λ/ (voir 3 es palatalisations )
bŏtŭlŭ(m) > *bŏtlŭ
AO blha (bolia) ? (1)
 căpĭtŭlŭ(m) > *căpĭtlŭ
cabelh "épi"
capítol "chapitre" (2)
vĕtŭlŭ(m) > *vĕtlŭ
velh > vielh "vieux"



-t'l- > /l/, /ll/, /ʋ̯l/, / ˜ l/
spăt(h)ŭlă(m)

espala (espatla) ; l , a espalla ; l , g espaula ; l , d espanla "épaule"









Tableau : évolution de tl intervocalique . ( En rouge : voie savante).


(1) pour bŏtŭlŭm , AO blha (bolia) a une signification mal connue (voir DOM ), mais a.fr. buille "boyau" est attesté. Dans l'attestation blha il n'y aurait pas eu diphtongaison, ou du moins elle ne serait pas présente dans la graphie.


(2) pour căpĭtŭlŭm > capítol, l'évolution semble "plus savante" que dans Antĭpŏlĕm > Antíbol puisque le p latin est conservé dans le premier, mais il est sonorisé en b dans le second.




C. Évolution de t en regard de celle de d


Voir évolution de d en regard de celle de t .



D. Évolution de t latin final


1. căpŭt

Le latin classique n. căpŭt, ac. căpĭtĕmgén. căpĭtĭs a été refait en *capu(m), *capu(m), *capi, attesté au VIIe siècle (TLL in CNRTL "chef"). D'où ac. *căpŭ(m) > oc cap "tête ; extrémité ; chef", fr "chef".


(Par contre, la racine căpĭt- est restée conservée dans les dérivés latins căpĭtŭlŭs > cabelh, căpĭtĕllŭm > cabedȩl, capdȩl "pelote, peloton").


Selon Pierre Fouché (PHF-f3:657) : "Dans le latin du Nord de la Gaule, comme partout ailleurs, on a eu *capu au lieu de caput ; d'où v.fr. chief, auj. chef." Sans aucun doute, l'auteur veut dire comme ci-dessus que ac. capu(m) a remplacé ac. căpĭtĕm, d'où "chef" (a > e, p > -f).


Ainsi dans căpŭt, on ne dispose pas d'indice pour apprécier l'évolution phonétique de -t. Par contre, pour et et aut ci-dessous, on peut comprendre cette évolution.




2. et ; aut "ou"


Remarque : P. Fouché regroupe la forme conjuguée at < (hăbĕt) "il a" avec et et aut ("monosyllabes") (PHF-f3:658-659). Pour le sud de la Gaule, le latin vulgaire at < (hăbĕt) suit le modèle des verbes conjugués cantăt, cantănt... : le -t a dû disparaître très tôt (dès l'Antiquité ?).



Pour le latin et, aut "ou", le scénario que je propose est semblable à celui de P. Fouché pour le français (PHF-f3:658-659). Je rajoute certains aspects notamment pour le domaine d'oc.


Voici mon scénario :


-t fut prononcé θ à la fin de l'Antiquité et au début du Moyen Âge (je ne sais pas si on peut rattacher cette évolution à un phénomène plus vaste). Cette prononciation θ aboutit à ð devant initiale vocalique (au moment des sonorisations ?).


Plus tard, devant initiale consonantique, θ ne fut plus prononcé, ni en domaine d'oïl, ni en domaine d'oc, d'où l'orthographe e, o, a dès PassClerm et SFoi. Dans certaines régions, la variante i "et" apparut notamment en région toulousaine, voir e a... > i a... (mais la forme i "et" est aujourd'hui représentée uniquement en domaine catalan et espagnol).


Par contre devant initiale vocalique, ð continua à se prononcer longtemps dans certaines régions :


- En domaine d'oc, en évoluant en z vers le XIe siècle. Ce -z occitan permettait d'éviter l'hiatus, rejoignant ainsi le cas de az (à), quez (que), d'où son succès analogique pour résoudre d'autres hiatus, voir z, lettre euphonique (le -z occitan perdure encore aujourd'hui dans certaines locutions).


- En domaine d'oïl, "d'où le français le plus ancien ɑδ [< hăbĕt], eδ, δ, qui ont disparu au bénéfice de ɑ, e, " (PHF-f3:659) ; en ancien français aussi, le -δ a eu un succès analogique (quĭă > qui > que > queδ "que", sĭ > se > seδ , nĕc > ne > neδ "ni"), écrits ned (Eulalie), qued, quet, set, net (Alexis) (PHF-f3:659).




Descendants du latin et


Remarque : l'orthographe française actuelle est "et" : il s'agit d'une graphie latinisante. "Et" est toujours prononcé [é], même devant voyelle (il n'y a pas de liaison). Par contre en a.fr., une consonne a dû être prononcée devant voyelle, voir ci-dessous.


Les variantes AO e, ez, es, ed sont attestées (DOM). (Également etz, i, pour i voir ea > ia). La variante ez [éz] était employée (PSW 2:311a) devant des mots à initiale vocalique :


E pueish las barbacanas els novels bastimens / An lhivradas als comtes ez als baros prendens (CroisAlb-1228:9455-56) = (prop.tradu.) Et puis les barbacanes et les nouveaux bâtiments / Ont livrés aux comtes et aux barons prenant.


Année 1375 : (...) los Bretons que son en Venaisin e-z-en Proensa (HLPA:83) = (...) les Bretons qui sont en Venaissin et en Provence (livre de raisons de Jean Teisseire, marchand de cordes, chanvres et sparterie).


Dans SFoi, "et" devant voyelle est écrit et ; cette orthographe est sans doute latinisante mais une consonne était bien prononcée (sans doute ð).


Ab elz concordan Hiebuseu / Et Arabid e Ferezeu
Herminin tegrun tot lur feu / Et Amazonas e Pigmeu,
Hermafroditas et Hebreu / E Corbarin et Amorreu
(fac s. SFoi:486-491 in CSFA:30).


Avec eux concordent Jébuséens / Et Arabes et Pharisiens.
Arméniens tinrent d'eux tout leur fief / Et Amazones et Pygmées,
Hermaphrodites et Hébreux / Et Corbarins et Amorrhéens (CSFA:31).



De même dans PassClerm, en dehors de &, on a et devant voyelle et e devant consonne :


41 Canten li|gran e|li|petit [...]

46 et el la|vid el las|garded [...] (fac s. de PassClerm)


Chantent les grands et les petits [...]

Et qu’il la vit, il la regarda [...]


Mais

65 Cum cho ag dit et per cuidat [...]

Après qu’il eut dit ceci, et haut répété [...]



Descendants du latin aut "ou"


Les variantes AO ǫ, ǫz sont attestées (DOM). (Également ). La variante ǫz [òz] a été employée devant des mots à initiale vocalique (PSW 5:439a), mais les occurrences sont moins répandues que pour ez ci-dessus.


Tug li rim o son estramp. oz acordan. oz ordinal. o dictional = Toutes les rimes sont ou estrampas (c'est-à-dire, estropiées, boiteuses), ou accordantes, ou ordinales, ou dictionnelles (LeysAm in LeysAmG 3:144-145)





3. cantăt, cantănt... (formes conjuguées)


Voir pour l'occitan : -t latin pour les formes conjuguées (cantăt, cantănt...).





IV. Évolution de k, kr, kl

Remarque 1 : avant les sonorisations, les sons latins ke, ki en position forte ont subi les deuxièmes palatalisations, et en position faible ils ont subi les troisièmes palatalisations.


Remarque 2 : avant les sonorisations, les groupes kĕ, kĭ + voyelle ont subi les premières palatalisations.


Pour la comparaison avec le français, voir évolution de c(k) (clivage oc/oïl).




A. Évolution de k, kr, kl en position forte



1. k, kr, kl à l'initiale

Schéma général :


ca- >
s-o ca- / n-o cha- (ga- / ja-)
co-, cu- >
co-, cu- (go-, gu-)
ce-, ci-
/ké/, /ki/
>
ce-, ci-
/sé/, /si/





cr-
>
cr-
(gr-)

cl-
>
cl-
(gl-)


type arverno-suisse : [ ɬ ]-


type italien : [ky]-





cl- > [ ɬ ]- : type arverno-suisse


(carte 0301 de l'ALF "clé"). Pour une grande bande ouest-est depuis la Charente-Maritime et la Loire-Atlantique où la bande est en pointillé, jusqu'en Suisse où la bande est très large, à cheval sur les domaines d'oc et d'oïl, et en domaine franco-provençal, on rencontre l'aboutissement noté [ ç λ ]- dans l' ALF. L'aboutissement en Auvergne est [ ɬ ] selon Straka in IPHAF:69. Il s'agit d'une palatalisation, voir alternance cl- / çlh-. On peut comparer ce type au type espagnol : llave "clé". Ce type et le type italien ci-dessous s'interpénètrent largement.




cl- > [ki]- : type italien


(carte 0301 de l'ALF "clé")

Depuis le Morbihan, la Charente-Maritime, puis en descendant vers le domaine d'oc jusqu'au nord de Vaucluse (où j'ai enregistré quiar pour clar "clair"), puis en formant un grand coin jusqu'en Meurthe-et-Moselle et en Italie : l'aboutissement est souvent de type italien [ky]- (quiar [kyar] pour clar "clair"). Ce type et le type précédent (arverno-suisse) s'interpénètrent largement.


Voir les types italiens pl- > pi- ci-dessus, et fl- > fi- ci-dessous.


À noter le type ch- à Fontan (06) : [t ʃ y a ʋ̯ ] "clé", comme pour pl- > ch- , fl- > ch- .




