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Apophonies : Massalía > Măssĭlĭă
23-04-2025
  
Sources principales : LLHA:85-202, RHEIIL, PHL4, LG1, ACAL, PCADEG, PVRL, DFALVI, ILLL. J'exprime ici mes remerciements à F. Biville pour l'envoi de ses articles.

Avertissement : Cette partie traite essentiellement de phénomènes qui se sont réalisés en latin archaïque, mais également de phénomènes plus récents : en latin tardif (je les nomme néo-apophonies) ; enfin je rapproche les apophonies des labialisations, phénomène qui s'est exercé sans doute largement au cours du Moyen Âge (type siblar / sublar).


Repères temporels : vers 1000 avant J.-C., le latin se différencie à partir du proto-italique ; il reste longtemps cantonné dans le Latium, la région de Rome. Jusque vers 200 avant J.-C., le latin utilisé est appelé "latin archaïque". Les "véritables" apophonies (que je nomme eu-apophonies) ont dû se réaliser pendant cette période du latin archaïque, jusque vers 350 avant J.-C. (ci-dessous Datation des apophonies).



I. Que sont les apophonies ?
  
 
A. Les apophonies, première approche
  

Dans le "Gaffiot" (DFL), les étudiants en latin ont dû remarquer — comme moi-même j'avais remarqué en étant lycéen, sans le comprendre — des faits simples d'étymologie latine du type : cŏnfĭcĭō "je fais intégralement" de cŭm "avec" + făcĭō "je fais" (cŏnfĭcĕrĕ est à l'origine de "confire"). Le ă de făcĭō devient ĭ dans le mot composé. Cette transformation s'appelle apophonie. Il s'agit de la fermeture d'une voyelle brève en syllabe interne d'un mot (deuxième syllabe en général).


Leur étude a amené à penser qu'elles ont été provoquées par un ancien système d'accentuation, caractérisé par un fort accent tonique sur la syllabe initiale des mots (intensité initiale) ; voir le développement ci-dessous.



Il existe des apophonies dans d'autres langues ; c'est même un phénomène sans doute très répandu : voir apophonie, et aussi ci-dessous : distinction de trois phénomènes d'apophonie latine.






B. Description des apophonies
    

1. Les différents types d'apophonies
    
a. Apophonies en syllabe ouverte
  

En syllabe interieure ouverte, les voyelles ă, ĕ, ĭ, ŏ, ŭ libres convergent leur timbre vers un timbre fermé : souvent ĭ, parfois ŭ, ĕ, ŏ selon le contexte consonantique (PHL4:18-26).



α. Devant la plupart des consonnes (d, t, n, g, c, l exilis) : > ĭ
    

En syllabe interieure (1) ouverte, les voyelles brèves ont toutes été ramenées à ĭ devant d, t, n, g, c (PHL4:18-21), également devant l exilis (PHL4:19, 22) (voir les deux l différents en latin).


(1) Voir ci-dessous deuxième ou troisième syllabe ?


ă, ĕ, ĭ, ŏ, ŭ libres
en syllabe interne de mot,
en général en deuxième syllabe

>
ĭ
cum + făcĕrĕ
confĭcĕrĕ "faire intégralement"
Mασσαλία (Massalía) (1)

Măssĭlĭă "Marseille"

Tableau : Réalisation des apophonies (cas général)


(1) Le l dans Massalía est un l exilis, mais pour le l pinguis , voir le tableau ci-dessous.






β. Devant r : > ĕ
    

(PHL4:25) "Devant r, toute voyelle brève intérieure a le timbre e."

(RHEIIL:302) La voyelle ă ferme son timbre en ĕ devant r .


ă, ĕ, ĭ, ŏ, ŭ  devant r >
ĕ



in + părā
impĕrā "commander"

Tableau : Réalisation des apophonies devant r.






γ. Devant l pinguis ou v : > ŭ
    

Toute voyelle est ramenée à ŭ :

- devant l pinguis (PHL4:19, 22) (voir les deux l différents en latin) ;

- devant v (PHL4:19, 22-23).


(Autre source : la voyelle ă devant l pinguis ferme son timbre en ŭ : RHEIIL:296, 300).


La différence entre les influences des deux l est notamment bien visible dans les couples fămĭlĭă, fămŭlŭs, sĭmĭlĭs, sĭmŭl, -ĭlĭs, -ŭlŭs (ci-dessous).


ă, ĕ, ĭ, ŏ, ŭ  devant l pinguis >
ŭ
in + săltā

insŭltā
σικελός (sikelós)
sĭcŭlŭs "sicilien"



ă, ĕ, ĭ, ŏ, ŭ  devant v >
ŭ   (ŭv écrit ŭ)
ăb + lăvō

"ăblŭvō"  (écrit ăblŭō)

Tableau : Réalisation des apophonies devant l pinguis et v.




δ. Devant b, p, f, m : > ŏ, ŭ (tendance)
   

(PHL4:23-25).

(La voyelle ă devant p, b, m, f a tendance à fermer son timbre en ŏ, ŭ, RHEIIL:307).


ă, ĕ, ĭ, ŏ, ŭ libres
devant p, b, m, f
>
(tendance)
ŏ, ŭ
ob + căpĕrĕ

occŭpā "recevoir"
σήσαμον (sêsamon)

sēsŭma Plaute "sésame"

Tableau : Réalisation des apophonies devant p, b, m, f (labiales)


Devant p, b, m, f, l'évolution de ă en ŏ, ŭ ne serait qu'une tendance, qui aurait été souvent contrariée. Mais dans les mêmes situations, ă aurait évolué souvent en ĭ en raison :

- de nombreuses analogies : voir datif et ablatif pluriels de la 4e déclinaison -ŭbŭs / -ĭbŭs, 1e.p.p. *-ŏmŏs > -ĭmŭs, superlatifs maxŭmŭs / maxĭmŭs, optŭmŭs / optĭmŭs (RHEIIL:308-310) (voir aussi *opĭtŭmŭs LLHA;174) ;

- de l'influence de la voyelle précédente *mĭnŭmŭs > mĭnĭmŭs (RHEIIL:310) ;

- de l'influence de la voyelle suivante (i post-consonantique => i pré-consonantique) : ob + căpĭō > occĭpĭō, rĕ + căpĭō > rĕcĭpĭō (RHEIIL:307).


Attestations antiques :

Concernant les superlatifs (optĭmŭs / optŭmŭs"le meilleur", maxĭmŭs /maxŭmŭs "le plus grand"), Quintilien semble expliquer que la voyelle apophonique était prononcée avec un timbre intermédiaire entre [i] et [ʋ] (in PHL4:24) :

(Quintilien, inst. 1, 4, 8) (...) medius est quidam 'u' et 'i' litterae sonus : non enim sic 'optumum' dicimus vel 'optimum' (...)
"il existe un son intermédiaire entre u et i, car notre prononciation ne correspond exactement ni à la graphie optumus, ni à la graphie optimus" (PHL4:24)
Commentaire : ce passage de Quintilien est très discuté par les linguistes contemporains, à propos de sa traduction, de la bonne version de manuscrit (notamment selon la génération de manuscrits, de l'opposition optimus/optumus ou optimus/opīmus "fécond ; gras") (NPL:85-86, MSL:227-229) ; sur la valeur de ce "son intermédiaire" (NPL:85-88, MSL), et sur la réalité même de l'existence de ce "son intermédiaire" (MSL). Il faut donc reconnaître que ce passage est difficile à interpréter. La question de l'hésitation entre optimus et optumus revient tout de même chez des auteurs postérieurs à Quintilien.

(Velius Longus, orth. IV.3.4) ‘I’ vero littera interdum exilis est, interdum pinguis, [ut in eo quod est ‘prodit’ ‘vincit’ ‘condit’ exilius volo sonare in eo vero quod significatur ‘prodire’ ‘vincire’ ‘prodire’ atque usque pinguescit] ut jam in ambiguitatem cadat, utrum per ‘i’ quaedam debeant dici an per ‘u’, ut est ‘optumus’‘maxumus’. In quibus adnotandum antiquum sermonem plenioris soni fuisse et, ut ait Cicero, ‘rusticanum’ atque illis fere placuisse per ‘u’ talia scribere et enuntiare. Erravere autem grammatici qui putaverunt superlativa <per> ‘u’ enuntiari.
Ut enim concedamus illis in ‘optimo’, in ‘maximo’, in ‘pulcherrimo’, in ‘justissimo’, quid facient in his nominibus in quibus aeque manet eadem quaestio superlatione sublata, ‘manubiae’ an ‘manibiae’,  ‘libido’ an ‘lubido’? Nos vero, postquam exilitas sermonis delectare coepit, usque ‘i’ littera castigavimus illam pinguitudinem, non tamen ut plene ‘i’ litteram enuntiaremus. Et concedamus talia nomina per ‘u’scribere <iis> qui antiquorum voluntates sequuntur, ne[c] tamen sic enuntient, quomodo scribunt.


(traduction VLDO:33-34, trad.it.) "La lettre i est en fait parfois mince (exilis), parfois grasse (pinguis) (1), [...(non traduit par VLDO)...] de sorte qu'on tombe désormais dans l'incertitude quant à savoir si certains mots doivent être prononcés avec i ou u, comme cela est le cas pour optumus, maxumus. À ce propos, on doit souligner que la langue ancienne fut caractérisée par un son plus plein et, comme dit Cicéron, "rustique", et que ceux-ci [qui ?] aimaient écrire et prononcer ce type de mot avec u. Cependant les grammairiens tombèrent dans l'erreur, en croyant que les superlatifs devaient être prononcés avec u.
En fait, même si nous leur accordons cette prononciation en optimus, maximus, pulcherrimus, justissimus, que feront-ils dans le cas de ces noms pour lesquels, sans poser le problème du superlatif, la même question demeure : manubiae ou manibiae, libido ou lubido ? En fait, après avoir commencé à apprécier la finesse de la langue, nous avons corrigé cette plénitude avec la lettre i, mais pas au point de prononcer pleinement la lettre i. On permet donc à ceux qui suivent les instructions des anciens d'écrire de tels noms avec u, à condition toutefois qu'ils ne prononcent pas comme ils écrivent."

(1) La notion de lettre mince/grasse est surtout connue pour l (ci-dessus).

Dans un autre passage, Quintilien indique que "u était la graphie archaïque et i la graphie classique" (PHL4:24).
(Quintilien, inst. 1, 7, 21) jam optimus maximus ut mediam i litteram, quae veteribus u fuerat, acciperent, Gai primum Caesaris in scriptione traditur factum
"Selon la tradition, l'usage d'écrire optimus maximus avec i dans la syllabe médiale au lieu de l'u des anciens, fut (officiellement) adopté dans l'orthographe de Jules César" (PHL4:24)

Max Niedermann (PHL4:24) indique que "cette observation se trouve confirmée, d'une manière générale, par l'orthographe des inscriptions et des meilleurs manuscrits qui permet de l'étendre à un certain nombre d'autres mots appartenant à cette même catégorie (comparer, par exemple, les génitifs mancupis, mancipis et manufestus, manifestus)." P.M. Suárez-Martínez (MSL:232) signale que d'autres auteurs plus tardifs font remonter à Jules César la graphie i (Velius Longus, Aneus Cornutus ou Marius Victorinus) : la graphie a changé "que ce fusse en raison de son autorité comme écrivain, que ce fusse parce qu’il donna des instructions précises au respect".






