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Bilan sur les palatalisations
21-09-2022







I. Diversité géographique des palatalisations




A. Description de la diversité géographique des palatalisations


Voir aussi deuxièmes palatalisations : réflexions sur la répartition géographique des aboutissements de ce, ci, ge, gi.


(en construction)


Exemple : pour /ka/ en position forte là où ont eu lieu les quatrièmes palatalisations (cantārĕ "chanter") : la répartition des aboutissements semble indépendante de la répartition des aboutissements de /ké/, /ki/ ci-dessus.


France (voir carte 233 ALF "chanter") :

- /tʃ/, /ʃ/ (ce dernier dominant dans les dialectes d'oïl) ;

- /ts/, /s/ ;

- /f/ en un seul point, en Savoie.

Belgique (wallon oriental, voir carte 233 ALF "chanter") :

- /tʃ/

Suisse :

-  /ts/ (/s/) (franco-provençal des cantons de Genève, de Vaud, du Valais) ;

-  /tʃ/ (franco-provençal des cantons de Neuchâtel, du Jura)



Voir aussi cas de lge, lgi, rge, rgi.




Au regard de cette description, je ne pense donc pas qu'il existe une "logique simple" dans la répartition géographique de toutes ces variantes. Les palatalisations présentent une hétérogénéité. À propos des premières palatalisations t + ĕ, ĭ, c + ĕ, ĭ, T. Alkire et C. Rosen s'expriment d'ailleurs ainsi : (à propos des sourdes et des sonores subissant la palatalisation) (RLHI:63, trad.angl.) "Mais les évolutions ne sont pas complètement parallèles. L'ancien français a [ts] pour les sourdes, mais [dj] (et non [dz]) pour les sonores.".


En effet, s'il existait une "logique simple", en français on dirait :

- soit "argent", "chat" et "merchi" ;

- soit "arzent", "sat" et "merci".

On retrouve toutes ces formes dans les dialectes.


T. Alkire et C. Rosen poursuivent : (trad.angl.) "De même, l'ancien espagnol avait [ts] pour les sourdes, mais [y], légèrement affriqué, et ses continuations, pour les sonores. L'italien, avec ses doubles aboutissements, a une assymétrie différente : [ty] donne majoritairement [ts], rarement [tʃ], alors que [ky] donne majoritairement [tʃ], rarement [ts]."




B. Explication de la diversité des palatalisations


1. Les différents aboutissements pour un même mot (argènt /ardjè̃/, /ardzè̃/)

L'apparition des différentes voies (exemple /ardjè̃/, /ardzè̃/ pour argènt) repose sur des faits très anciens, peut-être des prononciations propres aux substrats (langues antérieures au latin).



2. L'hétérogénéité géographique actuelle

Pour expliquer l'hétérogénéité des palatalisations (double hétérogénéité), il est fort probable que dans de nombreuses régions, les aboutissements fussent orientées par des critères du "bien parler". Par exemple G. Millardet signale (LDR:243) : "[...] les patois modèlent leur état phonétique sur celui des idiomes socialement supérieurs. En Émilie, le lat. diurnum devait donner, et a donné effectivement, źorn (ź = dz), qui est devenu ǵorn (ǵ = dj) par application du phonétisme toscan. La même substitution de traitement s'est opérée en Lombardie : les anciens textes milanais écrivent zorno, zurare < jurare, où z est la notation d'une mi-occlusive dentale (dz) : aujourd'hui la prononciation générale est ǵorn, ǵüra".




 
II. Bilan sur le i diphtongal de transition


Voir synthèse à PH-2020:269-270, remarque1, notamment pour la différence entre "interprétation strakaïenne et "décomposition d'une consonne palatale", et surtout PH-2020:370-372.


Le i diphtongal de transition (SMAF) est lié aux palatalisations, plus exactement aux demi-palatalisations ; c'est par exemple le i dans baisar (bāsĭārĕ > baisar). On a l'impression que du latin aux idiomes actuels, le i s'est déplacé vers l'avant. Pour cette raison, on a appelé ce i "yod de glissement", et le phénomène "anticipation du yod".


