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Évolution des voyelles latines ă, ā, ĕ, ē, ĭ, ī, ŏ, ō, ŭ, ū (mutation vocalique, accent...)
21-03-2025
 

Schéma général de la mutation vocalique pour les voyelles toniques (dans la Romania occidentale + Italie centrale) :


Pour les voyelles atones, voir ci-dessous fermeture des atones.



ā, ă > /a/     (ci-dessous)


ĕ > /è/     (ci-dessous)


ĭ, ē > /é/     (ci-dessous)


ī > /i/     (ci-dessous)


ŏ > /ò/     (ci-dessous)


ō, ŭ > /ó/     (ci-dessous)


ū > /ʋ/     (ci-dessous)







I. Les voyelles latines et l'accent latin


A. Les voyelles latines : importance de la quantité vocalique

La quantité vocalique est la longueur des voyelles : elles sont prononcées avec une durée longue, ou courte.



1. Le système vocalique latin

a. Description du système vocalique latin


- Le système vocalique latin était très différent du nôtre, car la quantité vocalique était un trait dominant dans le rythme des mots, des phrases (dans la langue parlée), et dans la scansion (dans la langue littéraire). Il s'agissait de la prononciation de voyelles longues et brèves. Pourtant, aucun procédé graphique ne notait cette quantité vocalique (sauf exceptions, décrites ci-dessous) : elle était considérée comme évidente.


(TMLC:2-3) "La succession régulière d’une longue et d’une brève, — ᴗ — ᴗ..., d’une brève et d’une longue, ᴗ — ᴗ —..., d’une longue et de deux brèves, — ᴗ ᴗ— ᴗ ᴗ..., ou toute autre combinaison, constituait un rythme auquel l'oreille des anciens était extrêmement sensible. S'il arrivait, nous dit Cicéron (De or. III, 196), qu'un acteur fît une faute de quantité en débitant son texte, l’auditoire ne lui ménageait pas les huées."


- On peut considérer qu'il y a dix voyelles latines :


- cinq longues : ā ē ī ō ū (prononcées avec une longue durée)

- cinq brèves : ă ĕ ĭ ŏ ŭ (prononcées avec une courte durée)


- on peut rajouter le son [u] (API : [y]) pour la voyelle d'origine grecque y (y̆, ȳ) qui était prononcée ainsi par les lettrés, mais qui a été assimilée à i ou u en langage populaire (PHF:137). Voir par exemple les mots issus du grec de Marseille : empurar (< pyr "feu"), estubar (< typhein), nerta (< myrtos).


- Les quantités vocaliques d'un mot déterminaient "l'accent" selon les règles ci-dessous. Par exemple : ănĭmăl, ănĭmālĭs (l'accent tonique est souligné).


- Au niveau du timbre, toutes les voyelles étaient prononcées "assez fermées", ou selon d'autres auteurs (ex. : IPHAF:94) elles étaient "de timbre moyen (ni ouvertes, ni fermées)", aussi IPHAF:175. Mais au moins dès le Ier siècle après J.-C., le latin populaire conférait une certaine ouverture aux brèves, et une certaine fermeture aux longues (ci-dessous : étude diachronique des timbres vocaliques).


- Par ailleurs quatre diphtongues latines ont existé ; elles ont chacune la valeur d'une voyelle longue : æ [ai̯], œ [oi̯], au [aʋ̯], eu [eʋ̯]. Voir diphtongues latines (et grecques).






b. Origine des voyelles latines


- Les voyelles latines, avec leurs quantités vocaliques, sont issues de l'indo-européen (pr-i-e) (PHF-f2:177, IPHAF p. 94).


PHF-f2:177 : "La quantité du latin classique est essentiellement "étymologique" : on a une voyelle longue là où en indo-européen on avait soit une voyelle longue, soit une diphtongue. Dans le cas contraire, la voyelle latine est brève."


L'auteur donne des exemples, parmi lesquels :


Ci-dessous les liens Wikipédia pour le pr-i-e montrent par exemple *méh₂tēr pour *mātēr "mère" ; la forme *méh₂tēr est une forme avec un plus grand degré de précision, avec éh₂ > ā, voir les explications à : *méh₂tēr .


Exemples pour les voyelles longues :

ā : *māter > lat māter "mère" ;

ī : *deiko > lat dīcō "je dis".


Exemples pour les voyelles brèves :

ĕ : *bhĕro > lat fĕrō "je porte" ;

ŏ : *ŏkto > lat ŏctō "huit".


En pr-i-e, la voyelle *ě, ou parfois , est le "degré plein", la voyelle *ǒ est le "degré fléchi", l'absence de voyelle est le "degré zéro". Il existe aussi le "degré plein allongé" () et le "degré fléchi allongé" () (structure de base de la racine, universalis.fr).    


- Cependant dans l'histoire du latin, de nombreux réarrangements ont eu lieu (apophonies, allongement compensatoire, etc.).


- De même les diphtongues latines sont issues de l'indo-européen, voir diphtongues latines (et grecques).



c. La mutation vocalique


Du premier au cinquième siècle après J.-C., le système vocalique latin avec ses voyelles longues et brèves, évolue vers un système où le trait dominant est l'accent d'intensité, l'accent tonique. Ce phénomène s'accompagne d'un changement du timbre des voyelles.


La mutation du système vocalique latin revêt ainsi deux aspects (IPHF:42-43) :


- une mutation de la quantité vocalique : la quantité étymologique (voyelles brèves et longues, issues de l'indo-européen) disparaît, au profit de la quantité liée à l'accent tonique : la voyelle qui porte l'accent devient ou reste longue, si elle n'est pas entravée ; les autres deviennent ou restent brèves (ci-dessous mutation de la quantité) ;


- une mutation de la qualité vocalique, c'est-à-dire du timbre des voyelles : des voyelles plus ouvertes ou plus fermées (ci-dessous mutation du timbre).


Ces aspects sont développés ci-dessous.






2. Connaissance des quantités vocaliques latines
   
a. Comment connaît-on les quantités vocaliques latines ?
     
α. Procédés directs
    
α1. Rares cas d'utilisation de procédés graphiques chez les latins
   

Les romains n'utilisaient pas de procédé pour noter les voyelles longues et brèves, sauf dans certaines rares inscriptions, où les scribes ont noté les longues, notamment au moyen de l'apex.


Remarque : le fait de noter seulement les longues a été repris dans certains ouvrages contemporains, au moyen du macron ◌̄ (ci-dessous).



Attestation antique :

L'extrait de Quintilien ci-dessous montre que pour les latins, la quantité des voyelles était évidente, ce qui les dispensait de la noter. C'est seulement pour lever les ambiguïtés que le grammairien conseille l'emploi de l'apex pour signaler les longues. Noter les voyelles longues pouvait même paraître rabaissant. Les brèves, elles, n'étaient jamais signalées comme telles.


(Quintilien, Institutio, 1, Caput VII.) Nunc, quoniam diximus, quae sit loquendi regula, dicendum, quæ scribentibus custodienda, quodl Græci ὀρθογραφία vocant, nos recte scribendi scientiam nominemus. Cujus ars non in hoc posita est, ut noverimus, quibus quæque syllaba litteris constet (nam id quidem intia grammatici officium  est), sed totam, ut mea fert opinio, subtilitatem in dubiis habet : ut longis syllabis omnibus apponere apicem ineptissimum est, quia plurimæ natura ipsa verbi, quod scribitur, patent : sed interim necessarium, quum eadem littera alium atque alium intellectum, prout correpta, vel producta est, facit : ut malus, utrum arborem significet, an hominem non bonum, apice distinguitur ; palus aliud priore syllaba longa, aliud sequenti significat; et quum eadem liltera nominalivo casu brevis, ablativo longa est, utrum sequamur, plerumque hac nota monendi sumus.


(traduction QPLJ:32) "Nous avons exposé les règles qu'il faut observer en parlant : passons à celles qu'il faut observer en écrivant. Ce que les Grecs appellent ὀρθογραφία [orthographía], nous l'appelons l'art d'écrire correctement : art qui ne consiste pas à connaître de quelles lettres se compose chaque syllabe (ce qui serait même au-dessous de la profession du grammairien), mais qui, selon moi, consiste uniquement à éclaircir l'ambiguïté des mots. Sans doute ce serait une ineptie que de marquer d'un accent toutes les syllabes longues, la plupart se reconnaissant facilement pour telles par la nature même du mot qu'on écrit ; mais quelquefois cet accent est nécessaire lorsque la même lettre donne lieu à un sens différent, selon qu'elle est brève ou longue, comme dans malus, où l'accent indique s'il s'agit d'un arbre ou d'un homme méchant [mālus "pommier" / mălus "méchant"], et dans pālus, qui a deux significations, suivant que la première ou la seconde syllabe est longue [pālus "poteau" / palūs "marais"] ; et comme la même lettre est brève au nominatif et longue à l'ablatif [rosă / rosā], cette marque est ordinairement nécessaire pour indiquer si c'est l'un ou l'autre qu'il faut entendre."



Je cite ci-dessous Max Niedermann.

(PHL4:7-8, Remarque II) :

« La quantité longue des voyelles n'est jamais marquée dans les textes manuscrits. Dans les inscriptions, on la trouve indiquée de façon tout à fait sporadique et capricieuse par divers procédés, à savoir :

1. au 2e et 1er siècle av. J.-C., à l'imitation d'un usage pratiqué par les Osques, par le redoublement du signe vocalique (à l'exception de l'i, voir plus loin), par exemple paastores CIL:I2, 638 (de l'an 132 av. J.-C.), arbitratuu I2, 584, 26 (de l'an 117 av. J.-C.) [...] [voir ci-dessous, où le procédé a été utilisé aussi en ancien béarnais] ;

2. dès  la fin du 2e siècle av. J.-C., avec une fréquence particulière sous l'Empire, par l'apex, espèce d'accent, placé au-dessus des voyelles (sauf i, voir plus loin), par exemple múrum I2, 679 (de l'an 104 av. J.-C.), probáta, diés, fécit, órnatum, júdicium etc. CIL I2, 1570 (1er siècle av. J.-C.), beaucoup d'exemples dans le Res gestae Divi Augusti, le monument d'Ancyre (ainsi appelé parce que la meilleure copie, par laquelle cette inscription nous est parvenue, a été trouvée à Ancyre, l'actuel Ankara), I. 1 annós undéviginti, I, 1/2 privatá impensá comparávi, I, 27 senátús etc., et dans un discours, prononcé par l'Empereur Claude devant le sénat en 48 et conservé par une plaque de bronze, trouvée à Lyon, CIL XIII, 1668, 1. 8 réges, 1.10 veniéns, 1.11. Ancó Márcio, 1. 21 Etrúriá ;

3. ī soit par ei, après que l'ancienne diphtongue ei eut passé à ī (voir ei > ī), depuis le 2e siècle av. J.-C. jusque sous l'Empire, soit par l'i longa, c'est-à-dire un i dépassant par en haut le niveau des autres lettres [voir aussi i longa utilisée comme yod] ;

- par exemple fecei, meila, fugiteivos, CIL I2, 638 (de l'an 132 av. J.-C.), audeire CIL I2, 583, 71 (de 123/122 av. J.-C.), inveisa, veiginti, veitae CIL I2, 1570, ceivitates CIL V, 7231 (de l'an 17 av. J.-C.), dans les inscriptions pariétaires de Pompéi [Pomp], par exemple eidus CIL IV, 2437, 3882, veivant CIL IV, 2457,

- d'autre part (Sullae) FELICI CIL I2, 721 (de 82/79 av. J.-C.), CIVES ROMANI CIL I2, 836 (de la fin de la République), souvent dans le monument d'Ancyre, par exemple I, 10 EXPVLI, I, 14 CIVIBVS PEPERCI, I, 15 EXCIDERE, et dans le discours de l'Empereur Claude de 48, CIL XIII, 1668, l. 2/3 PRIMAM, l. 10 SABINIS, VICINVS, etc. ; LIBERIS CIL XIV, 3608 (1er siècle ap. J.-C.). »






α2. Quelques indications de grammairiens
   

Pour certains mots, les grammairiens de l'Antiquité ont décrit la quantité vocalique. Voir par exemple l'extrait de Quintilien ci-dessus.


Ce sont aussi les quantités controversées de voyelles devant groupes consonantiques qui sont étudiées par les grammairiens latin. Notamment Aulu-Gelle. Voir l'étude de HHLLVAG:375 ; l'auteur pense voir dans les propos d'Aulu-Gelle "les symptômes qui annoncent un changement des plus importants en latin, je veux dire la perte de la valeur distinctive de la quantité vocalique". Cependant les exemples étudiés par Aulu-Gelle ne montrent pas, selon moi, de tels symptômes, mais plutôt des hésitations légitimes de latinisants liées à l'opposition entre la règle 3 de l'accent classique,


quĭescĕrĕ
   

quĭescō "je me repose"

(PAAG:546, archive.org) : Aulu-Gelle (7, 15) explique assez longuement que deux de ses amis érudits défendent chacun une position différente sur la quantité de e dans quiesco "je me repose". Voici les deux positions :

- En faveur de e long : le premier ami érudit "dit qu'il fallait prononcer quiescit ["il se repose"], comme on prononce calescit ["il s'échauffe"], nitescit ["il devient luisant"], stupescit ["il s'étonne"], et d'autres mots semblables. Il ajouta que l'e de quies ["repos"] était long et non bref."

- En faveur de e bref : pour le second ami érudit, prononcer quiesco avec e long est "étrange et bizarre", "ce verbe n'est pas semblable aux verbes précédemment cités", et "quies, au lieu d'en être la racine, n'en est que le dérivé." Et cet érudit décrit une origine grecque (ἔσχον).

Commentaires : Ainsi au IIe siècle après J.-C., selon le témoignage d'Aulu-Gelle, une hésitation existe sur la quantité de e dans quiesco. Le verbe quĭescĕrĕ "se reposer" fait partie des verbes en-scĕrĕ, qui ont normalement tous une voyelle longue devant le suffixe (explication ?). Par ailleurs on peut citer l'adjectif de la même famille quietus, qui a bien donné fr "coi" (*quētus < quĭētŭs) ("quiet" est un emprunt → "inquiet"), AO qut (mais aussi quȩt ?), et le verbe quĭētārĕ > *quētārĕ > esp quedar "rester", queda "il reste" (et non quieda) : ces descendants romans actuels proviennent d'une forme latine avec e long. Mais l'apulien contemporain kwȩšere "satollare (rassasier)", FEW 2:1469a, semble provenir de la forme de quĭĕscĕrĕ avec e bref. Concernant les arguments étymologiques du second ami érudit ci-dessus, on peut aujourd'hui les infirmer (Wiktionary quiĕs).


actĭtō "je plaide souvent ; je joue souvent (au théâtre)"

(PAAG:575b, archive.org) :  Aulu-Gelle (9, 6) .




β. Procédés indirects
   


β1. Étude de la prosodie latine
  

L'étude de la prosodie latine par les latinistes a permis une bonne connaissance des quantités vocaliques latines : voir notamment l'hexamètre dactylique. Même si de nombreux textes sont écrits en prose, la prose est souvent métrique. Par exemple, dans GLTL, on trouve notamment un immense travail de compilation et de réflexion sur les quantités vocaliques.


Cependant, pour les voyelles en syllabe fermée, leur quantité ne peut pas être déterminée par cette méthode (bien que ces voyelles soient généralement brèves). Voir ci-dessous la notion de quantité cachée.


Juret:12, Benett...






β2. Étude des descendants romans
   

À partir de la bonne connaissance des quantités vocaliques latines. issue de l'étude de la prosodie latine, les linguistes ont induit les lois d'évolution des voyelles dans les langues romanes : voir ces lois ci-dessus pour les voyelles toniques en Romania occidentale. Par exemple :

pĭrăm > oc pera "poire" : ĭ > é ;

rīpăm > oc riba "rive" : ī > i.



En retour, l'étude des aboutissements dans les langues romanes a permis d'approfondir la connaissance des quantités vocaliques latines :

- en utilisant les règles de mutation vocalique énoncées dans cette partie ;

- en utilisant le fait qu'au cours des siècles, l'accent du latin a perduré dans les mots jusqu'à nos jours (ci-dessous) (ăsĭnŭm > ase "âne" => i était bien bref : ĭ, voir règle 3 ci-dessous).




β3. Étude des translittérations grecques
   

Les transcriptions grecques de noms latins permettent de reconnaître certaines quantités vocaliques latines, car l'alphabet grec possédait deux caractères différents pour ĕ (ε) et ē (η), de même pour ŏ (ο) et ō (ω [òː], ου [óː]) (PHL4:69 et Wikipédia anglais).






De très nombreuses quantités vocaliques sont accessibles dans le Gaffiot (DFL, aussi Gaffiot 2016). Certains sites précisent des quantités vocaliques non données dans le Gaffiot (DÉRom, DHELL) ; ils sont en cours de construction. Le Wiktionary anglais donne aussi parfois un état des connaissances sur un mot latin.





b. Quantités vocaliques non précisées dans le Gaffiot


Le Gaffiot (DFL) permet (dans tous les cas ?) de trouver l'emplacement de l'accent : il permet de déduire le poids syllabique de la pénultième (voir règle 3 de l'accent ci-dessous). Mais dans plusieurs cas de figure, il ne précise pas les quantités vocaliques, cas que j'énonce ci-dessous.



α. Voyelles devant groupes consonantiques (Gaffiot)

Cas général

Devant un groupe consonantique, les quantités dans DFL ne sont précisées que dans de rares cas. L'origine de cette imprécision est le problème des quantités cachées : dans l'étude de la prosodie (ci-dessus), on ne peut pas déduire la quantité des voyelles entravées. En effet la syllabe sera lourde (ci-dessous) dans tous les cas, que la voyelle soit longue ou brève. La notion de quantité cachée (hidden quantity) est bien développée dans LLHO:36 et suivantes ; l'auteur donne une liste des principaux mots contenant une voyelle longue devant deux consonnes (LLHO:56-66, archive.org).


(Mais la syllabe sera variable pour les muta cum liquida, ci-dessous).


Par exemple, DFL donne : fōrma (avec fōrmo, fōrmŭla, mais il donne formābĭlis, formātŏr : F. Gaffiot supprime les longues en position prétonique, comme s'il existait une loi phonétique à ce propos (est-ce le cas ?).


Par ailleurs, DFL donne : argentum, quĭesco, quinquĕ, fructŭs, fustis, nullus, olla, pelvis, perfectus, post, purgo, stella, or on peut apporter les précisions suivantes : argĕntŭm, quĭēscō, quīnquĕ, frūctŭs, fūstĭs, nūllŭs, ōllă, pēlvĭs (anciennement trisyllabe pēlŭĭs, DUHLIL:60), pĕrfĕctŭs, pŏst, pūrgō (de pūrŭs), stēllă. Pour les dérivés de līnŭm "lin", DFL donne linteŭm, lintĕŏlum, FEW donne lĭnteum, lĭnteŏlum, GIPPM-1:118 discute utilement des abrègements de longues devant groupes consonantiques en latin, avec des analogies possibles de quīnquĕ sur quīnī, de līnteŏlum (> linçòu) sur līnu, de vīndēmia (> vindèima) sur vīnu.

Il faut remarquer que la quantité du a devant groupe consonantique est souvent inconnue : ă et ā aboutissent au même résultat a dans les langues romanes.


Devant x

Le DFL ne précise pas non plus les quantités devant x : sexŭs, -ūs ; buxus ; cantātrix ; taxo ; taxus ; uxŏr... : en effet x a la valeur du groupe consonantique ks. Mais il donne fēlīx ; flŭo, flūxī, flūxum.


Devant muta cum liquida

Devant muta cum liquida, la quantité est souvent indiquée (ĭ dans tŏnĭtrŭs, ĕ dans fĕbris, ĕ dans pĕtra, ŭ dans pŭtrescĭbĭlis, ō dans sōbrĭus) ; parfois elle n'est pas indiquée (căthedra, on peut préciser : căthĕdră ; retrō, on peut préciser : rĕtrō, voir muta + r). Aussi : putrĭlāgo, on peut préciser : pŭtrĭlāgō, ŭ par analogie sur la base radicale, etc.


Devant ns et nf

Devant ns et nf, la quantité n'est jamais indiquée : infĕrus, infernus, infans, insula, insolens, dens, fons, frons, gens, glans, mens, mons, pons, conspĭcĭo, consto, inspīro, instrŭo, monstro... et les mots issus de participe présent : adjăcens serpens... Cependant, Wiktionary donne systématiquement une voyelle longue devant ns et nf : īnferus, īnfāns, dēns, mais dentem, dentis... ; participes présents : adjăcēns, mais -entem, -entis... Il s'agit de quantités employées dans la langue classique, savante, voir nf, ns : évolution populaire et réactions savantes (voir l'explication détaillée à ce lien avec notamment les considérations de Cicéron).

 


β. Prépositions et conjonctions (Gaffiot)

Le DFL donne la quantité vocalique dans ăb, , ĭn, nĕ, nē, ŏb, pĕr, prō, sĕd, sī, sŭb..., mais pas dans ad, cum, ex, post... Cependant il donne ădĭgo, de ad et ago (voir apophonies), ce qui permet de comprendre que a est bref dans la préposition ad. (Mais ădĭgo, n'avait pas forcément l'accent sur ă, voir ci-dessous les mots composés).


γ. Désinences (Gaffiot)

Dans les entrées lexicales, le DFL ne donne pas la quantité pour les désinences du nominatif, de nombreux génitifs : dŏmĭnus, -i, mansĭo, -ōnis, du -o de la 1e.p.s. pour les verbes, le -e de l'infinitif, le -ens du participe présent.

Or ces quantités sont connues : dŏmĭnŭs, -ī, mansĭō, -ōnĭs, pour les verbes à la 1e.p.s. : , pour l'infinitif : , (pour le participe présent : -ēns, mais -ĕntĕm, -ĕntĭs (voir évolution des participes présents). Ces quantités devaient être considérées comme évidentes par F. Gaffiot.



δ. Majuscules (Gaffiot)

Pour les noms propres avec voyelle initiale, le DFL ne donne jamais de signe diacritique sur la majuscule. Par exemple DFL Afer "africain" et ses dérivés Afrĭca, Afrĭcus, ont en réalité un a long : Āfĕr, Āfrĭcă, Āfrĭcŭs (Afer).



ε. Autres cas (Gaffiot)

Il peut s'agir de cas très discutés et complexes, comme e dans ăres (pour ărĭēs : voir ărĭēs), voir aussi le problème de la valeur vocalique ou consonantique de i, u latins, etc.



Remarque : un projet très louable existe sur internet une "nouvelle version revue et augmentée, dite Gaffiot 2016, version V.M. Komarov", élaborée sous la direction de Gérard Gréco, comportant des précisions sur les quantités vocaliques (frūctŭs, quīnquĕ, absēns...), mais il en manque encore (argentum, perfectus, căthedra...), et certaines sont toujours erronées (Gĕnāvă au lieu de Gĕnăvăvītex au lieu de vĭtex). Ce n'est pas une critique ; l'auteur demande qu'on lui envoie des remarques et corrections.




Remarque : quelques erreurs de quantités vocaliques dans le Gaffiot

L'œuvre de Felix Gaffiot (DFL) est particulièrement fiable, mais parfois l'auteur reprend lui-même certaines anciennes erreurs, issues de raisonnements faux. En voici quelques unes ; il serait bon d'établir la liste complète des erreurs et des cas variables ou douteux (entreprise de Gaffiot 2016).


- fŏrĭă "dévoiement, diarrhée" est en fait plus probablement fōrĭă, au regard des descendants actuels (oc foira, fr foire...) (FEW 3:713a,b), voir fōrĭăm > foira.


- Gĕnāvă "Genève" est en fait Gĕnăvă (c'était probablement un proparoxyton ; c'est un mot d'origine étrangère par rapport au latin), voir Gĕnăvă.


- pējŏr "pire" est en fait pĕjŏr (FEW 8:156b) : en prosodie, la première syllabe est lourde, mais c'est en raison du découpage : pej-jor (le yod est redoublé à l'oral). Les descendants montrent qu'il s'agissait un ĕ : AO piȩger, fr *pieire > "pire" (dipht. cond.).

C'est sans doute le même cas pour mājŏr "plus grand", en fait măjŏr (< *măgĭŏr), en cohérence avec măgĭs.


- pĭŭs "pieux" est en fait pījŭs (pour ī : FEW 8:620a qui ne met pas ī en titre d'article mais pīus dans l'étymologie, sans développer : W. von Wartburg semble hésiter ; PHF-f2:314, IPHAF:85 ; pour j : IPHAF:85), comme pĭĕtās "pitié" est en fait pījĕtās (IPHAF:85 estime que c'était une prononciation secondaire) ; voir ij écrit i, voir pitié), mais je n'ai pas trouvé d'auteur qui fasse une synthèse sur ce problème complexe.


- vītex "gattilier (arbuste)" est en fait vĭtex, d'après ses descendants actuels, voir pr vetge (FEW 14:551b).





c. Ambiguïté des voyelles latines sans signe diacritique (dans les ouvrages linguistiques)


Dans de nombreux ouvrages, l'absence d'un signe diacritique sur la voyelle peut avoir trois significations :

- la voyelle est brève (certains ouvrages n'indiquent que les longues, reprenant dans une certaine mesure la tradition romaine ci-dessus) ;

- la quantité vocalique est inconnue, ou incertaine, ou encore variable (voir ficatum, stella) ;

- la quantité vocalique est largement connue (-ŭs, , -ārĕ, dans cantō "je chante"...).


Cela mène à des ambiguïtés. Le Gaffiot (DFL) procède des trois cas ci-dessus.


Enfin dans de nombreux ouvrages, seules les quantités des pénultièmes non entravées sont données, car ce sont elles qui permettent la versification latine (elles permettent aussi de déduire l'accent des mots, mais les latinistes s'y intéressaient en général peu).


Conclusion : il vaut toujours mieux préciser les quantités de toutes les voyelles par les signes diacritiques ; l'absence de ces signes étant réservée aux quantités inconnues ou incertaines. Dans lexique-provence, quand je ne précise pas une quantité vocalique latine, c'est que je l'ignore, ou bien c'est une négligence de ma part.



d. Intolérance du latin à certains schémas rythmiques

En étudiant certains paradigmes latins, Romain Garnier conclut à une intolérance du latin à certains "schémas rythmiques" (ALLRL). En effet des indices montrent que les deux schémas ci-dessous devaient "mal sonner", et ont évolué vers d'autres schémas :

le schéma  `    ͜   ´   ͜      (mots ditrochaïques : à deux trochées) a évolué par syncope selon :    (  ͜  )  ´   ͜      >         ´   ͜      

(exemple : *spòndĭtṓrĕm > sponsṓrĕm " garant") (ALLRL:1,4,5)
Cette évolution a agi par analogie sur le nominatif : *spondĭtŏr > sponsŏr.


le schéma    ͜´    ͜    ͜     a évolué par syncope selon :    (  ͜´ )  ͜    ͜    >   ´   ͜    ͜  
(exemple : *fulgŭmĭnӑ > fulmĭnă "foudre", ALLRL:8)



Succès du schéma -ī-ŭlă

Proposition personnelle : il me semble que le schéma Cŭlă a eu un grand succès en latin vulgaire (au moins en Gaule), car certains mots (souvent reconstruits) présentent des déformations qui l'alignent sur ce schéma.