ε. Apophonies de diphtongues (évoluées)
   
Une diphtongue en latin a la valeur d'une voyelle longue (système vocalique latin), donc elle échappe à l'apophonie (ci-dessous seules les brèves sont concernées).

Mais Max Niedermann signale tout de même un processus d'évolution de la diphtongue latine en faisant intervenir l'apophonie.

(PHL4:30, à propos de sēclūdō "j'enferme à part, j'isole") :

"En ce qui concerne ce dernier exemple, il faut remarquer que, des deux éléments constitutifs de la diphtongue au de claudō, c'était le premier le plus intense. Il s'ensuivait que la position articulatoire du second, u, au lieu d'être tenue, était abandonnée aussitôt, en d'autres termes, que cet u se consonnifiait en passant à l'état de semi-voyelle (références §). L'a de claudō se trouvant donc placé devant deux consonnes (vd), les composés de ce verbe affectaient régulièrement la forme -cleudō qui, comme il vient d'être dit, a abouti ensuite à -clūdŏ, d'où, outre secludō déjà cité, conclūdō "je parque, je termine, je conclus", exclūdō "j'exclus, je tiens éloigné", inclūdō "j'enferme", occlūdō "je bouche", reclūdō "j'ouvre"."


Ainsi, la diphtongue évoluée [au] > [aw] donne naissance à une syllabe fermée, par exemple [aw] dans claudō. On se trouve donc dans la situation




ζ. Voyelles apophoniques en hiatus
  
   

Max Niedermann développe, trop succinctement, un paragraphe à propos des "voyelles apophoniques" en hiatus (PHL4:26) :

« §17. Enfin la voyelle apophonique a pris un timbre spécial en hiatus après i et e, à savoir o devant l vélaire et e devant toute autre consonne. »

Puis il donne des exemples : ceux du type fīlĭŏlŭs, ceux du type ēbrĭĕtās, ceux du type ăbĭĕtĭs (de ăbĭēs "sapin"), également lĭĕnĭs (de lĭēn "rate"), hĭĕmĭs (de hĭems "hiver"), hĭĕtārĕ "avoir la bouche béante".


Il faudrait étudier longuement ces aspects ; il faut d'ores et déjà constater que "la voyelle apophonique" dont l'auteur parle se trouve généralement dans la troisième syllabe des mots, par exemple ŏ dans fīlĭŏlŭs. Cela s'oppose aux conditions des eu-apophonies (deuxième ou troisième syllabe ? ci-dessous).


Par exemple pour le premier cas, le type fīlĭŏlŭs, on constate en effet que le suffixe diminutif -ŭlŭs devient -ŏlŭs lorsqu'il est précédé de ĭ ou ĕ (voir -ŭlŭs ci-dessous). Au contraire de pŏrcŭs → pŏrcŭlŭs "petit porc", hĕrbă → hĕrbŭlă "petite herbe", on a :

alvĕŭs "cavité" → alvĕŏlŭs "petit vase"

caprĕă → caprĕŏlŭs "petit chevreuil"

fīlĭŭs → fīlĭŏlŭs "fils (en bas âge ou chéri)" 

līnĕŭs → līnĕŏlă "petite ligne (tracée)"

lintĕŭm → lintĕŏlŭm "petite étoffe de toile"

rădĭŭs → rădĭŏlŭs "petit rayon"

etc.

On peut imaginer essentiellement deux solutions :

- le suffixe -ŭlŭs, déjà formé sur des mots comme pŏrcŭlŭs "petit porc", s'est ajouté à des mots comme fīlĭŭs "fils" > fīlĭ- + -ŭlŭs > fīlĭŏlŭs, avec *-ĭŭlŭ- > *-ĭŏlŭ- pour des raisons phonétiques ;

- à un âge plus ancien, le suffixe pr-it. *-elos s'est ajouté à pr-it. *fīlios, *feilios > *fīlielos > *fīliolos > lat fīlĭŏlŭs.


Il convient de continuer l'étude.



 

b. Apophonies en syllabe fermée
    

(PHL4:26-28).

La voyelle ă ferme son timbre en ĕ si elle est entravée (RHEIIL:310).


Remarque : L'étrusque pourrait expliquer certains u au lieu de e attendu : tríambos > triumphus (PCADEG:200).


ă  entravé
>
ĕ
cum + făctŭm

confĕctŭm "pour faire intégralement"



Tableau : Réalisation des apophonies devant r ou entrave.




c. Apophonies devant muta cum liquida
   

(SSMML, ÉGCOL).


L'étude des apophonies contribue à appréhender la notion complexe de muta cum liquida (groupe consonantique du type cr, tr, gr, cl, gl...).


Certains mots latins de trois syllabes (ou plus) ont une deuxième syllabe à voyelle brève et suivie d'une muta cum liquida : căthĕdră, gĕnĕtrix, ŏbsĕcrō, tŏnĭtrŭm... Ceux qui ont une descendance dans les langues romanes sont au nombre de onze (ci-dessous, de ălăcrŭm > "allègre", à tŏnĭtrŭm > "tonerre"). Par ailleurs, d'autres mots latins existent, sans descendance connue dans les langues romanes autre que les emprunts (gĕnĕtrix, ŏbsĕcrō...). Au total, quinze mots latins sont présentés ci-dessous (il en existe bien d'autres).


Concernant l'accent tonique, pour les mots qui ont une descendance dans les langues romanes, on considérait jusqu'à récemment qu'il s'agissait de proparoxytons latins ayant évolué en paroxytons pour aboutir aux dérivés romans actuels (tŏnĭtrŭm > "tonnerre"). Le basculement d'accent de l'antépénultième à la pénultième posait ainsi un problème aux linguistes : comment expliquer ce basculement ? Il existe cependant deux mots dont l'accent est "resté" sur la première syllabe : fĕrĕtrŭm > a.fr. fiertre, fietre, pullĭtrăm "jeune jument" > "poutre".



Étudions la voyelle de la deuxième syllabe.



Raisonnement prédictif :

Si les muta cum liquida n'entravent pas la voyelle précédente, pour ces mots, la deuxième syllabe devrait suivre l'apophonie des voyelles libres ci-dessus, et la voyelle devrait toujours être ĭ, ŏ, ŭ selon la consonne suivante.

Si les muta cum liquida font entrave, la deuxième syllabe devrait suivre l'apophonie des voyelles entravées ci-dessus, et conduire à ĕ dans tous les cas.


Confrontation avec les faits :

On constate ci-dessous que onze mots latins sur quatorze suivent l'apophonie des voyelles entravées (avec le résultat ĕ), trois mots suivent l'apophonie des voyelles libres, et trois autres mots semblent faire exception aux apophonies, avec malgré tout des résultats romans qui laissent supposer des étymons (non écrits) avec entrave.


L'article SSMML:271 conclut que selon les époques ou les dialectes latins très anciens, les muta cum liquida étaient considérées tantôt comme homosyllabiques, tantôt comme hétérosyllabiques.

(SSMML:271) "D'une manière ou d'une autre, toute analyse des faits exposés doit rendre compte de la malléabilité syllabique des troupes TR [obstruante-liquide]."





(SSMML:264)


Mots conformes à l'apophonie des voyelles entravées (m.c.l. hétérosyllabique) :


căthĕdră(m) (<  καθέδρα)
> a.fr. chaere ; chaeze > "chaire ; chaise", oc cadiera

fĕrĕtrŭ(m) "brancard" (< φέρετρον)

> a.fr. fiertre, fietre "châsse, reliquaire"
gĕnĕtrix "mère" (autre forme de gĕnĭtrix)

impĕtrō (< in + patrō)
"arriver à ses fins"

ĭntĕgrŭ(m) (< pr-it. *əntagros)
> "entier", oc entier
palpĕbră(m) (< palpō + -brŭm)
> "paupière", oc parpèla
parcĕprŏmŭs Pl (< parcē+ prŏmŭs) "homme avare" (1)

ŏbsĕcrō (< ŏb + săcrō)
"supplier"

tenĕbrăs (< pr-it. *temasro)
"ténèbres" (> esp tinieblas)

(1) Pour parcĕprŏmŭs, voir ci-dessous ce type de mots composés.



Mots conformes à l'apophonie des voyelles libres  (m.c.l. homosyllabique) :


cŏlŭbrĕ(m)
> "couleuvre", oc colòbre

pullĭtrŭ(m), pullĭtră(m) "jeune cheval", "jeune jument"

> "poutre", voir CNRTL.

tŏnĭtrŭ(m)

> "tonnerre", oc tonèire



Mots à voyelle non apophonique (exceptions aux apophonies ci-dessous) :

Les formes *ălĕcrŭ(m), *tarĕtrŭ(m) ne sont pas attestées, mais sont déduites des formes héritées "allègre", oc alègre ; "tarière"...


ălăcrŭ(m) / *ălĕcrŭ(m)
a.fr. (h)aliegre "allègre", oc alègre
pŏdăgră(m)
"goutte aux pieds" (> a.fr. poagre, poacre)
tarătrŭ(m) > *tarĕtră(m)
> AO taraire / "tarière"


Conclusion : (étude à continuer) L'analyse ci-dessus montre que dans la majorité des cas, les mots sont conformes à l'apophonie des voyelles entravées. Donc la muta cum liquida faisait souvent entrave au moins à l'époque des apophonies.





2. Deuxième ou troisième syllabe ?

    

De façon décevante, les linguistes sont souvent évasifs sur la position de la syllabe affectée : deuxième ou troisième syllabe. Ils parlent de "syllabe interne", ou "syllabe médiane". C'est très souvent la deuxième syllabe qui est affectée, mais par exemple dans les mots suivants, c'est la troisième syllabe ; a priori cela va à l'encontre de l'explication classique de l'intensité initiale.


ædēs ou ædĭs "temple" + făcĭō "je fais" > (composition) ædĭfĭcĭō "je bâtis"


grec epistolê > (emprunt) epistula (DFALVI:18)

grec amygdálê > (emprunt) amiddula (DFALVI:16,17)


En fait, ces transformations sont cohérentes si l'on envisage qu'il s'agit :

- de pseudo-apophonies (ci-dessous) pour le premier cas (ædĭfĭcĭō) ;

- de néo-apophonies (ci-dessous) pour les deux autres cas (epistula, amiddula) : l'intensité initiale s'est atténuée, et on doit tenir compte essentiellement de l'accent latin classique.

S'il s'agit de la deuxième syllabe, on peut avoir affaire aux eu-apophonies, les "véritables" apophonies (ci-dessous).


Cependant je ne parviens pas à expliquer :

καταπέλτης, καταπάλτης (katapéltês, katapaltês) > cătăpultă "catapulte" et non > cătĭpelta.

La voyelle affectée ne semble jamais atone ; doit-on déduire une période d'accentuation de type *catápelta pour expliquer la fermeture e > u ? Ou doit-on y voir une analogie sur sĕpultă "ensevelie", et sur les autres mots en -ult- (exsultō, insultō, occultō, multus, vultur, vultus) ?