Exemples :


LPC

occitan
ca-
>
s-o ca-   / n-o cha-
( n-o cha- : quatrièmes palatalisations )
cannăbĕ(m)

s-o canebe / n-o chanebe "chanvre"
c a pră(m)

s-o cabra / n-o chabra "chèvre"



co-, cu-
>
co-, cu-
cŏllŏcā

colcar, cochar "coucher"
cōrtĕ(m)

cort "cour"
cŭrsŭ(m)

cors "cours"
cūră(m)

cura "cure"






ce-, ci-    /ké/, ki/
>
ce-, ci-    /sé/, /si/
(voir deuxièmes palatalisations )
cēpă(m)

ceba "oignon"
cervŭ(m)

cèrv "cerf"
cīcādă(m)

cigala "cigale"
cĭrcŭlŭ (m)

ceucle, cercle "cercle"
cīvĭtātĕ(m)

ciutat "cité"






ca-, co- >
ga-, go-
căvĕă(m)

gabia "cage"
cŏrbĭcŭlă(m)

gorbelha "corbeille"






cr-
>
cr-



crēdĕrĕ

creire "croire"
crĕpā

crebar "crever"
crētă(m)

creda "craie"
chrĭstĭānŭ(m)

crestian "chrétien"
crŭcĕ(m)

crotz "croix"
crūdŭ(m)

crus, crut "cru"






cr-
>
gr-
crassŭ(m)

gras "gras"
crŏcŭ(m)

AO gr ǫ c, gruoc, gruec ... "jaune ( crocus )"






cl-
>
cl-
clārŭ(m)

clar "clair"
claudĕrĕ

claure "clore"
clāvĕ(m)

clau "clef"
clērĭcŭ(m)

clerc "clerc"
clīnā

clinar "incliner, pencher"
clūdĕrĕ

AO cluire "clore"






cl-
>
gl-
* clārĕă(m)

glaira "glaire"
Claudĭŭ(m)

Glaudi... "Claude (dial Glaude )"



Tableau : évolution de c, cr, cl à l'initiale.




2. k, kr, kl après consonne

Schéma général :


-Cca- >
s-o -Cca- / n-o -Ccha-
-Cco-, -Ccu- >
-Cc(o-), -Cc(u-)






-CV-, -CV-
/CV/, /CkiV/
>
-CçV-, -CçV- ...
/CsV/, /CsV/



-CceC-, -CciC-
/CC/, /CkiC/
>
-CceC-, -CciC- ...
/ CC /, / C si C /






-Ccr-
>
-Ccr-
-Ccl-
>
-Ccl-




Exemples :


LPC

occitan
-Cca-
s-o -Cca- / n-o - Ccha-
( n-o - C cha- : quatrièmes palatalisations )
brĭscă(m)

bresca / brescha "rayon de miel"
ēscă(m)

esca / escha "appât ; arénicole"
*discalcĕŭ(m)

descauç / deschauç "pieds nus"
scālam > *iscālam

escala / eschala "échelle"



-Cco-, -Ccu- >
-Cc(o-), -Cc(u-)
brūscŭ(m)

brusc "ruche"
ĕpīscŏpŭ(m)

evesque "évêque"
ĭndĕūsquĕ

enjusca "jusque"
lĕntīscŭ(m)

AO lentisc "lentisque"
viscŭ(m)

vesc, visc "glu"



-CV-, -CV-
/CV/, /CkiV/
>
-CçV-, -CçV- ...
/CsV/, /CsV/
(voir premières palatalisations )
călcĕā

cauçar "chausser"
lăncĕăm

lança "lance"






-CceC-, -CciC-
/CC/, /CkiC/
>
-CceC-, -CciC- ...
/CC/, /CsiC/
(voir deuxièmes palatalisations )
baccīnŭ(m)

bacin "bassin"
carcĕrĕ(m)

càrcer "prison"
mĕrcēdĕ(m)

mercé "merci"
nāscĕrĕ

nàisser "naître"






-Ccr- >
-Ccr-
concrĕā

AO concriar, congriar, congruar "produire ; naître" (1)
concrēdĕrĕ

AO concreire "confier ; concéder"
*ĭncrēdĕrĕ

encreire "accroire"
scrībĕrĕ

escriure "écrire"






-Ccl- >
-Ccl-
exclūsă(m)

AO escluza "écluse"
ĭnclīnā

AO enclinar "incliner"
ĭnclūdĕrĕ

AO encluzir "inclure"



-Cc'l- >
-Ccl-
ăvŭncŭlŭ(m)

oncle, avoncle "oncle"
cĭrcŭlŭ(m)

AO clcle, crcle, ccle "cercle"
*lactūscŭlă(m)

AO lachuscla "euphorbe"
mĭscŭlā

mesclar "mêler"






Tableau : évolution de c, cr, cl après consonne .


(1) Pour concrĕārĕ > congriar, on peut expliquer la sonorisation de deux manières : analogie sur d'autres mots, comme congregar, ou influence de l'accent tonique sur la première syllabe dans les formes conjuguées : congria "il produit" : cela pourrait entraîner la sonorisation cr > gr ? (à étudier)


Remarque pour sc'l : pour le français, une évolution scl > l existe :

brūstŭlārĕ > brusler > brûler ;

mĭscŭlārĕ > mêler

muscŭlŭm > moule (mollusque) ;

*rāsĭcŭlārĕ > râler / racler.


En occitan peut-être aussi : mescla > mela ; bruslar : notamment FEW 14:76a.





B. Évolution de k, kr, kl intervocaliques

Pour la comparaison avec le français, voir évolution de c(k) (clivage oc/oïl).



1. Vue d'ensemble sur k, kr, kl intervocaliques


Schéma général :


c (suivi de a, o, u > g      

( c suivi de a en nord-occitan > j , y ou )



-VV-, -VV-    >   -VçV-

/VV/, /VkiV/                /VsV/


-VceC-, -VciC-   >   - VceC-, -VciC

/VC/, /VkiC/                /VC/, /VsiC/               



kr > gr , /i̯r/


kl > /λ/




2. Évolution de k intervocalique

Remarque : pour la comparaison occitan / français, voir évolution de c intervocalique .


Schéma général :

c (suivi de a, o, u ) > g

c (suivi de a en n-o ) > j , y ou


-VV-, -VV-    >   -VçV-, -VçV-

/VV/, /VkiV/                /VsV/, /VsV/


-VceC-, -VciC-   >   -VseC-, -VsiC

/VC/, /VkiC/                /VC/, /VziC/               




-c- > -g- > -c (si g parvient en position finale par apocope )


Détails :


Au premier siècle, les groupes "voyelle + cĕ, cĭ + voyelle" subissent les premières palatalisations .


Dans les années 200 après J-C., les groupes "voyelle + /ké/, /ki/ + consonne" subissent les troisièmes palatalisations .


Vers l'an 400, k intervocalique devant a, o, u est sonorisé en g dans le futur domaine d'oc, comme dans toute la Romania occidentale . Cependant, en nord-occitan pour k + a , l'évolution est variable : k évolue généralement en j , y ou (voir étude au β. ci-dessous).

(Ronjat : GIPPM-2 :84 et suivantes).


Pour ka en nord-occitan :

Voir plĭcārĕ > plejar . Voir l'étude de GIPPM-2 :85-8.

Devant a , selon W. von Wartburg, en lang., le k peut disparaître (voir l'étude epikarsios > biais ). (ex : jŏcārĭ > ( l ) joar , dans une région où la dissimilation jojar > joar ne semble pas possible).



Vers le VIIe siècle, au moment des apocopes , si g parvient en position finale, il "redevient" c ( durcissement des consonnes devenues finales ) : ămīcŭ(m) > *amigo > *amig > amic .



latin LPC

sud-occitan
s-o /ka/ > s-o ga
ămīcă(m)
amiga "amie"
ἀποθήκη (apothē)
botiga "boutique" (1)
aprīcā
abrigar "abriter"
ăquă(m)
aiga "eau"
căcā

cagar "chier"
*fīcă(m)

figa "figue"(2)
jŏcā
jogar "jouer"
măstĭcā
mastegar "mâcher"
nĕcā
negar "noyer"
pācā
pagar "payer"
pĭcā
pegar "poisser"
plĭcā
plegar "plier"
prĕcā
pregar "prier"
sĕcā
segar "faucher"



n-o /ka/ > n-o ja / ia / a
(voir plĭcārĕ > plejar )
plĭcā

lim , d plejar ; d pleiar ; a, rouer plear



-aucă- > s-o -auca , n-o -aucha
(voir blocage de la sonorisation dans -aucă-, -aucŭ- )
aucă(m)

auca "oie"



/ko/, /ku/ > /go/, /gu/
ăcūcŭlă(m)
agulha "aiguille" (3) (4)
ăcūtŭ(m)
agut "aigu" (3)
cŭcŭrbĭtă(m)
cogorda "courge" (5)
sēcūrŭ(m)
segur "sûr"



En position finale (voir c : durcissement de la consonne devenue finale )
-/ko/-, -/ku/-

-/k/ (amuï dans la plupart des régions)
fŏcŭ(m)
fuòc, fuec "feu" (6)



-VV-, -VV-
/VV/, /VkiV/

-VceC-, -VciC-
/VsV/, /VsV/
(voir premières palatalisations )
mĭnācĭă(m)

menaça "menace"



-VceC-, -VciC-
/VC/, /VkiC/

-VseC-, -VsiC-
/VC/, /VziC/
(voir troisièmes palatalisations )
măcĕllŭ(m)

masèu "abattoir"



Tableau : évolution de k intervocalique.


(1) Pour ἀποθήκη (apothē), voir botiga.


(2) Pour *fīcăm > figa, le français "figue" est un occitanisme (depuis 1170, voir CNRTL "figue", la forme régulière française est a.fr. fie).


(3) Pour ăcūcŭlă(m) > agulha, ăcūtŭ(m) > agut, les mots français "aigu", "aiguille" sont probablement issus d'une influence occitane (IPHAF:116, note 1 : "Le traitement de acū- est probablement d'origine occitane"). Également *ăcūtĭārĕ > agusar "aiguiser". L'aboutissement régulier de ăcūtŭ(m) est a.fr. ëu "aigu" (Mons acutus année 879 > Montheu, 1298, commune de Dommartin-sous-Amance, 54, CNRTL). Le CNRTL et le DHLF invoquent une probable réfection sur le latin en raison de l'inconsistance de a.fr. ëu "aigu". À ma connaissance, PHF-f3 n'invoque pas une influence occitane.


(4) Pour ăcūcŭlă(m) > agulha, la prononciation actuelle du fr "aiguille" /égüiy/ est due à une mauvaise interprétation graphique : en a.fr., on prononçait /aguλə/, puis /éguλə/ (PHF-f3:772). Voir orthographe de type "aiguille".


(5) Pour cŭcŭrbĭtăm, l'aboutissement est souvent cocorda, par "redoublement" k-k (GIPPM-2 :364, 480).