(voir clāvīcŭlă, vītīcŭlă)



Au sein du même paradigme (à continuer).






3. Évolution de certaines quantités vocaliques dans l'histoire du latin

Dans l'histoire du latin, certaines quantités vocaliques ont changé (avant la mutation vocalique), apparemment pour des raisons phonétiques.



a. Allongement de voyelles brèves


α. Allongement compensatoire (allongement suite à la disparition de consonne)

Voir la notion d'allongement compensatoire.

L'allongement compensatoire existe aussi, certes de façon assez marginale, en occitan (ci-dessous : allongement compensatoire en occitan).


α1. Allongement compensatoire suite à l'amuïssement de s devant consonne sonore

(PHL4:68)

sonore : disnosco



α2. Allongement compensatoire suite par l'amuïssement de n devant f ou s

(PHL4:68-69)
Voir amuïssement de n devant f ou s.



β. Allongement dans les participes passés de type *ăgtos > āctus

(PHL4:69-71)

Voir gt > ct à "Évolution des groupes consonantiques", actĭtō ci-dessus.





b. Abrègement de voyelles longues


α. Abrègement de certaines longues, d'après l'étude des descendants actuels


Certains philologues signalent des mots latins dont la voyelle longue est devenue brève. Ainsi Pierre Fouché (PHF-f2:177-189) décrit des abrègement de voyelles latines longues, qu'il déduit des descendants dans les langues romanes.


Mais François de La Chaussée est réticent à considérer des abrègements comme une tendance phonétique, et propose des scénarios au cas par cas (IPHAF:126) :

"On a souvent cru constater, dans le latin parlé, une tendance à l'abrègement de certaines longues, en se fondant sur certains aboutissements romans. Cette tendance se serait manifestée avant la disparition de la quantité vocalique et aurait frappé les antépénultièmes longues des proparoxytons (c'est-à-dire les toniques) et toutes les voyelles longues en dehors de l'accent (cf. P. Fouché, PHF-f2:177 et sq.).

La prudence est de mise, car de nombreux cas de voyelle brève en latin vulgaire, là où le latin classique présente une longue, s'expliquent tout autrement que par une évolution phonétique".


Je propose ci-dessous un début d'étude systématique des mots concernés.


Par exemple, Jean-Marie Pierret (PHF-p:142) écrit :

"sous l'influence d'une voyelle brève les suivant, des voyelles se sont abrégées." (Cela n'est pas toujours vrai dans les exemples qu'il donne, puisque parfois c'est une voyelle longue qui suit). Il distingue :

• l'abrègement des voyelles longues toniques de proparoxytons (antépénultièmes) (voir aussi PHF-f2:177) :

- en position libre : frīgidu, lūridu, mōbile, -ēsimu, quōmodo, jūnior ;

- en position entravée : mūsculu, ūndecim ;

• l'abrègement des voyelles longues prétoniques : frūmentum, mūcēre, nūtrīre, prīmāriu, rūmigāre, vestīmentu.

Cette position est à peu près la même que celle de Pierre Fouché (PHF-f2:177 et sq.).


Intolérance à certains schémas rythmiques

Voir intolérance à certains schémas rythmiques ci-dessus.



α1. Abrègement de longues toniques de proparoxytons

Comme dit ci-dessus, certains auteurs, notamment Pierre Fouché (PHF-f2:177-184), estiment que les proparoxytons à voyelle tonique longue ont eu une tendance (phonétique) à voir cette voyelle devenir brève en latin parlé. Mais cette sorte de loi phonétique est mise en doute par d'autres auteurs. Voici les proparoxytons susceptibles de suivre cette tendance.



-ēsĭmŭm "-ième"

(PHF-f2:178)

La forme française -ième (terminaison ordinale dans "deuxième", "troisième", "dixième"...) montre que -ēsĭmŭm a évolué en *-ĕsĭmŭm (avec e bref).

En occitan, on a AO vintsme "vingtième" < -ēsĭmŭm (et vintn "vingtième", < -ēnŭm). Le ē a évolué régulièrement en .


dēbĭlĕm "faible"

(PHF-f2:178) Les formes a.fr. endieblenorm. dieble (REW 3, 2491), tosc. diebile, montrent que le ē est devenu ĕ dans ces cas (diphtongaison spontanée de è en français).



fīcātŭm "foie"

(Remarque : voir aussi FEW secāle > "seigle", etc.)


La forme attestée fīcātŭm (Apicius) aurait dû conduire à it figato / ficato, oc figat, fr fié, etc (ī > i ci-dessous). Certains représentants proviennent bien de cette forme latine (roum ficat, frioul fiāt...). Mais pour expliquer les autres représentants de la Romania, plusieurs mutations de fīcātŭm sont nécessaires, avec des répartitions géographiques différentes (si on considère fīcātŭm comme une forme de départ, ce qui n'est pas du tout garanti). L'évolution i → e (dans it fegato, oc fetge, a.fr. feie (> "foie"), est l'une de ces mutations (soit ī → ĭ, soit ī → ē). Le basculement d'accent tonique sur l'antépénultième, ainsi que la métathèse c-t t-c sont deux autres mutations importantes.


Concernant la forme reconstruite *fīcătum, obtenue par basculement de l'accent tonique sur l'antépénultième, Pierre Fouché estime qu'elle a subi l'"abrègement des antépénultièmes longues de proparoxytons" (PHF-f2:177) : *fīcătu (voir latin fīcus) > *fĭcătu > a.fr. feie (>  "foie"), it fegato, abruzz., napol. fəkəte, vegl. fékatu, bologn. féget, etc. Et par ailleurs, *fīcătu > *fĭcĭtu > métathèse *fĭtĭcu > a.fr. fege.


(Cependant d'autres auteurs proposent une autre explication, liée à un flottement dans les quantités vocaliques et dans l'accentuation (IPHAF:126). Ce flottement serait dû au fait que fīcātŭm (DFL) est un calque latin sur le grec συκωτόν (sukotón) (CNRTL "foie") : "Le modèle grec probablement accentué et prononcé de différentes manières par les latins est sans doute pour beaucoup dans les altérations subies par ficátum qui est ainsi à l'origine de formes variées dans les langues romanes".)


Pour expliquer i → e, Gaston Paris (FER) propose un autre scénario utilisant l'influence du grec, repris par Walter von Wartburg (FEW 3:491b-493a). La forme fīcātŭm (IIIe siècle) donnée dans DFL, est un calque sur le grec συκωτόν (sukotón) "foie gras (d'animal nourri de figues)" (FEW 3:492a-b, CNRTL "foie"). L'habitude des grecs de gaver certains animaux de figues pour obtenir un foie pathologique gras, très apprécié en gastronomie, était passée aux romains (FEW 3:491b). Le foie en latin classique se disait jĕcŭr. L'adaptation latine fīcātŭm à partir du grec, aurait causé des hésitations pour les locuteurs latins, sur la prononciation du mot. Le mot grec était scandé sūkōtón. La variante sycotum apparaît dans un poème culinaire datant vraisemblablement du IIIe siècle, et scandé sȳcōtum (FEW 3:492a-b). W. von Warturg estime que ce mot a probablement existé sous la forme *sécotum en latin populaire (y grec > é). Cette dernière forme aurait pu exercer une influence progressive sur fīcātŭm, avec :

1. L'évolution de l'accentuation de fīcātŭm vers *fīcătum ;

2. La mutation i > e en antépénultième (> *fécatum) ;

3. La mutation (certes géographiquement très limitée) a > o en pénultième (> *ficŏtŭm, *fecŏtŭm) > ouest de la Sicile fikʋtʋ, Servigliano fétoco.



Il faut remarquer qu'on peut très bien proposer une première étape fīcātum > (abrègement de longue prétonique ci-dessous) * fĭcātŭm. Cependant esp hígado, port fígado, ainsi que de nombreuses formes italiennes (apul., cal., sic., sard.log.), laissent penser que c'est la forme *fīcătŭm qui est d'abord apparue.



Proposition de scénario à partir de la forme latine fīcātŭm (d'après FEW 3:491b-493a) (la plupart des variantes provient de FEW 3:490-493).


f ī c ā t ŭ m

>

roum ficat (1), aroum hicat, végl feguat, Muggia figiá, vén figá, Comel figal, Ferr figä́, frioul fiāt, h.engad. fi, Val.Gard. fʋyá, Val.Breg. figā, a.romagn. figai, s.sard. figɣaʋ.
> (influence de l'accent de *sécotum ?)

* f ī c ă t ŭ m > esp hígado, port fígado ;
apul cal sic log. fíkatʋ, sass fíggaddu ;
a.pic. fie, pic.n. , angl-norm firie (Roland) (2).
> (influence de *sécotum ?)
(ou abrègement de la tonique ?)

* f ē c ă t ŭ m
* f ĭ c ă t ŭ m
>
it fegato
> (néo-apophonie ou substitution de suffixe)

* f ĭ c ĭ t ŭ m
>
figido (Cassel)
> (métathèse)

* f ĭ t ĭ c ŭ m
>
*fĭdĭgŭ > a.fr. feie, fr "foie", oc fetge, cat fetge




            > (rhotacisme d > r) a.fr. firie (Roland)


(1) Pour le roumain, IPHAF:126 donne ĭ > i : pourquoi pas ī > i, comme le donne FEW 3:492a ?
(2) Pour angl-norm firie (Roland), on aurait eu une évolution à partir d'un *fīdīcum : *fidie > firie, type de transformation aussi connu notamment dans invidia > envirie "envie", 



flēbĭlĕm "faible"

La forme angl-norm fieble (Roland , Rois, Becket, etc.), ainsi que les formes dialectales modernes de Normandie, de type fiéble, fièble, supposent une forme latine *flĕbĭlĕm (avec e bref) (PHF-f2:178, FEW 3:617b) (diphtongaison spontanée de è en français). Les formes occitanes montrent une conservation du timbre /é/ : type feble /féblé/. La forme française actuelle "faible" a remplacé le type régulier a.fr. feible, foible (diphtongaison française de é, type "toile"). Les formes it fievole, a.flor. fiebole peuvent aussi bien représenter l'étymon flĕbĭlĕm que l'évolution italienne fl- > fi-.




frīgĭdŭm "froid"

(PHF-f2:178)

Voir frīgĭdŭm à "Évolution des proparoxytons".




jūnĭŏr "plus jeune"

(PHF-f2:178) (FEW:74b)

La forme a.fr. joindre "premier garçon d'un boulanger" provient du nominatif jūnĭŏr, et montre une évolution ū > ŭ. L'autre forme a.fr. juindre (> jindre) montre une conservation de ū. (Pour le groupe -indr-, voir jūnĭŏr à "Clivage oc / oïl").

Les formes françaises dialectales de type jogneu(r), jegneu(r) (types de récipients de cuisine), proviennent de l'accusatif jūnĭōrĕm, et montre une évolution ū > ŭ.

Les formes dialectales de type jegneu(r) montrent une dissimilation o-o > e-o : */djóñóré/ > */djéñóré/.

Pour expliquer ū > ŭ, W. von Wartburg propose une influence de jŭvĕnĭs "jeune" (FEW:74b).




lūrĭdŭm "lourd"



lūrĭdŭm > fr "lourd", oc lord, et non fr lurd, oc lurd.


- Pierre Fouché range cette évolution dans les abrègements de longues accentuées de proparoxytons.


- Le FEW (5:470b), suivi par F. de La Chaussée, propose un système sōrdidum, sŭrdum, tŭrdum, qui aurait agi par analogie sur lūrĭdŭm > *lŭrĭdŭm. Je pense que c'est une explication satisfaisante.




mōbĭlĕm "meuble"

(PHF-f2:178)

Les formes fr "meuble", oc mòble, a.esp. mueble, AO, port. mǫvel, montrent que mōbĭlĕm a évolué en *mŏbĭlĕm avec o bref (sinon on aurait eu par exemple fr moible, oc moble /mʋblé/).

- FEW 2:1344b, NDSAF:68, IPHAF:126, CNRTL (meuble2) donnent une évolution mōbilis > *mŏbilis probablement sous l'influence de mŏvēre "mouvoir".

- J.-M. Pierret (PHF-p:142) fait entrer ce cas dans l'abrègement de voyelles longues de proparoxytons.

- L'influence de mŏvēre paraît logique, mais aucun de ces ouvrages ne mentionne une évolution phonétique sous l'influence de β. Pourtant, si ōvum > ŏvum "œuf" par influence de v prononcé /β/ (vers le Ier siècle après J.-C.), il est logique que mōbiĭis suive aussi cette influence pour aboutir à *mŏbilis. Cependant si on considère que b a toujours été spirantisé (nouveau scénario), on conçoit mal comment mōbĭlis pouvait exister (avec o long). Je n'ai pas de solution préférentielle à ce problème.



mūcĭdŭm "moisi", mūcērĕ "être moisi"

(PHF-f2:178) mūcĭdŭm > *mŭcĭdŭm > a.fr. moide.

En fait toute la famille du mot suit le même modèle : AO mozir (< *mŭcērĕ). En français, le i diphtongal apparaît pour donner "moisir". Les aboutissements montrent donc que ū > ŭ.

D'après CNRTL, on peut trouver une explication individuelle : "moisir" "Du lat. mūcēre «être moisi» (Caton, en parlant du vin; d'où le type a.fr. muisir), devenu *mŭcēre, prob. sous l'infl. du lat. mŭsteus «doux comme le moût, riche en jus» (dér. du lat. mŭstum, v. moût...)".






α2. Abrègement de longues prétoniques




fūsĭōnĕm "diffusion"


fūsĭōnĕm > fr foison, oc foison (et non fuison)

Selon IPHAF:126, il y aurait eu "dissimilation de durée" : longue-longue > courte-longue. Donc : fūsĭōnĕm > *fŭsĭōnĕm.

Je me demande s'il n'y a pas eu analogie tardive sur toison < *tōsĭōnĕm < tonsĭōnĕm, et sur poison < pōtĭōnĕm.




frūmentŭm "froment"

frūmentŭm > fr "froment", oc froment, forment, et non frument, furment (mais furment attesté en a.fr.)

- F. de La Chaussée (IPHAF:126) estime qu'il y a eu "dissimilation de durée" longue-longue > brève-longue (mais il donne ē : frūmēntum : source ?) ;

- J.-M. Pierret (PHF-p:142) fait entrer ce cas dans l'abrègement des voyelles longues prétoniques ;

- J. Ronjat (GIPPM-1:293) invoque un croisement frūmentum X frŭŏr, frŭĭtus, repris par FEW (3:829a). Mais pour frŭŏr, le ŭ est peut-être un "faux u bref", voir le système dēstrŭō, frŭŏr, flŭō, dūcō.

- Je me demande si on ne peut pas faire intervenir une influence analogique de *fōrmaticus, *frōmaticus (> fromatge) : le début du mot est identique, avec des métathèses du même type.


frūmentŭm

>
it frumento, a.fr. furment, rom fʋrmaint, ast furmento, Berg. fʋrmȩɳt.

>
frŭmentŭ(m) >
fr "froment", oc fromènt, formènt, cat forment, a.esp. hormiento, a.lomb. formento, Sie.,Bor. formént.




β. Abrègement de certaines longues, d'après la métrique et les témoignages antiques

Voir CNRTL "-eur" : "suff. de noms d'action lat., -or, -ōrem, issu d'anciens types de noms au thème en -s-. En latin, par rhotacisme, le s, en position intervocalique aux cas obliques, s'est changé en r, d'où l'alternance -ōs/-ōris, que l'on trouve dans quelques monosyllabes (cf. Ern. Morphol. 1953, pp. 25-29) : flōs, glōs, mōs, rōs et dans les masc. : clāmōs, colōs, honōs, labōs, lepōs, odōs, timōs et vapōs. Mais, sous l'influence des autres cas, un r s'est le plus souvent introduit au nominatif, et a entraîné l'abrègement de l'ō : arbōs, arbor/-ō."




4. Évolution de certains timbres dans l'histoire du latin

Dans l'histoire du latin, certains timbres vocaliques ont évolué (avant la mutation vocalique).


Par exemple, des "formes rustiques" ont été signalées : tundere pour tondere, abscundere pour abscondere (Ernout in GIPPM-1:187).




B. L'accent latin



1. Accent de hauteur et accent d'intensité


Convention : la voyelle (ou la syllabe) soulignée dans le site est celle qui porte l'accent.


Il faut distinguer :

- un accent de hauteur (ou accent musical, ou accent mélodique) : une syllabe d'un mot est prononcée sur une note de musique plus aiguë ;

- un accent d'intensité, ou accent tonique : une syllabe est prononcée avec plus de force.


Remarque : il me semble que l'accent d'intensité s'accompagne très souvent d'un accent de hauteur, de façon plus ou moins nette selon les langues, selon les locuteurs et selon le ton qu'on veut prendre : les voyelles soulignées ci-dessous portent généralement à la fois un accent de hauteur et un accent d'intensité

(fr) "nous sommes venus", (oc) siam venguts, (it) siamo venuti, (esp) hemos venido.


Selon F. de La Chaussée (IPHAF:94) : "l'accent du latin classique, au moins dans la langue cultivée, était musical (accent de hauteur) ; dans le latin populaire, cet accent musical devait s'accompagner d'un élément dynamique (= d'intensité) plus ou moins marqué" .




2. Histoire de l'accent latin


Trois périodes peuvent être distinguées concernant l'accent latin (selon ACAL, reprenant d'autres auteurs) :




- période archaïque (jusqu'à -200 ou -100) : l'accent est essentiellement tonique et porté par la première syllabe des mots (cette caractéristique est démontrée par les apophonies) ; les mots longs possèdent un accent secondaire, moins marqué, déterminé à partir de la fin du mot selon les règles énoncées ci-dessous ;


(exemples avec en souligné gras : accent primaire, intense ; en souligné simple : accent secondaire, moins intense : dis-ci-pi--na, pe--cu-lum, o-pi-fi--na, ACAL:233)



- période classique (vers -200 à +200) : 


- registre cultivé (latin classique) : influencés par le modèle grec, les locuteurs dépouillent le latin de l'accent tonique, considéré comme "campagnard" et "étranger" par Cicéron, pour ne conserver que l'accent mélodique.


Cicéron, (De oratore III:42-45) neque solum rusticam asperitatem sed etiam peregrinam insolentiam fugere discamus "apprenons à fuir non seulement la rudesse paysanne, mais aussi l'incongruité étrangère", en parlant de l'accent du latin vulgaire (ACAL:230-231) ; Cicéron trouve injustifié le succès oratoire de Lucius Cotta, qui s'exprime "à la manière d'antan", avec un accent "des landes et des forêts" ; la notion de caractère étranger mériterait une étude : on voit que Cicéron assimile l'essence latine à l'essence grecque (qu'il cite), et considère l'accent des campagnes comme étranger, ce qui peut nous sembler paradoxal.

- registre populaire (latin vulgaire) : l'accent est identique à celui de la période archaïque, mais avec une inversion "accent primaire" : c'est désormais celui déterminé à partir de la fin du mot / "accent secondaire", moins marqué : c'est celui toujours porté par la première syllabe du mot.


(Exemples repris de ci-dessus, avec en souligné gras : accent primaire, intense ; en souligné simple : accent secondaire, moins intense ; des syncopes ont eu lieu : dis-ci-p-na, pe--cu-lum, o-ffi--na, ACAL:234)



- période tardive (à partir de +100, +200) : l'accent est identique au registre populaire de la période classique, avec perte progressive des quantités vocaliques (ce sont les voyelles fortement accentuées qui deviennent longues si elle sont libres), les autres restent ou deviennent brèves.


Louis Deroy (ACAL:234) insiste sur le fait que l'accent secondaire était toujours maintenu sur l'initiale, ce qui permettrait d'expliquer certaines formes italiennes à consonnes géminées : pellegrino, tollerare, seppellire. "C'est aussi le cas en roumain, mais non en espagnol ni en gallo-roman, où peut-être l'influence du latin scolaire a davantage influencé l'usage populaire." (Voir un autre type de gémination à : type *prĕttĭŭm).


Max Niedermann (PHL4:113) développe tout un aspect de redoublement d'occlusive intervocalique dès le latin. Il s'agit d'intervocaliques sourdes derrière une voyelle longue.

"Ce qui rend ce phénomène déconcertant, c'est d'abord qu'il semble avoir été absolument sporadique et ensuite que, le plus souvent, la forme primitive avec consonne simple et voyelle longue est restée en usage à côté de la forme postérieure avec consonne double et voyelle brève. Il y a là un problème très complexe qui attend encore sa solution". Je pense qu'il pourrait y avoir un lien avec l'intensité initiale, comme le type italien seppellire ci-dessus, avec redoublement de p.


Exemples :


Jūpĭtĕr > Jŭppĭtĕr ;

lītĕră > lĭttĕră "lettre" ;

bācă > băccă "baie".





3. Connaissance de l'accent latin


a. Règles de l'accent latin classique

Je rappelle ici les règles permettant de trouver la syllabe portant l'accent (plutôt "accent musical" en latin classique, plutôt "accent tonique" en latin vulgaire), à partir de la fin du mot (exemple : ÉGCOL). Mais il ne faut pas oublier que pour les mots longs, un accent porté par la syllabe initiale a probablement toujours existé en latin populaire (voir juste ci-dessus).


Règle 1. Les mots monosyllabiques portent l'accent, sauf s'ils sont proclitiques. Ex : ĭt "il va" : ĭ porte l'accent (on distingue cet accent dans une phrase, par comparaison à d'autres syllabes voisines atones).


Règle 2. Les mots de deux syllabes portent toujours l'accent sur la première syllabe (ce sont tous des paroxytons) : ă "j'aime", ĕō "je vais", pānĭs "pain", sĕrpēns "serpent", vĭă "voie".


Exception : apocopes latines : ex.  -nē > -n dans egōn "moi ?", vĭdĕn "tu vois, n'est-ce pas ?".


Règle 3. Dans les mots de plus de deux syllabes : l'accent dépend de la quantité syllabique, ou poids syllabique de la pénultième (longue ou brève, mais il vaut mieux dire "lourde" ou "légère", OCSOIL:47). Si la syllabe pénultième est lourde, c'est elle qui porte l'accent (le mot est un paroxyton) ; si la syllabe pénultième est légère, c'est l'antépénultième qui porte l'accent (le mot est un proparoxyton). Ainsi : nom. ănĭmăl (proparoxyton), gén. ănĭmālĭs (paroxyton) "animal".



=> Comment connaît-on la quantité syllabique de la pénultième ? Celle-ci est déterminée par la quantité vocalique et par la structure de la syllabe.


- Si la structure montre une voyelle entravée, la syllabe est toujours lourde (quelle que soit la quantité de la voyelle).

Remarque : si une voyelle brève est suivie d'une consonne dans la même syllabe, alors on qualifie la syllabe de "longue par position" (longa positione ci-dessous).


- Si la structure montre une voyelle libre, la syllabe a la "même quantité" que la voyelle : la syllabe longue ("longue par nature") ou brève.






=> Comment sait-on si la voyelle est entravée ou libre ? Une voyelle est entravée si elle est suivie d'une consonne dans la même syllabe ; au contraire, une voyelle est libre si elle termine la syllabe.


Certains auteurs ont discuté de la durée relative des syllabes lourdes et légères.
TMLC:2: « Une syllabe longue avait pour l'oreille une durée sensiblement égale à la durée de deux syllabes brèves. "Longam esse duorum temporum breuem unius etiam pueri sciunt." (Quintil. IX,4,37). [QPLJ:355 "Les enfants eux-mêmes savent qu'une syllabe longue a deux temps, et qu'une brève n'en a qu'un."] »
Mais plus loin : TMLC:3 : « La phonétique expérimentale montre, par exemple, que les voyelles n’ont pas toutes la même durée : un a est plus long naturellement qu’un o ou qu'un e, lesquels sont plus longs qu’un i. De même une syllabe longue par position telle que per-ficio avait-elle la même durée qu’une syllabe longue par nature telle que prae-ficio ? Mais le caractère bref ou long des syllabes résultait de l'opposition sentie par l’auditeur entre les longues et les brèves. Ainsi dans rāră, īlĭcet, ā et ī s’opposaient à ă et ĭ : "Il y a une syllabe longue là où le sujet parlant sent une longue, et brève là où il sent une brève. Il ne s’agit pas ici de physique, mais d’une action à exercer sur des auditeurs." (Meillet, p. 9). »

=> Comment sait-on si une consonne appartient à telle ou telle syllabe ?

(Voir groupes consonantiques et structure des syllabes).

En général pour deux consonnes situées entre deux voyelles, chacune appartient à une syllabe différente, même probablement pour les groupes "occlusive + liquide" (muta cum liquida) en latin parlé : intĕgrŭm = in-tĕg-rŭm "entier", frātrĕm = frāt-rĕm "frère" (voir ci-dessous mots à muta cum liquida).


Donc la limite entre les deux syllabes se trouve entre les deux consonnes : adfĕrrĕ = ad-fĕr-rĕ "apporter", argĕntŭm = ar-gĕn-tŭm "argent", fĕrrŭm = fĕr-rŭm "fer", pĕrfĕctŭm = pĕr-fĕc-tŭm "parfait". Voir ILLL:12, IPHAF:37.


Il existe un certain nombre de cas complexes (ci-dessous).




Remarque : compter les syllabes (syllabation)

Concernant la syllabation, il faut préciser qu'en latin classique :

- les diphtongues décrites ci-dessus appartiennent par essence à la même syllabe (même si elles ont pu parfois se scinder en deux syllabes : it cavolo) ;

- les successions de deux voyelles ne sont pas des diphtongues, mais sont bien des successions de deux syllabes avec hiatus : prūdentĭă (voir ĭ et ĕ en hiatus se consonifient), caprĕŏlus, ī "aller ensemble"...



=> Comment connaît-on la quantité de la voyelle ? Les quantités vocaliques sont étymologiques : elles proviennent de l'évolution à partir du pr-i-e (ci-dessus). Celles données dans le Gaffiot (DFL) suffisent normalement pour connaître l'emplacement de l'accent, en utilisant les règles précédentes. Voir ci-dessus : connaissance des quantités vocaliques latines.




Attestations antiques :

Accent dans les mots de plus de deux syllabes

Quintilien, Institutio Oratoria, 1, 5, 28; 45

(...) apud nos vero brevissima ratio. Namque in omni voce acuta intra numerum trium syllabarum continetur, sive eæ sunt in verbo sole sive ultimæ, et in iis aut proxima extremæ aut ab ea tertia. Trium porro, de quibus loquor, media longa aut acuta aut flexa erit; eodem loco brevis utique gravem habebit sonum, ideoque positam ante se id est ab ultima tertiam acuet.

(traduction QPLJ:22) "Chez nous, au contraire [des Grecs], les règles de l'accentuation sont très simples. Dans tout mot, sur trois syllabes qui le composent ou qui le terminent, il y en a une d'aiguë, et de ces trois, c'est toujours la pénultième (proxima extremæ) ou l'antépénultième (ab ea tertia). Si celle du milieu est longue, elle aura l'accent aigu ou circonflexe (l'accent tonique) ; si elle est brève, elle aura toujours un accent grave, et alors l'accent aigu passera sur la syllabe qui la précède, c'est-à-dire l'antépénultième (ab ultima tertiam)."