Voir aussi ci-dessous L'apophonie affecte la finale du premier élément de composition.




Syncopes très anciennes de première époque (préalables aux eu-apophonies)
      

Je qualifie ces syncopes très anciennes : "de première époque", par opposition aux syncopes très anciennes de deuxième époque ci-dessous.


Parmi les mots latins d'origine composée, certains montrent une syncope de la deuxième syllabe du premier élément :


- am(bi) + căpŭt > ancĕps "à deux têtes" ;

- ăv(ĕm) + căpĭō > aucŭpex, auceps "oiseleur, chasseur d'oiseaux" ;

- Jŏv(is) + pătĕr > Jūpĭtĕr ;

- pau(cŭ?) + părăt > paupĕr "pauvre" ("qui produit peu").


Pour autant qu'il s'agisse d'eu-apophonies — et c'est très certainement le cas —, cette syncope est un préalable à la réalisation de l'apophonie ; elle est donc très ancienne. Elle aboutit à un premier élément monosyllabique (an-, au-, Jū-), ce qui explique la voyelle apophonique en deuxième syllabe.






C. Les apophonies caractérisent bien le latin par rapport à d'autres langues

    

Par rapport au grec notamment, ces apophonies sont caractéristiques du latin.


Par rapport au grec :


DFALVI:9 "S'il est un fait de phonétique latine qui caractérise on ne peut mieux le latin par opposition à d'autres langues indo-européennes comme le grec, c'est sans nul doute le phénomène connu sous le nom d'"apophonie" qui, avant l'apparition des premiers textes littéraires latins au 3è siècle a.C., s'est traduit par la fermeture des voyelles brèves situées à l'intérieur des mots."


Cependant en grec, quelques cas d'alternance vocalique existent, comme : τέσσαρα / τέσσερα (téssara / téssera "quatre") > latin tessĕra "tessère, jeton", depuis Plaute. (PCADEG:191).


DFALVI:9 "Là où le grec distingue les suffixes à voyelle brève -ᾰνη, -ενη, -ῐνη, -ονη, -ῠνη, le latin neutralise l'ensemble en une finale unique -ina". (L'auteure cite des exemples d'emprunts latins au grec : trŭtĭnă "balance", cŏphĭnŭs "panier", angĭnă "angine", sbĭnă "épieu de chasse" ; les quatre mots originels grecs ont tous des suffixes grecs différents).



Par rapport aux langues osco-ombriennes :


Le sujet est controversé :


Selon ALLRL:2, Leumann (LG1:99) argue « que la syncope est très fréquente dans les langues sabelliques, tandis que ce qu’on nomme apophonie (réduction du timbre vocalique) n’y est pas du tout représenté : or, c’est là une assertion un peu rapide et qu’il convient de modérer, au vu des faits rassemblés par Nishimura (2008 : 20), tels  l'ombr. prehubia /pr.hǝ.bī.yă/ (Va 12) "præbeat" (< it. com. *prāi̯-χăb-ē-i̯ā-d) qui s’oppose au simple habia (Va 17), et  l'osque prœfucus /præ.fǝ.kŭs/ (TB 23) "præfectus" ancien participe parfait actif lexicalisé (< it. com. *prāi̯-θăk + *-us-), qui s’oppose au simple facus "ayant fait" (TB 30) ».


Voir aussi les références à l'osque ci-dessous (il y aurait des voyelles épenthiques en osque).








II. Situations déclenchant l'apophonie
   
A. Vue d'ensemble (situations déclenchant l'apophonie)
   

Toute transformation phonétique nécessite un "point de départ", un mot dans sa version originelle, celui même qui va subir la transformation.


L'apophonie latine suppose : 


- soit que la syllabe concernée du mot originel n'était pas en seconde position, et qu'elle y parvienne → voir ci-dessous construction de mots composés, déclinaison et conjugaison.


- soit que le mot originel a été emprunté à une autre langue, et qu'il a subi l'apophonie en étant prononcé dans le système phonétique latin → voir ci-dessous emprunts au grec (et à d'autres langues) ;


- enfin on doit invoquer un latin très ancien, d'avant l'apophonie, plus près du pr-it., et dont les mots ont dû subir l'apophonie au moment de la mise en place de l'intensité initiale.






B. La composition déclenche l'apophonie (construction de mots composés)
    

1. L'apophonie affecte la première voyelle du second élément (cum + făcĭō > confĭcĭō)
     

C'est ce type d'apophonie qui a été décrit en premier (ci-dessous).

Derrière un premier élément monosyllabe, les mots qui entrent en composition voient leur première voyelle se fermer si elle est brève :


cum + făcĭō > confĭcĭō (ILLL:28), d'où "confire" 

dē + scăndō > dēscĕndō (ACAL:223) d'où "descendre"

Jŏv(is) pătĕr > Jūpĭtĕr (GCLC:41) (voir syncopes très anciennes ci-dessus)


Voir ci-dessous les nombreux exemples "composition latine". 



2. L'apophonie affecte la finale du premier élément (albŭs + cŏmŭs → albĭcŏmŭs)  — la voyelle de liaison
      


De nombreux mots latins sont des composés de deux éléments, réunis par -ĭ- : albĭcŏmŭs "aux cheveux blancs", omnĭvŏrŭs "qui dévore tout"... Ce ĭ est devenu "voyelle de liaison" en latin. Cette habitude semble même être passée dans des langues romanes actuelles, comme l'espagnol, l'occitan : voir adjectifs de type còlimòrt.


Ci-dessous la citation de Françoise Bader discute de l'origine de cette "voyelle de liaison".


(FCNL:16-17) (j.m.c.g.)

"[...] l'apophonie peut transformer en -i- la voyelle finale du thème qui figure au premier membre de composé, à l'origine quand ce thème était un dissyllabe, type agri-(cola). Lorsque le premier membre a plus de deux syllabes, on s'attend à voir conservée sa voyelle finale (Ahēno-barbus). Mais la fréquence des premiers membres de composés dissyllabes terminés par un -i- d'origine morphologique (muni-) ou phonétique (agri-) a étendu cet -i- à des termes où il ne se justifiait pas. C'est ainsi que des noms, qui ne sont pas des thèmes en -i-, présentent, par analogie, un -i- à la troisième syllabe (ahēnipēs), à la quatrième (margarītifer), ou au-delà (scytalosagittipelliger) ; -i- finit par être senti comme caractéristique des premiers membres de composés. Et c'est lui qui sera employé comme « voyelle de liaison » quand l'adjonction d'un thème consonantique à un second membre de composé à initiale également consonantique faisait difficulté (part-i-ceps). L'extension analogique de -i- confère donc au premier membre de composé une grande uniformité, qui empêche de distinguer ce qui était thème en -i- et thème en -o- (ou -a-) : docto-, aula- deviennent docti- (loquus), auli- (coqua)."


(Mieux étudier cette référence bibliographique).


Remarque : il faudrait aussi étudier l'influence du génitif des 2e, 3e et 5e déclinaisons. (Par exemple ăquæductŭs semble contenir ăquă au génitif : "conduit de l'eau", mais ăquĭlĕgŭs "qui sert à tirer de l'eau ; sourcier", est construit selon le modèle avec ĭ de liaison ; cela laisse penser que certains composés unis par ĭ dont le premier élément suit la 2e, 3e ou 5e déclinaison, peut être au génitif).


Devant labiale : (FCNL:16)

lŏcŭplēs "riche en terres" (< lŏcŭs + plĕō)

carnŭfex "bourreau public" (< cărŏ, cărnĭs +  făcĭō)


Des manuscrits latins sont suspectés d'être faussés par l'habitude des copistes de placer un -i- de liaison ; la voyelle de liaison est alors discutée par les linguistes. Par exemple Louis Havet


Il faut remarquer que parcĕprōmŭs "avare" (Plaute) contient ĕ de liaison par opposition à parcĭmōnĭa "épargne", parcĭloquĭum "sobriété de paroles". Ce résultat a pu être interprété comme l'influence de la muta cum liquida pr, prononcée de façon hétérosyllablique, et donc créant une apophonie de voyelle entravée (Parcepromus:132) (apophonie devant muta cum liquida ci-dessus).




adjectif + nom → adjectif :

albŭs + cŏmŭsalbĭcŏmŭs "aux cheveux blancs"

rŏtŭndŭm + fŏliŭmrŏtŭndĭfŏlĭŭs "à feuilles rondes"


nom + adjectif → adjectif :

cărŏ, cărnĭs + vŏraxcărnĭvŏrax "qui se nourrit de chair"


D'autres composés ci-dessous ont une construction semblable (nom + verbe → adjectif) ; si le verbe est gĕnō, fĕrō..., les aboutissements -gĕnŭs, -fĕr... ont en fait la valeur d'un adjectif.


nom + verbe ("à valeur d'adjectif") → adjectif :

ăquă + gĕnōăquĭgĕnŭs "né dans l'eau"

tĕrră + gĕnōtĕrrĭgĕnŭs "né de la terre"

frūctŭs + fĕrō → frūctĭfĕr "qui porte du fruit"

călŏr + făcĭōcălōrĭfĭcŭs "qui échauffe"


pronom + verbe ("à valeur d'adjectif") → nom :

omnĭs + vŏrō → omnĭvŏrŭs "qui dévore tout"



adjectif + verbe → nom :

lŏngŭs + lŏquorlŏngĭlŏquĭŭm "discours sans fin"


nom + verbe → nom :

sanguĭs + sūgō → sanguĭsū "sangsue"


nom + verbe → verbe :

frūctŭs + făcĭō → frūctĭfĭcō "je fructifie" (pseudo-apophonie)


adverbe + nom → nom :

ambō + dĕnsambĭdĕns "brebis qui a les dents du haut et du bas"


verbe + verbe → adjectif :

terrĕō + lŏquorterrĭlŏquŭs "effrayant"


nom + nom → adjectif :

ignĭs + cŏmŭsignĭcŏmŭs "roux (aux cheveux de feu)"

(latin médiéval) capră + fŏlĭŭm → caprĭfŏlĭŭm "chèvrefeuille", pr cabrifuelh...


etc.





C. La flexion déclenche l'apophonie
   

  La flexion comprend la déclinaison et la conjugaison.



1. La déclinaison déclenche l'apophonie

Certains mots présentent une alternance de radical de type ĕ final / ĭ, ŭ intérieurs. Cette alternance est d'origine apophonique (ILLL:48) :


nom jūdĕx > gén jūdĭcĭs "juge" (ILLL:48)


Le cas de jūdĕx n'est pas clair : l'origine jūs + dĭcō pourrait expliquer jūdĭcĭs.

Les alternances dans les flexions suivantes ont également une origine apophonique (ILLL:89) :

hŏ (anc. hŏmŏn), -ĭnĭs "homme" ;

vĭrgŏ, -ĭnĭs "vierge" ;

turbŏ, -ĭnĭs "tourbillon" ;

ordŏ, -ĭnĭs "ordre".


Remarque : dans ces cas, l'apophonie serait devenue une simple règle morphologique d'alternance ŏ / ĭ ; Christian Touratier appelle cette alternance "apophonie synchronique" (ILLL:89). Je suppose que pour certains mots, l'alternance provient d'une réelle apophonie, avec une origine phonétique datant du latin archaïque, puis que cette alternance s'est étendue à d'autres mots par analogie flexionnelle (pseudo-apophonie ci-dessous).