(6) Pour fŏcŭm , voir diphtongaison devant k .







3. Évolution de kr intervocalique


Pour le groupe kr primaire ou secondaire , la transformation est variable et mal connue : kr > gr, kr > yr .

Pour kr secondaire : composés en -d ū cĕre > *-d ū cre > -duire / durre .

À étudier .


Pour le français selon F. de La Chaussée, on ne peut pas dire si kr s'est d'abord sonorisé, ou bien d'abord spirantisé, mais le résultat serait le même > yr ( lacrimam > layrme, sacramentum > sayrement, facere > facre > fayre ) ( IPHAF :45).

Je cite le CNRTL à l'article "aigre" < ācrĕm ( e.d.l.a. ) :
« Aigre représente :
− soit un développement phonétique particulier probable dû au fait que le groupe - gr - issu assez tardivement de la sonorisation de - kr - (en syllabe finale de paroxyton) n'était pas parvenu au stade - yr - au moment où le groupe primitif latin - gr - passait à - yr - (comme flagrare > * flayrare ). L'assimilation ne s'est alors que partiellement faite, aboutissant à un groupe - gyr - qui s'est aussitôt interverti en - ygr - : acru > aigre , Fouché t. 3 1961:715 ;
− Soit un développement entravé par l'appartenance du mot à la langue médiévale (voir supra, Rufus, Soranus). »




latin LPC

sud-occitan
/kr/ > /gr/, /ygre/, /yr/
*ācrĭfŏlŭ(m)
agrieu, agreu ...
ācrĭs + -otta

agriòta "griotte"
ācrŭ(m)
agre, aigre "aigre"
lăcrĭmă(m)
lagrema "larme" (1)
măcrŭ(m)
magre, maigre



/k ' r/ > /yr/
condūcĕrĕ > condūcrĕ
conduire (condurre)
făcĕrĕ > făcrĕ
faire






Tableau : évolution de k, kr, kl intervocaliques.


(1)  lăcrĭmă(m) > lagrema avec déplacement d'accent tonique.







4. Évolution de kl intervocalique


Schéma général :


À l'intervocalique, le groupe kl primaire n'existe pas (IPHAF:69).

Le groupe kl secondaire intervocalique évolue en /λ/, voir 3 es palatalisations


/k'l/ > /λ/


Exemples :


latin LPC

sud-occitan



/kl/ (1)




/k'l/ > /λ/ (voir 3 es palatalisations )
*aurĭcŭlă(m) > *aurĭclă
aurelha "oreille"
măcŭlă(m) > *măclă
malha "maille"



en finale
*sōlĭcŭlŭ(m) > *sōlĭclŭ
solelh (> soleu) "soleil"



Tableau : évolution de k, kr, kl intervocaliques.


(1) /kl/ primaire n'existe pas à l'intervocalique (IPHAF:69).




C. Évolution de k final

(PHF-f3:657)







V. Évolution de s



A. Évolution de s en position forte
   

1. s à l'initiale

s à l'initiale est conservé.


latin LPC
 
occitan
s- [s] > s- [s]
săpĕrĕ > *săpē

saber, saupre "savoir"
sōl → *sōlĭcŭlŭ(m)
solelh, soleu "soleil"
sūdā
susar "suer"



sC (s impur à "Groupes consonantiques")
spīnă(m)
espina "épine" (N-O : ehpina, eipina...)



Tableau : exemples de l'évolution de s initial.  



2. s après consonne

Après consonne, s est conservé, avec la valeur [s], souvent avec une assimilation de la consonne précédente à s.


latin LPC
 
occitan
-s- > -z-



absĭnthĭŭ(m)
aussent "absinthe (plante)"
by̆rsă(m), bŭrsă(m)
borsa, bolsa "bourse"



-ns- > -s- (amuïssement de n devant s et f)
dēfensă(m)

AO devza "défens, bois en défens"



Tableau : exemples de l'évolution de s après consonne.  




B. Évolution de s intervocalique
   

En position intervocalique, le s latin est toujours prononcé [z] en occitan.


Pour le latin, l'histoire du s intervocalique est particulière (PHL4:3, 94-96) : s s'est sonorisé très tôt (ou bien il serait sonore dès son apparition ?, voir pr-it., voir flōs, flōzes, à étudier), puis il s'est transformée en r vers -350 (rhotacisme). Théoriquement donc, le s intervocalique ne devrait plus exister en latin ; cependant certains faits ont mené à son existence dans plusieurs mots :

- dans les composés comme dēsĭnō "je cesse" ( (éloignement) + sĭnō "je laisse libre") (sentiment de composition) (PHL4:95) ;

- création postérieure au rhotacisme : dēsŭpĕr, rĕsēmĭnō (PHL4:95) ;

- emprunts postérieurs au rhotacisme : basis, nausea, pausa (emprunts au grec), asinus (probablement emprunt à l'Asie mineure par l'intermédiaire de tribus thraces),  (PHL4:95-96) ;

- sorte de dissimilation préventive : miser "malheureux" est conservé (sinon on aurait eu mirer), de même pour caesariēs "tignasse" (sinon on aurait eu caerariēs) ;

- évolution -ss- > -s- : caussa > causa, cāssus > cāsus, divissio > dīvīssĭō >dīvīsĭō (PHL4:96, 121).






latin LPC
 
occitan
-s- > -z-
causă(m) /kaʋ̯sa/
causa / kaʋ̯za/ "chose"
pausā /paʋ̯sa:ré/
pausar /paʋ̯za/ "poser"
ūsūră(m) /ʋ:sʋ:ra/
usura /uzura/o/ "usure"



Tableau : évolution de s intervocalique .  

 

C. Évolution de s final
   





VI. Évolution de f
 

A. Nature du f latin


1. Rareté du f intervocalique latin

Le f latin intervocalique est rare ; il n'existe qu'à l'occasion d'emprunts à d'autres langues italiques, ou au grec, ou à la formation de mots composés (PHL:71, MPL:31, GIPPM-2:109). 

Exemples :

- mots empruntés à d'autres langues italiques : rūfŭs "roux", scrō "truie", văfĕr "rusé, madré" (PHL4 :94, voir ci-dessous alternance f / b) ;

- mot empruntés au grec : cŏphĭnus > "coffre" (voir ci-dessous emprunts au grec) ;

- mots composés : dēfŏrĭs "dehors", prŏfŭndŭs "profond", rĕfĕrō "je rapporte".

"La fricative labiale de l' osque et de l' ombrien en position intérieure était représentée en latin soit par b, soit par d (dualité qui tient au fait que cet f des parlers italiques autres que le latin avait une double origine indo-européenne)" (PHL4:93 ; à ma connaissance dans aucune de ses éditions, l'auteur ne précise s'il s'agit du f dento-labial ou du f bilabial, voir ci-dessous).




2. Incertitudes sur la prononciation de f latin

a. Analyse bibliographique (Xavier Gouvert)

Xavier Gouvert présente une synthèse bibliographique et une nouvelle conclusion sur la prononciation du f latin (PPDP :28-38 : "/F/ protoroman était-il bilabial ?"). Je présente ci-dessous son analyse.


- Dans un premier temps, les linguistes se sont accordés pour une prononciation /f/ pour f latin (f labiodental, comme aujourd'hui en français).


- Dans un deuxième temps à partir de 1950, certains auteurs se sont démarqués en considérant que f était d'abord prononcé /ϕ/ (f bilabial), puis a évolué en /f/. Cette dernière évolution /ϕ/ > /f/ est datée diversement :

- phase du latin archaïque (Maniet in PPDP :29) ;

- I er siècle après J.-C. (Bec in PPDP:29) ;

- III e siècle après J.-C. pour les f intervocaliques (IPHAF:52). F. de La Chaussée estimait qu'à l'initiale, l'évolution /ϕ/ > /f/ s'est produite tôt : c'est un "héritage de la République" (IPHAF:173), donc elle date d'avant -27 avant J.-C. 


Les arguments de ces auteurs sont :

- l'existence de graphies archaïques comme comfluont correspondant à la graphie classique confluont (Maniet 1975 in PPDP:29) ;

- la prononciation /h/ du f latin en Espagne du nord et en Gascogne : selon Chambon et Greub (in PPDP:29), le scénario le plus probable est une prononciation /ϕ/ en latin parlé, puis une évolution /ϕ/ > /h/ dans ces régions. Concernant cette dernière évolution, X. Gouvert pense aussi : "il est à peu près hors de doute que gasc. et esp. /h/ (> ) remonte à un ancien [ϕ]." (PPDP :31) ;

- je rajoute d'autres arguments de phonétique historique, voir ci-dessous arguments de Pierre Fouché .


- Dans un troisième temps, X. Gouvert (PPDP :35-38) déduit une prononciation latine /f/ (donc c'est un retour au "premier temps" ci-dessus), tout en reconnaissant que le sujet est très controversé encore actuellement. Cette prononciation /f/ aurait subi des évolutions régionales par influence des substrats :

- en domaine ibérique et en Gascogne, des habitudes articulatoires préexistantes auraient provoqué la réalisation /ϕ/ > /h/ (> ) du f latin (habitudes qu'on retrouve dans le basque où /f/ n'existe pratiquement pas).

- en Calabre et en Sicile, les habitudes articulatoires fortement influencées par le grec auraient mené à /ϕ/.

- en Sardaigne, "peut-être sous l'influence d'une langue antérieure à la présence romaine" (phénicien ?) : /f/ > /ϕ/.

- en domaine grec (aroumain), une palatalisation aurait causé une évolution /f/ > /χ/.


A.-C. Juret (MPL:31) cite Quintilien (I er siècle après J.-C.) et Terentianus Maurus (fin du II e siècle après J.-C.), décrivant le f comme labio-dental (/f/) . "Cependant il est possible qu'au commencement de l'époque classique f ait été encore bilabiale (même articulation que quand on souffle une chandelle), mais il n'y en a pas de preuves suffisantes."