"Syllabe longue par position"

Velius Longus, De orthographia, (de litteris)

'Jam vitulos hortare viamque insiste domandi'.
Nam 'jam vitu' dactylus est, quoniam prima syllaba longa est positione.

(prop.tradu.) Jăm vĭtŭlōs hortārĕ vĭămquĕ insistĕ dŏmandī. "Déjà lorsqu'ils sont veaux stimule-les et efforce-toi de dompter leur destin" [vers des Georgiques, de Virgile].
De fait jăm vĭtŭ est un dactyle, puisque la première syllabe est longue par position.






b. Cas échappant aux règles, cas complexes


Levanto


Le nom de commune de Levanto (Ligurie, Italie) présente la particularité d'être accentué sur la première syllabe : Levanto, avec une variante dialectale locale diphonguée Lievanto (voir diphtongaison romane spontanée) ; je suis témoin de la prononciation Levanto des locuteurs sur place. En suivant les règles énoncées ci-dessus, on devrait prononcer Levanto (< *Levantus ?). Raymond Sindou indique : (OTE13-14) "Curieux aussi le nom de Levanto au nord de la Spezzia : ital. Levánto, mais génois Lévantu, peut-être dû à la lingua franca des marins." L'explication est courte ; je n'arrive pas à trouver d'anciennes formes de Levanto (formes médiévales) ni son origine (pas de rapport avec l'appellation Riviera di Levante ?). Dand l'accentuation de Levanto, j'y verrais volontiers l'influence de noms comme Taranto "Tarente" du grec Τάραντα (Taranta) ; le lat. a connu aussi la forme apophonique Tărĕntŭm (voir Tărĕntŭm aux Apophonies, OTE:13 indique que lat. Taranta était utilisé en poésie; Tarentum en prose). Il existe aussi Otranto "Otrante"(Pouilles) <  Ύδρόεντα (Hydróenta), et Solanto (castello di Solanto en Sicile, différent mais proche de Solunto "Solonte") < Σολόεντα (Solóenta) (OTE:13). Il existe apparemment un nivellement d'accent pour ces toponymes, -anto étant ressenti comme un suffixe atone. En italien, la pénultième lourde atone existe aussi dans polizza "police (d'assurance)" (< ἀπόδειξις apódeixis), et mandorla "amande".




α. Mots composés (étude de l'accent)

Concernant l'accent dans les mots composés, notamment les verbes préfixés, dans de nombreux cas, les locuteurs devaient reconnaître la composition, et considéraient l'accent seulement du radical, par analogie avec les autres personnes ou les autres composés, ou le verbe de base : rĕcĭpĭt > (il) reçoit (OATLR:3) : on devait prononcer rĕcĭpĭt et non rĕcĭpĭt, puisqu'on dit aujourd'hui "il reçoit", prov receu, reçaup...



β. Particules enclitiques (-quĕ...)

Les particules enclitiques -quĕ "et", -vĕ "ou", -nĕ "est-ce que ?", -cĕ "ici", -mĕt "-même" forcent l'accent à se placer sur la syllabe qui précède.


(ÉGCOL:300) "En cas d'enclise (avec les particules -quĕ, -vĕ, -nĕ, -cĕ, -met: armăque, huiúsce, ipsĕmet, bonúsque, omniáque, itáne...), l'accent du groupe se trouve toujours sur la syllabe finale du mot, même si elle est brève."


Il faut signaler que certaines de ces particules (-nĕ, -cĕ) ont elles-mêmes pu subir l'apocope, menant à des dissyllabes accentués sur la deuxième syllabe (ci-dessus).



γ. Mots à muta cum liquida

Pour les mots avec muta cum liquida de type căthĕdră(m), cŏlŭbrĕ(m), ĭntĕgrŭ(m), palpĕbră(m), tŏnĭtrŭ(m), on pensait jusqu'à récemment que leur accent avait basculé depuis le latin jusqu'aux langues romanes : d'abord proparoxytons, on pensait qu'ils étaient devenus paroxytons puisqu'aujourd'hui, on dit : cadiera "chaise", colòbre "couleuvre", entier "entier", parpèla "paupière", toneire "tonerre". Voir par exemple OATLR:2.


Mais Michaela Russo estime (ÉGCOL:317) que la place de l'accent n'a jamais dû changer en latin parlé : ces mots ont toujours été paroxytons. Elle estime que seul le latin classique, c'est-à-dire le latin littéraire, pouvait considérer ces mots comme proparoxytons. Voir muta cum liquida.





δ. Emprunts aux autres langues (étude de l'accent)


Les emprunts aux autres langues me paraissent montrer une action forte pour adapter les mots étrangers au système d'accentuation latin (à développer). Voici quelques remarques ci-dessous.


      Remarques sur les emprunts au grec (étude de l'accent)


Voir les emprunts au grec ("Apophonies") : les emprunts latins très anciens au grec montrent une action forte pour adapter les mots étrangers au système d'accentuation latin.



Ci-dessous, je donne quelques exemples avec hésitation sur la conservation de l'accent grec :


Étude de ἔγκαυστον (énkauston) "encre" (CNRTL "encre") :

ἔγκαυστον (énkauston) > fr "encre", AO encaust "encre", it inchiostro "encre" :

- l'accent grec sur l'initiale est conservé en Gaule du nord (> fr "encre") ;

- l'accent selon les règles latines (sur la deuxième syllabe) est conservé en Gaule du sud et en Italie (au est longue, et est entravée : elle porte l'accent selon les règles latines) > AO encaust "encre", it inchiostro "encre".


Étude de βούτῡρον (boútūron) "beurre" (GIPPM-2:330, CNRTL "beurre") :

βούτῡρον (boútūron) > AO buire, boder "beurre", a.fr. bure, fr.o.dial. "beurre", it burro (empr.a.fr.), it.dial. butirro, butiro "beurre". (GIPPM-2:330) "βούτῡρον pouvait devenir būtȳ́rum ou bū́tȳrum suivant que l'attention était portée principalement sur la quantité ou sur le ton".

- l'accent grec (sur la première syllabe) est conservé en français et en AO > fr "beurre", AO buire ;

- l'accent selon les règles latines (sur la deuxième syllabe) est conservé en italien traditionnel : butirro, et en béarnais : bodèr [bʋdè], voir AO boder (Béarn et Tarn) (FEW 1:665a).



      Remarques sur les emprunts au gaulois (étude de l'accent)


Je cite Antoine Thomas (EPF:123) :

"C'est un fait universellement admis que l'accentuation du celtique n'avait pas les mêmes lois que celle du latin, que notamment l'accent tonique pouvait porter sur l'antépénultième, même si la pénultième était longue, dans les mots gaulois. Beaucoup de noms de lieu en fournissent la preuve : pour nous en tenir au Midi, il est clair que la formation du nom de Nimes, en ancien provençal Nemse, a pour point de départ l'accentuation de l'antépénultième de Nemausus."


Pierre Fouché (PHF-f2.:142-148) fait un long développement sur l'accent des "mots celtiques ou préceltiques" et leur évolution, grâce aux toponymes.

"Dans un certain nombre de composés ou de dérivés toponymiques, la pénultième celtique ou préceltique dont la quantité longue est ou semble attestée est traitée comme si elle était brève.

Ainsi les composés celtiques dont le second élément est -rīges, -vīces, -casses, ne sont représentés que par des proparoxytons en latin, d'où en français :

Biturīges > Bourges (Cher) ;

Caturīges > Chorges (Hautes-Alpes) [ci-dessous ŭ > ó] ;

Eburovīces > Évreux (Eure) ;

Lemovīces > Limoges (Haute-Vienne) ;

Bodiocasses > Bayeux (Calvados) ;

Durocasses > Dreux (Eure-et-Loir) ;

Tricasses > Troyes (Aube) ;

Vadicasses > Vez (Oise) ;

Viducasses > Vieux (Calvados).




 gaul Condāte "confluent" (LNL:12, 44) :

- accentué à la gauloise sur la première syllabe > Candes (37), Condes (39, 52), Cosne (58), Kontze (57) ;

- accentué selon la loi latine sur la pénultième > Condat (152463), Candé (4149) Condé (nombreuses communes en domaine d'oïl).



gaul Nemausus "lieu consacré ?" (LNL;12, 14) :

- accentué à la gauloise sur la première syllabe > oc Nime(s) "Nîmes", AO Nemse "Nîmes" (voir ci-dessous Nîmes) ;

- accentué selon la loi latine sur la pénultième > Nemours (77).


Nemausu(m) > Nemosu (Nemosus, année 950) ou *Nemasu (PHL4:67).

Puis selon TGF1:159, deux variantes auraient évolué en parallèle, menant à AO Nemse par syncope, et à *Némes, Nimes par apocope.


(Rechercher LNVN).  

Pour expliquer la fermeture e > i, je me demande si on ne peut pas invoquer la fermeture entre nasale et nasale implosive)




II. Évolution de l'accent latin jusqu'aux langues romanes


A. Cas général : conservation de l'accent


En règle générale, les syllabes accentuées en latin classique sont celles accentuées en latin tardif, puis dans les langues romanes. (EWRS1: page?, RALLF toutes pages, etc.) Elles ne disparaissent pas lors de l'évolution ultérieure, alors que les syllabes non accentuées (atones) peuvent disparaître par syncope ou apocope. Par exemple : ăsĭnŭm > oc ase, ai, aine, fr "âne".



PH-2020:217 : "Le calcul de l'accent qui prenait en compte la structure syllabique et la quantité vocalique est nécessairement caduc lorsqu'il n'y a plus d'opposition phonologique de quantité. Ce calcul étant tombé en ruine, l'accent s'est figé sur la voyelle où il se trouvait : il est désormais lexicalisé, i.e. non prédictible et donc appris par les locuteurs comme toutes les autres propriétés de la voyelle tonique.

La conséquence de cette situation est le fait, très remarquable et remarqué, qu'il n'existe dans les langues romanes aucune modification de la place de l'accent : on retrouve l'accent latin sur la même voyelle dans toutes les langues romanes."

(nombreuses références bibliographiques à PH-2020:218, qui commencent à RALLF:7, mais G. Paris cite lui-même EWRS1).


Remarque : on peut se demander jusqu'à quel point l'accent était "calculé" par les locuteurs ; l'accent était peut-être aussi lexicalisé, reproduit par les locuteurs tels qu'ils l'avaient entendu, surtout les locuteurs qui n'étaient pas habitués à la prosodie latine (gaulois...). Sur ce sujet, voir notamment ci-dessus les emprunts au grec et au gaulois.


Les exceptions :

Les auteurs ci-dessus (PH-2020:218) mentionnent deux exceptions à cette règle :

- type colubram (avec muta cum liquida) ;

- type mulierem (voir ăbiĕtĕm etc.).

Cependant il me semble que ces deux exceptions montrent surtout une divergence entre latin classique et latin vulgaire (voir aux liens mentionnés).


- Je rajoute une exception au moins pour le français et l'occitan : basculement de l'accent dans certains hiatus et diphtongues (ci-dessous).


- Et concernant l'occitan, il faut rajouter le basculement de l'accent pour certains proparoxytons en (ci-dessous).


Ces deux dernières exceptions sont présentées ci-dessous : perturbations de l'évolution de l'accent.



Remarque : emprunts anciens du germanique au latin


Il est remarquable que dans les langues germaniques, les emprunts anciens au latin effacent l'accent, pour adapter le mot au système d'accent germanique (RALLF:10). L'accent est reporté sur la première syllable, voir accent allemand (apophonies), et les voyelles des syllabes suivantes sont neutralisées en [ə] ou effacées : tableau ci-dessous.


Ce processus a perduré longtemps, au cours des emprunts durant l'Antiquité ou durant le Moyen Âge, au latin classique ou au latin médiéval.


Remarque : pour all Krone "couronne" < cŏrō, le mot était, je pense, déjà syncopé en latin dialectal lorsqu'il a pénétré en Allemagne.


latin occitan, AO français allemand
(ăd)vŏcātŭ(m)
(avocat)
avoué
Vogt "Bailli, préfet"
bōlētŭ(m) bolet bolet Pilz (anc. Bülz) "champignon"
ăcētŭ(m) AO azt a.fr. aisil *atecu > Essig "vinaigre"
cae-, cepŭllă(m) cebola / cibola
ciboule Zwiebel "oignon" (1)
calcātōrĭŭ(m) AO calcadira a.lorr. chaucheur Kelter "pressoir"
catena(m) cadena chaîne Kette "chaîne"
cancellārĭŭ(m) AO cancelier chancelier Kanzler "chancelier"
cĕllārĭŭ(m) celier cellier Keller "cave" (1)
cĕrĕsĭă(m) cerieisa cerise Kirsche "cerise" (1)
Cŏlōnĭă(m)

Cologne
Köln
Co(n)flŭĕntes

Coblence
Koblenz
cŏqu- > cŏcīnă(m) cosina cuisine Küche "cuisine"
cŭmīnŭ(m) AO co-, cumin (cumin)
a.fr. co-, cumin (cumin)
Kümmel "cumin"
fĕnĕstră(m) fenèstra fenêtre Fenster
hŏspĭtālĕ(m) ostau hôtel Spittel (2)
mantĕllŭ(m) mantèu manteau Mantel "manteau"
mĕrcātŭ(m) mercat, marcat marché Markt "marché"
Mōgontĭăm > Magontia

Mayence
Mainz
mŏlīnă(m) molina (molin)
(moulin) Mühle "moulin"
mŏnasteriu(m) AO monastier, mostier a.fr. mostier (monastère) Münster "monastère"
mŏnētă(m) moneda monnaie Münze "monnaie"
părăvĕrēdŭ(m) AO palafrn palefroi Pferd "cheval" (3)
pentēcostē Pandecosta... Pentecôte Pfingsten "Pentecôte" (3)
*pīlārĕm pilar pilier Pfeiler "pilier" (3)
prōpŏsĭtŭ(m) AO probǫst (4)
a.fr. provost (4)
Probst "prévôt"
scŭtĕllă(m) > *scū-
escudèla
écuelle
Schüssel "plat, écuelle"
tĕ-, tŏlōnārĭŭ(m)...

Zöllner "douanier" (3)
tĕ-, tŏlōnēŭ(m)... AO touneu... a.fr. tolneu, tonleu, tonlieu...
Zoll "douane" (3)

Tableau ci-dessus : Conservation de l'accent latin dans les langues romanes, adaptation de l'accent latin en allemand. (Étymologies vérifiables sur FEW et Wiktionary.) On voit que l'accent du mot latin (souligné) reste le même dans les langues romanes, alors qu'en allemand, il est déplacé sur la première syllabe.

Plusieurs exemples sont tirés de RALLF:10 (repris par HLLF:85) (Vogt, Köln, Fenster, Spittel, Mainz, Probst) duquel j'ai supprimé Angst "peur" < angŭstĭăm, car Angst proviendrait plus probablement du proto-germanique *angustiz, voir Angst. J'ai rajouté les autres exemples. Pour Genf "Genève", Gĕnăvă était sans doute un proparoxyton ; le cas est complexe (Gĕnăvă).


(1) Pour cĕllārĭŭm > Keller, cĕrĕsĭă(m) > Kirsche, la palatalisation de c devant e, i en latin n'avait en apparence pas commencé (ou bien en était au stade //, voir emprunts du germanique au latin) ; par contre lors de l'emprunt de cepŭllă → Zwiebel "oignon", cĕllă → Zelle "cellule", la palatalisation avait déjà eu lieu : l'emprunt est plus tardif.

(2) Spittel, nom de divers lieux. Pour hŏspĭtālĕm > Spittel, le (h)ŏ- latin a dû disparaître avant l'emprunt, par confusion avec e prosthétique puis hypercorrection.

(3) Pour bōlētŭ(m) → Pilz, mŏnētă(m) → Münze, părăvĕrēdŭ(m) → Pferd "cheval", *pīlārĕm → Pfeiler, tŏlōnĭŭm → Zoll..., l'évolution [p] > [pf], [t] > [ts] entre dans la mutation consonantique du haut allemand, voir aussi tēgŭlă "tuile" → Ziegel "brique", pannă → Pfanne "poêle", pĭpĕr → Pfeffer "poivre", plantă → Pflanze [pf] et [ts] "plante", campŭs → Kampf "combat"...

(4) Pour prōpŏsĭtŭ(m), une autre variante latine præpŏsĭtŭ(m) explique AO prebǫst, fr "prévôt".




B. Perturbations de l'évolution de l'accent


1. Hiatus et diphtongues : basculement de l'accent

(Remarque : pour les hiatus, voir Généralités sur les hiatus).



a. Loi de l'accent sur la voyelle la plus ouverte (je l'appelle ainsi)


Pour la notion d'ouverture des voyelles, voir le triangle vocalique à "Transcription phonétique".


Je cite V. Väänänen (OATLR:2) ; je nomme la loi qu'il propose "loi de l'accent sur la voyelle la plus ouverte".

(Je pense que cette loi est exacte dans un très grand nombre de cas, mais il faut trouver davantage de sources ; pour le latin un autre facteur a pu intervenir, comme l'intolérance à certains schémas rythmiques. Par ailleurs j'étends cette loi aux diphtongues).



(OATLR:2, j.m.c.g.j.s.v.a.)

"Une "loi" ou disposition phonétique du roman commun veut que de deux voyelles contiguës la plus ouverte attire l'accent tonique. C'est ainsi que s'expliquent nombre de déplacements d'accent : non seulement les cas bien connus des mots populaires paríete > par(i)éte, mulíere > muliére, filíolu > filiólu [l'auteur cite LDR:325 et suivantes (1)], formes attestées dès les premiers poètes chrétiens et confirmées par les langues romanes, ainsi que esp. reina, vaina de reína, vaína, fr. reine, gaine, de reïne, roïne et guaïne, gaïne (lat. rēgīna, vāgīna), et esp. veinte, treinta < *veínte, *treínta (lat. vīgintī, trīgintā) (...)."


(1) V. Väänänen renvoie à LDR, mais les termes exacts de ce dernier sont : "le déplacement d'accent est la conséquence inéluctable de la consonification de la voyelle accentuée." (LDR:328) ; cela signifierait qu'il envisage la suite logique : consonification de i => déplacement d'accent. Il est vrai qu'on se demande comment une voyelle accentuée peut devenir une consonne ; on ne peut qu'envisager les deux solutions : (1) déplacement d'accent puis consonification ; (2) simultanément déplacement d'accent et consonification.


En fait ces domaines sont encore mal connus, voir par exemple părĭēs

(LDR:324 et suiv.)


Pierre Fouché développe cet aspect (PHF-f2:338) (à continuer).



b. Basculement d'accent dans les hiatus

(Remarque : pour les hiatus, voir Généralités sur les hiatus).

(Voir aussi ci-dessous : contact entre deux voyelles : différenciation d'aperture).


J'étudie ici ce basculement d'accent qui s'est réalisé à des époques diverses dans l'histoire du latin et de l'occitan. Pour Povl Skårup (FDAOS), il y a d'abord synérèse, puis l'accent se place automatiquement sur "le sommet" de la diphtongue obtenue, qui est la composante la plus ouverte : on ne peut pas parler de déplacement d'accent. (Cela dit, la nuance me semble délicate : l'accent change bien de place ; on aborde ici la question controversée de bascule de diphtongues, voir ci-dessous bascule des diphtongues pour la diphtongaison romane).

(FDAOS:109, pour fīlĭŏlŭm) : "Il y a synérèse des deux syllabes li et o, le sommet de la nouvelle syllabe lio étant sur o, qui est la voyelle la plus ouverte. La nouvelle syllabe garde l'accent principal du mot, qui avant la synérèse se trouvait sur l’une de ses composantes, li. La voyelle o, qui est désormais le sommet de la syllabe tonique, s’allonge."

Ci-dessus en effet, l'auteur précise que la syllabe o dans fīlĭŏlŭm s'allonge alors. En effet, le latin impose qu'un voyelle libre pénultième qui porte l'accent soit longue (mais une diphtongue n'est pas une voyelle longue ? Comme la diphtongue au ? À étudier).


α. Hiatus en "voyelle + a"


Ce type de hiatus concerne souvent les féminins et certaines formes conjuguées.


ia > ia


En occitan, le basculement d'accent ia > ia s'est manifesté dans les noms féminins en -ia (Barbaria > Barbariá [-yé]) et dans les imparfaits (hăbēbās > *habias > /avias/ > /avias/ "(tu) avais") (puis voir ci-dessous /avyas/ > /avyés/)



Cet ordre chronologique est défendu par G. Millardet, qui présente les deux théories :

(1) /ia/ > /ié/ > /yé/,

(2) /ia/ > /ya/ > /yé/

Il soutient donc la seconde théorie (LDR:329). Mais certains enregistrements du nord de Vaucluse (vallée du Toulourenc) me font douter : la prononciation est proche de /aviè/. Comme -ier /iè/ (les fulachièrs). À étudier.


Substantifs en -iá (cordariá, fustariá...) (même problème que ci-dessus).


τήγανον (téganon) > *teganem / teganum > *tean > *tean ou *tian > tian "plat de cuisine"


Région d'amuïssement de d, t intervocaliques (parties du domaine nord-occitan) :

(voir d intervocalique, t intervocalique)


fœtă(m) > feda > fea > fia ou fea > fia > fiá /fyé/ "brebis"





oa > oa

Les terminaisons féminines -oa, -oas, ont souvent évolué avec un basculement d'accent (qu'on peut noter -oà, -oàs mais que la norme préfère ne pas noter). Selon la forme aboutie du -a du féminin (/a/, /o/, /œ/, donc selon l'époque et la région, l'accent s'est porté sur cette forme du -a (GIPPM-1:339,343). J. Ronjat aurait dû mentionner une interaction avec les analogies sur la diphtongaisons de ò.


caudăm > cōda > coa > coa (coà) "queue" (aussi réf.an. /kwò/, /kwé/, /kò/)

dŭās > doas > doas (doàs) "deux fém" (aussi réf.an. dòs /dwòs/, /dwés/, /dòs/)




ua > ua

Région d'amuïssement de d, t intervocaliques (ci-dessus)


rūtă(m) > ruda > rua > rua > ruá /rüé/ "rue (plante)"





β. Autres hiatus


eo > eo

caprĕŏlŭ(m) > */kapréòlʋ/  > oc cabròu "chevreuil"



io > io

fīlĭŏlŭ(m) > */filyòlʋ/ > oc filhòu "filleul" (FDAOS).


dĕŭs > (avec ou sans diphtongaison romane ĕ > iè ?) esp. dios (FDAOS:109 note 8, qui donne simplement " 'de-us > 'di̯os" : "synérèse, qui aboutit à une nouvelle syllabe dont le sommet se trouve sur la voyelle la plus ouverte".)




ie > ie

mŭlĭĕrĕ(m) > */mʋlyéré/ > oc molhèr, molher "épouse"


Type *vieure > vieure ci-dessous.



ao > ao

Après le basculement d'accent, ao évolue généralement en au [aʋ̯], [aw] (ci-dessus ao > au) et même souvent en òuʋ̯], [òw]. J'ignore pouquoi paur "peur" a perdu le timbre [a] dans à peu près tout le domaine d'oc [pòw], [pó], [pò], [pʋ]... (ALF carte 101) alors que pauc "peu" l'a beaucoup mieux conservé [paw] (ALF carte 1007) (a priori, paur et pauc ont des fréquences semblables de position proclitique, à étudier).


păvōrĕ(m) > (amuïssement de v) AO par > (AO, pr...) paur [paw], [pòw] "peur" (c'est un scénario, voir ci-dessous l'étude plus approfondie de păvōrĕm)


*căvōnĕm > *căvōnăm > *caona > cauna


Cădŭrcī > *[kadórtsi] > (d > ∅ en n-oc) Caors "Cahors" (46) [kòw], [kaws], [kòws] (PCLO:49)


-ātōrĕm (t >  ∅ en v-a) > -aor [aó] > [aó] > [aw] > (souvent) [òw]



ei > ei

rēgīna(m) > */réina/ > (basculement d'accent) */réina/ > */réna/ > (différenciation de ei tonique ci-dessous) /rèna/ reina "reine" (aussi AO reïna, regina)


ai > ai

Pierre Fouché (PHF-f2:340) donne une liste d'exemples de mots où l'accent de i a basculé vers a au Moyen Âge : "On avait primitivement faïne < fagīna, gaïne < vagīna, haïne < gallo-rom. *hatīna (frc. *hatjan), maïstre < magĭstru, traïne < tragīnat, traïtre < tradĭtor. Au début du XVIe siècle il y avait déjà longtemps qu'on prononçait comme aujourd'hui faîne, gaîne, haîne, maître, traîne, traître. Ici encore l'accent s'est reporté de i sur a : d'où une diphtongue a qui a abouti à è." L'auteur omet de préciser que :

- dans nom tradĭtor, l'accent est déjà sur a ;

- dans maïstre et traïtre, le /i/ au lieu de /é/ n'existe qu'à condition de faire intervenir un phénomène particulier, comme la différenciation ae > ai (ci-dessous).


*fāgīnă(m) > */faina/ > AO faïna, OM faïna, faina, fèina, foina... "fouine" (aussi fr "faine, fruit du hêtre")

*tahīnat (gotique taheins) > AO taïna, tayna "il tarde ; il retarde" (FEW:17:291b)

*trāgīnăt > */traina/ > traïna, traina, trèina "(il) traîne"

vāgīnă(m) > */vaina/ > AO gaïna, gazina, gayna > OM gaina, guèina "gaine"




c. Bascule des diphtongues


Je parle ici des diphtongues issues de la diphtongaison romane. Il faut étudier les autres diphtongaisons.


La bascule des diphtongues a lieu vers l'an 1200, voir bascule des diphtongues (diphtongaison romane).



/è/ > /iè̯/ > /ié̯/ > (bascule) /i̯é

exemple : lĕctŭm > liech



/ò/ > /ʋò̯/ > /ué̯/ > (bascule) /u̯é/

exemple : nŏctĕm > nuech

(voir descendance de la diphtongue ʋò̯)


Cas particulier (français) : ci-dessous eu > eau : */èaʋ̯/ > */èaʋ̯/.




2. Certains proparoxytons en : basculement de l'accent en occitan et en franco-provençal

Un phénomène particulier concerne l'occitan et le franco-provençal : le déplacement d'accent de nombreux proparoxytons en depuis l'antépénultième vers la pénultième. Les proparoxytons en sont des noms ou adjectifs féminins, ou bien des formes conjuguées du type mastĭcă(t) "il mâche", mastĭcăs "tu mâches".

 

Exemples : 


ăsĭnă(m) > asena "ânesse"

pĭpŭlă(m) > pibola "peuplier"

mastĭcă(t) > mastega "(il) mâche"






III. Mutation de la quantité vocalique
 
A. Perte générale des quantités d'origine étymologique


La quantité vocalique (voyelles longues et brèves) avait une origine historique, étymologique ; elle était héritée de l'indo-européen (ci-dessus). On parle de quantité étymologique. Elle disparaît à partir du premier siècle de notre ère. C'est la syllabe accentuée, portant un accent d'intensité de plus en plus marqué, qui voit sa voyelle s'allonger (si elle est libre), indépendamment du fait qu'elle était longue ou brève en latin classique. On obtient une quantité liée à l'accent tonique.