2. La conjugaison déclenche l'apophonie
 
   

Concernant le présent, ACAL:223 donne par exemple : *dĕcĕmŏs > dĕcĭmŭs "nous disons". Voir ci-dessus *-ŏmŏs > -ĭmŭs.


Pour les parfaits, un radical se terminant par une voyelle brève + -vī peut déclencher l'apophonie. Par exemple mŏnĕ-ō "je fais songer" : *mŏnĕ-vī > mŏnŭ-vī graphié mŏnŭī "je fis songer" (IPHAF:153, qui parle d'assimilation de ĕ à w), (ĕv > ŭv, uv écrit u).




D. L'instabilité de l'accent et des quantités déclenche l'apophonie
    

Par exemple :


fīcātum (calqué sur συκωτόν sukôtón) > * fĭcătum > *fĭcĭtum > Cassel figido "foie", voir abrègement de certaines voyelles longues.




E. Les emprunts aux autres langues déclenchent l'apophonie
    

Il en va de même pour les emprunts à d'autres langues, notamment au grec. Dans cette langue, la place de l'accent est marquée par un accent graphique sur une voyelle, voyelle appartenant à l'une des trois dernières syllabes du mot.


Mασσαλία (Massalía) > Măssĭlĭă "Marseille" (GLS:320 , ATHD:10)




F. Évolution à partir du proto-italique
    

(Cette partie contient une grande part de réflexions personnelles)


Par déduction, tous les mots d'au moins trois syllabes dont la deuxième a une voyelle brève, et qui n'entrent pas dans les cas précédents, sont susceptibles d'avoir subi l'apophonie : les mots latins très anciens, du vieux fonds latin, c'est-à-dire proches du proto-italique, ont dû subir l'apophonie au moment de la mise en place de l'intensité initiale. (Pour l'osque : ? à étudier).


Christian Touratier (ILLL:28) estime que l'apophonie peut expliquer tous les ĭ libres en latin que l'on trouve en syllabe intérieure des mots. Il faut sans doute tempérer ce propos, car certains de ces ĭ ont une origine indo-européenne (par exemple fīlĭŭs, références).


Voici quelques exemples :


-ĭlĭs et -ŭlŭs :

Par exemple : -ĭlĭs dans făcĭlĭs, hăbĭlĭs... (suffixe marquant la non-réalisation, "non-actualisation" D-lis:207) ; -ŭlŭs dans calcŭlŭs, hĕrbŭlă... (suffixe à valeur diminutive), var.ap.voy. -ŏlŭs dans fīlĭŏlŭs, bestĭŏlă...

Pour ces suffixes, la première voyelle est très probablement apophonique : par exemple dans făcĭlĭs, la déclinaison impose souvent un l exilis car souvent suivi de i dans la déclinaison, alors que dans calcŭlŭs, hĕrbŭlă, la déclinaison impose souvent un l pinguis car rarement suivi de i dans la déclinaison. Ainsi d'après les lois ci-dessus (devant l exilis, devant l pinguis), on aboutit bien à -ĭlĭs et à -ŭlŭs ; pour var. -ŏlŭs, voir ci-dessus voyelles apophoniques en hiatus. Les points de départ sont respectivement pr-it. *-elis et *-elos. Ci-dessous je cite les spécialistes de ces suffixes.

(D-lis:195-196) : L'autrice signale que les dérivés en -lĭs construits sur une base verbale ont « une voyelle brève présuffixale de timbre i conformément aux règles de l'apophonie ou, si l'on préfère, de la neutralisation des voyelles brèves en syllabe intérieure ouverte devant un l palatal [l exilis, n.d.l.r ]. » Ici, je précise deux aspects (à mon petit niveau) : comme je le dis ci-dessus, dans la déclinaison, le l est souvent suivi du i, garantissant probablement la valeur exilis du l, et d'autre part il s'agit sans doute d'eu-apophonies (ci-dessous), eu égard à l'ancienneté du type ; on peut donc supposer que le ĭ apophonique est apparu dans les adjectifs trisyllabiques comme făcĭlĭs, hăbĭlĭs, puis se sont étendus aux autres adjectifs ; ces principes valent pour -ĭlĭs, -ŭlŭs et -bĭlĭs, -bŭlŭm ci-dessous.

L'origine -ŭlŭs est pr-it. *-elos (falisque -𐌄𐌋𐌏𐌔) :

(DD-lus:121) « Les formes suffixales -ulus (-ula, -ulum) et -olus (-ola, -olum) remontent à *-elo- (*-elā-). On en donnera pour preuve la finale de "surdiminutifs" tels que cistella (dès Plaut.) : cistella (qui est le diminutif de cist-ula, lui-même diminutif de cista, ae, f ["corbeille"]) suppose *cist-el-ela [1]. Sont également probantes les formes falisques urnela (= lat. urnula) et arcentelom (= lat. *argentulum).

Un certain nombre de langues indo-européennes, comme le sanskrit, le lituanien et le lette, le gotique et le vieux haut-allemand [a.h.all.], et même le grec (cf. άρκτύλος [arktulos] "petit ours", de ἄρκτος [arktos]) présentent des diminutifs construits à l'aide de suffixes apparentés à *-elo-.

[1] Le suffixe -ĕllă peut aussi s'expliquer aussi par assimilation consonantique de type nl > ll dans fĕmĭnă + -(ŭ)lă > fĕmĕllă puis mécoupure fĕm-ĕllă.. »

Voir aussi la donnée Wiktionary stipula : lat. stĭpŭla "tige des céréales" < pr-it. *stipelā, diminutif de pr-it. *stipā.

L'origine de -ĭlĭs est pr-it. *-elis, voir -ilis.

Le suffixe pr-it. *-elos est à rattacher à pr-i-e. -lós ; *-elis provient de pr-i-e. *-li- (D-lis:210).


-bĭlĭs et -bŭlŭm :

Par exemple -bĭlĭs dans hăbĭlĭs, stăbĭlĭs...(suffixe à diverses valeurs, p. ex. "passive et éventuelle", D-lis:206) ; -bŭlŭm dans pābŭlŭm "pâturage", mandĭbŭlă "mâchoire" (suffixe indiquant soit un instrument, soit un lieu).

La situation est comparable à celle de -ĭlĭs et -ŭlŭs ci-dessus : la première voyelle est apophonique, mais elle semble être apparue par anaptyxe :

-bĭlĭs provient de pr-it. *-ðlis < pr-i-e. *-dʰlis (variante de *-dʰlom) (-bilis), ou plutôt de *-b- (< *-bʰū) + *-lis (FS-bilis.:663) ;

-bŭlŭm provient de pr-i-e. *-dʰlom (-bulum).



ănăs ou ănĭtes (Plaute) "canard" < pr-it. *anats < pr-i-e. *h₂énh₂ts. Le mot a pu subir les influences opposées de la dilation par ă initial et de l'apophonie ; voir le génitif ănĭtĭs ou ănătĭs.


ănĭmŭs "âme" < pr-it. *anamos < pr-i-e. *h₂enh₁mos. L'osque 𐌀𐌍𐌀𐌌𐌞𐌌 anamúm (ac.s.) proviendrait de la succession : pr-it. *anamos > (syncope) *anmo- > (épenthèse de a) > *anamo- (EDLOIL:43).


fămĭlĭa "ensemble des esclaves d'une maison" < fămŭlŭs "asservi" < pr-it. *famelos "asservi" (voir osque 𐌚𐌀𐌌𐌄𐌋 famel "asservi") < pr-i-e. *dʰh₁-m-eló- (voir ci-dessus l pinguis et l exilis).


fēmĭnă "femme" < pr-it. *fēmanā < pr-i-e. *dʰeh₁m̥h₁néh₂ (EDLOIL:210).


sĭmĭlĭs "semblable", sĭmŭl "dans le même temps" (ancien neutre de sĭmĭlĭs) < pr-i-e. *sem- "ensemble" (voir ci-dessus l pinguis et l exilis).



De même, il est probable que les exemples ci-dessous témoignent de l'action de l'apophonie sur la langue ancestrale proto-italique, mais il faut étudier au cas par cas :

- de nombreux mots comme arbĭtĕr, dĭgĭtus...

- une grande quantité de mots avec ĭ en hiatus : glădĭŭs, cămbĭō, prĕtĭŭm...(au moins fīlĭŭs tient son second ĭ du pr-i-e.) ;

- le suffixe -ĭdus présent dans frĭgĭdus, călĭdus, răpĭdus... ;

- le suffixe -ĭcus : gallĭcus, indĭcus, afrĭca... ;

- les suffixes verbaux -ĕrĕ, -scĕrĕ, -(ĭt)ārĕ ;

- la désinence -ŭbŭs / -ĭbŭs, voir ci-dessus ;

- la désinence -ĭmŭs (< pr-it. -omos), par exemple : *edomos > edĭmŭs "nous mangeons" (ci-dessus : la conjugaison déclenche l'apophonie).




III. Évolution de l'accent d'intensité ; conséquences chronologiques



A. Étude de la cause classique des apophonies (eu-apophonies)



1. L'apophonie latine suit une loi universelle


La loi universelle de l'apophonie, raisonnement
 
  

Une loi universelle (c'est-à-dire concernant toutes les langues) prédit la tendance à la fermeture de la voyelle si elle se trouve en syllabe peu accentuée (voir apophonie au sens large). 


L'étude des apophonies du latin archaïque (eu-apophonies) a ainsi mené les philologues à supposer un fort accent tonique sur la première syllabe des mots en latin archaïque (voir ci-dessous A. Dietrich, GLS:319) : par contrecoup, la deuxième syllabe aurait été faiblement accentuée, et aurait subi une fermeture de son timbre.


Selon Philip Baldi (FL:269), l'argument le plus fort en faveur de l'intensité initiale est (trad.angl.) "la perte étendue des voyelles courtes (syncope) et le raccourcissement des voyelles longues partout sauf en syllabe initiale des mots pleins (c'est-à-dire qui n'entrent pas comme second membre d'un composé)". Je pense que cet argument laisse penser aussi que l'intensité initiale a perduré pendant toute la latinité (du latin archaïque au latin tardif) ; alors qu'aujourd'hui en français, pour "un cheval", "des cerises", on peut dire [ũ ʃval], [dé sriz]).



Précisions sur l'évolution phonétique
  

Voir aussi : PCADEG:194, ÉVBLSI.


K. Nishimura (PVRL:217-219) entreprend une synthèse bibliographique sur les scénarios phonétiques des apophonies. Il aboutit au scénario le plus probable selon lui :

- étape 1 (avant la période littéraire) : l'accent initial entraîne une neutralisation des voyelles apophoniques, qui convergent vers [ə], ou [ɪ] ;

- étape 2 : toujours sous la "loi de l'accent initial" mais achevé sous la "loi de la pénultième", l'évolution vers [i].