Attestations antiques

(Quintilien, Instit. orat., XII, 10, 27) (QPLJ:471-472)
[...] quando et jucundissimas ex Graecis litteris non habemus, vocalem alteram et alteram consonantem, quibus nullae apud eos dulcius spirant ; quas mutuari solemus, quoties illorum nominibus utimur. Quod quum contingit, nescio quomodo hilarior protinus renidet oratio, ut in Ephyris et Zephyris : quae si nostris litteris scribantur, surdum quiddam et barbarum efficient, et velut in locum earum succedent tristes et horridae, quibus Graecia caret. Nam et illa, quae est sexta nostrarum, pœne non humana voce, vel omnino non voce potius, inter discrimina dentium efflanda est : quae, etiam quum vocalem proxima accipit quassa quodammodo, utique quoties aliquam consonantem frangit, ut in hoc ipso 'frangit', multo fit horridior.

[...] Ainsi, nous manquons de deux lettres très-agréables (υ et φ) que possèdent les Grecs, l'une voyelle et l'autre consonne. Il n'en est pas de plus douce chez les Grecs, auxquels nous les empruntons toutes les fois que nous nous servons de leurs propres mots ; et quand cela nous arrive, une grâce indéfinissable se répand aussitôt sur notre langage. Ecrivez, par exemple, Ephyris et Zephyris avec nos lettres, ces deux mots produiront quelque chose de sourd et de barbare, et, au lieu de ces aimables lettres, vous en aurez de tristes et de rudes, que les Grecs ne connaissent pas. En effet, la lettre f, qui est la sixième de notre alphabet, appartient à peine à la voix humaine, ou plutôt n'appartient à aucune voix, puisqu'elle est le produit du sifflement de l'air entre les dents ; outre que, suivie immédiatement d'une voyelle, elle se casse en quelque sorte, et que si elle heurte une consonne, comme dans frangit, elle la brise et en devient elle-même encore plus rude. (QPLJ:472)

Commentaire : Hubert Pernot (DHANJ:164-166) tente de reconstituer la prononciation de φ d'après ce passage de Quintilien. Il élimine judicieusement [ph] (p aspiré) "car dans ce cas Quintilien aurait également parlé du χ et du θ" (qui sont les deux autres aspirées du grec très ancien, et qui n'ont jamais existé en latin). Puis il continue : "Ce son, apparenté à l’u par la douceur et en même temps comparable à l’f labio-dental latin, ne saurait être que l’f bilabial." Dans cette dernière partie du raisonnement, H. Pernot prend pour acquise la prononciation labiodentale de f latin (ci-dessus) ; or c'est devenu justement un point de discussion des linguistes.
Ce passage de Quintilien est donc difficile à utiliser pour comprendre la valeur de f latin.



b. Conclusion ; position personnelle sur f latin

La prononciation du f latin est incertaine, et de toute façon elle a dû varier selon les époques et les régions de l'Empire romain. Je propose ci-dessous un raisonnement prédictif suivi d'une confrontation avec les faits. Cela me mène à distinguer deux régions :


- Pour la Gaule sauf la Gascogne, f latin avait une prononciation /ϕ/ à l'intervocalique, mais /f/ en position forte.


- Pour la Gascogne et une bonne part de la péninsule ibérique, tous les linguistes s'accordent pour une réalisation /ϕ/ à l'initiale. Cela permet d'expliquer la disparition de f initial pour le gascon et l'espagnol.


Par contre dans ce même domaine gascon et ibérique, f latin aurait été prononcé /f/ à l'intervocalique :


il évolue en b /β/ ou /b/ pour l'espagnol :

- que ce soit au contact avec o, u (Christophorum > Cristóbal) ;

- ou bien au contact d'autres voyelles (Stĕphănŭm > Esteban).


Ce traitement différent à l'initiale et à l'intervocalique en gascon et en castillan est remarquable ; il va à l'inverse de ce qu'on connaît dans la majeure partie de la Gaule où l'initiale est en général "dure", et où l'intervocalique est adoucie. On doit peut-être rapprocher ce traitement d'un ensemble de cas comme par exemple clāvĕ(m) > esp llave "clé" alors que *aurĭc(ŭ)lăm > esp oreja "oreille".






3. Alternance f / b
Remarque : pour le moment, je suis gêné par le fait que je ne trouve pas de bibliographie synthétique sur la généalogie des consonnes : pr-i-e. > pr-it. > latin et autres langues italiques.


Pendant l'Antiquité, pour certains mots latins, il y avait hésitation entre f et b intervocaliques :


- rūfus / rŭber ; "roux ; rouge"

- scărăbæus / *scărăfaius "scarabée"

(> it. scarafaggio "cafard", voir étymologie de escarrabilhar )

- scrōfa / scrŏbis ; "truie ; trou"

- sīfĭlāre / sībĭlāre ; "siffler ; siffler"

- tūbĕr / *tūfĕr

(> "truffe")

- tăbānus / d.i.a. tafano "taon, et autres insectes"


Cette hésitation correspond à une opposition entre latin "correct" (rŭber, scrŏbis, sībĭlāre, tūbĕr ...) et latin "dialectal" (rūfus, scrōfa, sīfĭlāre, tūfĕr...) (LLHA:80). Ou bien encore entre latin et d'autres langues italiques (osque et ombrien : CNRTL "truffe"). Ou bien entre latin de Rome et latin rural (PHL:71-72).


Cette alternance est à rattacher à la double origine de /β/ latin : /b/ et /ϕ/ en proto-italique (voir origine des spirantes romanes ). La variante /ϕ/ (ou /f/) a été conservée dans certains dialectes antiques près de Rome. Ces dialectes pouvaient être issus du falisque, puisqu'une des caractéristiques de cette langue était précisément la conservation du f interne, que le latin avait transformé en b (voir faliscan). C'est le cas aussi d'autres langues italiques comme l'osque (référence à mettre).


Attestations antiques :

Prob 179 témoigne de l'alternance f / b :

"sibilus non sifilus" "sibilus, pas sifilus " (sibilus "sifflement ; sifflant").


Nonius Marcellus (IV e -V e siècle après J.-C.) écrit aussi :

"sifilare quod nos, vilitatem verbi (e)vitantes, sibilare dicimus " = (traduction PHL4 :93) " sīfĭlāre ["siffler"], que nous [c'est-à-dire les gens cultivés] remplaçons par sībĭlāre pour éviter la prononciation vulgaire".


Le français a donc hérité de la forme rurale sīfĭlāre > "siffler", alors que le provençal a hérité de la forme urbaine sībĭlāre > siblar.

Il faut peut-être faire entrer dans cette catégorie l'étymon de vibre "bièvre (castor)", même si on a affaire à une consonne initiale et non intervocalique : le mot est d'origine gauloise, et il est passé en latin (Ve -VIe siècle) : bèber ; aussi fiber (TLL in CNRTL). Ce mot est d'ailleurs connu pour avoir subi une sonorisation à l'initiale, voir bèber / fiber > vibre .




4. Emprunts au grec : p, ph, f

La prononciation de φ grec est très souvent expliquée de façon incomplète ou obscure dans la littérature scientifique ; il en résulte une grande confusion.


a. Les trois valeurs successives de φ (phi)

En grec, φ a pris successivement trois valeurs :


- avant -300 environ : φ était réalisé [ph] (p aspiré)

(son origine était le phonème pr-i-e. [bh] : LG:6-7) ;


- à partir de -300 environ (dans la koinè) : φ était réalisé [ϕ] (f bilabial) ;


- probablement à partir du IIIe siècle après J.-C. (en grec byzantin) : φ a pris la valeur de f labio-dental : [f] (peut-être par influence du latin : PPDP:36). 


Par exemple J.-M. Pierret (PHF-p:140-141) distingue le f latin, "[ϕ]", "constrictive bilabiale sourde", et le "[ph]" emprunté au grec, consonne aspirée, faisant partie des "sons que le latin ne connaissait pas à l'origine".


Conséquence : les emprunts anciens au grec (avant -300) ont complètement assimilé φ à p, alors que les emprunts postérieurs l'ont assimilé à f latin (prononcé [f] ou [ϕ] ?).


(ÉFV :42) « Le mot AMPELOPHOROS est entré dans la langue des Gaulois avant 300 av. J-C., étant donné que le -ph- grec, d'explosif aspiré qu'il a été d'abord, a passé à -f- vers cette date-là, longtemps avant l'arrivée des Romains. » (ici l'auteur schématise en assimilant [ϕ] à [f]).


(DHANJ:164) « En d’autres termes, ces trois aspirées [χ, φ, θ] sont devenues aujourd’hui des continues [dans le grec moderne : /χ/, /f/, /θ/].

A quelle époque s’est produit ce changement ? C’est pour le φ que la question est le moins obscure; elle offre une grande analogie avec celle du β (p. 159). Entre le son ancien et le son moderne, l'intermédiaire a été un f bilabial, c’est-à-dire prononcé en comprimant légèrement les lèvres, sans que celles-ci touchent les dents; et c'est ce son que représente, au IIe siècle avant notre ère, la graphie de Delphes ΕΠΙΣΤΕΦΣΕ citée page 152. »


Voir DHANJ.

Dans les emprunts de type savant, les latins ont retranscrit le φ grec avec le digramme ph, qui a eu sûrement une prononciation variable selon les époques et les registres (vulgaire ou savant). Il faut noter que de nombreux mots savants d'origine grecque avaient leur doublet populaire, comme cŏlăphus Plaute / *cŏlŏpŭs (percŏlŏpāre "frapper" CGL). Voir aussi apophonies (*cŏlŏpŭs).



b. Emprunts au grec avant 300 avant J.-C. : φ > p

Exemples :


ἀμπελοφόρος (ampelophóros) "qui porte des vignes" > (réfection conservant le suffixe, ÉFV) * vineoporus > (p > b) AO vinhobre > fr vignoble.


ἀσφάραγος (aspháragos) "asperge sauvage" > aspărăgus ; (a)sparigus, apargus (apophonie de aspháragos).


κόλαφος (kólaphos) "soufflet (gifle)" > *cŏlŏpŭs "coup" (apophonie de kólaphos), (percŏlŏpāre "frapper" CGL ) > it colpo, AO cǫlp, cǫlbe, cǫp, oc còp, esp golpe, fr coup...


τύφειν (túphein) "fumer, dégager de la fumée" qui a été emprunté dans le sud de la Gaule sous la forme * tūpāre > tubar, (p > b) estubar, voir l'étymologie de estubar.