La mutation vocalique du premier siècle après J.-C. est marquée par le passage :


trait dominant = accent musical    >    trait dominant = accent tonique

(remarque : selon la vision présentée ci-dessus : l'accent musical comme trait dominant caractériserait le latin classique, et non le latin vulgaire, lui-même à l'origine des langues romanes ; cette évolution de trait dominant ne constituerait en fait qu'une disparition d'un accent du latin classique artificialisé, au profit d'un accent du latin vulgaire qui n'a jamais cessé d'être employé en-dehors de Rome).



Ce passage s'accompagne d'une évolution du système de quantité vocalique :


la quantité vocalique est d'origine étymologique
>
la quantité vocalique suit la règle :
voyelle tonique libre = longue,
voyelle atone ou tonique entravée = brève



Certains témoignages antiques montrent une perte des quantités vocaliques.



Attestations antiques

(d'après RDL:261-262)
(Saint Augustin De Doct. Christ. 4.10.24, à propos de ŏs "os" et ōs "oreille") :
Cur pietatis doctorem pigeat imperitis loquentem "ossum" potius quam "os" dicere, ne ista syllaba non ab eo, quod sunt "ossa", sed ab eo, quod sunt "ora", intellegatur, ubi Afrae aures de correptione vocalium vel productione non judicant.

(prop.tradu.) "Pourquoi un enseignant en piété devrait-il culpabiliser en parlant à des ignorants lorsqu'il emploie ossum plutôt que os, pour éviter que ce mot monosyllabe [ŏs "os"] soit compris comme le mot dont le pluriel est ora [c'est-à-dire ōs "bouche"], au lieu du mot dont le pluriel est ossa [c'est-à-dire ŏs "os"], vu que les oreilles de l'Africain ne font pas la distinction entre voyelle raccourcie et voyelle allongée ?"

Explication : les Africains incultes (impĕrītī) ne font pas la distinction entre ŏs et ōs car ils ne distinguent pas les quantités vocaliques ; donc afin d'éviter la confusion entre ces deux mots, on ne doit pas avoir de scrupule à employer ŏssŭm, bien que ce soit un mot incorrect car c'est une réfection sur ŏs ; mais il est ainsi bien distingué de ōs "la bouche".






Selon Michel Banniard (archive, p. 22) : "Cette inversion satisfait probablement à des contraintes interdialectales : l'intercompréhension d'un bout à l'autre de l'Empire entre des locuteurs parlant leur variété régionale de latin suppose un marquage plus net de l'“âme du mot”. La solution a consisté à négliger la mélodie pour promouvoir l'énergie."

Le même auteur (archive, p. 23) propose une explication, mécanique, de l'apparition du nouveau système vocalique de qualité (voyelles ouvertes ou fermées) : "Ce basculement est dû à l'impossibilité de conserver aux voyelles leur longueur traditionnelle sous un accent devenu tonique : prononcée plus fort, la voyelle a tendu automatiquement à s'allonger, même lorsqu'elle était étymologiquement brève. Comme les locuteurs protègent en même temps la clarté de leur message, ils privilégient le trait qui jusqu'alors était secondaire (non systématique) en l'érigeant en trait principal."



B. Quantités vocaliques en occitan

1. Vue d'ensemble : perte de la plupart des voyelles longues (sud-occitan)
   

Ci-dessous je dégage pour le sud-occitan contemporain une perte quasi-généralisée des voyelles longues. Il me semble que la quasi-absence des voyelles longues en sud-occitan se répercute nettement sur le français prononcé avec l'accent méridional : les voyelles sont à peu près toutes uniformément brèves, alors que le français standard prononce encore des voyelles longues ("jaune" [jóːn], "heureuse" [ërëːz] ou [ërœːz], pâte [pɑːt]).


Convention : Je rappelle que dans le langage phonétique du site, une voyelle soulignée signifie qu'elle est tonique ; une voyelle suivie de ː signifie qu'elle est longue (API), c'est-à-dire qu'elle est prononcée avec une durée longue (voir transcription phonétique). Certains linguistes utilisent aussi le macron (◌̄) pour montrer que la voyelle est longue, comme en latin (ā).


Avertissement : Pour l'occitan contemporain, je pense qu'on a une mauvaise connaissance des quantités vocaliques. Cette connaissance est encore plus mauvaise pour l'ancien occitan.



Ancien béarnais : il faut noter qu'en ancien béarnais (Pyrénées-Atlantiques), la scripta a noté des voyelles longues par le redoublement de la voyelle, notamment dans HistSainte ; je développe cet aspect ci-dessous. Pour rappel, ce procédé a parfois été utilisé également en latin : redoublement vocalique ci-dessus. Si les scribes ont noté ces voyelles longues, c'est que la longueur était caractéristique dans le parler, et en quelque sorte normalisée (même si certains mots pouvaient être écrits avec voyelle simple parfois, et double fréquemment, dans un même texte).

Au moins un autre auteur béarnais a utilisé plus tard le même procédé : Jean-Henri Fondeville (1633-1705) a par exemple écrit La Pastourale deu paysaa, qui cèrque mestièè à son hil, chéns në trouba à son grat [...] (1767). Le titre contient paysaa (< paysan), mestièè (< mestièr). Je pense qu'il y a eu une continuité de la scripta depuis le Moyen Âge jusqu'à cet auteur (à étudier), et même jusqu'au nom de commune actuel Morlaàs (64) (ci-dessous). La Pastourale deu paysaa... est accesssible sur gallica.bnf.fr, et elle mériterait d'être étudiée en détail sur ce plan. Cela montre que jusqu'au XVIIe siècle au moins, des voyelles longues étaient caractéristiques dans le parler.




Deux causes peuvent engendrer une voyelle longue : l'accent tonique porté sur une voyelle libre, et l'allongement compensatoire suite à la perte d'une consonne subséquente. Ce constat mène aux deux parties ci-dessous.




2. Voyelles longues en raison de l'accent tonique

Historiquement, les voyelles toniques libres des périodes anciennes de l'occitan ont dû être longues (voir ci-dessus).


Pour l'occitan contemporain, Jules Ronjat accorde à ces voyelles longues un rôle marginal pour l'ensemble du domaine d'oc, du moins en sud-occitan ("plus rarement longues"). Cependant il reconnaît un allongement ("de durée généralement moyenne") :


(GIPPM-1:90) (r.g.f.d.a.) "Pour autant qu'il est licite de réduire à une formule générale un ensemble de faits assez compliqués, on peut dire que dans la plupart de nos parlers la quantité est sous l'étroite dépendance de l'intensité : voyelles de durée généralement moyenne, plus rarement longues, en syllabe tonique ouverte, généralement brèves dans tous les autres cas [...]"

(puis Jules Ronjat aborde le dauph. et le lim., dialectes nord-occitans, où il développe certains aspects des voyelles longues).



Concernant le provençal contemporain, avec ma propre expérience, je dirais que des voyelles longues peuvent exister en position tonique libre dès qu'un ton emphatique apparaît dans la conversation. On peut éventuellement reconnaître ce fait dans ALF 58b "armoire ; l’armoire (se cacher derrière -)", dans le Vaucluse et dans les Alpes-de-Haute-Provence, on voit plusieurs fois : ărmā m, l ărmă (d'abord avec un a long, ensuite avec un a bref). Même si l'on ne doit pas faire une confiance absolue au retranscripteur, je ressens la logique en imaginant le contexte de l'enquête : "Comment dit-ton armoire ?" "Armāri !" (avec une certaine emphase, même minime) "Et comment dit-on se cacher derrière l'armoire ?" "... s'escondre darrier l'armari" (avec un ton moins emphatique, plus réfléchi). Ainsi il me semble qu'en dehors du discours emphatique, les voyelles longues sont tout à fait marginales dans le Vaucluse que je connais, et probablement dans les Bouches-du-Rhône, les Alpes-de-Haute-Provence, etc.


Voir aussi les cartes ALF 18 "aile" (ala), 41 "âne" (ase), 441 "école" (escòla), etc. : ces cartes montrent un allongement fréquent de la consonne tonique libre dans tout le domaine d'oc.   



(GIPPM-1:90) (r.g.f.d.e.a.) "Prov. -a < -āre et -ātu riment ensemble [1], mais en dauph. lim. le premier est long et le second est bref, et les timbres diffèrent [...]."


[1] J. Ronjat utilise une analyse curieuse : lorque les linguistes étudient les rimes, c'est dans le but de déceler la prononciation des variétés disparues de la langue ; alors que dans ce cas, l'auteur traite de variétés contemporaines de la langue ; là il veut dire que ces deux valeurs de [a] sont brèves en dialecte provençal actuel.



Voyelles nasales toniques

En français, les voyelles nasales toniques suivies d'une consonne prononcée sont normalement allongées : "monde" [mò̃ːd], "pente" [pɑ̃ːt]) (CNRTL, autres références ? ; voir aussi le sujet des dénasalisations). En occitan en pénultième (monde, sembla, còmpta), je pense qu'on doit reconnaître une certaine longueur, non pas à la voyelle elle-même, mais au [ŋ] subséquent : [mʋŋdé] ou [mʋŋdé] pour monde. Voir retranscription des voyelles nasales.



Des voyelles longues en syllabe fermée ?

Pour les linguistes, la position ouverte de la syllabe est unanimement reconnue comme nécessaire pour avoir une voyelle longue. Pourtant dans ALF 111 "barbe" (barba), les retranscripteurs ont donné un a long dans une multitude d'endroits des domaines d'oc et d'oïl. Ce a long n'apparaît quasiment pas dans les départements suivants : Hérault, Gard, Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Drôme, Alpes-de-Haute-Provence, Var, Alpes-Maritimes. Je ne sais pas quel crédit accorder à la qualité de la retranscription, mais il me semble en effet qu'en Vaucluse et dans les Bouches-du-Rhône, cela correspond bien à la réalité : barba possède un a tonique bref, même en discours emphatique. C'est à peu près la même chose pour ALF 804 "mâle" (mascle) : dans les régions où l'on prononce mascle, le a est souvent long, mais c'est très rare dans les départements sus-cités.

Pour ALF 299 "clarté" (clartat), à l'ouest du Rhône où -t est en général prononcé, le a tonique (second a) est uniformément bref.




Des voyelles longues atones ?
  

Voir ci-dessous Des voyelles longues atones ?.






3. Voyelles longues par disparition de consonnes (allongement compensatoire en occitan)


L'allongement compensatoire suite à la perte d'une consonne subséquente est bien décrite en latin, où la longueur des voyelles avait une importance capitale ; il est bien décrit aussi en français, et en anglais (voir allongement compensatoire). En occitan cet allongement existe aussi parfois (ou il a existé) suite à la disparition du -s- devant consonne, de -s, de -n ou de -r ; il touche les voyelles toniques, mais également certaines voyelles atones (prétoniques ou post-toniques).



a. Allongement compensatoire suite à la perte de s préconsonantiques ou final (nord-occitan)


En nord-occitan, le s préconsonantique a disparu, et dans tout le domaine, certains s finaux ont disparu. Selon Jules Ronjat, concernant le nord-occitan, cette disparition a causé l'allongement de la voyelle antécédente. Les exemples qu'il donne ci-dessous concernent aussi bien les voyelles toniques que les voyelles prétoniques.


(GIPPM-1:90) (graph.abrév.symb.) "Les parlers du N. qui amuïssent s + consonne et s final roman [...] allongent en général la voyelle précédente, exemple : lim. macle, crouto [mklé, krʋːtò] ["mâle", "croûte"] < masc(u)lu, crusta, vinz. lim. plur.fém. et 2.p.sg. des verbes -as [-] < -ās, article défini dauph. lim. sing. lou, la [lʋ, la ~ lò], pluriel lous, las [lʋː, l], lim. chātèu, nācu ~ prov. castèu, nascu ["château", "né"] < castellu, nascūtu, prag. [péːts] ["pêcher"] < piscāre, article pluriel [lʋz, laz] devant voyelle, [lʋː, l] devant consonne ; même allongement par exemple dans prag. [tèːrə] ["tendre"] < ten(e)ru, -a ; de même en général pour les résultats de contractions, exemple prag. [bλ] ["bâiller"] < batāc(u)lāre."




Remarque : en post-tonique, il n'y a apparemment jamais d'allongement compensatoire après chute du -s :

- pour la deuxième personnes du présent dans les régions où il tombe, dans ALF 1340 "tu me trouves", je n'ai pas trouvé d'allongement de a dans -a < -as : [mé trʋba] dans le nord de 19, etc. (alors qu'en position tonique, ALF 25 "où vas-tu ?" montre régulièrement onte vas [ʋ̃té v]) ;

- pour les féminins pluriel, dans les nombreuses régions où il tombe, ALF 302 "les cloches" ne montre jamais d'allongement compensatoire pour lei campanas, lei clòchas.



b. Allongement compensatoire suite à la perte de n final (ancien béarnais)

Dans les dialectes centraux ainsi qu'en dialecte béarnais, n final est caduc (voir -n instable). L'allongement compensatoire suite de la perte de -n (ou n devant -s) est signalé par Jules Ronjat pour le dialecte béarnais ancien, c'est-à-dire dans la région de Pau (64) (voir ci-dessus ancien béarnais). Pour les dialectes plus centraux (languedocien, limousin...), on ne dispose pas de données semblables, mais cela ne veut pas dire que l'allongement compensatoire ne s'est pas produit. Il faudrait étudier les rimes des poésies de troubadours.



GIPPM-2:288 : (r.g.f.d.a.) "La voyelle devenue finale par amuïssement de -n n'est actuellement pas plus longue qu'une autre voyelle tonique en syllabe ouverte, mais des graphies anciennes comme béar bee, razoo, paa ["bien", "raison", "pain"] < bene, ratiōne, pāne semblent bien attester un ancien allongement compensatoire. On trouve fréquemment dans la charte de Maubourguet (année 1304) des voyelles doubles suivies de n ; Fondeville écrit encore plaa ["lieu plat, plaine"] < plānu (RBG 1912 [n°6], p. 119) [...]"


Jules Ronjat cite ensuite le nom de commune Morlaàs (64), dont la graphie exprime encore aujourd'hui l'allongement compensatoire (< *Morlans < Morlanis).


Je donne ci-dessous d'autres occurrences dans HistSainte, données dans CUCM:49, (que j'ai éclaircies avec le texte dans HistSainteLR, et j'en ai rajouté) :


auguus (auguns) "quelques uns"

baroos "hommes" < *barōnēs

bee "bien" < bĕnĕ

besii "voisin" < *vecīnŭm

bii, vii "vin" < vīnŭm

boo, bon "bon" < bŏnŭm, boos < bŏnōs (mais bona, bone < bŏnăm)

caperaas (capelans) "prêtres"

doos "dons < *dōnōs (dōna)

fii "fin" < fīnĕm

gees (particule qui accompagne la négation, voir gens, ges, gis) < genus

generatioo "generation" < gĕnĕrātĭōnĕm (emprunt)

layroo "larron" < lātrōnĕm

maa "main", maas "mains" < mănŭm, mănūs (pl.)

maysoo/mayzoo "maison" < mansĭōnĕm

maytii "matin" < mātūtīnŭm

paa "pain" < pānĕm

plaa "bien" < plānē

plaa, plaas "plaine, plaines" < plānŭm, plānōs

plee "plein" < plēnŭm (mais plena < plēnăm)

razoo "raison" < rătĭōnĕm

ree "rien" < rĕm

vee "vient" < vĕnĭt


Mais : Benyamin, mesquin, camin (ou surtout cami), peregri (CUCM:195).



c. Allongement compensatoire suite à la perte de r final (ancien béarnais)

Ce type d'allongement compensatoire est noté en ancien béarnais (voir ci-dessus ancien béarnais).
Je donne ci-dessous des occurrences tirées HistSainte, relevées dans CUCM:49, (que j'ai éclaircies avec le texte dans HistSainteLR) :


amoo "amitié (amour)" < ămōrĕm

coos "corps" < cŏrpŭs (acc.)

interpretatoos "interprète" < interprĕtātōrĕm (emprunt)

mayoo "aîné" < mājōrĕm

mesadgees "messagers"

oos "ours" < ŭrsŭm






d. Allongement compensatoire suite à la perte d'autres consonnes
  

Voir ci-dessus Jules Ronjat :


(GIPPM-1:90) (graph.abrév.symb.) "[...] de même en général pour les résultats de contractions, exemple prag. [bλ] ["bâiller"] < batāc(u)lāre."






e. Des voyelles longues atones ?
  

Certaines références donnent des voyelles longues en position atone.


Voir ci-dessus Jules Ronjat :


(GIPPM-1:90) (graph.abrév.symb.) "[...] de même en général pour les résultats de contractions, exemple prag. [bλ] ["bâiller"] < batāc(u)lāre."






IV. Mutation du timbre des voyelles (et évolution jusqu'à aujourd'hui)

   

A. Vue d'ensemble sur la mutation du timbre des voyelles

 
1. Tableaux des aboutissements en Romania occidentale

Du Ier au Ve siècle après J.-C., le système latin se transforme :


- pour les toniques : vers une ouverture des voyelles brèves et une fermeture des voyelles longues (exemple : ĭ > /é/, ī > /i/) ;

- pour les atones : (ĭ, ē, ĕ) > /é/ ; (ŏ, ō, ŭ) > /ó/.


Cette évolution mène vers un système à sept voyelles toniques et cinq voyelles atones, selon les deux tableaux ci-dessous. Ce système vocalique est celui de la Romania occidentale et de l'Italie centrale ; c'est le "système italique" (U. Reutner in MLR:207-208).


Trois autres systèmes vocaliques peuvent être reconnus : "système archaïque" en "Sardaigne et Italie méridionale", "système mixte" "dans le sud de l'Italie et en Roumanie", "système sicilien" "en Sicile et dans certaines parties du Mezzogiorno" (U. Reutner in MLR:208 ; on constate que la zonation en Italie est confuse dans cette description). Pour la Sardaigne, la Roumanie et la Dalmatie, je donne quelques détails ci-dessous.

 


a. Voyelles toniques
 
LPC

LPT1
ī
>
/i/
ĭ, ē >
/é/
ĕ >
/è/
ā, ă >
/a/
ŏ >
/ò/
ō, ŭ >
/ó/
ū >
/ʋ/

Tableau ci-dessus. Mutation du système vocalique des voyelles toniques dans une grande partie de la Romania (Romania occidentale + Italie centrale). On voit que le nouveau système comprend 7 voyelles (il était d'abord passé par un stade à 9 voyelles au Ier siècle, voir ci-dessous). (IPHAF:176, RLHI:9).



b. Voyelles atones
 

Concernant la perpétuation des voyelles atones jusqu'à l'occitan, cette partie est surtout personnelle ; elle a été construite essentiellement en 2022.


Règle de fermeture des voyelles atones (je l'appelle ainsi), mutation des voyelles atones
 

Par rapport à l'évolution des toniques ci-dessus :


ĕ /è?/(1) atone évolue en /é/ ;

ŏ /ò?/(1) atone évolue en /ó/ ;

j'appelle cette évolution la règle de la fermeture des atones.


Cette évolution phonétique peut être incluse dans les apophonies au sens large.


(1) Peut-être les étapes /è/ et /ò/ n'ont-elles pas existé, c'est-à-dire que ĕ et ŏ latins ne se sont jamais ouverts en position atone ; à mieux étudier.


Ainsi on peut représenter la mutation des voyelles atones dans le tableau suivant :


LPC

LPT1
ī
>
/i/
ĭ, ē, ĕ >
/é/
ā, ă >
/a/
ŏ, ō, ŭ >
/ó/
ū >
/ʋ/

Tableau ci-dessus. Mutation du système vocalique des voyelles atones dans la Romania (CDVSF:117).


Quelques jalons sont donnés ci-dessous au 2. (La fermeture ĕ > /é/ et ŏ > /ó/ pour les voyelles atones n'y est pas indiquée ; je n'ai pas trouvé ces étapes dans IPHAF).



Perpétuation de la fermeture des atones jusqu'en occitan actuel (mais pas en français)

Je pense qu'on peut affirmer sans risque de se tromper que la règle de fermeture de [è] et [ò] atones en [é] et [ó] s'est perpétuée de façon ininterrompue depuis le latin  jusque dans les descendants occitans (références?).
Par contre en français actuel, elle ne s'applique plus (références?).


En occitan :
La fermeture des voyelles atones est de règle en occitan.
Par exemple : portar [pʋrta], en français "porter" [pòrté] (voir juste ci-dessous). Même les mots récents suivent cette règle : chocolat [tʃʋkʋla] telefonar [téléfʋna], alors que le français standard a "chocolat" [ʃòkòla], "téléphoner" [téléfòné] (CNRTL). Cela prouve que la règle de fermeture des atones est un élément constitutif fort de l'occitan.


   - La voyelle fermée [ʋ] était [ó] au Moyen Âge ; le prolongement de la fermeture ó > ʋ n'est pas en rapport avec la fermeture des atones (voir /ó/ > /ʋ/).


   - La très bonne conservation de cette règle latine permet l'emploi de l'accent (grave) seulement pour les voyelles toniques : vènon [vènʋ̃] "ils viennent", venir [véni], bòn [bò̃], bontat [bʋ̃ta] "bonté".


   - Il existe quelques exceptions à la règle : cercar "chercher", mercat "marché", gelar "geler" subissent l'influence ouvrante de r ou l et peuvent être prononcés selon les régions avec [è] et même [a] (pour aboutir à marcat, sarcar, jalar). Concernant [é], il est fréquent dans [géla], mais devant un r implosif, [é] ne semble jamais réalisé : [mérka], [sérka] n'existent pas (pour cercar : ALF:22 "aller chercher" e.e.p., pour mercat : ALF:812 "marché" e.e.p.), on n'a que les types [mèrka]/[marka] et [sèrka]. Pour o, par exemple ortiga [ʋtigo/a] "ortie" peut être prononcé aussi avec ó- ou ò- (ALF:951 "ortie" e.e.p.).


   - Notamment en Provence, les diphtongues atones sont affectées par une loi phonétique pouvant s'apparenter à la fermeture des atones, voir ci-dessous diphtongues atones. Il s'agit davantage d'assimilation du premier élément de diphtongue au second. Par exemple [aw] > [ów] dans caucida : [kówsido/a] voire [kʋsido/a]. La graphie ne note pas ce fait en AO ; on peut donc estimer que cette fermeture est assez récente (à étudier).


Parmi les évolutions de diphtongues atones, l'évolution [éw] > [ów] n'est pas donnée dans l'œuvre de Jules Ronjat, qui explique la prononciation de leugier [lówdjié] par une dissimilation é-é > a-é, donc menant à laugier, prononcé en général [lówdjié] en Provence :


(GIPPM-1:323) : "Cet e a dissimilé un e précédent dans prov. lóugié < *laugier < *leviâriu" [...]"


Même si cette différenciation é-é > a-é a pu exister dans leugier (voir ALF "léger", prononcé [lawdjyé] dans le Gard [1]), elle n'a pas pu se produire pour teulissa "toit", cieutat "cité", eusilha "chêne kermès", peutirar "tirer par les cheveux", mots qui ne contiennent pas é-é, et généralement prononcés avec [ów] ou [ʋ] à l'est du Rhône (voir notamment ALF "toit").


[1] : Il est ausi possible que l'évolution gardoise leugier > laugier [lawdjyé] suive une règle d'analogie de eu sur au en position prétonique (à étudier). Voir aussi diphtongue grecque eu.


   - Cette règle se prolonge partiellement dans l'accent méridional : "bonnet", "chocolat", "téléphoner", "noter" sont réalisés nettement avec [ó] en position atone ; "fêter", "souhaiter"... sont réalisés nettement avec [é] en position atone.



En français :

Certes le lexique français conserve la trace de l'ancienne alternance vocalique du latin tardif : "venir, nous venons / je viens", "tenir, nous tenons / je tiens", "asseoir / je m'assieds". Mais la notion d'alternance vocalique est perdue dans ces paradigmes, où la diphtongaison romane a profondément modifié le radical.

Pour d'autres paradigmes aujourd'hui en français standard, de nombreux mots ont un [è] ou un [ò] en position atone (avec souvent deux prononciations possibles, références CNRTL) : "abrégement" [abrèjmã], "événement" [évènmã]/[événəmã], "pèlerin" [pè-/pélrè̃], "sécheresse" [sé-/sèʃrès], "chocolat" [ ʃò-/ʃókòla], noter [nòté], bonnet [bònè]. Souvent le è atone semble apparaître à la faveur d'un groupe consonantique créé par la syncope (CNRTL le signale à "événement"). Voir ci-dessous les différents phénomènes agissant en français.





Alternance vocalique en occitan

La grammaire de l'occitan décrit une alternance vocalique pour les conjugaisons ; cette alternance suit rigoureusement la fermeture des atones décrite juste ci-dessus. Voir dans la partie grammaire : Alternance vocalique pour les conjugaisons : assetar / assèta.


L'alternance vocalique est l'alternance des timbres ouverts ou fermés de e et o selon que ces voyelles sont en position tonique ou atone dans un même radical. Par exemple : assetar [é] / s'assèta [è] "ils s'assoit" ; portar [pʋrta] / pòrta [ò] "il porte".

Compléments de définition :

- Il y a aussi l'alternance ue/u (vujar [vudja] / vueja [vüédjo/a] "il vide") ;

- Dans de nombreuses régions comme la Provence, l'alternance vocalique s'est étendue aux diphtongues (voir Prononciation des diphtongues atones). Par exemple : se taisar [sé téyza] "se taire" / taisa-te [tayzo/a té]. Fréquemment, des nivellements analogiques se sont produits : [tèyzo/a té] ; l'alternance peut prendre alors la forme [éy/èy]. Une évolution de même type est notée pour nàisser/naissèm : [naysé] ou [nèysé] / [néysè̃].


L'expression "alternance vocalique" est souvent employée pour l'alternance dans les conjugaisons ; elle concerne aussi les dérivations.

- Conjugaisons (exemples) :


Première conjugaison :

costar [kʋsta] /còsta "il coûte"

portar [pʋrta] / pòrta "il porte"

rotar [rʋta] / ròta "il rote"

telefonar [téléfʋna] / telefòna "il téléphone"

assetar [aséta] / s'assèta "il s'assoit"
restar [résta] ou [rèsta] / rèsta "il reste"


Deuxième conjugaison :

morir [mʋri] / mòr "il meurt"
tenir [téni] / tèn "il tient"
venir [véni] / vèn "il vient"


Troisième conjugaison :
conèisser [kʋnèysé] /coneissèm [kʋnéysè̃] "nous connaissons"
nàisser [naysé] / naissem [néysè̃] "nous naissons"

rèndre [rè̃dré] / rendèm [ré̃dè̃] "nous rendons"
voler [vʋlé] / vòle [vòlé] "je veux"


- Dérivations (exemples) :

bèn "bien" / benet [béné] "petit bien ; truite de belle taille"

bèu [bèw] "beau" / beutat [béwta], [bówta] "beauté"
bòn "bon" / bontat [bʋ̃ta] "bonté"
"pied" / AO pezada > (disparition de z) OA piada (peada, peiada, pea...) "empreinte de patte, de pied"

pòrc "porc" / porcieu [pʋsyéw] "loge à cochon", morre-porcin [mʋrépʋsĩ] "pissenlit", mot à mot "museau porcin"
Ròse "Rhône" / rosau [rʋzaw] "vent d'ouest, qui vient de la direction du Rhône (en Provence)"



- Je rappelle que ce phénomène s'inscrit dans le prolongement du latin tardif, où les voyelles étaient toutes fermées en position atone.