Première description des apophonies — analogie avec l'allemand

Selon Louis Deroy (ACAL:223), le premier à déceler et à défendre cet accent sur la syllabe initiale fut A. Dietrich. Je cite ce dernier :

(ZGAL:548) :

(trad.all.) "(...) dans les syllabes ouvertes il y a presque toujours i (mais devant r seulement e), e dans les syllabes fermées, devant une labiale et devant un l simple ou un l suivi d’une autre consonne il y a u, si par la suite un i subséquent n’a pas assimilé la voyelle précédente (comme par exemple dans facilis).
Ainsi ce ne sont pas seulement incido, concino [à corriger en "concido", n.d.l.r ], exsilit, colligit, depuvit, aucupis qui sont apparus à partir de incado, concano, exsalit, collegit, aucapis, parce que dans tous ces mots, on avait l’accent d’intensité sur la première syllabe, où il représente également l'accent qui nous est familier [en allemand] ; mais également impingo (de pango), difficilis (de facilis), delitesco (de lateo), incestus (de castus), confercis (de farcio), contubernalis (de taberna), inculco (de calco), insulsus (de salsus), parce qu’on prononçait ímpingo, dífficilis, délitesco, íncestus, cónfercis, et même cónferciamus, cóntubernalis, ínculco (ínculcatur, ínculcabitur) etc., ce que nous allemands remarquons à peine, puisque nous disons Stúbengenosse, Wándelbarkeit, Únvollkommenheit, Únliebenswürdigkeit, etc."


Le passage ci-dessus décrit remarquablement une ressemblance de l'intensité initiale entre le latin archaïque et l'allemand ; voir à ce propos les emprunts anciens du germanique au latin, qui montre une "mise à zéro" de l'accent latin avec une adaptation au système d'accent germanique. Voir ci-dessous la mise à zéro de l'accent.


Certains mots semblent ne pas être affectés par les apophonies ("exceptions" à l'apophonie, PCADEG:201). Voir ci-dessous exceptions aux apophonies.




Datation des apophonies

Des dates de réalisation de ces apophonies ont été proposées, à partir de l'étude des emprunts au grec :

- début : Ve siècle avant J.-C. (LG1 in PCADEG:197) ;

- fin : vers 350 avant J.-C. (J. André in PCADEG:195).


Mais ces propositions reposent sur des raisonnements critiquables. Il semble difficile de proposer des dates moins vagues qu'un terminus ante quem : les apophonies étaient déjà réalisées lors de l'apparition des premiers textes littéraires latins au IIIe siècle avant J.-C. (PCADEG, DFALVI:9). Par ailleurs, il est probable qu'on doive distinguer ces "eu-apophonies" de "pseudo-apophonies" et de "néo-apophonies", ces dernières se réalisant plus tardivement (ci-dessous).



Seules les voyelles brèves sont concernées

On constate que les voyelles longues résistaient à la fermeture : elles devaient être mieux articulées. Ce sont les voyelles brèves qui ont souvent subi l'apophonie. Je cite Louis Deroy (ACAL:223) : "On observe que, dans tous les mots latins anciens, c'est-à-dire antérieurs aux plus anciens textes littéraires, les voyelles brèves en syllabe médiane ont subi le contrecoup de l'effort initial. En syllabe médiane ouverte, toute voyelle brève est devenue ĭ et ŭ, sans règle absolue de répartition des deux timbres et même souvent avec une hésitation graphique entre les deux."




Facteurs "tempérant" l'apophonie


Deux facteurs semblent tempérer la fermeture de la voyelle pour aboutir seulement à ĕ et non ĭ ou ŭ :


- si la voyelle est entravée : făctus > confĕctŭs ; săcrō > obsĕcrō (ILLL:28 ; cr fait bien entrave en général, voir ci-dessous apophonies devant muta cum liquida) (voir "exécrer") ;


- si la voyelle est suivie d'un r (influence ouvrante de r ?) : părō > impĕ "je commande" (ACAL:223).






2. Intensité initiale et accent classique sont-ils compatibles ?

Dans les mots suffisamment longs, un accent secondaire aurait existé sur la pénultième ou l'antépénultième. Ce dernier serait à l'origine de l'accent latin classique. Il permettait de garantir l'intelligibilité de la flexion (ACAL:223). Cela contribuait sans doute souvent à l'affaiblissement de la deuxième syllabe, parfois aussi de la troisième syllabe :


o-pi-fi--na (> officīna) (en souligné gras : accent primaire, intense ; en souligné simple : accent secondaire, moins intense)



Problème de compatibilité entre intensité initiale et accent secondaire


Il faut constater que le supposé accent secondaire est parfois difficilement compatible avec l'accent primaire (ci-dessus) : comment imaginer que le ĭ de *cumfĭcĕrĕ soit à la fois la moins accentuée, et porte l'accent secondaire ? Voici deux explications possibles, non antinomiques :

- le ĭ de confĭcĕrĕ pourrait être analogique de certaines formes conjuguées : confĭcĭs, confĭcĭt.

- il aurait existé une période où dans *cumfĭcĕrĕ, *cumfĭcĭō, s'il existait un accent secondaire, il ne pouvait pas porter sur ĭ.






3. Conclusion : de profonds changements dans l'accentuation


(PCADEG:204, j.m.c.g.)

"Nous constatons en effet que, dans ces cas de fermetures tardives, la voyelle atteinte précède ou, plus souvent, suit immédiatement la syllabe accentuée, alors que les voyelles touchées par l'apophonie à l'époque prélittéraire peuvent être situées sous l'accent, ce qui, cependant, est loin de représenter la majorité des cas [l'auteure cite des exemples]."


L'étude des apophonies met en évidence de profonds changements dans l'accentuation au cours de la latinité.


Notamment on peut déduire l'évolution fréquente "voyelle la moins accentuée en latin archaïque" à "voyelle la plus accentuée en LPC", par exemple :

cum + făcĕrĕ

> *cumf ăcĕrĕ > *cumf ĭcĕrĕ (ă serait la moins accentuée d'où l'apophonie)

> confĭcĕrĕ (après l'apophonie, ĭ devient la plus accentuée).


La même évolution a eu lieu pour de nombreux emprunts au grec :

Massalía > Măssĭlĭă, Alalíè > Alĕrĭă, Sikélía > Sĭcĭlĭă... 


Pour kastáneia > castĭnĕă, on déduit même une évolution :

plus accentuée (en grec) kastáneia > moins accentuée (latin archaïque) castănĕă > plus accentuée (LPC) castĭnĕă.







B. Distinction de trois phénomènes d'apophonie latine


Comme l'avait pressenti Joseph Vendryes (RHEIIL:299), Frédérique Biville (DFALVI:20) propose de distinguer les trois phénomènes :


(DFALVI:20)

"Il faut distinguer trois phénomènes :

- le phénomène historique de l'apophonie : la loi phonétique de l'apophonie, qui a joué avant l'apparition des premiers textes littéraires latins ;

- les structures phonologiques (ou modèles linguistiques) que cette loi a instaurées dans la langue ;

- un phénomène totalement différent : l'affaiblissement des voyelles pré- et post-toniques lié à l'accent d'intensité du latin vulgaire et surtout tardif."


Je formalise encore davantage cette distinction en proposant les trois noms ci-dessous : eu-apophonies, pseudo-apophonies, néo-apophonies.




1. Eu-apophonies (je propose ce terme)


Par commodité, je propose d'utiliser eu-apophonie "vraie apophonie" le premier phénomène distingué par Frédérique Biville ci-dessus :


"le phénomène historique de l'apophonie : la loi phonétique de l'apophonie, qui a joué avant l'apparition des premiers textes littéraires latins"


Il s'agit de l'effet très probable de l'accent d'intensité sur la syllabe initiale, pendant l'époque du latin archaïque, peut-être avant 350 avant J.-C., créant de nombreux mots avec schéma vocalique ´ -ĭ-ă, ´ -ĭ-ŭs.


Par exemple (probablement) : cŭm "avec" + făcĭō "je fais" > cŏnfĭcĭō "je fais intégralement".



2. Pseudo-apophonies (je propose ce terme)

Par commodité, je propose d'utiliser pseudo-apophonie "fausse apophonie" le deuxième phénomène distingué par Frédérique Biville ci-dessus :


"les structures phonologiques (ou modèles linguistiques) que cette loi [la loi de l'apophonie qui a joué avant l'apparition des premiers textes littéraires latins] a instaurées dans la langue"


En effet, par analogie, les modèles établis pendant la phase précédente, par exemple des schémas vocaliques ´ -ĭ-ă, ´ -ĭ-ŭs, ou bien des verbes en composition, par exemple préposition + făcĕre > fĭcĕre, auraient continué à agir en créant de nouveaux mots, même après la perte de l'intensité initiale, donc après 350 avant J.-C.. Dans la formation de mots composés, cela a pu entraîner des apophonies ailleurs que sur la deuxième syllabe (voir ci-dessus Deuxième ou troisième syllabe ?). Françoise Bader décrit ce phénomène dans la composition des mots ci-dessus (type albĭcŏmŭs) (FCNL:16-17).


Par exemple : ædēs "temple" + făcĭō "je fais" > ædĭfĭcĭō "je bâtis".



3. Néo-apophonies (je propose ce terme)


Par commodité, je propose d'utiliser néo-apophonie "nouvelle apophonie" le troisième phénomène distingué par Frédérique Biville ci-dessus :


"un phénomène totalement différent : l'affaiblissement des voyelles pré- et post-toniques lié à l'accent d'intensité du latin vulgaire et surtout tardif."


En effet force est de constater que souvent, bien après la perte de l'intensité initiale, notamment de nombreux proparoxytons (suivant l'accent latin) ont vu la voyelle de leur pénultième se fermer en ĭ ou en ŭ suivant les mêmes lois que l'eu-apophonie énoncées au début de cette partie. La loi universelle de l'apophonie semble donc s'être exercée avec les mêmes effets.



(PCADEG:207) "Aux deux extrémités de l'histoire de la langue latine, en latin pré-littéraire et en latin tardif, se constatent donc deux tendances qui ont eu le même effet : la fermeture, allant parfois jusqu'à la syncope, des voyelles brèves en syllabe intérieure, mais auxquelles on n'assigne pas la même cause : accent d'intensité portant sur la syllabe initiale dans le premier cas, accent d'intensité frappant la pénultième ou l'antépénultième dans le second. Cette continuité, pendant toute la latinité, d'un fait phonétique unique dans ses manifestations mais double par les causes qu'on lui attribue, est tout de même surprenante : grande est la tentation de rechercher une explication unique. L'embarras de J. Vendryes devant ce problème est compréhensible ([RHEIIL] p. 299) : 


"L'apophonie latine dépasse de beaucoup les bornes que l'intensité initiale semble lui assigner. Dans leur principe, les modifications apophoniques ont été produites par l'intensité initiale ; mais l'application s'en est étendue plus loin et plus longtemps qu'on ne l'attendait. Non seulement l'analogie est ici en cause, mais encore plusieurs tendances phonétiques qui ont agi postérieurement." "



Ces néo-apophonies se raccordent avec deux aspects fort intéressants dans l'histoire des langues romanes, voir ci-dessous (Mots latins : tous apophoniques ?)