φαντάζω (phantá) "faire naître une idée, se figurer, imaginer" > *pantăsĭārĕ "avoir des visions, rêver" > oc pantais "rêve ; cauchemar ; chimère, illusion ; etc.", AO pantaizar "rêver", cat. pantaixar «être oppressé, hors d'haleine sous l'effet de l'émotion», sicilien pantasciari   "être oppressé", etc. AO "pantois" (CNRTL "pantois").


φάντασμα (phántasma) > Italie du sud pantazma, pandazma, pandazəmə ... Espagne pandasma... (FEW 8:364b) (voir aussi l'emprunt plus tardif ci-dessous (> "fantôme").




c. Emprunts au grec après 300 avant J.-C. : φ > f

 

Exemples :


κόφινος (kóphinos) "corbeille" > cŏphĭnus "corbeille" > AO cǫfre "coffre" ; emprunt ancien de l'occitan au latin cŏphĭnus (avec perte de l'accent tonique originel) : AO cofin "cabas", OM cofin "cabas ; étui pour pierre à aiguiser de faucheur" > (emprunt ancien à l'occitan) fr "couffin".


νέφος (néphos) "nuage" > pr.ma. nèfo "nuage, nuée que le vent pousse dans l'air" (TDF).


τύφειν (túphein) "fumer, dégager de la fumée" a été emprunté une deuxième fois au grec en Italie du Sud, pour aboutir à stufare "cuire à l'étouffée", voir l'étymologie de estubar.


φαντασία (fantasía) > phantăsĭă > (empr) "fantaisie",  AO fantazia , OA fantasiá.


(ion) *φάνταγμα (fántagma) > (alt.mass.) *phantauma > AO fantauma, OA fantauma, fr fantôme (CNRTL).





B. Évolution du f latin


Le f intervocalique est rare en latin (ci-dessus) ; de plus, la valeur phonétique de f latin est incertaine (ci-dessus). Donc son étude est difficile, mais l'étude des aboutissements actuels peut justement permettre d'approcher la prononciation latine. Je tente ici d'approfondir l'étude et de proposer un scénarios cohérent tenant compte du français, de l'occitan/catalan, du gascon et du castillan.



1. Évolution de f, fl, fr en position forte

En position forte, f, fl, fr sont presque toujours conservés depuis le latin jusqu'en occitan (et en français). Du moins, le son /f/ est réalisé (la réalisation de f latin est sujette à discussion).



a. Évolution de f, fl, fr à l'initiale

Schéma général :


f- > f-

fl- > fl-

fr- > fr-


f- > h-,  fl- > hl- : type castillan et gascon


Pour le gascon et le castillan, f- suivi de voyelle s'amuït. Par exemple : farinam > harina "farine", filium > hijo "fils", ferrum > hierro "fer", foliam > hoja "feuille", fundam > honda "fronde".


Pour fl- :


En domaine gascon :

flămmăm > (e)hlama [hlama], [éhlama] (31, 32, 40, 64, 65), également ezlama, ellama (types sans doutes provenant du type ehlama).

Le type flōs > hlos [hlʋs] est rare (Eau32, Gre40, Aig47).


En castillan : flămmăm > esp flama / llama ; flōrĕm > flor .



fl- > fi- : type italien

Voir carte 582 de l'ALF "les fleurs" (même chose pour 579  "flamme", 580 "fléau"). Le type italien (fi-) se rencontre :

- marginalement en domaine d'oc : à Menton (06) : fior [fyʋ] ;

- souvent en domaine arpitan italien et suisse fior [fyʋ], [fya], [fyœ], Doubs [fyœ]...

- dans des régions du domaine d'oïl : Côte-d'Or, Vosges, également dans l'ouest : Manche, Ile-et-Vilaine, Morbihan, Mayenne, Sarthe... [fyœr]...


Voir aussi ci-dessus les types italiens pl- > pi-, cl- > ki-.


Parfois [fλ] est noté dans l' ALF pour "fleurs" : type [fλʋr] (Creuse, Puy-de-Dôme, Ain, Gironde...).


Parfois une palatalisation de f est également notée : type [çó] (Suisse), [ç λ ʋ] (Puy-de-Dôme), voir ci-dessus le type arverno-suisse cl- > [ɬ].


À noter le type ch- à Fontan (06) [t ʃ y ʋ ə ] "fleurs", comme ci-dessus pl- > ch-, cl- > ch-.



Exemples :


LPC

occitan
f-
> f-



făbă(m)

fava "fève"
făbrĕ(m)

AO fabre, faure "forgeron"
fĕbrĕ(m)

fèbre "fièvre"
*fīcă(m)

figa "figue"
*fŏliă(m)

fuelha "feuille"
fŏntĕ(m)

fònt "fontaine"
fŭrcă(m)

forca "fourche"



fl-

fl-



flămmă(m)

flama "flamme"
Flāvĭācŭ(m)

Flaujac "Flaujac" (12 , plusieurs toponymes dans le 46)
flōrĕ(m)

flor "fleur"



fr-

fr-



fractă(m)

fracha "fissure..."
frātrĕ(m)

fraire "frère"
frīgĭdŭ(m)

freg "froid"
frŏntĕ(m)
frònt, front "front"
frūctŭ(m)

fruch "fruit"



Tableau : évolution de f, fl, fr à l'initiale.




b. Évolution de f, fl, fr après consonne

Schéma général :


- C f- > - C f-

fl- > fl-

fr- > fr-


Remarque pour le groupe nf : en latin, souvent nf > f. Mais n a été restitué lorsque le sentiment de composition était possible (reconnaissance des préfixes in et con, d'où ĭnfantĕm, cŏnflārĕ ). Par contre plus tard, en AO, n a pu à nouveau s'amuïr, d'où des variantes AO efans "enfant", OM (lang) coflar "gonfler"...


Exemples :


LPC

occitan
- C f-
> - C f-



* călĕfārĕ > *călfā
calfar, caufar "chauffer"
cŏnfīnĕ(m)

confin "confins, frontière"
ĭnfantĕ(m)

enfant "enfant"



- C fl-
- C f-



cŏnflā

gonflar "gonfler"
ĭnflā
enflar "enfler"
ĭnfrangĕrĕ
enfranher "enfreindre"



fr-

fr-



  a.b.fr. fridu → exfrĭdā
  AO esfredar "troubler"



f géminé
ăffĭrmā

AO afermar "attacher ; consolider"



Tableau : évolution de f, fl, fr après consonne.






2. Évolution de f intervocalique

(Voir notamment STPfI).


a. Vue d'ensemble sur f intervocalique

L'étude de f intervocalique est délicate car :

- f latin a une prononciation incertaine ;

- peu de mots latins contiennent f intervocalique.




Schéma général pour l'évolution de f intervocalique (proposition personnelle)


Sentiment de composition ou non :

Dans les mots purement latins, où f intervocalique n'existe que dans les formes composées :

- soit le sentiment de la composition demeure, d'où une persistance de f (dēfŏras > defòra "dehors" ?) ;

- soit ce sentiment a disparu, d'où une évolution phonétique (GLR2 :402).


Pour les mots d'origine étrangère, notamment grecque (Stĕphănŭs), le f était sans doute prononcé populairement comme en latin (dont la valeur est mal connue !). Il a subi une évolution phonétique.


Évolution phonétique :

Selon GLR2 :402 : f intervocalique évolue de la même manière que v latin ; en italien f persiste ; pour le roumain les exemples manquent. Il s'agit sans doute d'un bon résumé, mais je tente de détailler l'étude. Voir aussi EPF:396 : "Le traitement de f médial étant ordinairement identique à celui du v (...)",  et STPfI:174. Voici mon modèle un peu plus détaillé :



1. Évolution de type occidental (péninsule ibérique + Gascogne + parfois ouest du Rhône)


f > b / v / β

(scrōfăm > escroba, escorba "écrou")


En espagnol (ou ancien espagnol) : Africus > Abrego, Christophorum (Χριστοφόρος, Christophóros) > Cristóbal, raphanum > rábano, Stĕphănŭm > Esteban, triphulon > trebol, *aquifolum > acifolu > acebo "houx"; inscription pontivicatus < pontificatus (LEAI :121).

Aussi (Gerhard Rohlfs, 1956, Studien zur romanischen Namenkunde, page 20) : 21–24. trifinium > Treviño (Burg., Sant., La Cor.) ; Cuadroveña (Ov.) < quadrifinia y Peña Trevinca < trifinica en un lugar donde se encuentran las provincias de Orense, León y Zamora ; véase J. Piel, Rev. Port. de Fil., vol. 4, 1951, pág. 32.


Cependant : dēfe(n)săm > esp dehesa (AO devẹza, rouerg debesa), mais il s'agit certainement d'un sentiment de composition (juste ci-dessus), voir ci-dessus : f- > h-.



2. Évolution de type oriental (est du Rhône + parfois Languedoc...)


- au contact de o, u :

f >


parfois résolution d'hiatus par épenthèse, avec insertion de v, y, g.


- hors contact avec o, u :

f > v





Raisonnement prédictif sur la valeur de f latin (proposition personnelle)


- si f latin avait la valeur /ϕ/ : les sonorisations mèneraient à /β/ vers l'an 400.


Cette dernière consonne est homorgane des voyelles postérieures o, u, donc le contact entre /β/ intervocalique et o, u tendrait nettement à faire disparaître /β/, voir les commentaires à amuïssement de waw au contact de o, u. Il est possible que la disparition se réalise aussi auparavant, au stade ϕ ; c'est ce que pense F. de La Chaussée (IPHAF:52 : "φ s'est probablement effacé assez tôt, avant  les sonorisations").


Pour le contact avec d'autres voyelles exclusivement, /β/ pourrait évoluer en /v/ comme il l'a fait auparavant pour b, v latins (fin IIIe siècle), et dans l'ouest du domaine d'oc il tendrait à évoluer en /b/.


- si f latin avait la valeur /f/ : les sonorisations mèneraient à /v/ vers l'an 400.


La consonne /v/ n'est homorgane qu'en partie de o, u (sa réalisation met en jeu la lèvre inférieure mais aussi les dents : labio-dentale). Sa disparition au contact de o, u semble plus difficile que pour /β/ : /v/ serait conservé, et dans l'ouest du domaine d'oc, peut-être la forme /β/, /b/ apparaîtrait car /v/ est un son étranger.


Pour le contact avec d'autres voyelles exclusivement, /v/ serait maintenu (avec peut-être /β/, /b/ dans l'ouest du domaine d'oc).