Cependant il ne s'agit pas d'un yod, qui est une consonne, mais bien d'un i, qui est une voyelle (voir IPHAF:74, voir ci-dessus différence entre yod et i). Cela a un effet différent sur la consonne subséquente : elle peut subir la sonorisation, (pōtĭōnĕm > poison) (PHF-p.:157), alors que s'il s'agissait d'un y, il y aurait entrave et la consonne resterait sourde (pōtĭōnĕm > poison "poison" et non poisson). En effet elle reste bien sourde dans lĕctŭm, cŏxăm > *lieytó "lit", *cueyssa "cuisse" (et non lieydó, cueyza).


Voir aussi le problème des types de diphtongaison conditionnée dans cĕrĕsĭăm, mĭstĕrĭŭm.


L'apparition du i diphtongal est provoquée par un effort articulatoire qu'ont dû réaliser les locuteurs en prononçant une consonne demi-palatale (issue d'une consonne difficile à palataliser : r, s ou t) : la voyelle précédant la consonne palatale se déforme à la fin de son articulation pour donner un i.



Citons IPHAF:74 : "Ce "yod implosif" n'est autre qu'un son de transition. En effet, entre l'articulation d'une voyelle et celle d'une consonne palatalisée, la langue passe par la position de i̯/y. Normalement, ce passage (1 à 2 centisecondes) est trop rapide pour être perçu par l'oreille, et c'est ce qui a lieu devant une palatale ou . Mais, devant une demi-palatale, plus résistante à la palatalisation, donc exigeant un effort particulier qui oblige les organes à ralentir leur mouvement, le i̯/y sera perçu et arrivera à l'existence (cf. Rousselot, Modifications phonétiques ...:239). Les Gallo-romains prononçaient et entendaient prononcer *rai̯t'one, *bai̯s'are, etc. (...)."


Au cours des différentes palatalisations, le i diphtongal de transition est apparu dans les cas suivants, en avant de la consonne qui s'est palatalisée. Les palatalisations concernées sont les suivantes.


Remarque : ce i diphtongal est apparu dans davantage de situations en français comparé à l'occitan (partie "clivage oc / oïl").




(a. Palatalisation de n + ĭ, ĕ en hiatus (premières palatalisations) : malgré quelques suppositions d'auteurs, il n'y a pas dû y avoir de i diphtongal)


b. Demi-palatalisation de sc + ĭ, ĕ en hiatus (premières palatalisations) : pĭscĭōnĕm > peisson (le cas de mĭnācĭăm > menaça montre que le s devant k est nécessaire)


c. Demi-palatalisation de t (et ct, st) + ĭ, ĕ en hiatus (premières palatalisations) : pōtĭōnĕm > poison (mais pas toujours : rătĭōnĕm > rason / raison, sătĭōnĕm > sason / saison) ; ăngŭstĭăm > angoissa. Parfois en français, le i apparaît dans d'autres situations : rŭstĭcŭ(m) > a.fr. ruiste (CNRTL "rustre", "rustique").


d. Demi-palatalisation de (s)s + ĭ, ĕ en hiatus (premières palatalisations) : bāsĭārĕ > baisar ; *bassĭārĕ > baissar.


e. Demi-palatalisation de r + ĭ, ĕ en hiatus (premières palatalisations) : vărĭāre > vairar.


f. Palatalisation de sc + voyelle non en hiatus (deuxièmes palatalisations) : fascĕm > fais, nāscĕrĕ > naisser.


(g. Palatalisation de ce, ci en position faible (troisièmes palatalisations) : c'est seulement en d que le i diphtongal apparaît (crois "croix", nòis "noix"))





Ce i diphtongal n'existe pas en espagnol, ni en italien (palacio, palazzo, razon, ragione), et pas toujours en occitan (rason, sason). En catalan : baixar et ?... Il semble donc limité à peu près au domaine de la Gaule (réflexion personnelle, à développer).