C. Synthèse : évolution de l'accent et apophonies

1. Tableau synthétique : évolution de l'accent tonique et apophonies


Voici la synthèse que je propose, qui résume l'évolution de l'accent parallèlement aux apophonies, depuis les mots originels (latins ou grecs) jusqu'au latin tardif. Le tableau ci-dessous résume les situations.

Je note en rouge ce que j'appelle les représentants d'apophonie ambiguë : leur voyelle la moins accentuée est restée la même au cours des époques latines, donc il est difficile de décider s'il s'agit d'une eu-apophonie ou d'une néo-apophonie (voir les explications en légende du tableau).








étymons

latin archaïque


latin LPC et LPT

3 syllabes

kamára

con + factus
in + ĕgēns
´ -  
*cămĕra
*confectus
*ĭnĭgēns
>

´ -    (> ´   )
cămĕra (> cambra)
    ´  
confectus
syncope très ancienne
> ´   
ingēns

> ´  
ingēns






4 syllabes

baláneion (1)
Massalía
Kamárina
in + ămīcus
´ -     
*bălĭnĕum
*Massĭlĭa

*Cămĕrīna
*ĭnĭmīcus
>

  ´ -   (>   ´   )
bălĭnĕum
Massĭlĭa > *[massiλa]

    - ´  
Cămĕrīna (2)
ĭnĭmīcus
syncope très ancienne
> ´    
bălnĕum

´     (> ´   )
bălnĕum > *[bañʋ]





Tableau ci-dessus. Évolution de l'accent latin et apophonies (proposition personnelle).

- Les mots donnés en exemples sont quatre emprunts très anciens au grec : kamára "voûte", baláneion "bain", Massalía "Marseille", Kamárina "Camarine", (ancienne colonie grecque de Sicile), et trois composés latins : con-fectus "fait intégralement", in-ĭgēns "démesuré" (NCMA), in-ămīcus "ennemi".

- Les mots ingēns, bălnĕum s'expliquent par des syncopes en latin archaïque. Le LPC bălĭnĕum serait la variante issue de l'absence de syncope.

- Mots en rouge : cas d'apophonie ambiguë ; c'est-à-dire que la voyelle apophonique (en deuxième syllabe) peut s'expliquer par son caractère atone aussi bien en latin archaïque qu'en LPC. Si on ne dispose que d'attestations tardives, on a affaire à une apophonie ambiguë, qu'on peut essayer d'éclaircir par d'autres indices. Pour les mots en rouge du tableau, l'ambiguïté est levée (je pense) car leur caractère ancien est prouvé par des attestations écrites.


(1) Pour baláneion, l'accentuation avec ά (βαλάνειον) est tirée de RHEIIL:288.

(2) Je n'ai pas encore d'exemple de syncope de pré-tonique, mais on peut citer Aplone (< Apollone "Apollon") connu d'une inscription marse.




2. Mise à zéro de l'accent et eu-apophonie

L'accent du latin archaïque représenterait une sorte de mise à zéro de l'accent, avec un effacement des anciens accents et une intensité initiale systématique sur tous les mots ; l'apophonie se réalise alors.




3. Syncopes très anciennes de deuxième époque (résultats de l'eu-apophonie)

Je qualifie ces syncopes très anciennes de "de deuxième époque", par opposition à celles de première époque ci-dessus.


Voici ce dont il s'agit : dans certains cas, des syncopes peuvent affecter la voyelle apophonique dès le latin archaïque ; elles sont le résultat ultime de l'eu-apophonie. Elles affectent le second élément de composition (ci-dessous *ĭnĭgēns, *sŏlŭvō), ou non (*bălĭnĕum).


- in + ĕgēns > *ĭnĭgēns > ingēns "démesuré" (NCMA) ;

- βαλάνειον (baláneíon) > *bălĭnĕum > bălnĕum "bain" ;

- "à part" + lăvō > *sŏlŭvō > sŏlvō (> AO sǫlver "délier", a.fr. soudre "payer"), voir le groupe -lŭvō (-lŭō) "ŭv écrit V".


En effet (opinion personnelle, autres sources ?) ingēns, bălnĕum, sŏlvō s'expliquent par des syncopes très anciennes de post-toniques : l'absence de ces syncopes aurait mené à des variantes LPC avec voyelle apophonique devenue accentuée, et donc protégée de la syncope : LPC bălĭnĕum (variante d'ailleurs attestée), ĭnĭgēns, sŏlŭ. Leur réalisation peut être vue simplement comme une eu-apophonie poussée à son stade ultime : la voyelle en deuxième syllabe parvient au stade ultime de fermeture, qui est l'amuïssement.


Cependant pour ingēns, comme il est imparisyllabique, on peut aussi proposer une apophonie tardive avec syncope en LPC, par influence analogique des cas obliques (*inigĕntĕm> ingĕntĕm).
 


Parmi ces syncopes, il convient de placer celles décrites par Romain Garnier dans ALLRL : par exemple sponsor < spondĭtor, stēlla < *stērŭla (à développer : notion d'intolérance à des schémas rythmiques).




4. Mots de type Massĭlĭa : eu-apophonies


Pour les mots de type Massĭlĭa, l'accent a basculé sur la voyelle apophonique. Le raisonnement ci-dessus montre qu'on a affaire à des eu-apophonies.




5. Mots de type cămĕra et Cămĕrīna : apophonies ambiguës


(mots en rouge ci-dessous)

Si l'on considère les lois :

- en latin archaïque l'accent est porté par la première syllabe ;

- la troisième règle de l'accent latin en LPC (accent latin) ;

la voyelle apophonique (en deuxième syllabe) des mots de type cămĕra et Cămĕrīna / ĭnĭmīcus peut s'expliquer par son caractère atone aussi bien en latin archaïque qu'en LPC. Si l'on ne dispose que d'attestations tardives (latin impérial), il est très difficile de dater leur "apophonie" : formes tardives ou formes anciennes ? Parfois même, il n'y a pas d'attestation écrite en latin, mais on peut reconstituer une forme latine vulgaire, à partir des langues romanes actuelles (ostracon > *astrĭcŭm, déduit de l'italien lastrico). Par ailleurs, la voyelle fermée est, comme attendu, susceptible de disparaître par syncope ; certaines de ces syncopes sont attestées dès Pomp (DFALVI:18,19). Tous ces mots sont issus de ce que j'appelle des "apophonies ambiguës" : elles peuvent tout aussi bien être des eu-apophonies jamais attestées avant l'époque impériale, des pseudo-apophonies, ou bien des néo-apophonies.



Cependant dans certains cas, des indices, notamment dans les emprunts au grec, permettent de lever l'ambiguïté. Il s'agit de la prononciation de certaines lettres d'origine grecque, qui peuvent révéler l'ancienneté ou le caractère récent de l'emprunt (voir par exemple ci-dessous l'ancienneté de cŏlŏpŭs > "coup"...).












IV. Exemples d'apophonies


A. Composition latine

Ci-dessous dans le tableau, pour le moment, je donne des exemple d'apopophies de type eu-apophonies (ci-dessus : eu-apophonies).

Il existe aussi d'autres types (pseudo- ou néo-apophonies), qui montrent une voyelle apophonique n'appartenant pas à la seconde syllabe, comme formīcŏlĕōn "fourmilion [insecte]", Isid. Orig. 12, 3, 10. Le ŏ de liaison provient sans doute d'un ŭ (attendu devant un l pinguis : ci-dessus), évolué en o à l'époque d'Isidore.


composition en latin archaïque
latin classique
occitan

références apophonie
ăb + lă
ăbluō (u = uv)


ad + că
accĭdō
voir empr. accidènt

ILLL:28
am(bi) + căpŭt anceps


FL:269
ăv(em) + căpĭō
aucŭpō



cum + damnō
condemnō AO condemnar

GCLC:42
cŭm + făcĭō,
cŭm + făctŭs
confĭcĭō
confĕctŭs
confir
AO confiech "dragée"

ACAL:223, ILLL:28
cŭm + spĕcĭō,
cŭm + spĕctŭs
conspĭcĭō
conspĕctŭs


ILLL:108
dē + scăndō
dēscĕndō
descèndre

ACAL:223
dĭs + făcĭlĭs
dĭffĭcĭlĭs
empr. AO difficil

ex + ărcĕō
exĕrcĕō
empr. exercir

ACAL:223
in + aequus
ĭnīquus AO enic


in + ămīcus
ĭnĭmīcus AO enemic

GCLC:41
in + căstus
incĕstŭs AO encestus

GCLC:42
in + ĕgēns
*ĭnĭgēns > ingēns

NCMA
in-săpĭdus
   insĭpĭdus empr. AO insipid

GCLC:41
in + pă
impĕrō
AO imperar
 "commander"

ACAL:223
Jŏv(is) pătĕr Jūpĭtĕr empr. AO Jupiter
GCLC:41
ob + căpĭō
occŭpō, occĭpĭō (1) empr. ocupar

ACAL:223
ob + căpŭt
occĭpŭt
empr. occiput


ob + săcrō
obsĕcrō
AO obsecrar
"supplier"

ILLL:28
rĕ + căpĕrĕ
rĕcŭpārĕ empr. recuperar

rĕ + stătŭĕre
rĕstĭtŭĕre empr. restituir

rĕd + dămus
rĕd + dătus
(rĕd + dāre)
rĕddĭmus
rĕddĭtus
(rĕddĕre)
AO rȩdre
"rendre"

RHEIIL:288
sŭb + stătŭĕre
sŭbstĭtŭĕre
empr. substituir


tri + ann(u)ālis
triennālis
AO trienal


Tableau ci-dessus. Exemples d'apophonies par formation de mots composés.


(1) Pour l'explication de la divergence occŭpō, occĭpĭō, voir ci-dessus.





B. Emprunts au grec (et autres langues)


Les études ci-dessous sont notamment inspirées de DFALVI, PCADEG ; je donne parfois des opinions personnelles qui utilisent mon raisonnement ci-dessus. Il faut signaler que certains mots ont une origine grecque mais entrent dans la composition latine, par exemple ci-dessous percŏlŏpāre.


Par ailleurs, certains mots qu'on a longtemps crus représenter des exceptions aux apophonies ont dû présenter des apophonies orales, dont on n'a pas retrouvé de traces à l'écrit, car leurs descendants actuels dans les langues romanes montrent des apophonies. Par exemple : ostrakon.



Alalíê > Alĕrĭă "Aléria", ville de Corse

(eu-apophonie, ă > ĭ)

Άλαλίη (Alalíê) > Alĕrĭă (PCADEG:202). Le nom est très ancien, donc on peut proposer une eu-apophonie (bien que le lien de filiation du grec au latin ne soit pas évident, voir l'étymologie de Marselha) (PCADEG:198,199). Par ailleurs le basculement de l'accent sur la voyelle apophonique révèle une eu-apophonie (mots de type Măssĭlĭă).



amygdálê > ămĭddŭlă "amande"

(2e syllabe : eu-apophonie ? /u/ > ĭ ; 3e syllabe : néo-apophonie, ă > ŭ et / ou attraction par le suffixe -ŭla).


amycdala non amiddula (Prob,140)


ἀμυγδάλη (amygdá) > ămygdălă "amande", puis amiddula (Prob). (DFALVI:14,16) : Le phonétisme de amiddula "avec prononciation itacisante de l'upsilon grec et assimilation consonantique grecque tardive de -γδ- en -δδ-, interdit d'y voir une forme ancienne".