- Par contre, le système français échappe à ce phénomène : en français standard, on dit "porter" [ò], "roter" [ò], "téléfoner" [ò] (CNRTL). Il faut noter que l'accent méridional dit bien "porter" [ò] (action ouvrante de r, souvent [pʋrta] en provençal), mais "roter" [ó], "téléphoner" [ó].



Formes d'alternance vocalique en français

Pour le français, l'alternance vocalique semble marginale : "mener", "jeter", "lever", "peler", "appeler", "acheter"... montrent une alternance vocalique ə/è : mener / je mène, jeter / je jette, etc. Également une alternance é/è pour "sécher" / "je sèche", "céder / je cède", "décréter / je décrète"...

Mais ce n'est pas un reste de l'ancienne règle latine de la fermeture des atones ci-dessus ; en effet en français d'autres influences exercent leur action :

- l'influence analogique du mot simple : frais [frè] => fraîcheur [frèʃœːr] (TPPF:41) ;

- l'harmonisation vocalique (ci-dessous) : cette transformation peut prendre la forme d'une alternance vocalique, par exemple "fêter" peut être prononcé [fété] par harmonisation vocalique.



Voir aussi CNRTL : "pêcher" (verbe ou nom), "quêter" sont prononcés avec [è] ou [é], coter [ò] / je cote [ò], téléphoner [ò] / je téléphone [ò].


La véritable règle latine de la fermeture des atones demeure en français dans les formes comme "venir" / "je viens"




2. Étude diachronique des timbres vocaliques

a. Ier siècle après J.-C. (avant la destr.Pomp.)


Il y a ouverture de ĕ et ŏ latins toniques, ouverture partielle de ĭ et ŭ, fermeture de ē, ī, ō, ū ; ă, ā ne changent pas de timbre. Ces changements sont attestés dans Pomp : ils devaient affecter l'Italie centrale, et ils vont se propager à presque toute la Romania (mais voir l'exception sarde ci-dessous). On obtient alors un système panroman à 9 voyelles (RLHI:9,10).


Attestations antiques : voir Servius ou Sergius (in de Poerck, 1953, in Probert, 2019)



Remarque 1 : Pour les voyelles atones, elles restent ou deviennent brèves, sans présenter encore de changement de timbre.

Remarque 2 : Les voyelles ci-dessous sont longues si elles sont libres, et brèves si elles sont entravées.


ĕ > /è/

ŏ > /ò/


ĭ > /I/

ŭ > /ʊ/


ē > /é/

ō > /ó/

ī > /i/

ū > /ʋ/

ă, ā > /a/


Ci-dessus : Évolution du timbre des voyelles toniques au premier siècle après J.-C. dans le centre de l'Italie, qui va s'étendre à la Romania. On obtient un système panroman (sauf Sardaigne) à 9 voyelles.

(synthèse à partir de IPHAF:176, RLHI:9)



b. Fin du IIe siècle

L'ouverture de ĭ tonique se poursuit (voir IPHAF:179, modifié) :


/I/ > /é/

 
Sardaigne, Dalmatie : Il faut remarquer que la Sardaigne n'est pas affectée par ce changement ; elle a même conservé ĭ = /i/ : frĭgĭdŭm, pĭscĕm, sĭccŭm > sard.log. friddu, piske, sikku. (GLR: 85). La Sardaigne est isolée du reste de la Romania avant cette époque ; elle n'a même pas été affectée par la première évolution ĭ > /I/. Voir aussi la conservation de k dans cĕntŭm, de même en dalmate (GLR:339). Je n'ai pas trouvé ĭ > /i/ pour le dalmate (GLR ne cite pas le dalmate pour cette conservation /i/).


c. Première moitié du IIIe siècle

 

(IPHAF:181)


ĭ atone > /é/



d. Fin IIIe, début IVe siècle

 

L'ouverture de ŭ tonique se poursuit (IPHAF:55,184) (bŭccăm > boca)


/ʊ/ > /ó/


Roumanie, Dalmatie : séparation de la Dacie, future Roumanie. En 271 après J.-C. se réalise la retraite romaine au nord du Danube. Donc le roumain, a fortiori le sarde, mais aussi le dalmate, conservent ŭ = /ʋ/. Voir fŭrcam > roum furcă, sard.log. furca, au contraire : it forca, esp horca, oc forca, fr "fourche" : dans ces deux dernières langues, voir le "retour" // > /ʋ/. (Voir ÉLR:17).

Voir ci-dessous le devenir de ŭ tonique.



e. Milieu du IVe siècle


Il y a ouverture de ŭ en position prétonique : cŭmŭlāre > */kómlré/ (> "combler") (IPHAF:186) (> comblar)


ŭ prétonique > /ó/


Voir ci-dessous le devenir de ŭ prétonique.



f. Fin du Ve siècle


Il y a ouverture de ŭ en position finale (date pour le domaine d'oïl : IPHAF:190)


ŭ post-tonique final > /ó/


Voir ci-dessous le devenir de ŭ final.



3. Perturbations de l'évolution du timbre vocalique




a. Actions fermantes sur le timbre vocalique

Triange-fermeture

Direction de la fermeture d'une voyelle dans le triangle vocalique (voir triangle vocalique à "Transcription phonétique").



α. Devant nh et lh (fermeture du timbre)

Voir fermeture du timbre devant nh, lh (premières palatalisations)



β. Devant nasale implosive (fermeture du timbre)



β1. Devant nasale implosive en domaine d'oc occidental (fermeture du timbre)

Voir ci-dessous è devant nasale implosive, ò devant nasale implosive.



β2. Entre nasale et nasale implosive dans tout le domaine d'oc (fermeture du timbre)

Voir GIPPM-1:117 : "Presque tous nos parlers ferment [ȩ, ǫ] entre m et nasale implosive (ment, mount < mentit, monte, §§ 93, 106, faits remontant peut-être au lat. vulgaire) ; beaucoup plus de la moitié (O.) ferment [ȩ, ǫ] devant nasale implosive (ibid.) (...)".


Voir ci-dessous : type ment, type mont, type mengar "manger".




γ. Fermeture e > i en prétonique au contact d'une palatale

Max Pfister signale cette évolution (BAG:316-317, repris depuis ÉGPACL) : "fermeture de e prétonique en i en contexte palatal". Ainsi en position prétonique, avant ou après palatale, on n'obtient pas e attendu mais i. L'auteur donne six exemples, mais on peut en trouver beaucoup d'autres. 


e > i devant palatale (legir > ligir)

Legir > ligir (elegir > eligir)

Regir > rigir (TDF : Var)




e > i après palatale (genesta > ginesta)

Voici une série de mots dont le i prétonique semble s'expliquer aisément par une fermeture de e après palatale (anciens [͜ts] et [͜dj]). Les linguistes les plus réputés (Pierre Fouché, Walter von Wartburg, Jules Ronjat...) ont cherché d'autres explications, au cas par cas. Cette évolution semble toucher particulièrement le domaine occitan, avec des mots qui sont parfois passés au français.

Cependant Gerhard Rohlfs (AStNSpr. 177 [1940]) repris par Max Pfister (BAG:316...) développe l'idée de la transformation e > i au contact d'une palatale, en occitan.


Voici la position de Jules Ronjat, qui évoque des francismes pour cisèu, ciment, des traitements savants de i dans civada, cigala... mais bien une évolution populaire e > i dans penchinar "peigner" :

(GIPPM-1:295,  § 169 fin) "Ciment (lim. ce-), cisèu-èl doivent être fr. ciment,
ciseau empruntés, puisqu'on a p. ex. cementèri, etc... (v. § 425 2°) "cimetière". Le mot voyageur cĭbāta > civado, etc... (v. § 268) n'offre pas un traitement populaire de la prétonique, et cigalo < cĭcāla suppose une influence savante ou un croisement (cf. § 231).

Mais la fermeture de -e- par -ch- est indigène dans prov. penchina "peigner" (l. plutôt -ena).

Pour dina "dîner" v. § 175 in fine ; dialectal -iol- < -ial-< -el- §165."


J'étudie ci-dessous les mots concernés un à un.


caemĕntŭ(m) > oc ciment (GirRouss), fr "ciment". Pierre Fouché classe "ciment" dans un petit groupe de mots montrant, selon lui, des dissimilations e-e > i-e : caemĕntŭ > *cementu > ciment (PHF-f2:455). Ce point de vue est repris dans CNRTL "ciment",  PH-2020:332, §281.4 (voir aussi CNRTL "cément", emprunt au latin). W. von Wartburg (FEW 2:37a) ne donne pas d'explication pour ce i. En occitan, ciment pourrait s'expliquer par l'évolution e > i après palatale.


cĭbātă(m) > oc civada "avoine". W. von Wartburg (FEW 2:660b-661a) estime qu'il y a eu traitement en partie savant, pour expliquer le i occitan (alors qu'on attendait e) ; il n'a pas repéré l'influence fermante de la palatale c/g en prétonique. Cette position de W. von Wartburg était déjà invalidée par Gerhard Rohlfs (AStNSpr. 177 [1940], p. 63) in BAG:316-317.


cĭcādăm > oc cigala (avec changement de suffixe). Le français "cigale" est un emprunt à l'occitan. W. von Wartburg (FEW 2:662b-663b) donne un étymon cīcādă, avec i long, sans doute au regard du descendant actuel oc cigala ; mais le latin classique est bien cĭcādă, avec i bref. W. von Wartburg n'avait apparemment pas connaissance du phénomène de fermeture e > i au contact d'une palatale. (Mieux étudier les occurrences en LC : Virgile, etc.).


cĭcōnĭă(m) > AO cegọnha, cigọnha, oc cigonha, cigònha... Il existe des formes héritées en a.fr. : soigne (XIIIe s.), a.bourg. cyoingne, etc. (FEW 2:666b). La forme "cigogne" est un emprunt à l'occitan. W. von Wartburg estime (FEW 2:665) :

(trad.all.) "En occitan, ciconia évolua en cegonha (en l'occurrence seulement attesté avec la signification "perche à bascule pour puiser l'eau d'un puits". Cette forme a diffusé vers le nord de la France, et la forme latine a affecté la forme indigène au sud comme au nord. Ainsi s'expliquent le -g- du mot français, le i (au lieu du e) de nombreuses formes gallo-romanes, et enfin le c (au lieu du g)."

Il est sans doute plus cohérent de considérer les formes oc cigonha, cigònha comme régulières, avec fermeture de e (< ĭ) en i après palatale, et les formes m.fr. et plus tardives cicogne (y compris dans La Fontaine), comme des latinismes.


cĭcūtă(m)oc ciguda "ciguë". Les formes a.fr. de type cëue, dial. siü, seû sont régulières en français (FEW 2:668a). W. von Wartburg considère les formes de type a.fr. cegue (XIIe siècle), fr "ciguë" (depuis 1611) comme des adaptations des anciennes formes françaises au latin ("seit afr. zeit dem lt. wort wieder teilweise angenähert"). En occitan, ciguda est régulière, ainsi que sa forme n.oc. cigua. Il est plus logique de considérer cegue, ciguë comme des emprunts anciens à l'occitan, la forme avec i étant issue de la fermeture de e (< ĭ) après palatale. Les formes de type cicue sont des latinismes, comme ci-dessus cicogne pour "cigogne".


Gĕmĕrĕ → *gĕmĭcŭlārĕ > gingolar "geindre". FEW 4:93a donne simplement gingolar à *gĕmĭcā ; je pose que gingolar provient d'un *gĕmĭcŭlā.On pourrait aussi poser un composé *gemer-golar "gémir-gueuler" mais il me semble qu'alors il aurait des restes de prononciation de type gemegolar, comme pour cauca-trepa, montar-davalar.


Genesta(m) > ginesta

Genniacu(m) > Ginhac (aussi fermeture devant nh)

Genuculu(m) > ginolh
Gibbosu(m) > gĭbbă(m) > giba (malgré la position de J. Ronjat qui postule un latin gībbă, GIPPM-1:140).

Gingiva > gengiva > pr.ma. gingiva

Januarius > jenuarius > ginovier "janvier"

Juniperus > (gloses) ziniperus, giniperus > (différenciation i-i) *jeniperus > ginèbre "genièvre" (CNRTL "genièvre")



jectare > jetar > jitar "jeter"


lēgĭtĭmŭm > legisme, voir discussion à "évolution des proparoxytons" T-M (2. t'm > sm).








δ. Néo-apophonies   (je propose ce terme)

Voir néo-apophonies (dans le chapitre Apophonies).


Par exemple il y a fermeture a > u dans : ămygdălă > amiddula (Prob) "amande" (voir ămĭddŭlă).






b. Actions ouvrantes sur le timbre vocalique

Triange-fermeture

Direction de l'ouverture d'une voyelle dans le triangle vocalique (voir triangle vocalique à "Transcription phonétique").



α. Abrègement de certaines longues ? (avant la mutation vocalique)


Voir ci-dessus : allongement de certaines voyelles longues (le phénomène n'est pas clair).




β. Devant r et l   (influence ouvrante) (en liaison avec la prosodie)

(en chantier)

Voir influence ouvrante de r et l à "Transcription phonétique".


Je groupe ci-dessous un ensemble de faits que je me propose de mieux étudier, qu'on peut constater en français ou en occitan. Dans les langues voisines (catalan, espagnol, italien...), ce fait n'apparaît pas (à vérifier complètement). Selon les auteurs ces faits sont envisagés différemment. Il s'agit d'une ouverture de é en a, mais aussi de é en è, ou de ó en ò. Elle peut se produire à l'initiale prétonique ou pas forcément prétonique (parfois tonique), en syllabe fermée ou pas forcément fermée, devant consonne liquide ou pas forcément liquide...


Voyelles prétonique (type marcat)


Pour le français, Édouard et Jean Bourciez donnent :


(PFÉH:108, § 94) "Dans la syllabe initiale, un libre ou entravé est assez fréquemment devenu a en français, surtout devant les consonnes liquides. Ex. : *Bĭláncea, balance ; pĕlо́rida, palourde ; *zēlо́su, jaloux ; *hĭrúnda (cl. hĭrúndinem), aronde ; *trĭpáliu, travail ; *trimáculu, tramail ; *fēnáre, faner ; celt. *glēnáre, glaner ; *rēmáre, ramer ; pĭgrítia, paresse ; sĭlváticu, afr. salvage , sauvage ; dĕlphínu, afr. dalfin , dauphin ; ĕl(ee)mо́syna, afr. almosne , aumône ; mĕrcátu, marché ; *pĕrpágine, parpaing ; pĕrvenire, parvenir."


En prétonique devant r et l, on observe une tendance à l'évolution e > a : mercātum > marcat "marché". Le provençal connaît marcat ou mercat, selon les régions. Cette tendance est marquée en syllabe fermée, mais on l'observe aussi en syllabe ouverte (gelar > jalar "geler") ; elle est décrite devant r et l, mais ci-dessous CDVSF semble la donner devant n'importe quelle consonne (tripaliu > travail).


Voir CDVSF:125 : les auteurs signalent que l'évolution de type "mercātu > marché" circonvient à la règle de conservation du timbre des voyelles en syllabe fermée (en initiale atone, prétonique atone, tonique). Ils signalent que "cette évolution particulière n’est pas constante : servīre > servir, virtūte > vertu, etc." (ils faut remarquer qu'en occitan, le TDF donne bien pr.ma. " sarvi, vartu"). De plus, cette évolution "se rencontre certes en syllabe initiale fermée mais tout aussi bien en syllabe ouverte : *hirunda > aronde, pelōrida > palourde, tripaliu > travail."


(GIPPM-1:295,  § 169 fin) "L'ouverture jusqu'à a devant rr et r + consonne (cf. § 66, in fine) est très généralement répandue en forc. alp. vel. gév. auv. march. aur., ex. vaud. du XVe s. arror < errōre, argolh,-Ihos « orgueil,-lleux ») < erg- < org-, vaud. mod. arvengu « revenu < erv- < rev-, etc... (v. § 447), forc. tarrible, libarta "terrible, liberté" ; ces a sont devenus dialectalement o comme les a anciens, ex. aur. torrible et les proclitiques stir. vors "vers", por "par, pour". Pour les cas spéciaux de sarcello et sarra v. §§ 176 et 179 ad finem."


Je rajoute :

zēlsŭ(m) > gelós / jalós, "jaloux" (CNRTL à "balance"). Le mot français pourrait être d'origine occitane (CNRTL "jaloux").



Voyelles toniques (type verd, estela?)


(GIPPM-1:119,  § 66 fin, avec références à NPGA:88-90) Jules Ronjat explique l'effet ouvrant de r et l, et distingue deux types de r (je n'ouvre pas les guillemets car je clarifie la présentation de l'auteur, mais c'est presque une citation) :

- Pour articuler r alvéolaire et l, le dos de la langue anticipe le mouvement et s'abaisse en arrière du point d'articulation de ces consonnes ; cela ouvre la voyelle qui précède : ér > èr, él > èl, èr > ar ~ èar, etc.

- Pour articuler r uvulaire (lorsqu'il a été adopté dans les dialectes, postérieurement à l'utilisation de r alvéolaire latin) ; le dos de la langue anticipe le mouvement et s'abaisse en avant du point d'articulation ; cela ouvre la voyelle dans le cas ʋr > òr.



(GIPPM-1:135-136) (r.g.d.a.g.c.c.g.) "Le provençal conserve bien [é] en syllabe ouverte [...]. En syllabe fermée [é] reste devant s et s + consonne : mē(n)se et missu > mes, spissu > espés, crista > cresta, arista > aresta, ēsca > esca, piscat > pesca. Mais il y a ouverture :


[ci-dessous je mets l'accent grave sur e, mais normalement la graphie classique n'écrit pas cet accent ; la diversité des situations doit être mieux étudiée]


(α) devant r ou l implosif en roman : espèr postverbal de esperar < spērāre et ancienne 1e.p.s. prés.ind. espȩr < spērō (entraînent espère, -es, -a, etc.), clèrc et clèrgue < clēr(i)cu, vèrd < vir(i)de et fém. -da, vèrga, cèrca < virga, circat ; de même cèle, vèle, -as, -a, etc... et toutes formes rhizotoniques de celar, velar < celāre, velāre, et vèu [masc. "voile"] < vēlu, mais vela < vēla, parce que "voile (de navire)" n'a pas de contact sémantique avec "voile" masc. et "voiler".

[...]

[l'auteur étudie ensuite l'ouverture :

(β) de é devant -u : nèu < nive ;

(γ) de é devant i implosif : lèi < lēge : ci-dessous éi > èi ;

(δ) parfois de é devant nasale implosive : rèm "rame" < rēmu]"


(GIPPM-1:295).






γ. Devant β (influence ouvrante)

Voir jŭvĕnĕm > jŏvĕnĕm est lié à w > β.






c. Labalisations


Voir la définition de labialisation.

Hugo Schuchardt mettait déjà en évidence une labialisation très fréquente dans les langues romanes (DVDV2:238 et suiv., archive.org, DVDV3:242 en bas "Der Einfluss der Labialen auf vorausgehende helle Vokale..." (trad.all.) "L'influence des labiales sur les voyelles claires précédentes [é et i]", et suiv., archive.org).



Jules Ronjat (GIPPM-1:139, GIPPM-2:211) donne un processus d'évolution /é/ > /u/ au contact de labiales ("labialisation").

Par exemple (GIPPM-2:211) : " u labialisation de e ou de i " :

enfle "enflé" se dit ufle (Foix, lim. ag. et souvent brianç.. queir. vel. gév. rrgt.), big. pur. souvent uhle ; AO uflar ;
enfant "enfant" se dit ufant (Paulhaguet) ;
enfèrn "enfer" se dit unfèrn (alp. dial.), aussi : ufèrn (lang. in TDF et AO)


(GIPPM-1:294) : (à propos de é roman prétonique) "L'entourage labial produit ici des effets analogues à ceux qui ont été notés pour la tonique (§ 82), ex. prag. fumèle, buvènt < fēmella, bibente, rhod. pop. méd. cabudèu, fumello < capitellu, fēmella [...]".


Jules Ronjat (GIPPM-1:313 en bas) donne pour prīmārĭŭs > "premier" : promier < labialisation de premier, prumier < labialisation de primier. Cette assertion est peu convaincante puisque ci-dessous, de nombreux /é/ evoluent en /u/.

Et premier pourrait provenir d'une dissimilation i-y > e-i comme pour vicinu > vecinu (i-i > e-i).


Pierre Guiraud (DEO:12) écrit : "Certaines règles doivent être entièrement reconsidérées. Ainsi l'inventaire de tous les cas attestés de l'évolution de en ü montre qu'elle se produit toujours dans un entourage labial : prodhomme et prudhomme, foisil et fusil, meute et mutin, fleuve et fluive, bouffer et buffer, mouffle et muffle. L'existence d'une telle tendance, sinon règle, remet en question la parenté de couples tels que bouter et buter, boisson et buisson, fourgon et furgon, etc., et autorise des conjectures qui avaient été jusqu'ici, écartées au nom de la phonétique historique."




affibulare > "affubler" "l'i s'étant labialisé en u entre les 2 labiales f, b" (CNRTL "affubler"), AO afiblar / afublar, voir ci-dessous fībĕlla.

aperire > *operire > obrir, ubrir, "ouvrir"

beve, beviá > buve, buviá (TDF), et français "buvais" (< beuvais : CNRTL)

b.lat. calamellus > fr "chalumeau"

cannapem > canebe > canube "chanvre"

cebenchon > subenchon "furoncle"

cime > sumia "punaise"

cooperire > cobrir > cubrir > curbir "couvrir"

cremascle > crumascle "crémaillère" ;

cribellum > crivèu, cruvèu "crible"

dē mānĕ > deman / (l) (g) (bord) doman, it domani ;

demandare > demandar, AO domandar, it domandare ;

ebrium > ebre, ubri "ivre"

episcopum > obispo

excŏmmŭnĭcāre > AO escumergar ;

femina > fuma, fruma "femme"

fībĕlla (forme de fībŭla) > AO fivèla / fuvèla (voir ci-dessus affibulare > "affubler")

fĭmŭm > fĕmŭm (IVe s.) (> a.fr. fiens "fumier") → fr "fumer", "fumier" ("-e- > -ü- prob. par attraction des 2 consonnes labiales environnantes, v. Fouché, p. 451, 5°a", CNRTL "fumer2")

fromental > frumental

gemellos > jumeaux

grepia > grupia (< krepja)

hībernum > AO ivęrn, uvęrn

intaminare > entamenar / d entomenar ;

līmacem (m. ou f.) > limaça, viv. lumaça

lupia > lupia (et non lopia, peut-être influence savante mais voir grupia < krepja ci-dessus) (< lopp- ou francique, voir rhénan luppe "morceau")

ofrir > AO ufrir "offrir"

ŏpācŭm > ubac

prīmarius > primier, premier, prumier, permier... "premier"

ribeiròu > rubeiròu

riban > ruban (fr. ruban < ringband)

rīmārī "fissurer"> rimar "brûler sans flammes, se consummer", lang rumar, gasc arrumartosc rumare "remuer (un liquide)"

ruminare > ruminare > romiar, alp rumiar, Var ruminar (évolution probable)

Simiana > Sumiana "Simiane"

*Siminanus > patron. Sumian, Sumien

semenar > (bord) somar, somiar (et influence contraire > samenar, comme crebar > crabar, cremar > cramar)

sepia > supia "seiche" (et supilhon)

siblar > sublar "siffler"

*sŭbmŏnērĕ > somọndre, semọndre > pr.ma. sumondre "proposer" (ci-dessous ò > ó).

vindēmĭăm > vendemia / vendumia "vendange"




Italien : somigliar, domani, domandare, dovere, rovesciare

(lat.vulg.) līmāca > it lumaca "escargot" (FEW 5:343a note 19 : i > u non pas sous l'influence de lumen, l'escargot fuyant la lumière, mais simplement sous l'influence du m subséquent).


Il y a aussi :




d. Contact entre deux éléments vocaliques (hiatus ou diphtongues)


Dans les hiatus ou dans les diphtongues, un des deux élements évolue souvent (voir généralités sur les hiatus et leurs effets). Avec le temps même, souvent les deux éléments évoluent : les exemples sont nombreux dans la diphtongaison romane, la diphtongaison française, l'imparfait occitan des 2e et 3e conjugaisons (en -iá)... Les évolutions sont très diverses et caractérisent souvent les époques et les dialectes.


On peut d'abord distinguer deux tendances opposées : α. Augmentation de la différence entre les deux timbres, et β. Diminution de la différence entre les deux timbres.


α. Augmentation de la différence entre les deux timbres
   

L'augmentation de la différence entre les deux timbres témoigne a priori, dans la psychologie des locuteurs, de la volonté de maintenir la présence des deux timbres contigus, voir par exemple éi̯ > ói̯ ci-dessous.


α1. Différenciation d'aperture au sens large : vers la consonification d'une voyelle
   
Notion de différenciation d'aperture
  

Pour la notion d'aperture, voir le triangle vocalique à "Transcription phonétique".


Voir aussi "transformations phonétiques" : différenciation d'aperture.


Dans ce paragraphe, les nombreux exemples concernent deux timbres vocaliques en contact, éloignés sur le plan de l'aperture. Les auteurs semblent réserver la notion de différenciation d'aperture à des phénomènes conduisant plus ou moins volontairement les locuteurs à différencier deux timbres contigus semblables, pour éviter la disparition de l'un des deux. J'appelle cette situation différenciation d'aperture au sens strict. Je traite ci-dessous de la différenciation d'aperture au sens large (les deux timbres ne sont pas forcément semblables). Cela peut mener à la consonification d'une voyelle : AO beaça > AO biaça > biaça /byaso/ (y est le yod, consonne ou "semi-consonne", ou "semi-voyelle").





α1.1. Fermeture du timbre le plus fermé (en général timbre non accentué)


Les exemples ci-dessous montrent une fermeture du timbre le plus fermé dans un contact entre deux voyelles ; ils illustrent la tendance à augmenter la différence entre les deux timbres, avec pour effet la conservation de ces deux timbres.

En général, il s'agit du timbre non accentué, par exemple AO beaça > AO biaça.


Mais pour certains cas, la fermeture du timbre le plus fermé semble affecter la voyelle accentuée :

- type hăbē(b)ās > AO avias "tu avais" ;

- le type magistrem > maestre > maïstre "maître" ;

- type pa(v)ore > AO pagur, paür "peur".


Souvent s'il y a hiatus au départ, le groupe vocalique évolue en diphtongue (diphtongaison par coalescence ou synérèse).



ea > ia
   

- lat -ĕă > *-ĭă (puis ĭ > y : voir yodisations) (Prob : vinea non vinia, cavea non cavia, etc.)