Résumé et confrontation avec les faits :


Au contact avec o, u , les deux hypothèses ci-dessus aboutissent (de façon incertaine) à deux résultats différents pour f intervocalique :

- si f = /ϕ/ il finirait par disparaître ; cela semble corresponde à l'évolution de type oriental (est du Rhône + parfois Languedoc...) ;

- si f = /f/, il évoluerait en /v/ (peut-être /β/, /b/ dans l'ouest du domaine d'oc) ; cela semble correspondre à l'évolution de type occidental (péninsule ibérique + Gascogne + parfois ouest du Rhône).


Au contact d'autres voyelles exclusivement (a, e, i) , f évoluerait en /v/ dans tous les cas (peut-être /β/, /b/ dans l'ouest du domaine d'oc).



Conclusion :


La différence d'évolution de f intervocalique au contact de o, u semble permettre de reconstituer deux prononciations différentes pour f intervocalique latin : /ϕ/ en domaine oriental, et /f/ en domaine occidental et ibérique. Cela peut sembler paradoxal car en domaine gascon et ibérique, f initial tombe (fīlĭŭm > esp hijo), ce qui soutient l'hypothèse d'un /ϕ/ à l'initiale. On aboutit donc au schéma hypothétique de prononciation de f latin :


- en domaine gaulois (sauf Gascogne) : /f/ à l'initiale et /ϕ/ à l'intervocalique ;

- en domaine ibérique et gascon : /ϕ/ à l'initiale et /f/ à l'intervocalique.





b. Évolution de f au contact de o, u

Vue d'ensemble sur f au contact de o, u

Dans le nord de la Gaule :

Au contact d'une voyelle postérieure (u, o latins), f semble avoir toujours disparu (PHF-f3:611, IPHAF:52).


Pierre Fouché envisage les étapes :

/ϕ/ > (sonorisation vers l'an 400) /β/ > /w/ > .

On aurait donc une disparition à l'intervocalique ; mais rarement conservation sous forme /ʋ̯/ en position devenue finale après les apocopes dans sarcŏphăgu(m) > a.fr. sarkeu "cercueil").

F. de La Chaussée envisage une disparition plus précoce de f dans tous les cas, même pour sarcŏphăgum : "φ s'est probablement effacé assez tôt, avant les sonorisations", IPHAF:52).


Dans le sud de la Gaule :

L'amuïssement n'a pas eu lieu partout. A priori je distingue une partie occidentale avec souvent une évolution vers /b/, /β/, et une partie orientale avec amuïssement.



Résolution fréquente de l'hiatus :


Par exemple pour prŏfŭndŭs , FEW 9:444b : (trad.all.) "Le -f- a disparu, et parfois il a été remplacé par une autre autre consonne (v, y, g) en résolution d' hiatus."

Voir Résolution d'hiatus par épenthèse.



"Restitution apparente du f ":


Certains mots occitans actuels contiennent f intervocalique, qui existait déjà en latin : profond, escròfa, nèfo, afanar, g, lim Estèfe "Étienne"...


Cette restitution apparente du f s'explique selon les cas :


- soit par l'influence du latin (comme dans fr "profond") ou l'influence d'une autre langue comme l'italien. Voir ci-dessous scrōfăm > escrofa.


- par une gémination latine de f, qui l'aurait tenu à l'écart des sonorisations (c'est peut-être le cas pour néphos (νέφος) > pr.ma. ) nèfo "nuage". Voir aussi plus bas * affanare > afanar.


- soit par un sentiment de composition ( dēfŏras > defòra "dehors" ?).



cŏphĭnŭs


En Romania occidentale , cŏphĭnŭs a subi la syncope des post-toniques (> "coffre"...) sauf dans la péninsule ibérique : > esp cuévano, cat cove ( proparoxytons en f-n ).


Donc ici encore, f > /β/ dans la Péninsule ibérique.





dēfŏrĭs


dēfŏras /déϕoras/ > /déòras/ > ... > "dehors" (FEW :3 705b).





prŏfŭndŭs

(ALF:1095, STPfI:175-176)



1. Pour l'évolution des voyelles (type de base prŏfŭndŭs) :

Au moins dans les domaines gaulois et catalan, il y a eu dissimilation o-u > e-u.

FEW 9:434b : (trad.all.) "En gallo-roman et en catalan, la voyelle de la première syllabe a évolué en e, sans doute par dissimilation, comme dans sŏrōrĕ, sŭccŭtĕrĕ, etc. [> AO , a.fr. (CS) serr "sœur" et "secouer", AO secdre]. L'aboutissement prefundus est attesté en latin médiéval vers l'an 900 (ALMA 1930, 148). Il se continue directement en occitan et francoprovençal [formes en preon, pregont], comme en catalan : prehon, pregon."

Pour l'évolution vocalique perfont > parfont, voir ci-dessous.



2. Pour l'évolution de f (type de base prŏfŭndŭs) :


Cas où f reste en position intervocalique : amuïssement général (domaine d'oc,  domaine franco-provençal...)


Pour presque tout le domaine d'oc, l'amuïssement de f s'est réalisé selon le schéma général du type oriental ci-dessus. Il en est de même pour les quelques régions de la Gaule du nord où il n'y a pas eu pre- > per- , et en arpitan


Quasi-absence du type en -b- en domaine d'oc occidental :


Si on compare avec les descendants de scrōfă ci-dessous, où le type escroba est largement représenté, les descendants occitans de *prĕfŭndŭm frappent par la quasi-absence du type occidental avec b : prebond. L'ALF :1095 ne présente que deux attestations de prebond (prebonda) à Sauveterre (64) et à Artix (64). Pour expliquer cette différence avec scrōfă, je pense qu'une dissimilation de labiales pr-b > pr- est possible.

(Chercher des formes en ancien espagnol).


En AO, les formes connues montrent toutes une disparition de f : preon, prion, preion, priou, pruon, pruou, parfois avec résolution d'hiatus par épenthèse : pregon, prigon, privon, pergon. Les formes perfon, parfon proviennent d'une substitution de préfixe comme pour l'ancien français ci-dessous. FEW 9:434b : (trad.all.) "Le -f- a disparu, parfois remplacé par une consonne de résolution d'hiatus (v, y, g)."



Pour l'OM (ALF :1095), la plupart des formes actuelles héritées attestent également d'un amuïssement de f, notamment avec le type prionda "profonde" (12, 15, 19, 24, 46, 47, 48, 81, 82), priònda, priònde (01, 42, 69, 71).


Les types plonda, plonta sont représentés dans 12, 15, 19, 43, 63. Dans ce cas, l'hiatus a été résolu par (à finir).


Les types avec résolution d'hiatus par épenthèse y sont également largement représentés, notamment pregonda, prigonda .



proònta (Valais suisse), prònda (69), prònta (43)...  





Cas où pre- > per- (essentiellement Gaule du nord)


En domaine d'oïl, il y a eu évolution pre- > per-. Le CNRTL évoque une substitution de préfixe ; on peut y voir aussi une métathèse *prefundu > *perfundu, mais c'est vrai que ce type de métathèse semble davantage connu en sens inverse, voir corpatàs > cropatàs. En tout cas, la présence de r devant f va protéger ce dernier de l'amuïssement (f après consonne ci-dessus), et même sans doute le renforcer (/ϕ/ > /f/), d'où perfont (cité FEW 9:432b). Cette substitution de préfixe a dû se réaliser très tôt : avant les sonorisations qui ont lieu vers l'an 400, avant l'amuïssement de f au contact de o, u.


Le FEW poursuit (9:434b) :

(trad.all.) "Parfois aussi le -f- a été restitué [en occitan ?] sous la pression du français. En nord-gallo-roman, per- est devenu par- parallèlement à la préposition per. [Je n'ai pas trouvé d'explication précise ; mais on peut penser logiquement à l'ouverture de é devant r ] (...) En nord-gallo-roman, par- dans parfont put être ressenti comme un préfixe augmentatif ; parfont put facilement être interprété comme 'très profond', et ainsi font put être considéré comme l'adjectif simple. D'où le type font. Cette forme est très largement répandue, même en occitan, où pourtant le type parfont n'existe pas. Cela provient du fait que font 'profond' put apparaître également d'une autre manière, à savoir par adjectivation de fond 'profondeur', voir fŭndŭs. Ce dernier est également présent dans les formes qui se terminent par -s, par -so au féminin, au moins comme forme analogique."


Je pense aussi qu'en français comme en occitan, la réfection en profond à partir du latin a mené à une interprétation pro-fond, pron-fond "très profond" : ce serait une troisième voie pour l'apparition de fond, fons "profond". Il faudrait dater finement les occurrences de l'emprunt au latin, et les occurrences de fond, fons pour comprendre la voie préférentielle, mais cette étude doit être ardue.



prŏfŭndŭm "profond"   (synthèse à partir de CNRTL et de FEW et apport personnel : réinterprétation profond comme pro-fond)
*/proϕʋndʋ/
> ( dissimilation 1 e syllabe comme en occitan) */préϕʋndʋ/


- français
> (substitution de préfixe qui va protéger f de l'amuïssement, et qui va le renforcer) */pérfʋndʋ/
> (évolution comme per > par : ouverture de é devant r) */parfʋndʋ/

a.fr. perfont
> ( mutation vocalique ) */parfóndó/

> (VII e , VIII e s. apocope ) */parfónd/ > */parfónt/
a.fr. parfond, parfont
> ressenti comme : par - fond "très profond",
également réfection en "profond" ressentie comme pro-fond "très profond".


dial font, fons
> refait sous l'influence du latin
→ " profond "




- occitan (propositions personnelles)
> (amuïssement de f) /préʋndʋ/

> (mutation vocalique) /préóndo/

> (VIIe , VIIIe s. apocope) /préón/ > (eo > io) /prión/ (1)
AO preọn, priọn
l preond, priond
> (résolution de l'hiatus par insertion d'une consonne) /prégón/, /prévón/
AO pregọn, prigọn, privọn
l pregond, prigond, d prevon ...


autre voie identique à celle du français ci-dessus (substitution de préfixe qui va protéger f de l'amuïssement) :

> /perfón/, /parfón/
AO perfọn, parfọn

> ressenti comme : par - fond "très profond",
également réfection en "profond" ressentie comme pro-fond "très profond" (comme en français ci-dessus)


var.dial. font, fons
remodelage sur le modèle du latin
pr prefond, profond


(1) l'apocope peut retirer le -d , elle mène donc tantôt à -n , tantôt à -nd > -nt (voir mŭndŭm > mọn / mọnt ). La finale est d'ailleurs variable dans les dialectes actuels, avec un féminin en -ona , -onda , ou -onta .