Il faut distinguer la 2e et la 3e syllabe :

- 2e syllabe : il me semble qu'on ne peut pas éliminer si facilement l'hypothèse d'une eu-apophonie : une forme eu-apophonique *ămĭgdălă, avec un ĭ apophonique, est possible (/u/ > /i/). L'autre solution est, comme le dit DFALVI:14,16), une forme populaire tardive avec υ grec prononcé /i/.

- 3e syllabe (ă > ŭ) : la position en 3e syllabe, post-tonique dans le cadre de l'accent latin classique, semble typique des néo-apophonies (ou bien il y a eu attraction par le suffixe -ŭla). 


La forme ămĭddŭlă est probablement l'étymon de oc amela, amenla. Je pense qu'elle a pu suivre une évolution très voisine du type spăthŭlăm > espala, espanla. Étudier aussi l'attestation amyndăla (Not. Tir., 105, 27 ds TLL s.v., 2029, 72, voir CNRTL "amande").



aspháragos > aspărĭgus "asperge"

(néo-apophonie, ă > ĭ)

ἀσφάραγος (aspháragos) > aspărăgus ; (a)sparigus, apargus (gloses) > oc espargue, fr "asperge".



*astrĭcŭm "pavement" : voir ci-dessous ostrakon.



baláneion > balĭnĕŭm, balnĕŭm "bain"

(eu-apophonie, ă > ĭ)

βαλάνειον (baláneíon) (1) > balĭnĕŭm > balnĕŭm > baneum > banh "bain". La variante balĭnĕŭm montre que l'accent a basculé sur la voyelle apophonique, donc elle provient d'une eu-apophonie (mots de type Măssĭlĭă). La variante balnĕŭm provient d'une syncope très ancienne, à la période de ces eu-aphonies.

(1) Pour baláneion, l'accentuation sur ά (βαλάνειον) est tirée de RHEIIL:288.



cannabis, voir ci-dessous kánnapis.

castanea, voir ci-dessous kastáneia.

cĕrĕsĭă, voir ci-dessous kerásion.




cĭtĕră "cithare"

(apophonie ambiguë, ă > ĕ)

κιθάρα (kithára) "cithare" > cĭthără > citera Prob (DFALVI:13)

cithara non citera (Prob)


cŏlŏpŭs "coup"

(eu-apophonie, ă > ŏ)

κόλαφος (kólaphos) "soufflet (gifle)" > cŏlăphus Plaute, cŏlŏpŭs ; percŏlŏpāre "frapper" (DFALVI:14, PCADEG:202, 204). La valeur latine [p] de φ montre que l'emprunt au grec s'est produit avant le IIIe siècle avant J.-C. (φ > p) ; j'estime que c'est un bon argument pour rattacher ce mot aux eu-apophonies.



cŏlŏssæum > cŏlĭsēŭm "Colisée"

(sans doute néo-apophonie, ŏ > ĭ)

κολοσσιαῖος (kolossiaîos) > cŏlŏssæum > coliseum ; cette dernière forme est utilisée dans un texte de Bède. La forme est certainement plus ancienne, mais il y a quand même bien peu de chances qu'elle remonte au latin archaïque.



fĭŏlă : voir ci-dessous phialê.



ilarós > hĭlĕrŭs "gai"

(apophonie ambiguë, ă > ĕ)

ἱλαρός (hilarós) > hĭlărŭs, hĭlĕrŭs (PCADEG:202)



*kánnapis "chanvre"


Le latin cannăbĭs est emprunté au grec κάνναβις (kánnabis) ; il y avait aussi la forme *kánnapis FEW (2:213b). Elle est imposée notamment par les formes conupis (Marcellus Emp.), et par l'occitan actuel canebe (p > b). L'étymon de base serait d'origine syrienne, à éclaircir (*kanna + piš) (FEW 2:213b).


kastáneia > castĭnĕă "châtaigne"

(eu-apophonies, ă > ĭ, possiblement perturbée par une dilation par a de la première syllabe)

καστάνεια (kastáneia) > castănĕă, castĭnĕă (gloses) "châtaigne".

(carya kastaneia > nucem castaneam "noix châtaigne"). F. Biville considère castĭnĕă comme une forme tardive (PCADEG:190). Mais l'accent a basculé sur la voyelle apophonique, donc c'est un mot de type Măssĭlĭă : il doit être issu d'une eu-apophonie. Le cas est semblable à cĕrĕsĭă ci-dessous. L'étymon le plus répandu en Romania, castănĕă, peut être interprété comme la variante fidèle au type grec, ou bien comme une perturbation de l'apophonie par dilation par a de la première syllabe.


kerásion > cĕrĕsĭă "cerise"

(eu-apophonies, ă > ĭ avec dilation par ĕ de la première syllabe)

κεράσιον (kerásion) > cĕrăsĭŭm (Columelle), cĕrĕsĭŭm (Marcellus Emp.) et avec pl.n.>sing.f. ; cĕrăsĭă (Celse), cĕrĕsĭă (Anthime, gloses in PCADEG:202). Dans cĕrĕsĭŭm, l'accent a basculé sur la voyelle apophonique ; on a donc une eu-apophonie (mots de type Măssĭlĭă). Cette forme doit donc être ancienne, antérieure à l'an -350 ; c'était l'une des deux formes populaires, alors que les auteurs latins n'écrivaient que cerasium. Elle est d'ailleurs attestée par ses descendants dans de nombreuses langues. Le cas est semblable à castĭnĕă ci-dessus. La variante cĕrăsĭă, fidèle au type grec, a donné it.mér. tʃerasə et le sarde kerasa. Par contre it ciliegia, pr cerieisa, fr "cerise", rou cireașă, proviennent de la variante apophonique cĕrĕsĭă. Voir notamment diphtongaison conditionnée.



lapsána > lapsănă, lampsănă "[plantes] Raphanus raphanistrum (ravenelle) ; Raphanus landra (ravenelle, radis sauvage) ; Crambe tatarica (sorte de chou)".

(apophonie ambiguë, ă > ĭ)

λα(μ)ψάνη (la(m)psá) > lapsănă > *lassĭnă ? > lassena "moutarde sauvage".



monakhós > mŏnĭchŭs "moine"

(apophonie ambiguë, ă > ĭ)

μοναχός (monakhós) "ermite" > mŏnăchŭs ; monichus (certaines inscriptions de Gaule) (DFALVI:14) 

 

*olĭfās, -antĭs



ostrakon > *astrĭcŭm "pavement"

(apophonie ambiguë, ă > ĭ)

ὄστρακον (ostrakon) "vaisselle ; tesson" > ostrăcŭm "fragment de poterie", astrăcŭm "dalle ; dallage", *astrĭcŭm > it lastrico "pavement", fr "âtre" (PCADEG:202, DFALVI:14)


phialê > fĭŏlă "fiole"

(apophonie ambiguë, ă > ŭ contrariée par l'attraction par le suffixe -ŏlă)

φιάλη (phiá) > phĭălă "coupe" > lat.tard. fiòla "fiole" (DFALVI:14 : a > o après hiatus ; CNRTL : substitution de -ola à -ala)




sêsamon > sēsŭma "sésame"


σήσαμον (sêsamon) > sēsŭma Plaute "sésame"


skúbalon > squĭbŭlă "excrément durci"

(probablement néo-apophonie, ă > ŭ)

σκύβαλον (scúbalon) > scybălă "excrément", puis squibula "excrément durci" (gloses). La variante squibula "se révèle être triplement vulgaire et tardive" (DFALVI:14). En effet qu était déjà prononcé k, l'upsilon grec était prononcé i et non u, (et ? pourquoi "triplement" ?)


Tártaros > Tărtĕrŭs "le Tartare, les Enfers"

Τάρταρος (Tártaros) > Tărtărŭs > Tărtĕrŭs (selon Consentius, qui le considère comme un barbarisme) (DFALVI:13) (ă > ĕ devant r)





ă > ŏ devant l pinguis, cas particuliers :


- avec dilation par o antécédent :


κρόταλον (krótalon) "castagnettes, etc." > crŏtălŭm > crŏtŏlāre "craqueter (en parlant du cri des cigognes)" (DFALVI:14) ;



ŏ > ĭ (évolution irrégulière)

ὡρολόγιον (hōrológion) > hōrŏlŏgĭŭm, (h)ōrĭlŏgĭŭm (PCADEG:202) > oc relòtge "horloge".




grec
latin LPC
occitan
références apophonie
Άλαλίη (Alalíê)
Alĕrĭă
("Aleria" ville de Corse) LG1:74
ἀμυγδάλη
(amygdá)
amygdala, amiddula
amela "amande"
ἀσφάραγος (aspháragos)
aspărăgus ; (a)sparigus, apargus (gloses)
espargue
DFALVI:19
βαλάνειον (baláneíon) (1)
balĭnĕŭm > balnĕŭm > baneum
banh "bain" LG1:74
ἑλέφας, -αντος
(elephas, -antos)
*olĭfās, -antĭs (2)
AO olifan, (a.fr. olifant)  "éléphant"
EL:89
ἐπιστολή (epistolê)
ĕpistŭla
AO pistola "épître, lettre"
PCADEG:190
καμάρα (kamára)
cămĕră
cambra "chambre"
LG1:74
καστάνεια (kastaneia) *castĭnĕă (3)
*castenha >
pér chastinha "châtaigne"
Dérom
κερασία, κεράσιον (kerasia, kerasion)
*cĕrĕsĭă (4) cerieisa "cerise"
DELL:114,
CNRTL

μαχανά (machaná) māchĭnă
machina "machine"
PCADEG:190
Mασσαλία (Massalía) Măssĭlĭă
Marselha "Marseille"
GLS:320, ATHD:10
Τάρας, -αντος
(Táras, -antos)
Tărĕntŭm
("Tarente", it. Taranto)
GLS:320
σήσαμον (sésamon)
sēsŭma Plaute "sésame"
PCADEG:192
Σικελία (Sikelía)
Sĭcĭlĭă
"Sicile"
ATHD:10
σικελός (sikelós)
sĭcŭlŭs
("sicilien")
LG1:74
στραγγαλόω (strangalóô)
strangŭlō
estranglar "étrangler"
LG1:74
τάλαντον (tálanton)
tălentŭm
talènt "talent"
PCADEG:190
τρυτάνη (trutánê)
trŭtĭnă "balance"

Tableau ci-dessus. Exemples d'apophonies par emprunt au grec.


(1) Pour baláneion, l'accentuation avec ά (βαλάνειον) est tirée de RHEIIL:288.
(2) Pour elephas > *olifas, EL:89 n'explique ni ἑ > o, ni ĭ > i des langues romanes.
(3) Pour kastaneia (carya kastaneia > calque nucem castaneam "noix châtaigne") les auteurs ont discuté sur l'ancienneté relative des deux variantes latines castănĕă et castĭnĕă. Dérom (26/01/2017) estime que la variante *castĭnĕă est plus récente. Louis Deroy (EL:89) considère au contraire castănĕă comme une correction savante de castĭnĕă, donc plus récente. 
(4) Pour kerasia > *cĕrĕsĭă, les auteurs n'expliquent pas le ĕ au lieu de ĭ attendu en deuxième syllabe.