- gaul bedale > oc besal, besau > (ébranlement de /z/) oc beau > biau "bief"


- *Benarnum (peuple des Benarni) > (n-n > ∅-n) Bearn > Biarn ("Béarn", région des Pyrénées-Atlantiques).


- lat bĭsaccĭŭm > *bĭsaccĭăm > *besatsa > (ébranlement de /z/) AO beaça > AO biaça > biaça "besace contenant le casse-croûte ; casse-croûte".


- lat crĕā > oc criar "créer"


lat ĕt a... (en position syntactique) > é a...  > AO i a...  "et a..." (exemples : AO i a "et à", i ab "et avec", i aquest "et ce") (PSW 2:311a,b), voir t final. Il me semble que l'espagnol y "et" provient du même phénomène de différenciation d'aperture devant voyelle (sources à rechercher).


La forme i "et" peut compter comme syllabe à part entière :

(vers à 13 syllabes) Que plus que .xv. melia n'issiren pels porteus / Bon i adreit per armas e ben correns e beus (a.v. leus) CroisAlb-1228 = Il en sort par les portes plus de quinze mille / Braves, experts en armes, beaux (a.v. rapides) et bien courants (HCHA:319).


Ou bien cette forme i "et" peut compter comme élément faible de diphtongue, associé à a suivant :

(vers octosyllabes) So diss en G[uilhem] de la Barra / A sos cavaliers y a sa gent. / "Be sabetz tug cominalment / Que per lialtat e per amor / M'apelec lo rey mosenhor (...)" GuilhBarra = (prop.tradu.) Ainsi dit le seigneur Guillaume de la Barre / À ses chevaliers et à sa troupe. / "Vous savez parfaitement / Que par loyauté et par amour / Le roi m'appela Monseigneur (?) (...)"


- type cante > canti "je chante".



- lēgālĕm > leal > var AO lial "loyal", lealtat > var AO lialtat "loyauté"


lat pĕdis + -ataAO pezada > (ébranlement de /z/) *peada > piada "empreinte de pied"


- lat pĕdōnem > (ébranlement de /z/) a.fr. peon "fantassin" > "pion" (voir AO pezn, pen)


- rēgālĕm > real > var AO rial "loyal"


- gr τήγανον (tēganon) > *teane > *tiane (avec basculement d'accent sur a à une certaine étape) > oc tian "plat en terre cuite"


- lat vĭăm > *vea > oc via  (LDR:333)


- lat thĕātrŭm > (pr.ma., pr.rh.) tiatre [tyatré], voir aussi auv teiatre.



ea > ia
   


Dans l'hypothèse (privilégiée) où la terminaison de l'imparfait latin en -ēbăm > *-ēăm (deuxième à quatrième conjugaison). n'avait pas encore réalisé le basculement d'accent tonique, on doit envisager la fermeture du e tonique devant a atone : ea > ia. Cela semble bien s'être réalisé dans certains cas, voir ci-dessus l'introduction.


lat hăbēbās > (dissimilation b-b) *habeas > *habias  (GIPPM-3:171)


Voir la suite ci-dessus : basculement d'accent >... aviás "(tu) avais".





eau > iau / əau (français)
  

Voir ci-dessous eo > io.





ae > ai
      

āĕrĕ(m) > oc aire "air"


ăsĭnŭm > ase > (perte de /z/) *ae > ai "âne"


(vae "hélas ; malheur à" > it guai n'entrerait pas dans ce cadre, à mieux étudier)



ae > ai
      

măgĭstrĕ(m) > AO maestre > ? maestre > maistre "maître". À mieux étudier. On a AO et a.fr. maïstre (avec accent tonique sur ï ? alors pourquoi i et non é ?, je ne trouve pas l'explication ni dans Fouché, ni dans FEW). Si l'accent tonique était déjà sur a, le i s'explique logiquement par la différenciation ae > ai. Si l'accent tonique était encore sur le i, il pourrait quand même y avoir une différenciation ae > ai, mais plus difficilement (introduction ci-dessus).

Fouché PHF-f2:340 range maïstre avec faïne, gaïne, vaïne, haïne, traïne, traïtre, comme exemples médiévaux de basculement d'accent de i vers a. Dans cette liste, seuls maïstre et traïtre ne proviennent pas d'un latin avec ī, mais d'un latin avec ĭ.





aeo > aio
 

Pour le français : -ācŭm > *-/aé̯ó/ > *-/aó/ > *-/a/ > -/é/, comme Camerācŭm > Cambrai (voir toponymes en -ācŭm).





oa > ua > wa

āgŭlăt > */kwaλa/ > calha "(il) caille", voir c + ŏ en hiatus.





ao > au

vādō > *vāō > oc vau "je vais" (GAP:278, GIPPM-3:294).


Le groupe ao peut provenir de ao, qui fournit davantage d'exemples (ci-dessus ao > ao). Selon les mots et les régions, [aʋ̯], [aw] peut poursuivre son évolution en òuʋ̯], [òw].


Voir aussi le problème de la datation g > ∅ / -ŭ > -ó.



ao > au
  


păvōrĕm > *păō > *ū > AO paür, pagur "peur". Dans ce scénario, c'est le timbre accentué qui est affecté (cela semble bien s'être réalisé dans certains cas, voir ci-dessus l'introduction).


Ce type est proche du type italien pa(v)ore > it paura. Pour ce dernier, les linguistes invoquent généralement la réfection avec le suffixe -ura (FEW:8:89b), mais je pense qu'on peut y voir une différencation o > u. Le -a du féminin a pu se rajouter par analogie sur les autres féminins.

Pour la variante courante en occitan actuel paur "peur", on peut invoquer :

- le même phénomène de différenciation o > u plus tard, après basculement d'accent ao > ao (ci-dessus) ;

- ou bien la conservation d'un cas sujet dont la provenance est : nom păvŏr > *paòr ou *pavr > paur.





eo > eu

ĕgō > *ĕō >  eu > ieu "je, moi" (GIPPM-3:48).


lĕo > AO lȩu "lion".


pæŏnĭă > (emprunt au latin, avec basculement d'accent sur la première syllabe) pæŏnĭă > OM peuna [péwno/a], pieuna [pyéwno/a] ; voir aussi ci-dessous a.fr. pyoine et v dans "pivoine".




eo > io


mĕdŭllă(m) "moelle" > *medolla > (nord-occitan, franco-prov, franç. : d > 0) > *meola [méola], puis :

- dans les régions sans transformation [ó] > [ʋ] (fr.pr.) : > [méola] > [myóla] / [myòla] (ALF:862 montre les deux formes, avec ó et avec ò).

- dans les régions à transformation [ó] > [ʋ] (tout le domaine d'oc et le domaine d'oïl sauf la bordure orientale) :

- l'hiatus peut être conservé : *[méola] > meola [méʋlo/a] (attesté en Diois 26, Gapençais 05 : ALF:862, accent tonique sans doute mal localisé dans ALF, voir TDF "meoulo (d.)" et non méulo) ;

- en nord-Aveyron, et en d'autres points : [meola] > *[myóla] > [myʋlo].

- en plusieurs points dans le Cantal, le Puy-de-Dôme, la Creuse : même résultat qu'en fr.pr. ci-dessus : la miola [myólo] ou miòla [myòlo]. L'évolution [éó] > [yo] pourrait s'être réalisée avant l'évolution [ó] > [ʋ], et [yo] aurait résisté à l'évolution vers [yʋ] ?

- Lot, Dordogne... : l'accent tonique n'est pas clair dans ALF:862 : [méʋlo] ou [méwlo] :

- en domaine d'oïl : l'hiatus a été résolu par une métathèse : meole > moele (moelle, dont la prononciation a dû suivre wé > wa, voir type "toile") ; la métathèse rappelle tiule > "tuile".



ŏnĭă > (emprunt au latin) a.fr. pyoine, dial. pyone, pione..., voir aussi ci-dessus OM peuna, et "pivoine", pezonia... Voir v de "pivoine".


prŏfŭndŭ(m) > *prĕfŭndŭ(m) >... (amuïssement de f)... AO pren > prin "profond" (voir prŏfŭndŭs)


Sedūnŭ(m) > Siun (Sion, ville du Valais suisse, voir ci-dessous Sion)



eau > iau (en domaine d'oïl) :

Il est difficile de savoir si eau s'est transformé (populairement) au stade [i̯aɯ̯] ou au stade [i̯ó]. Selon le scénario donné à ăquăm, ce serait au stade [i̯ó]. Dans l'extrait ci-dessous Y.-Ch. Morin précise : "[i̯aɯ̯] et [e̯aɯ̯] ou leurs continuateurs" (les continuateurs seraient [i̯ó] et [e̯ó]).


ăquă(m) > */èó/ > iau /yó/ "eau" (variante très répandue des régions du domaine d'oïl), voir ăquăm.


bĕllŭ(m) > */bèó/ > biau /byó/ "beau" (variante très répandue des régions du domaine d'oïl).


Cette tendance naturelle à fermer e en i a dû être contrecarrée par la norme sociale en Île-de-France : (HSPGF:9) "l’apparition d’une différentiation sociale entre les deux variantes [i̯aɯ̯] et [e̯aɯ̯] ou leurs continuateurs, bien documentée pour le XVIe siècle, mais certainement beaucoup plus ancienne. Ce serait pour mieux marquer leur appartenance de classe, que les clercs auraient abandonné ‹iau› en faveur d’un ‹eau› plus représentatif de leur norme de prononciation."




eu > iu

En position tonique :

lĕgūmĭnĕ(m) > *leume > OA liume, lium, toulousain lium (FEW 5:246a) (voir leguminem à g interovalique)


Sedūnŭ(m) > *Seunu > Siun ("Sion", ville du Valais suisse, évolution ū > ó à expliquer ; Siun est attesté dans les anciens textes : RNPCG II,3:836)



En position post-tonique :

Prob :

calceus non calcius, linteum non lintium, etc.

voir yodisations.


pŭtĕŭm >  *putiu > *pótió > ... > *pótzó > *pódzó > ptz "puits"

etc.

(voir yodisations).







oe > oi, ue > ui
 
   

Ce type d'évolution n'est pas certain dans *joene > joine "jeune" (possibilité óʋ̯ > ói̯ ci-dessous), et dans dēstrŭĕre > destruire "détruire" (voir étymologie de destruire). En effet pour ces cas, d'autres évolutions sont possibles.




α1.2. Ouverture du timbre le plus ouvert (timbre accentué)
 
   
éi > èi
     

Dans le cas ci-dessous, [éi] évolue en [èi] : deux timbres semblables (é et i) s'éloignent : on est dans le cas de la différenciation d'aperture au sens strict (ci-dessus).


crēdĕrĕ > *crédre > creire > (ouverture de é) crèire "croire"


(GIPPM-1:122, à propos du dialecte de  Pragelas. : "[...] par différenciation le continuateur de s'ouvre devant [] [...] [rȩi̯, ẹtrȩi̯t, frȩi̯t, krȩi̯srə...] < [...] rēge, strĭctu, *frĭgdu, crēsc(e)re [...]." Voir diphtongue ei en position tonique.




oo > oa

Rodumna (Ptolémée, vers 150) > Rodona (Xe siècle) > *Róóna > (effet ouvrant de la nasalisation) */róõna/ > (ouverture plus forte par différenciation) */róɑ̃na/ (Rohana, XIIe siècle) > (dénasalisation) Roanne (42)




α2. Différencation de point d'articulation

Certaines évolutions phonétiques s'expliquent par une différenciation du point d'articulation, voir triangle vocalique. Les exemples ci-dessous concernent des diphtongues évoluant en d'autres diphtongues. C'est toujours l'élément faible de diphtongue qui est changé.


Voir aussi "transformations phonétiques" : différenciation de point d'articulation.


ʋò̯ > ʋé̯

La diphtongue ʋò̯ (< ŏ tonique libre latin) s'est différenciée en ʋé̯ dans de nombreuses régions de la Romania, donnant naissance à ce que j'appelle le type fuego.




u̯ò > i̯ò

Cette évolution affecte notamment les descendants de la diphtongaison romane : fuòc > fiòc ; buòu > biòu. Voir Effet de l'antériorisation du /ʋ/ sur la diphtongue /ʋò/ (< /ò/).



éi̯ > ói̯


Pour le français, pour le type tēlam > toile, l'étape /téi̯la/ > /tói̯lə/ s'explique par une différenciation de point d'articulation : "le peu de différence d'aperture menaçait le segment é d'assimilation par le segment i̯ : le premier s'en est protégé en passant à la série postérieure labialisée." (IPHAF p. 134).


Il faut remarquer que des conditions similaires, le provençal a choisi la voie éi > èi (ci-dessus). L'évolution française éi̯ > ói̯ contient (? phrase à finir).



óʋ̯ > ói̯

Remarque : L'évolution probable óʋ̯ > ói̯, réalisée en occitan, rappelle ci-dessous móuser, soupre où dans ce cas ów se maintient (bien plus tardivement), mais menacé d'évoluer vers ʋw > ʋ.


Concernant les vocalisations de consonnes ci-dessous (p, b, v), il est logique de penser que s'agissant de consonnes labiales, elles ont été vocalisées en ʋ, car l'articulation de ces consonnes requiert la position des lèvres plutôt arrondie, donc bien plus proche de ʋ que de i (voir triangle vocalique).

Dans les exemples ci-dessous, seul Κύπρος > *cŭbrŭm > coire "cuivre" semble n'avoir que cette voie possible ; en effet les autres exemples peuvent aussi provenir d'une évolution latine précoce, comme jŭvĕnĕm > jŭĕnĕm > joine. Et encore, l'évolution phonétique menant à coire "cuivre" n'est pas claire (forme de l'étymon mal connue, voir CNRTL "cuivre"). Cependant, ci-dessous pour captīvŭm > caitiu, l'évolution au > ai semble assurée.


cŭbĭtŭ(m) > */kóβédʋ/ > */kóβdé/ > */kóʋ̯dé/ > AO cide > coide "coude" (GIPPM-2 :166, qui propose une alternance très ancienne bd après l'accent / ud avant l'accent : cọbde / acoudar-se, qui )

(Ou bien : amuïssement de v, β au contact de u : cŭbĭtŭm > *cóido).


Κύπρος "Chypre" > (sonorisation des emprunts au grec) *cŭbrŭ(m) > AO cure > cire "cuivre" (br intervocalique)


jŭvĕnĕ(m) > *jŭvnĕ > *jóune > joine "jeune" (l'aboutissement est le même que rŭvĭnă ci-dessous).

(Ou bien : jŭĕnĕm > *jóéne > joine : amuïssement de v au contact de u, ci-dessus oe > oi, jŭvĕnĕm).


*rŭvĭnăm (rŭĭnăm : ŭv écrit V) > *rŭvnă > *róuna > roina "ruine" (l'aboutissement est le même que jŭvĕnĭs ci-dessus).

(Ou bien : *rŭvĭnăm > rŭĭnăm > roina : amuïssement de v au contact de u, ci-dessus oe > oi).





au̯ > ai̯

Pour l'occitan, selon certains scénarios, on eu : au > ai :


captīvŭ(m) > AO cautiu > AO caitiu, voir fr "chétif" (mais attention, voir GIPPM-2:165 §109,  caitiu < *cactīvum)


On pourrait aussi expliquer aussi aiga "eau" par : ăquă(m) > AO auga > AO aiga, voir ăquă (bien que la différenciation u-u > i-u au stade *augua soit préférée par Jules Ronjat).








β. Diminution de la différence entre les deux timbres




β1. Fermeture du timbre le plus ouvert (/avyas/ > /avyés/)

Certaines évolutions vocaliques s'expliquent par un rapprochement du timbre le plus ouvert vers celui qui est le plus fermé (pour les notions d'ouverture et de fermeture des voyelles, voir le triangle vocalique à "Transcription phonétique").


Voir les évolutions de diphtongues qui passent en position atone : ai > éi, au > óu, ei > i, eu > óu (surtout en provençal, beaucoup moins en languedocien) : aiga [aygo/a] / aiguier [eygyé].



Ci-dessous pour le cas de l'imparfait occitan (et ancien espagnol : Cid avie, partien, sabien, fazien in LDR:328-329), et les substantifs féminins en -iá, l'influence de /y/ est considérée comme une assimilation progressive (LDR:332).


lat hăbēbās > (ci-dessus) /avias/ > /avyas/ > /avyés/


De même :

fustaria */fustaria/ > */fustaria/ > */fustarya/ > /fustaryé/ (fustariá "charpenterie,...").



Pour le français, on a par exemple (assimilation régressive) : XIIe siècle : /a/ > /è/ (> XIIIe siècle  /è/) (IPHAF:206). Exemple : hăbĕō "j'ai" > */ayyó/ > /a/ > /è/ > /è/





β2. Arrondissement du timbre non arrondi (labialisation)


(Pour la notion de voyelle arrondie, voir le triangle vocalique et sa légende à "Transcription phonétique").


Voir par exemple le type "cœur" (évolution en ancien français vers le XIe - début du XIIe siècle :





β3. Diphtongues en position atone (prétonique)

En position atone prétonique, juste devant l'accent (paurilha "l'ensemble des pauvres") ou bien à l'initiale (pauretat "pauvreté"), les diphtongues ont tendance à faire évoluer leur premier élément vocalique vers le deuxième, par exemple : aw > ów. Voir ci-dessus diphtongues atones (fermeture des atones).


Voir GIPPM-1:300-302 :

"§ 173. — Dans le Nord et dans l'Est de notre domaine ai´ roman devient en général ei, et même, dans beaucoup de parlers, cet ei et un ei´ roman originaire se réduisent à i, — évolution parallèle à celle de au, óu, mais modalités assez différentes, et les aires des deux phénomènes ne coïncident pas exactement. Soient par exemple laxāre, ecce hic > vpr. laissar, eici. Les fondateurs du Félibrige ont écrit leissa, eici pour être plus aisément compris un peu partout, mais en terre d'Arles, dans le Comtat et jusque vers Pierrelatte on prononce [lisá, isí]. Le reste de la Provence, et assez généralement le reste des pays à l'Est du Rhône, prononce [e]. Nice, Plan-du-Var, Menton et Fontan distinguent ai et ei, et par exemple -airis < -ātrīce de -eiris < -itrīce (voir § 697 δ); si les félibres rhodaniens écrivent -airis, c'est sans doute parce que ce suffixe n'est conservé dans leur pays par aucun mot vraiment populaire. Fin citation ?




γ. Réduction de diphtongue ou de triphtongue


Voir aussi amuïssement d'une voyelle dans la résolution de l'hiatus.


Je place ici les réductions de diphtongues et de triphtongues, qui peuvent se monophtonguer (se réduire) selon plusieurs modes.


Par exemple, pour une diphtongue, la réduction peut se faire :

- par la perte de l'élément faible (exemple : a.fr. avuec > "avec" ci-dessous) ;

- par aboutissement à un timbre intermédiaire entre les deux éléments (par exemple : */lanə/ > "laine" /lèn/ : a devant nasale).


Voir : diphtongues mieux conservées en occitan ; triphtongues mieux conservées en occitan.



Ainsi par exemple, l'élément faible d'une diphtongue peut disparaître (c'est une forme de monophtongaison). 


Les exemples sont très nombreux, surtout en français, où les diphtongues ont souvent disparu.


- *ăpŭd-hŏquĕ > a.fr. avuec > "avec" (voir *ăpŭd-hŏquĕ)

jŭvĕnĕm > *jŏvĕnĕm >... juene > "jeune", voir jŭvĕnĕm à "Diphtongaison romane".

fluvium > flueve > "fleuve"


- a.esp. fruente  > frente "front", LDR:333, ò devant nasale implosive.


- pour le français "fier" (< fĕrŭm), "pied" (< pĕdĕm) (type "fier"), variantes dialectales en domaine d'oïl :


*/fié̯ːr/ > dial.N-E fir "fier" ; /pyéː/ > dial.O [pé]



Domaine occitan :


- en position atone :

(prétonique) : bas latin măgĭstrālĕm > (g > ∅, ĭ > e) AO maestral "mistral". L'apparition de la variante maistral peut s'expliquer de plusieurs manières, soit par une évolution phonétique de maestral ou AO maiestral, soit par analogie sur maistre "maître".


- Riez (04):

Peuple des Rēii (DFL donne ē, à étudier) > *Rēiensīs = *Rēiēsīs > *[réyéːsé] > (sorte de syncope) [ryés] Riés (Riez, 04) (TGF1:60 : "ethnique Reii + suff. lat. -ensis (civitas) : "cité des Reii"" ;
ou bien :

Rĕii [rèyi] (quantité de e erronée dans DFL ?) > (diphtongaison conditionnée par y) *[rèyi] + -ensis > ... *[réyésé] > Riés.


En latin :

- cŭm + ăgō > *cŏăgō, (a > ĭ) *cŏĭgō ? > cōgō "pousser ensemble, rassembler"

- *cŏăgō > supin cŏăctŭs > forme fréquentative cŏăctō "forcer" > cōctō (attesté dans Caper, FEW 2:831b) > pr cochar "rabattre (le gibier)".






δ. Insertion d'une voyelle moins fermée entre deux voyelles plus fermées
  

Je regroupe ci-dessous deux évolutions vocaliques qui ont peut-être procédé du même fonctionnement : l'une en provençal, l'autre en français.


δ1. Insertion de [é] entre [i] et [ʋ] (provençal)
  

Le paragraphe présenté ici constitue un cas particulier de résolution d'hiatus par épenthèse ; je le place dans cette partie car il s'agit de l'épenthèse d'une voyelle entre deux voyelles. On peut considérer qu'entre [i] et [ʋ], l'épenthèse d'un [é] facilite l'articulation ; cette épenthèse a pu apparaître à l'occasion d'une sorte de différenciation de point d'articulation de la composante [i] ; en outre l'évolution iu > ieu a pu être favorisée par l'existence de mots avec ieu (Dieu, ieu, mieu...).


Dans les deux cas concernés ci-dessous, l'accent tonique se porte initialement sur le premier élément vocalique : iʋ̯ et ʋ.


Lorsque é, élément moins fermé, est apparu, il a dû immédiatement attirer vers lui l'accent tonique (loi de l'accent sur la voyelle la plus ouverte ci-dessus) : vieure [vyéwré] "vivre", joeine [djwéyné] ou [djwèyné] "jeune".


δ1.1. iu > ieu (viure > vieure)
  

Précisions sur la prononciation de iu (ieu) en Provence :

Le contact de i (< ī) avec v ou b implosif a mené à iu en occitan : lat vīvĕrĕ > oc viure "vivre", lat rīvŭ(m) > oc riu "ruisseau", lat cīvĭtātĕ(m) > oc ciutat "cité", lat lībră(m) > oc liura "livre s.f."... En provençal,

L'évolution iu > ieu semble s'être produite essentiellement en Provence. Dans ses œuvres littéraires et dans les entrées du TDF, F. Mistral écrit viéure, riéu, escriéure.


viure "vivre"

Curieusement, pour "vivre", l'ALF donne très majoritairement [viʋré] du Gard aux Alpes-Maritimes (qu'on pourrait écrire [viwré]), il donne rarement [vyʋré] (accent tonique sur ʋ) ; il ne donne [vyéʋré], [vyèʋré] qu'en deux points d'Ardèche. Cependant au moins dans le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, j'ai bien enregistré vieure, avec des prononciations [vyéwré] ou [vyowré] ;



Pour ALF "écrire", c'est encore plus net : seule la prononciation [èskriʋré] est donnée depuis le Gard jusqu'aux Alpes-Maritimes ; escrieure n'existe pas dans l'ALF. On peut concevoir que la difficulté de prononcer cette variante a dû empêcher son apparition.


(SSÉPO:10, note 9, en parlant de l'épenthèse de e en gascon comme une "optimisation syllabique" dans *negr > g neguer [négé], *batr > g bater [bate]) : "Une épenthèse comparable est celle qui a lieu en provençal où la diphtongue [iw] est systématiquement remplacée par [jew] ([viw] → [vjew] viu ‘il vit' ou ‘vif’ adj.)".


-īvŭm > -iu > -ieu (

(scribere > escriure > escrieure "écrire")

rivum > riu > rieu "ruisseau"

vivere > viure > vieure "vivre"

...


Même en position prétonique, l'épenthèse se réalise :

civitatem > ciutat > cieutat (par la suite > [siówta], voir Prononciation des diphtongues atones à "Diphtongues").




δ1.2. oi > oei (joine > joeine)
  

.ʋ.

Souvent le TDF signale la variante en en oei comme pr.ma..


buxitam > boista, boita > boeita "boîte"

buxum > boisse > boeisse "buis"

fodere > foire > foeire "fouir"

juvenem ou juene > joine > joeine "jeune"





δ2. Insertion de [a] entre [è] et [ʋ] : eu > eau (français)


En français, cette évolution affecte les descendants du latin -ĕllŭ(m) et du latin ăquă(m). Elle mène à -eau :


-ĕllŭ(m) > /e̯ɯ̯/ > m.fr. */e̯aɯ̯/ en m.fr. ;

ăquă(m) > */èʋ̯ə/ > m.fr. */èaʋ̯ə/ "eau".


Voir ci-dessus eau > iau.


-ĕllŭm > -eau (suffixe diminutif, aussi nŏvĕllŭm > "nouveau", castĕllŭm > "château"...)

bĕllŭm > "beau".


En occitan, -ĕllŭ(m) mène logiquement à -èu /èʋ̯/, /èw/.



e. Loi de position (en français)

(Pour les notions d'ouverture et de fermeture des voyelles, voir le triangle vocalique à "Transcription phonétique").


Remarque : voir aussi ci-dessous l'harmonisation vocalique, qui affecte les voyelles prétoniques.



Essai d'énoncé de la loi :


(d'après LPODV:223) :


"(...) les voyelles françaises tendent à s'ouvrir en syllabe fermée et à se fermer en syllabe ouverte".

"(...) la loi de position [décrit] assez fidèlement la distribution des voyelles dans certains parlers français, notamment ceux du Midi de la France (...)"


(d'après LPEPH:199-200) :


En français, à partir du XVe et surtout du XVIe siècle :

- les voyelles toniques devant consonne prononcée (finale) ont tendance à s'ouvrir (par exemple : lat. mărĕm > [méːr] > [mèːr] "mer") alors que lat prātŭ(m) > [pré] (voir é < a latin) ;

- les voyelles en finale absolue ont tendance à se fermer (par exemple, [mòt] > [mót] "mot") (ci-dessous mŭttŭm).


Cette loi contient de nombreuses exceptions, et les causes de cette évolution ne sont pas clairement établies. Yves-Charles Morin propose comme origine des variations de quantité vocalique : voyelle longue => fermeture, voyelle brève => ouverture (ce qui rejoindrait l'ancien système d'évolution vocalique du latin ci-dessus) (LPEPH).


Bien que cette loi contienne de nombreuses exceptions, "son succès vient probablement aussi de l'existence d'alternances morphophonologiques bien connues et très vivantes dans le parler moderne pour les voyelles moyennes, [é]~[è], [ë]~[œ] et [ó]~[ò], par exemple dans berger [bèrjé] : bergère [bèrjèr], (il) veut [vë] : (ils) veulent [vœl], et sot [só] : sotte [sòt] et dont le conditionnement synchronique ne peut être que syllabique." (LPEPH:213).