* rĕfūsārĕ (< rĕcūsārĕ x rĕfūtārĕ)


Concernant l'a.fr. reuser "repousser, faire pencher, faire repartir" (à l'origine de fr. "ruse"), les linguistes ne s'accordent pas sur l'origine du mot.



- Paul Meyer (PBRM :233-234) estime que a.fr. reuser, fr. "ruser", AO reüsar proviennent de rĕcūsā "repousser". Mais pour l'AO, son opinion est en contradiction avec l'évolution de c : on attendrait regusar.


- W. Meyer-Lübke hésite (GRS1 :119) pour l'a.fr. reuser "reculer, rejeter", qu'il fait remonter soit à *rĕtūsā "repousser", soit à *rĕfūsā. (Lui-même et Gröber auparavant établissent *rĕtūsā à partir de rĕtundō, -ūsus "rabattre une pointe ; réprimer", voir FEW 10:169b).


- A. Thomas HGFS-cr :392 donne son avis sur l'hésitation de W. Meyer-Lübke : "P. 119, pour reüser, la comparaison avec le prov. reüsar oblige absolument à partir du type refusare et non retusare." En effet, voir évolution de t : on aurait redusar en AO.


-  Dans GLR1 :402, W. Meyer-Lübke donne refusare > AO rehusar, et a.fr. reuse, fr. "ruse".


- Selon FEW (10:169b et 170b note 13), repris par CNRTL, comme Paul Meyer ci-dessus, a.fr. reuser ne provient ni de *rĕfūsārĕ , ni de *rĕtūsārĕ, mais de rĕcūsā "repousser". W. von Wartburg considère que * rĕfūsā "n'aurait pas perdu son -f- en français aisément de façon uniforme". L'auteur pense ainsi qu'il faut admettre l'étymon rĕcūsā, et que la forme d'oïl avec disparition du -c- a progressé en domaine d'oc.


Je pense que l'influence de la forme d'oïl avec disparition du -c-, soutenue par FEW, n'a pas de raison de s'être produite. Les variantes AO reüzar, rehuzar, raüzar et rebuzar, de sens équivalent et largement attestées, doivent toutes provenir de *rĕfūsārĕ. Ce raisonnement est ainsi cohérent avec les descendants actuels de scrōfă ci-dessous : descendants avec effacement de f et descendants avec b. Cependant le FEW estime que rebuzar provient du croisement *refusare x rebotar (FEW 10:200a).


Quant à AO refusar, a.fr. refuser, il s'agit probablement de formes ressenties comme composées ayant toujours conservé leur f intact. Le FEW (10:170b note 13) remarque qu'on peut difficilement considérer "refuser" comme un emprunt au latin médiéval, vu que le latin *refusare n'est attesté nulle part.






sarcŏphăgŭm

Le latin sarcŏphăgum , provenant du grec, a conné "cercueil" en français. Pour l'occitan, il n'a pas d'aboutissement connu ; sauf des emprunts récents au français (FEW 11:330b).



sarcŏphăgu(m) /sarkoϕagu/ > /sarkòaʋ/ > /sarkòʋ̯/ > (dipht.rom. : IPHAF :31) /sarkʋòʋ̯/ > ... "cercueil"




scrō

(PHF-f3 :611 ; IPHAF :52 ; ALF:carte 1811, concernant seulement le quart sud-est de la France)


scrōfă(m) "truie" a donné "écrou" en français, et de même en occitan escroa, escroba... "écrou". Ce sens est acquis par comparaison vulgaire avec "truie" ; l'écrou est une pièce femelle (CNRTL "écrou").


L'étude des variantes dialectales ci-dessous montre soit un amuïssement de f, soit une évolution nette vers /b/, /β/ dans l'ouest du domaine d'oc. D'autres variantes ponctuelles en w, v, g apparaissent : elles peuvent provenir de la résolution d'hiatus après amuïssement. En AO, hélas on ne dispose que de variantes assez tardives, qui sont en f (influence savante ou italienne ?). 


Les aboutissements /b/, /β/ permettent normalement de déduire une profononciation /f/ du f latin (voir raisonnement prédictif ci-dessus), mais de façon incertaine.


Voici les données du FEW (11:340-341) ; la finale -a, -o, -ə marque le féminin, sinon le genre m ou f n'est presque jamais précisé :


- Trièves (38) [èykrʋ] ;

- 26, 05, pr : [éskrʋ], mars [éskrʋ], [ékrʋ] ;

- 30 [éskrʋo], 34 [éskrʋa], [éskrʋbo], "écrou" ;

- Lavelanet (09) [éskrʋβo], Ascou (09) [sklʋβo] ;

- 31 [éskrʋo], [skrʋbo], [éskʋrbo] ;

- 87 [éskʋrbo], 86 [éskrʋbo], [éskrʋo], castrais (86) idem ;

- 12 [éskrʋbo], [éskrʋyo], [ésprʋo] ;

- Nasbinals, Le Massegros, Sainte-Énimie, Mende... (plusieurs communes de l'Aubrac ou non loin, 48) [éskrʋgo] ;

- Le Bleymard, Châteauneuf-de-Randon... (48) [éskrʋbo], Vialas (48) [éχkrʋt] ;

- 07 [éskrʋ], [éskraʋ] ;

- 43, 15 [éskrʋ] ;

- 63 [ékrʋ], [ikrʋ], Vinzelles (63) idem ;

- blim [ésprʋ], [éspró] ;

- lim encravo ;

- 87χkrʋwə], [éχkʋrʋbo]

- 32 [éskrʋo], 64 [ékrʋə]

- béar escroue, escouroue ;

- land [ékrʋ] (m).



Variantes en f (influence savante du latin scrōfă , ou de l'italien scrofa "truie" ?) :

- AO escroffa, scroffa (année 1428, HLPA "écrou du pressoir du moulin à huile"), scrofe (Tarascon, année 1529) "écrou" ;

- (l) escoûfo (prononciation ?) "écrou de pressoir".


- a.fr. : escroe (f). 


Pour le français, F. de La Chaussée ( IPHAF :31) signale une gêne dans la diphtongaison française provoquée par la voyelle en hiatus. Sinon on aurait abouti à escreu (mais "écrou" peut être aussi d'origine dialectale : voir "fleur / fldiv>






Composés en -fŏlĭŭm , -phyllon

Les composés en lat -fŏlĭŭm , gr -phyllon "feuille" ont chacun leur histoire propre. Il s'agit de trĭfŏlĭŭm (> treule, trefól "trèfle"), ācrĭfŏlĭŭm (> agreu "houx"), caerefŏlĭŭm (> cerfuelhl "cerfeuil"). Caprĭfŏlĭŭm "chèvrefeuille" est un mot du latin tardif (après le VIIe siècle, CNRTL).


La place différente de l'accent tonique dans lat -fŏlĭŭm , et dans gr ´-phyllon mène à deux types d'évolution différentes.

Par exemple oc treule "trèfle", agreu "houx", fr "trèfle" impliquent au moins une forte influence du grec, sinon des étymons complètement grecs en ´phyllon.



ācrĭfŏlĭŭm / ācrĭfŏlŭs "houx"

Les formes latines ācrĭfŏlĭŭm (n.), ăquĭfŏlĭŭm (n.), ăquĭfŏlĭă (f.) sont attestées, mais de nombreuses variantes occitanes ainsi que le catalan grèvol, sont issus d'un latin tardif ācrĭfŏlŭs, attesté dans une glose (TLL in DATF:111), avec l'accent tonique sur le i (FEW 24:112b) ; le cas est analogue à trĭfŏlĭŭm / tríphyllon ci-dessous : le latin a subi au moins l'influence du grec, ou bien il s'agit d'un "pur emprunt" au grec. Jules Ronjat donne *ācrif(o)lu comme étymon de agreu, agrevo (GIPPM-2 :238). Le GDLC considère cat. grèvol comme issu d'un croisement entre le latin aquĭfŏlium et le grec oxýphullon, de composition et de sens parallèles "feuille pointue" (je ne peux pas préciser davantage la pensée de l'auteur car je ne dispose pas du DECLC).

Jules Ronjat précise :  e.r.o.n. « Hors de Provence *ācrif(o)lu a généralement des continuateurs non syncopés, souvent déglutinés, influencés ou non par le continuateur de foliu,-a , et parfois mi-savants (-i- < -ĭ-), ex. d agrevo, l, g (a)grifoul ~ grefoul , etc... » (GIPPM-2:238, note 1). J. Ronjat estime donc que toutes les variantes occitanes proviennent de l'hellénisme ācrĭfŏlŭs, mais que le latin ācrĭfŏlĭŭm a pu avoir une influence. Par ailleurs, J. Ronjat envisage l'évolution f´l (syncope) > wl en Provence. Cette syncope est probable car elle entre dans le cadre des syncopes précoces au contact d'une liquide. On peut aussi envisager - mais le scénario est moins probable - un amuïssement de f , d'où les deux solutions présentées ci-dessous ("voie 1 solution 1" et "voie 1 solution 2").


Espagnol : *aquifolum > acifolu > acebo.


Je cite Walter von Wartburg : (trad.all.) "On pourrait supposer, que triphyllon (voir 13,II,294) eût fourni un modèle d'évolution [pour "houx" et "trèfle"]. Pourtant les aboutissements des deux mots ne correspondent que dans quelques cas, comme Gém. grèu à côté de Caval. tréu " (FEW 24:112b,113a, note 3).


Pierre Fouché donne le grec *acríphyllu comme étymon du catalan grèvol .
Remarquons que Pierre Durand (de Gros) propose déjà le même étymon dans NPR pour rouerg agrifol. Ce dernier explique "la l sèche" et le "o fermé" de "agrifol" par le grec, mais ne parle pas de l'accent tonique. Le grec porte l'accent sur i (*acríphyllu) mais agrifol porte l'accent sur o. Cependant il existe bien une variante (l) grífol / grifʋl/ (TDF), et également les variantes (d) de type agrèvo , et (cat) grèvol, etc.