V. Réflexion : des brèves internes toutes apophoniques ?
  


Ce titre exprime le questionnement sur l'extension d'une règle, l'apophonie, qui aurait pu ou dû s'appliquer dans tous les cas favorables (voyelles brèves internes).





A. Exceptions à l'apophonie en latin classique
   


1. Mots du fonds latin sans apophonie
   

Voir ci-dessus Évolution à partir du proto-italique.


ŏ devant r (au lieu de l'apophonie ĕ devant r) (ÉVBLSI:54-55)

Il s'agit de la série des neutres de la troisième déclinaison, de type cŏrpus / cŏrpŏris. Dans cette déclinaison, tous les cas (à part nominatif et accusatif) ont ŏr et non ĕr en deuxième syllabe. "On admet que l'analogie s'est exercée du NAcc.sg. sur les autres cas : temporis devrait son -o- à *tempos." (ÉVBLSI:54). L'auteur ne discute pas de la chronologie par rapport au rhotacisme (s > r).



(temporis / -ilis : ÉVBLSI:54-55),




Composition où il n'y a pas apophonie :


- Composition résistante à l'apophonie :

Dans ÉVBLSI:53-54, Robert Godel estime que dans impătĭens "qui ne peut pas supporter", expĕtō "je désire"..., l'apophonie ne s'est pas réalisée en raison de l'analogie avec les étymons (avec pătĭens "qui supporte", pĕtō "j'atteins"...).  Mais il ne développe pas de processus, ni de chronologie.


D'après PVRL:235... , l'influence des formes du parfait aurait pu permettre à certains verbes composés de résister à l'apophonie.


- Composition tardive :

D'après PVRL:239 : pour antehabeō et posthabeō par rapport à inhibeō, perhibeō : antehabeō est attesté seulement tardivement (Tacite) et a un sens proche du simplex habeō ; posthabeō "j'aime moins" est également attesté tardivement (Térence, mais cet auteur n'est pas si tardif !), CIL II 6278.23 post havita (écrit en deux mots) pourrait indiquer que les deux éléments n'étaient pas phonologiquement univerbés, c'est-à-dire qu'ils pourraient conserver leur accent propre (póst-hábeo).

Pour -faciō par rapport à -ficiō (conficiō) : satisfaciō est parfois écrit en deux mots, comme post-habeō ci-dessus.

(D'après Balles 2006, Die altindische Cvi Konstruktion in PVRL:239) : cal(e)faciō "rendre chaud", ār(e)faciō "rendre sec" pourraient être également issus d'une univerbation tardive, ainsi on observe plusieurs cas de tmèse pour ces verbes dans Caton l'Ancien, Varron et Lucrèce.



b. Mots latins empruntés au grec sans apophonie
   

Dans le cadre de tout le raisonnement précédent, une série de mots auraient dû subir l'apophonie mais ils ne l'ont pas subie. Il s'agit donc de "mots qui n'offrent jamais de fermeture de leur voyelle brève intérieure, bien qu'il s'agisse de termes anciens et usuels, attestés dès les premiers textes latins et demeurés dans les langues romanes" (PCADEG:190).


Il faut tout de même préciser que la liste des mots est "à géométrie variable". Par exemple pour la(m)psánê "plantes de type radis sauvage", certaines langues romanes conservent le a



Causes proposées pour expliquer ces exceptions


- Dilation par a antécédent

(PCADEG:201). Voir dilation.



- Conscience normative

(maintien de la forme grecque)





"Exceptions" à l'apophonie :


grec
latin LPC
occitan
références apophonie
a
ă
a

ἄβαξ, -ακος
(ábax, ábakos)
ăbăcus
empr. AO abac "arithmétique" PCADEG:190
ἁρπάγη, -ης
(arpágê, -ês)
harpăgō
arpion "griffe, orteil" (1) PCADEG:190
ἱλαρός (ilarós)
hĭlărus
(AO ilaritat)
PCADEG:190
λαμπάς, -άδος
(lampás, -ádos)
lampăs / -ădĭs
AO lampa "lampe",
it lampada
PCADEG:190
λα(μ)ψάνη
(la(m)psá)
la(m)psănă
NPRA:138
lassena
"moutarde sauvage"





Tableau ci-dessus. Emprunts au grec : "exceptions à l'apophonie".


(1) Pour arpágê, oc arpion, ainsi que it arpione me semblent témoigner quand même d'une ancienne forme "apophonique" *arpĕgōnĕ ou *arpĭgōnĕ (FEW 4:384a-385a).






B. Mots apophoniques "cachés" du latin vulgaire
  

Il a dû exister une opposition entre le latin classique, où certains mots ne suivaient pas l'apophonie, par exemple : harpăgō < ἁρπάγη (arpágê), et le latin vulgaire, en grande partie caché, où l'apophonie était largement plus répandue, voire généralisée. Par exemple, certains mots actuels comme arpion, "arpion" (< harpăgōnĕm) proviennent sans doute d'une forme vulgaire *harpĭgōnĕm (FEW 4:384a-385a). Le schéma vocalique aurait donc évolué ainsi en latin vulgaire :

harpăgō : ă-ă-ō > ă-ĭ-ō    /    harpăgōnĕm : ă-ă-ō-ĕ > ă-ĭ-ō.


Concernant les mots latins d'origine grecque, ce peut être leur doublet savant, plus proche du grec, qui est connu dans les sources écrites.

(PCADEG:203) : "On peut penser que les textes présentent une forme officielle, savante, transcrite du grec, mais que parallèlement existait une forme populaire, orale, soumise aux lois de la phonétique latine, qui n'aurait pas eu l'occasion d'être enregistrée avant l'époque impériale. Les formes anciennes, vulgaires, seraient demeurées cachées jusque-là."




À partir de mots romans actuels ou anciens, on peut mettre en évidence un système de type apophonique en latin vulgaire, assez développé et non écrit :


a. Lettre ĭ

Voir Antoine Thomas (EPF:214-216) où il énonce sa loi "A posttonique dans les proparoxytons s'est affaibli en e dès la période primitive", avec de nombreux exemples.


ălăpăm "soufflet (gifle)" > *alipam > a.g. alęp "fracture d'un membre", g alèp "fracture de membre ; blessure grave" (FEW 24:289b). Peut-être basculement d'accent d'abord dans *ălăpăt > *ălipăt > a.g. alęba, g aleba ou alèba ? "il blesse, il estropie"


(or. étrusque) găbătăm > *găbĭtăm  (> b. lat. gabida in CNRTL) > AO gauda, gaveda, gaveta, "jatte" (FEW 4:13, CNRTL "jatte").


hebdŏmăs (< ἑβδομάς), acc hebdŏmădă (< ἑβδομάδα) > a.flor. édima, Brescia dema, "semaine" (FEW 4:395) ; en composition : a.tosc. mezzedima, a.sien. mezzerima,


lapsănă(m) > *lapsĭnă > lassena > (basculement d'accent) lassena "moutarde sauvage)


mŏnăcăm > mŏnĭcăm > AO mọnga, mọnja, mọrga / monega / mọina "moniale"   ;   mŏnăcŭm > mŏnĭcŭm > AO mọngue, mọrgue, mọnge / mọnegue / mọine "moine".


răphănŭs(m) > rave, rafe (influence savante selon Ronjat)


Rhŏdănŭ(m) > *Rŏdĭnŭ > *Rodeno > Ròden > Ròse "Rhône" (je pense que le -e provient d'un -i- apophonique ; si le -a- s'était conservé, on peut penser qu'on aurait eu un aboutissement Ròsa ou Ròso).


Stĕphănŭ(m) > Estève "Étienne" ; Stĕphănă(m) > Estevena


*vervecarius > berbicarius (année 698, et Reichenau) (> oc bergier, a.fr. bergier > "berger")






Cette apophonie s'oppose en partie à deux autres théories concernant l'évolution des proparoxytons : la syncope suivie d'une anaptyxe (*Rodno > *Rodeno), et la neutralisation en e (Rodeno).




b. Lettre ŭ (devant "labiale")

Ici je traite de ŭ apparu devant l (l pinguis ?).


Voir Antoine Thomas sur l'occitan (EPF:217) :

"Mais parfois, au lieu d'un e, on trouve un o, qui est évidemment dû à l'influence labialisante de l : amendola de amygdala, brufol (n.i.a. : Raynouard ne donne qu'un exemple de brufol; on peut y ajouter Chans. des Albigeois, 1954 et Esther, 145.) à côté de brufe, cimbol de cymbalum, escandol de scandalum, Javols de Gabalis, et les noms géographiques comme Marvéjols (Lozère, Gard), Seneujois (Haute-Loire), Vernégheol (Puy-de-Dôme), etc., dont la terminaison répond à un type primitif oialum."


Par ailleurs, notamment en Italie et dans le canton de Vaud (beaucoup moins dans le domaine occitan) :


Le système -bilis en latin a dû se prononcer -bulis :

-bilis > italien -vole (laudābĭlĕm > lodevole, piacevole...)

ancien vaudois -ivol "étendu à toutes les conjugaisons" (DOM abominivol, abondivoln noncrezivol...), AO -evol très étendu en italien (< -ᴇ̄ʙɪ̆ʟᴇ, -ɪ̆ʙɪ̆ʟᴇ) (DOM agradevol, agradivol, agradavol...)...

AO aul, avol (< habilis ? ou bien < grec aboulos, voir FEW 24:46b)

debilem > AO dẹvol "faible, infirme"

flebilem > AO frẹvol, frẹul, frẹule "faible"

laudābĭlĕm > AO lauzẹvol
















C. Permanence tardive de l'apophonie devant labiales ? (type siblar / sublar)
   

En occitan notamment, une série de mots montrent une tendance à la "labialisation" : i, e, o > [u] devant consonne labiale ("Labialisation"). Cette évolution peut être rapprochée de l'apophonie devant b, p, f, m (et devant v) ci-dessus : j'y vois volontiers la persistance d'une tendance phonétique à travers les siècles.


Par exemple : sībĭlāre  > oc siblar / sublar "siffler", ŏpācŭm > oc ubac "ubac".


On peut citer aussi en français : m.néerl. ringband > a.fr. riban /ruban "ruban" (de même en occitan, d'ailleurs il me semble qu'on ne peut pas exclure que fr "ruban" soit d'origine occitane).


Également en italien, on peut mettre en évidence la tendance e > [ó] :  dē‎ mānĕ > domani "demain", dēbērĕ > dovere "devoir"... ("Labialisation").


On peut se questionner sur les différences avec les néo-apophonies latines :


- Certes de nombreux mots occitans concernés montrent une voyelle labialisée en position prétonique, mais pour d'autres, c'est la voyelle tonique qui est affectée : krepja > grepia / grupia "crèche (mangeoire)", feminam > fema / fuma, fruma "femme"... : ce fait n'existe pas pour les apophonies latines. Cependant dans ces derniers cas, la voyelle concernée semble avoir été entravée (femna, krepja...) : elle n'aurait donc jamais été longue, mais toujours brève, comme la voyelle apophonique latine.


- (chercher d'autres différences)