(LPEPH:213) : autres exemples : "mer", "tel", "telle", "mère", par opposition à "blé", "nez", ou "fée" (avec a.fr. é < a latin).





f. Harmonisation vocalique (en français)
 


Remarque : voir aussi ci-dessus la loi de position, qui concerne la dernière syllabe du mot.


L'harmonisation vocalique est un type d'assimilation vocalique à distance (dilation) décrit en français. La voyelle prétonique a tendance à s'assimiler à la voyelle tonique de la syllabe suivante.

PHF-p:60 : "le timbre de la voyelle tonique influence le timbre de la voyelle atone qui la précède dans le mot." Cette transformation affecte surtout [è] / [é], mais aussi [œ] / [ë] et [ò] / [ó].

Je pense que Maurice Grammont est le premier à introduire l'expression "harmonisation vocalique" (TPPF:24..., google.books), bien que ce phénomène fût décrit juste avant, au moins dans COPLF:72-73. Claude-Marie Gattel (DULF) donne déjà des prononciations issues de l'harmonisation vocalique ("châtaigne" châ-tè-gne, "châtaignier" châ-té-gnié, google.books).



Maurice Grammont (TPPF:13) : "Un autre phénomène général (...) est celui de l'harmonisation vocalique : les voyelles contenues dans deux syllabes consécutives ont tendance à s'assimiler au point de vue du timbre, la première prenant le même timbre que la seconde. Ainsi : été avec é inaccentué fermé, conformément à la règle générale, mais étais (ètè) avec assimilation de l'e inaccentué à l'è accentué ouvert."


L'auteur donne de nombreux exemples pour è/é (TPPF:41), par exemple : « près "presse", prèsõ "pressons", mais présé "presser, pressez, pressé" ».

Maurice Grammont indique aussi que [è] peut se fermer en [é] par l'influence d'un [i] ou d'un [u] dans la syllabe subséquente :

(TPPF:41) "L'harmonisation vocalique a lieu aussi avec une voyelle accentuée dont le point d'articulation est plus éloigné : èbèn "ébène" mais ébénist "ébéniste" [1], — plèr "plaire", plèzan "plaisant", mais plézīr "plaisir", — tèt "tête" mais tétü "têtu" (...) , — tü y è "tu y es" mais y é tū "y es-tu ?" (...)"

[1] Le cas de ébène / ébéniste montre chez l'auteur une première harmonisation de la première à la seconde syllabe dans [èbèn] puis une seconde harmonisation de la deuxième à la troisième syllabe [ébénist]. Voir la longue discussion à CNRTL "ébène".


L'harmonisation vocalique est bien une tendance, pas une règle : elle ajoute souvent une variante de prononciation à une autre, voir par exemple CNRTL "ébène" : [ébèn] / [èbèn] (la seconde variante par harmonisation vocalique).


André Martinet reprend la description de Maurice Grammont, en étudiant l'impact réel sur la prononciation actuelle du français (SéèF:2) :

"Il y a des personnes qui sont déterminées, dans leur choix de é ou de è, par le timbre de la voyelle de la syllabe suivante. Si cette syllabe comporte un i, un u ou un é, le choix sera é.  Si elle comporte un ai, un a ou un on, c'est è qui sortira.  On entendra donc, avec é, précis, élu, été, et, avec è, était, bêta, maison."

Puis il poursuit :

"Certains sont tentés de conserver, au pluriel des verbes, la voyelle du singulier. Ainsi, (il) met, prononcé /mè/, va entraîner un è dans (nous) mettons, (vous) mettez, alors que ceux qui se laissent entraîner par le timbre de la voyelle suivante, prononceront mettons avec è, mais mettez avec é. Ceux qui échappent aux deux pressions auront é aussi bien dans mettons que dans mettez."



Parfois, l'harmonisation vocalique prend l'apparence de l'alternance vocalique de l'occitan (ci-dessus), si un [é] final peut fermer un [è] précédent, mais ce n'est qu'une apparence : "fêter" ([fété] variante "par harmonisation vocalique", CNRTL "fêter"),"(il) fête" [fèt] ; châtaigne / châtaignier, crête / écrêter, j'aime / aimer...


Ce phénomène s'apparente à l'harmonie vocalique du turc, du finnois... , où dans un même mot, les voyelles doivent appartenir à une même "classe".







B. Évolution de ā et ă


Schémas généraux



1. Évolution de ā, ă toniques
 

ā et ă ne changent pas leur timbre.


 

latin

occitan
ā, ă    >
    /a/
ālă(m)

ala   "aile"
nāsŭ(m)

nas   "nez"
pătrĕ(m)

paire   "père"



Mutation ā, ă > /a/ avec exemples en occitan.



Fermeture a > o devant nasale
  

Remarque : étudier l'article la > lò en rouergat, limousin...


Voir fermeture a > o devant m, n à la partie "m, n (nasalisations...)", exemples : lo pòn "le pain", la gròna "la graine".






Fermeture de a entre m et nasale implosive

À faire (cas de manducare > variantes menjar, minjar, mingar).
Voir ci-dessus fermeture du timbre entre nasale et nasale implosive.






2. Évolution de ā, ă atones
 


Évolution de ā, ă prétoniques initiaux

Ex : *bătācŭlā> oc badalhar, fr bâiller, (a.fr. bäaillier), *bătācŭlat > oc badalha, fr (il) bâille.



Cas d'amuïssement :

palanca (< phalanga) > AO planca "planche".



Évolution de a prétonique interne

ornament, vassalatge, armadura, pescador, calamèu, meravilha..., monastier



Évolution de ă, ăs final

Voir évolution du -a final atone.



Évolution de ă en pénultième de proparoxyton

Lexique-provence estime que de nombreuses apophonies se sont réalisées (apophonies cachées), qui ont fait évoluer


Il y a eu des voyelles en pénultième de proparoxyton, qui ont probablement évolué vers ə. Voir Rhŏdănŭs > Ròse "Rhône", raphanus > rave.

(A. Thomas signale un affaiblissement en e pour ădjăcēns, EPF:214).


Souvent le représentant du ă disparaît par syncope :

- ădjăcēns > aiace > *aiece > aise ;

- aspărăgum > espargue "asperge".







Interactions entre ā tonique et ā prétonique


(à faire)

C. Évolution de ĕ

  
1. Schémas généraux de l'évolution de ĕ


En position tonique :


ĕ > ȩ > è


ou s'il y a diphtongaison conditionnée :


ĕ > iè


En position atone :


ĕ > é ou


Pour ĕ en hiatus devant voyelle : consonne + ĕ, ĭ + voyelle.




2. Évolution de ĕ tonique


a. Cas général pour ĕ tonique


Schéma général :



ĕ > ȩ > è


ou s'il y a diphtongaison conditionnée :


ĕ > iè




Exemples sans la diphtongaison conditionnée :

latin

occitan
ĕ >
è
bĕnĕ

bèn "bien" (1)
caelu(m) > cĕlu
cèu "ciel"
dĕcĕ(m)

dètz "dix"
-ĕntĕ(m)

-ènt "-ant" (1)
fĕbrĕ(m)

fèbre "fièvre"
fĕl

fèu "fiel"
fĕrŭ(m)

fèr "fier" (2)
hĕrī
ièr (3) "hier"
hĕrbă(m)

èrba "herbe"
lĕpŏrĕ(m)

lèbre "lièvre"
mĕl

mèu "miel"
pĕdĕ(m)

"pied"
rĕm

rèn "rien" (1)
tĕnĕt

tèn "(il) tient" (1)
tĕpĭdŭ(m)

tèbe "tiède"
vĕnit

vèn "(il) vient" (1)



Tableau : exemples de mutation ĕ > /è/.


(1) Pour l'orthographe et la prononciation de bèn, -ènt, rèn, tèn, vèn, voir le paragraphe ci-dessous.

(2) Le provençal fier est un francisme. Alors que fèr est toujours connu, avec le sens de "sauvage". 

(3) Hęr, ęr /èr/ étaient connu en ancien occitan, comme hier. Hier, ièr est peut-être un francisme, à étudier. 




Exemples avec la diphtongaison conditionnée :

latin

occitan
ĕ >
ie
căthĕdră(m)
cadiera "chaise"
lĕctŭ(m)
liech / lièit "lit"
pĕjŏr

piéger "pire"
vĕtŭlŭ(m) > *vĕtlŭ

vièlh "vieux"



Tableau : exemples de diphtongaison conditionnée de /è/.




b. Cas particulier de ĕ tonique devant nasale implosive


α. Fermeture de è devant nasale (n ou m) implosive à l'ouest du Rhône

Voir action fermante devant nasale implosive ci-dessus.

Une nasale implosive est n ou m devant consonne ou en fin de mot.

(Voir la comparaison avec l'évolution du français dans "Du latin au provençal 1" ici).



α1. Évolution historique de è devant nasale implosive en occitan


Dès l'ancien occitan, les dialectes à l'ouest du Rhône ont fermé le è devant n et m, alors qu'il a toujours été conservé à l'est du Rhône (GIPPM-1:155 et:156).


Cela explique les orthographes bẹn, ardẹn... en ancien occitan dans DOM (le médiéval représente é), les orthographes du gérondif et du participe présent en -én dans MEAO (p. 99, vendém et non vendèm pp. 33-34). Le DOM et le MEAO n'abordent pas la question de la meilleure conservation des parlers à l'est du Rhône sur ce plan. Il faudrait étudier si des manuscrits à l'est du Rhône comportent des formes comme bȩn, ardȩn, vendȩm...


Je cite GIPPM-1:155 : 

« Dès le vpr., e est fermé devant nasale implosive en l., guy., lim., aq., ex. > rem, semper, bene, tenet, centu, dente, mittnte > rẹ(n), sẹmpre, bẹ(n), tẹ(n), cẹn(t), dẹn(t), metẹn(t), et de même aujourdui dans la partie de notre domaine à l'O., du Rône (la marche nimoise exceptée) ».

Le èn s'est conservé vers l'est à partir de Lansargues (commune de l'Hérault à quelques kilomètres de Montpellier) (GIPPM-1:156). « On a encore èn à Lansargues ; mais en à Montpellier. A l'E. du Rône, dans la marche nimoise et dans la plaine côtière jusqu'à Lansargues on prononce rèn, sèmpre, bè(n), tè(n), cènt, dènt, metènt (...). »



En effet, quand on écoute attentivement les enregistrements, on se rend compte que les locuteurs de Provence respectent encore bien la distinction bèn, rèn, tèn... / fen, plen, sembla... (voir dans la partie "transcription phonétique" : prononciation de en, én, èn).



α2. Règle orthographique préconisée ici pour en, èn


Pour la graphie actuelle, les dictionnaires récents ne donnent pas l'accent grave dans ben, -ent (corrent), ren, ten, ven... (DOGMO, DBFP, GP, alors que la version précédente de GP donnait les participes présents en -ènt). Le site lexique-provence.fr encourage au contraire à utiliser l'accent grave dans ces cas.

Voir prononciation de en, én, èn.


La prononciation des provençalisants suit une règle inchangée depuis presque deux mille ans. Cela amène à penser qu'il serait dommageable à la qualité de la langue, et à sa richesse, d'abolir la distinction entre en et èn. Le site conserve cette distinction.


Certes les partisans de la non-accentuation pourront dire qu'il ne s'agit que d'une abolition à l'écrit, et que les provençalisants sont libres de conserver leur prononciation. Mais la plupart des néo-provençalisants ignorent ces phénomènes complexes, et se fient volontiers à l'écrit pour la prononciation. Frédéric Mistral avait tenu à respecter cette distinction écrite entre en et èn, sans que je sache s'il s'est aidé de l'étymologie, ou bien de la prononciation effective. Il apparaît plutôt qu'il s'est fié à la prononciation effective car par exemple pour sembla, il donne sèmbla, prononciation que j'ai enregistrée vers Avignon. Pourtant ailleurs on a sembla "il semble", plus en conformité avec l'étymologie (< sĭmŭlăt).


Voir aussi l'origine de la décision de ne pas distinguer én et èn en graphie classique : (Robert Lafont).




α3. Règle d'homologie avec le français et l'espagnol (castillan)

Si on ne connaît pas le latin, une règle logique peut aider à connaître s'il y a l'accent grave en provençal, que ce soit pour e ou pour en :


- Si le mot français est en /yè/, /yè̃/, alors le mot provençal est en /è/, /è̃/ : il porte l'accent grave (diphtongaison romane spontanée très réduite en occitan), et réciproquement :

"bien" <=> bèn ;

"rien" <=> rèn ;

"(il) tient" <=> tèn(e) ;

"(il) vient" <=> vèn(e).


Si le mot français est en ein, oin, alors le mot provençal est en /é̃/ (diphtongaison française type "plein", "foin").

"foin" => fen ;

"frein" => fren ;

"plein" => plen.


(On met à part les mots de type "lien" < lĭgāmĕn, "sien" < sŭŭm).


- Cette règle ne peut pas aider quand ĕ latin est entravé, puisque le français n'a alors pas pu subir la diphtongaison romane en ("apprend", "courant", "temps", "ventre"...), mais le castillan l'a subie. Ainsi celui qui connaît le castillan peut s'aider de la règle : si le mot castillan est en /yè/, alors l'occitan est en /è/ et réciproquement : 


esp aprende <=> pr aprend(e) ;


esp corriente <=> pr corrènt ;

esp tiempo <=> pr tèmps ;

esp vientre <=> pr vèntre.


Il y a cependant eu des réfections analogiques (?) en castillan : siembra, hiende alors qu'en occitan en général : sembla, fende.


Remarque : Si la voyelle è se trouve entre m et n, il y a fermeture de è dans tout le domaine d'oc ; on écrira donc e dans accent : membre, ment, voir le paragraphe suivant.






β. Fermeture générale de è entre m et nasale implosive

Une nasale implosive est n ou m devant consonne ou en fin de mot.

Voir fermeture du timbre entre nasale et nasale implosive ci-dessus.


Je cite GIPPM-1 (p. 156) à propos de l'est du Rhône : 

« e est généralement fermé entre m et nasale implosive, ex. membre, ment, -mento, -men < membru, mentit, -menta, -mentu et mente (cf. it. mente, -mento), sauf dans gemèn, -ènt "nous gémissons, gémissant" (surtout dauf.) et autres formes verb. (rares), par analogie flexionnelle, dans des mots savants tels que inmènse "immense", clemènci "clémence" et sa variante comme prénom Clemènço, contre populaire semen ~ -enço < sēmente, *-tia. »


Cet aspect est à étudier davantage. Certains mots peuvent être des emprunts (membre, moment) et la quantité vocalique doit être abolie au moment des emprunts. Conséquence ? Par ailleurs, les formes comme amènt, cremènt (pour amant, cremant), amèm, cremèm (pour amam, cremam) sont analogiques de la deuxième conjugaison (partènt, partèm).


Pour ment, ramentar... le TDF donne bien un e fermé, et on a bien enregistré un /é̃/ fermé dans la conjugaison de ramentar : te n'en ramentes /ramé̃tes/ mou13.

Ces mots semblent d'origine populaire, ce qui donne à penser que par la voie populaire au moins, il y a bien une fermeture de è compris entre m et nasale (n ou m) implosive.


Nemausŭs : Le nom de la ville de Nîmes (< Nemausŭm) provient sans doute d'une étape attestée Nemze/Nems (GIPPM-1:263-264). Nemausŭs était un proparoxyton : ci-dessus Nemausŭs (accent gaulois). J'ignore la quantité du e dans Nemausŭs.

À partir de Nemze/Nems, je pense qu'on peut reconstituer une étape où la tonique e se ferme en i du fait de sa position entre nasale et nasale implosive : *Nimze/Nims. Puis peut-être apparition d'un e épenthique *Nims > Nimes ou une métathèse *Nimze > Nimez. La solution proposée par (LNVN in TGF1:159) : variante par apocope Nemaus(um) > *Nemes > Nimes, me semble moins plausible. En effet dans cette théorie :

- d'abord l'évolution e > i n'a pas de raison de se produire, du moins régulierement ;

- ensuite la voyelle finale -e n'a pas de raison d'apparaître ; on aurait alors *Nema < Nemasu ou *Nemo < Nemosu.

 



γ. Fermeture de è devant nh


Je cite GIPPM-1 (p. 156) :

« Tous nos parlers, je crois, ferment -e- dans segne, engenvpr. senher, engenh < senior, ingeniu. »



c. Fermeture de è dans pretz "prix", presa "il prise"


Le GIPPM-1 (p. 159) laisse comprendre que le latin prĕtĭŭm aurait dû donner prètz /près/ (avec e ouvert). Or c'est /prés/ qui est connu en provençal (avec e fermé), et même /pris/ (pr.rh.), /pri/ (auv), /pré/ (lim), aux côtés de /près/ (rouerg), /prèts/ (g), /prèi/ (auv) (TDF, les variantes en i sont peut-être des francismes). De même le verbe presar "priser" se conjugue ainsi : prese, preses, presa... (< prĕtĭō, prĕtĭās, prĕtĭăt...), et non prèse, prèses, prèsa... Jules Ronjat (GIPPM-1) invoque une analogie avec les mots en -és (mes) et les formes conjuguées vese, crese.


Cette analogie proposée par J. Ronjat est possible, mais pour prĕtĭŭm, on se trouve dans le cas de la palatalisation de ty : un i diphtongal de transition a pu apparaître comme dans pōtĭōnĕm > poison. On peut donc imaginer :

prĕtĭŭm > */pretyʋ/ > */prèt'o/ > */prèdz'o/ > */prèi̯dzo/ > */prèi̯tz/ > */prétz/ > /prés/.

Ainsi il est possible d'y voir une évolution /èi̯/ > /é/, qui est une assimilation réciproque : le /è/ et le /i/ convergent vers une valeur intermédiaire, /é/. Le stade /èi̯/ a pu être très fugace. Ce cas serait analogue à celui de esp pĕctu "poitrine" > [pèkto] > [pèyto] > [pétʃo] (ch espagnol).


Voir également le cas de cadiera. Le scénario n'est pas le même partout en domaine d'oc (voir ci-dessus g /prèts/... : absence de l'i diphtongal, ou absence d'assimilation réciproque). Pour prezzo, l'italien du nord a prezzo /prètso/, mais l'italien du sud a /prétso/ (je ne sais pas l'expliquer). L'auvergnat /pri/ a pu suivre ièi̯ > i, ou bien il est conforme à un schéma général de fermeture de /è/, /é/ : voir variante auv dricha pour drecha (< dīrēctăm).


En français l'évolution est semblable mais la diphtongaison spontanée affecte ĕ :

prĕtĭŭm > /prétyʋ/ > /prèi̯t'o/ > /prièi̯dz'o/ > /pridzo/ > /pritz/ > /pri/ "prix" (en tentant de respecter la chronologie de IPHAF).




d. Type dĕŭs, dĕŭs > dius, dieu, dèu

Voir PHF-f2:341-342.




3. Évolution de ĕ atone


a. Évolution de ĕ prétonique initial




b. Évolution de ĕ prétonique interne

Voir la comparaison avec le français "moitié" :


mĕdĭĕtātĕ(m) > *meyyt'até > (AO) meitat > mitat "moitié"




c. Évolution de ĕ post-tonique interne




d. Évolution de ĕ post-tonique final

En occitan comme en français, ĕ latin post-tonique final latin est éliminé par les apocopes. Par exemple : pŏntĕ(m) > pòn(t), mă > mar, căntārĕ > cantar, 


Il faut remarquer que certaines apocopes de e final avaient déjà affecté le latin à l'époque classique : apocopes d'époque latine.




D. Évolution de ĭ et ē
1. Schémas généraux de l'évolution de ĭ et ē


Schéma général :


ĭ, ē > é 



Pour ĭ en hiatus devant voyelle : consonne + ĕ, ĭ + voyelle.






2. Évolution de ĭ et ē toniques

Exemples :

latin

occitan
ĭ >
>
/é/
ē >



crĭstă(m)

cresta "crête"
pĭră(m)

pera "poire"
pĭscăt
pesca "(il) pêche"
pĭsŭ(m)

pese "pois"









frēnŭ(m)

fren "frein"
gaul Lŭtēvă(m)

Lodeva "Lodève" (34)
(pĕnsăt >) pēsăt

pesa "(il) pèse"
plēnŭ(m)

plen "plein"
sērŭ(m)

ser, sera "soir"






Devant r ou l implosif : ĭ ou ē > /è/ voire /a/ (influence ouvrante ci-dessus)
vĭrĭdĕ(m)

verd "vert"
clērĭcŭ(m)

clerc, clèrgue "clerc"



Tableau : exemples de mutation ĭ et ē toniques > /é/.



Types vĭăm > via, hăbēbās > aviá

Voir la règle 2 de l'accent latin : vĭă "voie" était dissyllabe [via] ou [viya] (yod épenthique), avec l'accent sur ĭ, et l'accent est resté sur cette lettre. Le ĭ a ainsi échappé aux yodisations (Exceptions aux palatalisations à "Premières palatalisations").


En français, ce ĭ évolue en é puis en "oi" : vĭăm > "voie" (type "toile").

En occitan par contre, ce ĭ semble évoluer en i : vĭăm > via (voir aussi it, esp, cat, port via), mais il faut se poser la question : ĭ a-t-il d'abord évolué en é ? Il faut d'abord constater que dans des cas semblables, ē et ĕ peuvent de même évoluer en i : imparfaits de type hăbēbās > *habias > aviás, dĕus > dius [diʋs] (12, 82,... : ALF 404, TDF), etc.


Voici les arguments :


- vĭăm > via "voie" (


- 65 die [dié] < *dĭăm (ALF 726 "jour").


(MÉ-ainz:576) "(...) [en français] l'i bref se diphtongue en ei qui plus tard devient oi. Il n'en est pas tout à fait de même pour le provençal. Dans cette langue en effet l'i bref accentué reste i devant un a, par exemple dans via = lat. via, et dans toute autre position il devient e fermé et non pas ei. Cette difficulté phonétique n'est peut-être pas aussi insurmontable qu'elle le semble au premier abord. L'i bref non suivi d'une autre voyelle devient e fermé, et l'i bref suivi d'un a reste i : voilà deux lois absolues." (puis l'auteur discute de i bref accentué suivi d'une autre voyelle : voir le cas discuté de *antius).


(FEW 14:380a, note 1) (trad.all.) "Dans cette forme ["vie"] et dans la plupart des formes suivantes, -ĭ- > -i- à cause du hiatus, comme dans les autres langues romanes. Voir PMLA 63, 782. Voir aussi Hubschmied, Imperfekt im Frankoprovenzalischen 110."


(ZBIF:110) (trad.all.)

« Pour deux raisons, nous ne devrions pas nous attendre à ce que l'évolution de via s'accorde avec celui de *av(v)a partout :

1. Supposons que le ĭ dans via parvinsse au même timbre que ē dans habēbam (ce que montre le français "voie"), alors l'ancien va serait devenu via au moment ou -v- de aveva n'était pas encore tombé (note 1) ; cela est montré par les dialectes italiens, qui ont, à côté de via, non seulement pour III imparfait, mais aussi en Kd.[?] -ea ou -eva ou -eiva comme l'(anc.)piém., l'(anc.)gén. et aussi de nombreux textes en anc.tosc.

2. via comme substantif ainsi qu'adverbe ("loin") se comporte dans la phrase de façon complètement différente par rapport aux formes verbales sur le plan de l'accent tonique.


Cela vaut aussi aussi en francoprovençal pour l'évolution de via qui en général n'est pas la même, ou bien pas exactement la même, que celle de *aveam.

Dans le domaine où *aveam a donné avin, le substantif via(m) est devenu vi : en Dauphiné (attestation de1276 par Devaux 78, 32), dans le Lyonnais (début XIVe siècle, voir Rom. 39, 219), dans le Forez (XIIIe s., voir Rom. 22, 17, aussi Veÿ 52 n.), dans le département de l'Ain (XIIIe, XIVe siècle, voir Revue de Clédat I, 33, 17, Doc. ling. I, 109).

[...]

Dans le domaine où *aveam est devenu avey ou avi, on a aussi d'anciennes attestions du substantif vi (XIVe s., Savoie, voir Rev. sav. 1909, 74). Aujourd'hui surtout vi (Val Soana, lt. AG.III:2) ; "chaussée" : Sav. 973, 965, 955, H.-Sav.945 ; "sentier" : Sav. 965, 955, 954 ; voir aussi Constantin et Désormaux, Dict. sav. 423).



(note 1)

     - La dissimilation a participé à la disparition de -v- dans l'imparfait des verbes III et II ; cela est montré dans les textes (trad.all.) (ancien dialecte romain), comme Vita di Cola di Rienzi [Rienzo ?] (ed. Muratori, Antiq. III) : on y trouve à l'imparfait des verbes III -eva et -ea (II -iva), seulement avere a avea sans exception (très nombreuses attestations).

     - En revanche, on ne peut pas prouver que dans toute la Romania, les formes de l'imparfait à v effacé chez les verbes autres que avere, dovere, sapere, et autres (radical se terminant pas une labiale) soient analogiques ; c'est même très peu probable. C'est plutôt le faible accent tonique des formes verbales qui a favorisé la disparition de -v- (également là où la dissimilation n'entre pas en jeu) ; c'est ce que montrent le latin et le roman parfait 1e pers. cantai (l'anc.sard. II 1e pers. -ivi, 3e pers. -ivit à côté de I 1e pers. -ai, 3e pers. -ait prouve que le latin 1e pers. cantai n'est pas analogique de finīi, comme on l'explique habituellement.), cantarat [pour plus-que-parf. 3e pers. cantāverat], cantasset [pour subj. plus-que-parf. 3e pers. cantāvisset], finierat [pour plus-que-parf. 3e pers. fīnīverat], finisset [pour subj. plus-que-parf. 3e pers. fīnīvisset], anc.tosc. dee, die, dei, di, anc.ven. die, anc.lomb. dee, anc.gen. de 'debet' [dēbet "il doit"], anc.tosc. dea, dia 'debeat' [dēbeat "qu'il doive"].

     - Sous l'influence du faible accent tonique, il est facilement compréhensible que -v- a disparu dans -evat, et pas dans -avat. D'une manière semblable nous avons dans les dialectes sud-italiens et l'ancien sarde parfait II 1e pers. -v- conservé, alors que pour I 1e pers. il a disparu, par exemple anc.nap. insive 'uscii', saglive 'salii' etc., à l'opposé de trovay etc. (fui, fuy), Loise de Rosa (Arch. stor. per le prov. nap. IV, 421 ff.). »










3. Évolution de ĭ et ē atones

a. Évolution de ĭ et ē prétoniques initiaux

Amuïssement  :

dīrēctŭm > dērĕctŭ(m)oc drech, cat dret, fr "droit" (mais esp derecho) (ī ci-dessous)

quĭrītā > oc cridar, fr crier.



b. Évolution de ĭ et ē prétoniques internes

Amuïssement :

hŏspĭtālĕ(m) > ostau "maison"

ăd ĭd ĭpsŭm > adès, AO adès, adeis "tout à l'heure (antériorité ou postériorité immédiate)..."


*cŏmĭnĭārĕ > començar : le deuxième ĭ s'amuït. 