ācrĭfŏlŭm "houx" : évolution en occitan (sur la base de GIPPM-2:238, développé)

(dans les dialectes français, seul l'aboutissement "aigrefeuille" existe dans le sud du domaine d'oïl).


/a:kriφolʋ/


Voie 1 solution 1 (syncope et vocalisation de f )
> (syncope) /a:kriϕlʋ/
> (vocalisation de φ) /a:kriʋ̯lʋ/
> (III e s. : mutation i > é ) /akréʋ̯lʋ/
> (vers l'an 400 : sonorisation de kr ) /agréʋ̯lʋ/
> (V e s. : mutation ʋ > ó en position finale ) /agréʋ̯ló/
> (VII e , VIII e s. apocope ) /agréʋ̯l/
> (XIII e siècle ? souvent diphtongaison eu > ieu ) /agri̯éʋ̯l/
> (quand ? vocalisation du -l ) /agri̯éʋʋ/ > /agri̯éʋ̯/ → ( pr ) (a)grieu, (a)greu




Voie 1 solution 2, moins probable (amuïssement de f)
(vers le II e siècle : amuïssement de ϕ) /a:kriolʋ/
> (III e s. : mutation i > é ) /akréòlʋ/
> (vers l'an 400 : sonorisation de kr ) /agréòlʋ/
> (V e s. : mutation ʋ > ó en position finale ) /agréòló/
> (VII e , VIII e s. apocope ) /agréòl/
> ( vocalisation du -l ) /agréòʋ/
> ( assimilation òʋ > ʋ) /agréʋ/
ou ( différenciation éòʋ > iòʋ > iéʋ avec basculement d'accent) /agriéʋ/
→ ( pr ) (a)greu, (a)grieu ...


Voie 2 (évolution f > v )
> (persistance du sentiment de composition : fol(i)u maintient [f]) /akrifolʋ/
> (III e s. : mutation ĭ > é ) /akréfòlʋ/
> (perte de la compréhension de /fòl(i)ʋ/, puis vers l'an 400 : sonorisation de kr et de f ) /agrévòlʋ/
> (V e s. : mutation ʋ > ó en position finale ) /agrévòló/
> (VII e , VIII e s. apocope ) /agrévòl/
> (amuïssement de -l ) /agrévò/ → ( d ) m (a)grévol



Les variantes lim (a)grafuelh, l (a)grifol, grefol, pr grefuelha proviennent de développements savants de ācrĭfŏlĭŭm. Les variantes pr grefuelha, grifuelha, l grafuelha proviennent probablement de développements savants de *ācrĭfŏlĭă (pl.n.>sing.f.).



caerefŏlĭŭm "cerfeuil"


Caerefŏlĭŭm "cerfeuil" est un emprunt au grec non attesté *χαιρἐφυλλον (chaerephyllum ), avec adaptation latine de la deuxième partie du mot faisant basculer l'accent tonique sur la syllabe suivante > caeref ŏ lĭŭm (GIPPM-1 :42, CNRTL). La syncope de la prétonique a alors protégé f de l'amuïssement > * cerfòliu.



trĭfŏlĭŭm / triphyllon "trèfle"

Trĭfŏlĭŭm "trèfle" correspond au grec τρἱφυλλον (triphyllon, avec accent tonique sur la première syllabe. C'est le mot grec, ou au moins un croisement du mot latin avec le mot grec, qui est à l'origine de fr "trèfle" (CNRTL), et de pr treule "trèfle" (GIPPM-2:238 note 1).

Pour pr treule, comme pour tēgŭlŭm > teule "tuile", il est difficile de dire s'il y a eu amuïssement de φ et diphtongue de coalescence, ou bien syncope > */triφlo/ puis vocalisation de φ.

Trefòlh, trefuelh sont des aboutissements du latin trĭfŏlĭŭm , présentant un f soit conservé par compréhension permanente de l'étymologie, soit restitué d'après fòlh < fŏlĭŭm (GIPPM-2:238, note 1).



caprĭfŏlĭŭm "chèvrefeuille"

Caprĭfŏlĭŭm "chèvrefeuille" étant un mot forgé en latin tardif, il n'a pas subi de sonorisation du f ; c'est peut-être même une latinisation d'anciennes dénominations populaires, où les thèmes "chèvre" et "feuille" étaient bien compris, et ont été conservés jusqu'à aujourd'hui : cabrifuelh, chabrafuelh, etc.





latin LPC

occitan
-f- > -f-
dēfŏrĭs
defòra "dehors"
néphos (νέφος)
(pr.ma.) nèfo "nuage"
-f- > -∅-
prŏfŭndŭ(m)
AO preọn, priọn
scrōfă(m)
escró(a), escroba (lang) "écrou"



Tableau : évolution de f intervocalique au contact de o, u .




c. Évolution de f au contact d'autres voyelles

* afānārĕ ou * affānārĕ


* af(f)anārĕ > AO (s')afanar "(se) fatiguer ; (se) donner du mal", afan "effort, tâche pénible".


Il existe probablement deux voies :


1. Conservation du f (sentiment de composition) *afanārĕ > italien : affannare "essouffler ; tourmenter", espagnol : afanar "escroquer", occitan : afanar "fatiguer".


2. Amuïssement du f (perte du sentiment de composition) *afanārĕ > français "ahaner". Le f aurait dû évoluer en /v/, voir ci-dessous Stĕphănŭs > a.fr. Estievene . Mais il a disparu, peut-être parce qu'il se trouve entre deux voyelles identiques (IPHAF:52) :


* afannārĕ /aϕanna:ré/ > /aβanna:ré/ > (/awann a ré/ ?) > ... > /aané/ "ahaner".


Problème de l'étymon latin :

Voir fānor "faire rage ?", dans Sénèque Espitulae Maecen. 114, 5. ut cervice lassa fanantur nemoris tyranni = (passage peu clair et incertain en latin) "comme font rage les seigneurs des bois avec leur cou fatigué" (en parlant du coq de bruyère ? ; proposition de Raoul Verdière, 1971 "Un amour secret d'Ovide").

(traduction giovannighiselli.blogspot, sans référence de traducteur). 

Cette étymologie est en effet proposée dans STPfI, mais elle est critiquée par CLML : le verbe fān ā ri est un hapax dans Sénèque, dans un passage peu clair et traduit de diverses manières.

Mais pourtant la racine semble bonne : on la retrouve dans fānātĭcŭs "inspiré ; exalté", de fānŭm "lieu consacré ; temple".




dēfensă, dēfensŭs



dēfensă > *dēfēsă > AO devza "défens, forêt en défens" ; voir l'espagnol dehesa.


dēfensŭm > *dēfēsŭm > AO devs "(adj.) défendu... ; (n.) défense d'entrer dans un pré..." ; a.fr. defois (qui est de nature savante puisqu'il conserve f , PHF-f3:613).




răphănŭs


răphănŭ(m) > AO rave(n) "raifort cultivé" ; a.fr. rafne, ravene, reve (voir "ravenelle"), rafe "radis" ("on remarquera que rafe est savant par -f- et non -v- ", GIPPM-1:244).





Stĕphănŭs

Il est probable selon moi que l'apophonie Stĕphănŭs > *Stĕphĭnŭs se réalisât (voir le prénom espagnol Estefeno, Estebeno).



Stĕphănŭ(m) /stéφanʋ/ (il faut que je modifie le scénario français ci-dessous : j'ai utilisé la position de La Chaussée sur les proparoxytons, erronée)
> (1 er s. : prosthèse ) /istéϕanʋ/
> (II e s., III e s. : mutation vocalique ĕ > è,  ĭ > é) /éstèϕanʋ/


français :
(d'après IPHAF :52,112, développé et ordre modifié pour apparition β et ə)



> (début III e s. : diphtongaison romane spontanée de è) /ést i è̯ ϕanʋ/
> (III e s. : renforcement φ > f et affaiblissement ʋ > ə ) /ést i è̯f ə n ə /
> (vers l'an 400 : sonorisation de f ) /ést i è̯ β ə n ə /
> (renforcement β > v)   /ést i è̯v ə n ə /
> (VI e s. : syncope entre v et n , voir jŭvĕnem ) /ést i è̯v n ə /
> (amuïssement de v ; bascule des diphtongues vers l'an 1200 ; amuïssement de s devant consonne ) /éti̯è n ə / Étienne


occitan :
(proposition personnelle)

> (III e s. : renforcement φ > f ) /éstèfa /
> (vers l'an 400 : sonorisation de f ) /éstèβanʋ/ → ... ( l ) Estèbe (1)
> (renforcement β > v) /éstèvanʋ/
> ( mutation ʋ final > ó au V e s.) /éstèvanó/
> (affaiblissement de a > é ) /éstèvénó/
> ( apocope de type occitan, voir type asinum ) /éstèvén/ > /éstèvé/ AO Esteven, Esteve
pr Estève


(idem, avec influence savante : conservation du f ) AO Estefen, Estefe
Estèfe
(1) ( l ) Estèbe (la graphie Estève est plus normée) n'a pas subi le renforcement β > v, mais il subit toutes les étapes suivantes.






latin

occitan

français
-f- >


* affannārĕ ?
afanar "ahaner"
ahaner





-f- > -v-

dēfensă(m) > *dēfē
AO devza "défens, forêt en défens"
-
răphănŭ(m)

AO rave(n) "raifort cultivé"

a.fr. rafne, ravene, reve (voir "ravenelle")
Stĕphănŭ(m) /stéϕanʋ/
Estève "Étienne"
*Estievene > Étienne ;
*Estevene > Estève, Étève (forme de l'Est)





Tableau : évolution de f intervocalique (non au contact de o, u). Les formes a.fr. proviennent de PHF-f3:612-613.





3. Évolution de fl, fr intervocaliques

fl


la voie populaire, on peut trouver f'l : sifilare > "siffler", triphyllon > "trèfle".



fr


  Afrĭcă > Africa, afrĭcānus > african représentent des emprunts (i, c ne sont pas transformés).


Mais pour l'espagnol, voir Abrego < Africus (LEAI :121).


À continuer.


Voir aussi sanctus Theofredus > Sant Chafre "Saint-Chaffre" (43). Voir Sant Chafre (évolution de sanctus).