(en interaction avec les formes conjuguées, qui ont dû se prononcer sur le mode cŏmĭnĭtĭō "je commence" à une date précoce)

hērēdĭtā > AO eretar "hériter": les formes conjuguées comme l'infinitif n'ont jamais l'accent sur le ĭ ; cette voyelle aurait pu survivre par basculement de l'accent (type mastega) mais aucun descendant ne le montre. Quelques variante d'oïl et fr.pr. montrent une syncope du second ē : type erter, ertar (Thônes, Aussois... mais l'ouvrage ne donne pas la conjugaison) (FEW 4:410a), h.engad.. artêr, Haut Valais artar (FEW 4:411a). 



c. Évolution de ĭ post-tonique interne

Amuïssement :

pessĭmŭm > AO pȩsme "très mauvais"

pe(n)sĭlĕm > AO psle "non foulé [en parlant d'une mesure]", a, niç pèile "poêle [pour chauffer]"

Aussi : toponymes en -nĭcīs.



d. Évolution de ĭ et ē post-toniques finaux

Le ē des adverbes latins a subi la syncope : longē > luenh "loin" (à développer).

Le ĭ : à faire.



4. Interactions entre ē tonique et ē prétonique


Voir infinitifs à prétonique longue : on a souvent deux variantes en AO :


Infinitifs avec ē prétonique interne :

Il existe deux variantes en occitan :


blasphēmăt > *blastēmăt > (AO) blasmar / blastemar, "blâmer"


Variante non syncopée :

blasphēmăt > *blastēmăt > AO blastema => AO blastemar "blasphémer ; blâmer"


Variante syncopée :

blasphēmārĕ > *blastēmā > AO blasmar => AO blasma "(il) blâme" (OM blama / blaima).






E. Évolution de ī

1. Vue d'ensemble sur l'évolution de ī


En position tonique :


ī > i


ou s'il y a diphtongaison devant l :


ī > ie


En position atone (forcément prétonique) :



ī  >  i ou //


La voyelle ī ne change donc pas son timbre depuis le latin.



2. Évolution de ī tonique

Schéma général :


ī > i


ou s'il y a diphtongaison devant l :


ī > ie



Exemples sans diphtongaison :

   

latin

occitan
ī    >
   /i/
dīcĕrĕ (> *dīcrĕ)

dire, díser   "dire"
fīlĭŭ(m)

filh   "fils"
rīpă(m)

riba   "rive"
scrībĕre

escriure "écrire"
spīnă(m)

espina "épine"
trīstĕ(m)

triste   "triste"
vĭcīnŭ(m)

vesin   "voisin"
vītă(m)

vida   "vie"



Mutation de ī tonique > i avec exemples en occitan. 





Exemples avec la diphtongaison devant l :

latin

occitan
ī    >
   /i/
anguillăm > anguīlă(m)

anguiela   "anguille"
aprīlĕ(m)

abrieu   "avril"
argīllăm > argīlă(m)

argiela   "argile"
fīlŭ(m)

fieu   "vie"
pīlă(m)

piela "auge ; pilier"
vīllăm > vīlă(m)
viela "ville" (n.d.l....)



Tableau : exemples de diphtongaison ī devant l.


3. Évolution de ī atone

a. Évolution de ī prétonique initial

Schéma général :


ī > i



Exemples :

  

latin

occitan
ī    >
   /i/
hībērnŭ(m)
ivèrn   "hiver"
rīpārĭă(m)
ribiera   "rivière"



Mutation de ī prétonique > i avec exemples en occitan.



Exemples de disparition par syncope :

 

(GIPPM-1:287-288) : "une voyelle prétonique peut tomber dans [les cas] où la consonne précédente peut former un groupe combiné usuel avec la consonne qui commence la syllabe suivante, exemple dīrēctŭ, c(o)rrotulāre > vpr. dreit ~ drech, croula".



dīrēctŭm > dērĕctŭ(m)oc drech, cat dret, fr "droit" (mais esp derecho) (ē ci-dessus)



latin

occitan
ī    >
  
*dīrēctĭārĕ
dreiçar   "dresser"
dīrēctŭ(m)
drech, dreit   "droit"



Disparition de ī prétonique par syncope.





b. Évolution de ī prétonique interne

Schéma général :


ī > i ou

(ī > i est souvent maintenu dans les verbes, ci-dessous)


Exemples :


rādīcīnăm > (amuïssement du premier ī) *radcina > (2es palatalisations) racina

(on peut penser que si d s'amuïssait d'abord, on aurait raicina puis 3es palatalisations > raizina)


latin

occitan



dŏrmītōrĭŭ(m)
dormidor "dortoir"
rādīcīnă(m)
racina "racine"
*Sābīnĭācŭ(m)

Savinhac (1)






Tableau : évolution de ī prétonique interne


(1) *Sābīnĭācŭm > Savinhac est donné par TGF1:478 pour expliquer l'origine des noms de lieux Savignac dans le sud-ouest, Savigny en français (et Sévigné, etc.)





4. Interactions entre ī tonique et ī prétonique

Il s'agit des verbes : il peut y avoir syncope ou non selon les cas.


• Infinitifs avec ī en prétonique initiale :


Par exemple fīlārĕ > filer, lībĕrārĕ > liurar...

Ces infinitifs sont toujours en accord avec les formes rhizotoniques fīlăt, lībĕrăt... C'est-à-dire que le ī en prétonique initiale et le ī en tonique évoluent tous deux vers i : ils sont conservés.


• Infinitifs avec ī en prétonique interne :


Voir infinitifs à prétonique longue : on a souvent deux variantes en AO, mais pour le moment je n'ai que des exemples où cette prétonique longue est conservée, et non perdue par syncope.


Dans l'infinitif latin, un nombre de syllabes supérieur ou égal à 4 peut entraîner une syncope prétonique (exemples à chercher). Mais l'effet analogique des formes rhizotoniques peut empêcher cette syncope de se réaliser :


 - influence des formes rhizotoniques sur les formes téléotoniques :

admīrārĕ (> amirar).

lat. pop. *arrīpārĕ > arribar "arriver"

castīgā "châtier" : castīgăt "il châtie" > oc castia => castiar, castigar "châtier" (voir g devant a)

ērādīcārĕ > AO arazigar "déraciner"

fătīgārĕ > AO fadiar, fadigar : idem.



- influence des formes téléotoniques sur les formes rhizotoniques :

exemples en occitan ?


ērādīcārĕ > français "arracher" (peut-être oc., esp. arrancar, dont l'origine n'est pas claire)







F. Évolution de ŏ


1. Schémas généraux de l'évolution de ŏ

● En position tonique :


ŏ > ǫ > ò    (ci-dessous)


ou s'il y a diphtongaison conditionnée ou diphtongaison spontanée devant k, v :


ŏ > uò, ué   (ci-dessous)

                            (sans doute à rattacher à l'évolution de ū ci-dessous, pour expliquer /ü/)

                          


● En position atone :


ŏ > o /ʋ/ ou     (ci-dessous)



Cas particulier si o est à l'initiale, en prétonique :


souvent :


ŏ > oʋ̯/    (ci-dessous)






2. Évolution de ŏ tonique

a. Cas général pour ŏ tonique


Schéma général :


sans diphtongaison :


ŏ > ǫ > ò



avec diphtongaison (diphtongaison conditionnée ou diphtongaison spontanée devant k, v) :


ŏ > uò, ue

(voir ci-dessous évolution de ū)



Exemples sans la diphtongaison :

latin

occitan
ŏ >
/ò/
cŏr

còr "cœur"
mŏlă(m)

mòla "meule"
ŏpĕră(m)

òbra "meule"
pŏpŭlu(m)

pòple "peuple"






Tableau : exemples de mutation ŏ > /ò/ pour l'occitan.




Exemples avec la diphtongaison conditionnée :


latin

occitan
ŏ >
ue
cŏrĭŭ(m)

cuer "cuir"
fŏlĭă(m)

fuelha "feuille"
nŏctĕ(m)

nuech "nuit"
ŏctō

uech "huit"



Tableau : exemples de diphtongaison conditionnée de ò pour l'occitan.



Exemples avec la diphtongaison spontanée devant k, v :


latin

occitan
ŏ >
uò, ue
bŏvĕ(m)

buòu "bœuf"
fŏcŭ(m)

fuòc, fuec "feu"
lŏcŭ(m)

luòc, luec "lieu"
ŏcŭlŭ(m) > *ŏclŭ

uelh "œil"
ōvŭ(m) > ŏvŭ(m)

uòu "œuf"



Tableau : exemples de diphtongaison spontanée de ò pour l'occitan.



b. Cas particulier de ŏ tonique devant nasale implosive


α. Fermeture de ò devant nasale implosive en domaine occidental

Une nasale implosive est n ou m devant consonne ou en fin de mot.


Voir action fermante devant nasale implosive ci-dessus.


Dans le domaine d'oc, par un phénomène phonétique analogue au cas de ĕ, il y a fermeture de ŏ devant nasale implosive dès l'AO.


Je cite J. Ronjat (GIPPM-1:185, 186) : "Dès le vpr. o est fermé devant nasale implosive en l. guy. lim. aq. ; à vpr. répond aujourd'hui (§ 84) : bonu, p-, f-, fronte, longu, contrā > boun ~ bou, p-, fount  ~ hount, frount, loung, countro ~ -a  ~ -e, etc... Aire peut-être moindre que pour la fermeture de e (§ 93)."



Comparaison avec l'espagnol (castillan)


En espagnol (castillan), pour quelques mots, la fermeture de ò a dû se réaliser dans les mêmes conditions que l'occitan occidental. Cela serait prouvé par la non-diphtongaison du o (diphtongaison romane) :


abscŏndĭt > esconde "(il) cache" ;

cŏmĭtĕm > conde "comte" ;

hŏmĭnĕm > hombre "homme".


Au contraire, la diphtongaison du ò prouverait la conservation du timbre ouvert : 


cŏmpŭtŭm > cuento "compte" ;

fŏntĕm > fuente "source ; fontaine";

frŏntĕm > *fruente > frente "front" (amuïssement d'une voyelle) ;

*ĭncŏntrat > encuentra "(il) rencontre" ;

lŏngŭm > a.esp. luengo ;

pŏntĕm > puente "pont".


Voir aussi ci-dessous


Sources :

(DCECH 4:131 in DÉRom /'mɔnt‑e/) (trad.esp.)

"L'absence de diphtongaison doit s'expliquer par influence de la nasale".


(RSW 1, § 232 in DÉRom /'mɔnt‑e/) (trad.all.) :

"De même en espagnol, devant nasale implosive, ŏ s'est parfois fermé en ó : cŏmĭtĕm > conde "comte", abscŏndĭt > esconde "(il) cache", hŏmĭnĕm > hombre "homme" [mais pŏntĕm > puente "pont", frŏntĕm > *fruente > frente "front" avec évolution normale du latin vulgaire ò]."





β. Fermeture générale de ò entre m et nasale implosive

Une nasale implosive est n ou m devant consonne ou en fin de mot. Les voyelles è et ò se ferment devant nasale implosive : c'est une régle générale en occitan (voir fermeture du timbre entre nasale et nasale implosive ci-dessus). Mais il quelques existe quelques exceptions, notamment dialectales, voir dans les exemples qui suivent.



β1. mŏntĕm, *sŭbmŏn(ĕ)rĕ

J. Ronjat (GIPPM-1:187) : "La fermeture de mount est parallèle à celle de -men < mente, etc..."


On retrouve en effet le même phénomène de fermeture pour ò et pour è dans le même environnement.


mŏntĕ(m)   >   AO mn(t)   ( > mont /mʋ̃/)


(au lieu de mònt attendu)

  

Exceptions : mònt existe en gascon. En provençal, certaines régions ont aussi une alternance vocalique montar / mònta.


Pour *sŭbmŏnērĕ > *sŭbmŏn(ĕ)rĕ, on ne connaît pas d'exception, ŏ donne toujours un o fermé puis [ʋ] : *sŭbmŏn(ĕ)rĕ > AO somndre... "semondre (inviter)", pr semondre [sémʋ̃dré], pr.ma. sumondre [sumʋ̃dré], voir le type cĭnĕrĕm > cendre (et pour la variante sumondre, voir e > u devant labiale ci-dessus).




Comparaison avec l'espagnol


- dans la variante a.esp. muent, la diphtongaison montre que ŏ a gardé sa valeur ouverte ;

- dans la variante monte (qui a évincé muent), la non-diphtongaison montre que ŏ s'est fermé de la même manière qu'en occitan général (voir DÉRom à /'mɔnt‑e/).

  




β2. mŏnăchŭm et cănŏnĭcŭm


Pour ces deux mots d'origine grecque :


mŏnăchŭ(m) > monicu > *monigu > *mongu > monge "moine" ;

cănŏnĭcŭ(m) > *canonigu > canonge "chanoine" ;


Jules Ronjat (GIPPM-1:277-278, note 2 p. 277) donne trois explications possibles :


- le latin // provient du grec ο (omicron), qui était bref et fermé (GIPPM-1:41) ;


- -ŏnĭcus a subi l'influence analogique de mots en -ōnĭcus : centŭriōnĭcus "de centurion" ;


- au moment de la syncope (*monigu > *mongu), on retrouve l'environnement "nasale - nasale implosive", donc les mots évoluent comme mŏntĕ(m) > mn(t) ci-dessus.









3. Évolution de ŏ atone
a. Évolution de ŏ prétonique initial


En position prétonique initiale, deux évolutions sont possibles :



- ŏ > o /ʋ/ ou


- ŏ > o ʋ̯/     (rarement /u/)




α. ŏ prétonique initial > /ʋ/



Exemples ŏ initial > o /ʋ/ :


latin

occitan
ŏ >
o /ʋ/
cŏgnōscĕrĕ

conóisser "connaître"
cŏllŏcā

colcar, cochar "coucher"
cŏmpŭtārĕ

comptar, contar "compter", "conter"
cŏrbĭcŭlă(m)

corbelha "corbeille"
hŏnĕstŭ(m)

onèst "honnête"
hŏnōrĕ(m)

onor "honneur" (ci-dessous /ównʋr/)
hŏspĭtālĕ(m)

ostau "maison" (hôtel)
mŏnētă(m)

moneda "monnaie"
ŏrnāmĕntŭ(m)

ornament "ornement"
pŏrcĕllŭ(m)
porcèu "pourceau"
Tŏlōsă(m)

Tolosa /tʋlʋzo/a/
tŏnĭtrŭm > tŏnĭtrŭ(m)

tonèire, tonedre...
tŏrmĕntŭ(m)

torment "tourment"






Tableau : exemples d'évolution ŏ initial > o /ʋ/ pour l'occitan.



β. ó prétonique en initiale > /óʋ̯/


(Voir GIPPM-1:296-297)


En situation atone, comme ŭ, ō, ŏ > ó (ci-dessus). Lorsqu'on aboutit à ó roman libre, en position initiale (c'est-à-dire en début de mot, sans consonne antécédente), ou bien dans violeta, vioulon, ó évolue en /óʋ̯/. Voir par exemple volame [vʋlamé] "faucille de moissonneur", et sa variante olame [ówlamé].


Remarque : quelques exemples de ŭ et ō en prétonique peuvent suivre la même évolution.

Voir aussi le français ci-dessus "mûrier" ?


ŏ > o ʋ̯/


Aussi, par action de labiale (ci-dessus : labialisations) :

ŏ > /u/ : ŏpācŭm > ubac, excŏmmŭnĭcāre > AO escumergar




Exemples ŏ > /óʋ̯/ :


latin

occitan
ŏ >
o /óʋ̯/
hŏc + anno

ogan /óʋ̯/, augan "cette année" (SO)
hŏmŏ + -ātĭcŭm

omatge /óʋ̯/ "homage"
hŏnōrĕ(m)

onor /óʋ̯/ "honneur"
*ŏblīdā
oblidar /óʋ̯/, "oublier"
ŏbœdī

obeir, obesir /óʋ̯/, aubesir "obéir"
ŏbŏlŭs
obòla /óʋ̯/ "obole"
ŏdōrĕm
odor /óʋ̯/ "odeur"
ŏffĕrī

ofrir /óʋ̯/ "offrir"
ŏfficium

ofice /óʋ̯/, aufici, ufici  "office"
ŏlīvăm
oliva /óʋ̯/ "olive"
ŏpĕrā

operar /óʋ̯/ "opérer"
ŏpĕrārĭŭm

obrier /óʋ̯/ "ouvrier"
ŏpĭnīŏnĕm

opinion /óʋ̯/ "opinion"
ŏppĭdŭm

Opeda /óʋ̯/ "Oppède"
ŏppīlā

opilar /óʋ̯/ "opiler (obstruer)"
ŏrīgĭnĕm
origina /óʋ̯/, aurigina "origine"
ŏvĭcŭlă(m)

ovilha /óʋ̯/ "ouaille"
ŏvĭtĭă (*ŏvĭdă ?)

Ovesa /óʋ̯/ "Ouvèze" (hydr. 84, 07)
ŏlă + -ĭttăm

violeta /óʋ̯/ "violette"
lat.tard. ŏ + -ōnĕm

violon /óʋ̯/ "violon" 
gaul.  *volammo

 var olame /óʋ̯/ "faucille de moissonneur" (volame /vʋlamé/)



Tableau : exemples d'évolution ŏ prétonique initial > o /óʋ̯/ pour l'occitan. (En rouge : voie savante)






b. Évolution de ŏ prétonique interne

Amuïssement :

Carpentŏractĕ > Carpentràs "Carpentras" (84).



c. Évolution de ŏ post-tonique interne





d. Évolution de ŏ post-tonique final


L'étude de certains comparatifs nominatifs en latin et de leurs descendants en AO montre que  -or > -er :


- gĕnĭtĭŏr > CS genser "plus gentil" (AimPeg in LR 3:461b) ;

- măjŏr > CS mager, maire "plus grand" ;

- mĕlĭŏr > CS męlher "meilleur" ;

- mĭnŏr > CS mẹnre "moindre, plus petit" ;

- pĕjŏr > CS pięger, pęire "pire" ;

- sĕnĭŏr > CS sẹnher "monsieur" ;

- sordĭdĭŏr > CS sordẹjer "pire".


Comme on le voit ci-dessus, l'aboutissement est parfois en -ire. Cela signifie qu'il y a eu syncope, par exemple pour măjŏr :

măjŏr /mayyor/ (> /mayyér/ ?) > /mayyr/ > /mayré/ (avec e de soutien ?)


Certains adjectifs ne montrent que cette variante en -ire : CS belaire "plus beau" < bellatĭŏr.












G. Évolution de ŭ et ō


1. Schémas généraux de l'évolution de ŭ et ō
 




En position tonique :


ŭ, ō > > /ʋ/ (noté o en graphie classique ; ou en graphie mistralienne)



En position atone :


ŭ, ō > /ó/ > /ʋ/ ou





a. Première étape : ŭ et ō > /ó/


Dans les premiers siècles après J.-C., les deux voyelles latines ŭ et ō évoluent vers /ó/.


Le timbre de ŭ évolue en ó


- à la fin du IIIe siècle et au début du IVe siècle en position tonique ;

attesté dans Catŭrrīgăs (accent gaulois ci-dessus) IA > (année 333) Catorigas IB > Chòrjas "Chorges" (05) (IAAH:323).


- au milieu du IVe siècle en la position prétonique ;


- au Ve siècle en position finale (IPHAF:55, 186, 190).

(dates pour la Gaule du nord, probablement peu différentes pour la Gaule du sud).


Cas particulier de conservation du timbre /ʋ/ de ŭ :


En post-tonique interne ou finale, le timbre latin /ʋ/ de ŭ est conservé dans des diphtongues de coalescence :

voyelle (+ éventuellement consonne qui va s'amuïr) + ŭ  >  voyelle + /ʋ̯/ :

post-tonique interne : tēgŭlŭ(m) > teule "tuile" (ci-dessous)

post-tonique finale : dĕŭm > dèu > dieu /dyéʋ̯/ (ci-dessous).


Le timbre de ō évolue en ó au IIe siècle (légère fermeture).





b. Seconde étape : /ó/ > /ʋ/



α. /ó/ > /ʋ/ pour l'occitan



Un millénaire après la mutation ŭ > , lentement à partir du XIVe siècle, /ó/ tonique et prétonique évoluent en /ʋ/. 


Ce phénomène atteint aussi une partie importante du catalan de France (LO:25).


Remarque : je pense que la situation n'est pas si uniforme : encore aujourd'hui, au moins dans l'est du Vaucluse, mes enregistrements laissent parfois entendre un son intermédiaire entre /ó/ et /ʋ/, parfois complètement /ó/.



Détails pour l'occitan (/ó/ > /ʋ/)



Je cite GIPPM-1:143 :


"[ʋ] continue ; le changement s'est opéré à une date incertaine et probablement différente suivant les parlers ; Meyer (MSL, I, 145 ss.) a voulu le faire remonter jusqu'au XIIIe siècle, mais son principal argument, présence de grafies ou dans Girart de Roussillon, est peu probant, le texte en question ayant été rédigé dans l'extrême N. de notre domaine (Marche limousine) et présentant de nombreuses influences fr. (...)"


GIPPM-1:295 :

"L'évolution [ > ʋ] semble s'être accomplie en même temps pour la prétonique et la tonique (...), je rassemble ici, pour les deux cas, quelques faits pouvant indiquer les dates : teoulogia (ChrBBoyss, avant 1414) ; ou est assez rare dans l'AffMaill, dominant dans ChansCarr et à peu près constant en prov. à partir de Bellaud, mais on continue d'écrire on, et non oun, et Cabanes suit encore cet usage ; (avec -u- exponctué ou non), LeysAm I, 64 troubam, 66 et 124 moustra, 95 gouvernadas, 97 tout, II. 21 gouverna, 109 souven, 170 tout, 172 moustrar, 174 coustructiva ; ou sporadiquement en gév. à la fin du XIVe siècle, fréquent dans Crois.pr., n. de l. Louchazals, Chantalouba au cartulaire de Saint-Flour (p. 239, 287, a. 1280, 1287), bay. benedous "vendeurs" en 1336 (Schneider, RDR 1913:404) ; bougo "voulut" en 1300 à Mimizan (Mill. Rec. 183 l. 2) ; dans les comptes consulaires à Riscle ou apparaît en 1445 et devient très fréquent à partir de 1507 ; gév. logre et lugre < lucru (a. 1134) indique seulement, comme nombre d'autres ex., dans des textes rom. et même bas-lat., une ésitation pour adapter l'alfabet lat. à la notation de [ó]."


Je cite aussi HLPA:102 : "mossa, en 1421, devient mousse en 1498 ; ola en 1421 devient oulo en 1508, consol en 1458 devient consoul en 1498".





Conservation du timbre /ó/ dans móuser, soupre / soufre

Seul le provençal conserve le son /ó/ et dans une seule situation : "l (tonique) + consonne" (> /ów/) (GIPPM-1:144, PP:6,7) :


mŭlgĕrĕ > mlzer > pr móuser "traire" ;

sŭlpŭrĕm > slpre > soupre "soufre" (pour la graphie, voir ci-dessous).


Le provençal ainsi que le languedocien évitent l'apparition de /ʋw/, chacun d'une manière différente, qui dépend de la date de la vocalisation de l préconsonantique par rapport à la date de la fermeture /ó/ > /ʋ/ :


- En provençal, la vocalisation de l préconsonantique se fait en premier : cela produit /ów/ qui demeure même après l'évolution générale /ó/ > /ʋ/. (PP:6) : "On voit que le provençal évite lui aussi de produire une séquence [ u w ], mais en bloquant le relèvement de la voyelle."


- En languedocien, la fermeture /ó/ > /ʋ/ se réalise en premier, de ce fait même dans les régions à vocalisation de l implosif, la vocalisation ne se réalisera pas dans ce cas. (PP:5, 6) : "Aucun des parlers languedociens vocalisant /l/ implosif ne le fait après /u/" (PP:5). 


Voir aussi ci-dessus, à une date plus ancienne, óu̯ > ói̯ (où il y a eu même évitement de ów).



Graphie (o, ó)

La graphie "classique" ou alibertine (utilisée dans lexique-provence) conserve o, équivalent de l'ancien , et n'adopte pas le digramme français ou contrairement à la graphie mistralienne.


Pour le cas juste ci-dessus : móuser "traire", l'accent aigu s'impose pour situer l'accent tonique, et c'est le seul cas à ma connaissance où ó se prononce [ó] et non [ʋ]. Pour soupre / soufre, DBFP choisit de ne pas signaler /ó/ par un accent, la seule présence du digramme ou permettant de comprendre qu'on a affaire à une "diphgongue". Le site utilise la même orthographe.





β. /ó/ > /ʋ/ pour le français

Le même phénomène a lieu, mais plus tôt, au XIIe siècle :


- en tonique entravée : dĭŭrnŭm > /djór/ > "jour" ;

- en prétonique libre : gŭbĕrnăt > /góvernə/ > "gouverne" ;

- en prétonique entravée : sŭb(ĭ)tānŭm > /sódai̯n/ > "soudain"

(pour les prétoniques, voir ci-dessous les réactions des "non-ouistes");

(- en tonique libre, le problème ne se pose pas puisque ó a subi la diphtongaison française : ci-dessous).






2. Évolution de ŭ et ō toniques


Schéma général :


ŭ, ō > > /ʋ/ (noté o en graphie classique ; ou en graphie mistralienne)




Pour l'occitan, en position libre ou entravée, ŭ et ō toniques évoluent en /ó/ en LPT, puis en /ʋ/ lentement à partir du XIVe siècle.


Pour le français :
- en position entravée, /ó/ > /ʋ/ dès le XIIe siècle.
- en position libre, /ó/ a subi la diphtongaison française pour évoluer vers les phonèmes /œ/, /ë/ (flōrĕm > "fleur", -ōsŭm > "-eux").
- devant consonne nasale (m / n), en français, l'aboutissement est /ò/ ("couronne") ou /õ/ ("don").
- si ó est suivi d'un i diphtongal de transition, l'aboutissement est oi /ói/ > /wa/ (crŭcĕm > "croix"). En occitan, devant i diphtongal, /ʋ/ est conservé : /ʋi̯/: angoissa.


Exemples :

latin

occitan
ŭ >
/ó/ > o /ʋ/
ō >



angŭstĭă(m)

angoissa "angoisse"
bŭccă(m)

boca "bouche"
Bŭrgŭndĭă(m)
Borgonha "Bourgogne"
bŭxŭ(m)
bois "buis" (1)
crŭcĕ(m)

crotz "croix"
cŭm(ŭ)lăt

combla "il comble"
ŭrnŭ(m)

jorn "jour"
gŭlă(m)
gola "gueule" (2)
lŭpă(m)
loba "louve" (3)
lŭpŭ(m)
lop "loup" (3)
mŭttŭ(m)
AO mt "mot"(4)
mŭscă(m)
mosca "mouche"
pŭtăt
poda "(il) taille"
rŭbĕă(m)
roja "rouge"
rŭptă(m)
rota "route"
rŭptŭ(m)
rot "rompu"
trŭncŭ(m)
tronc "tronc"



évolution /ó/ > /ʋ/ bloquée devant l + consonne en provençal
ŭ > /ó/
 /ó/
mŭlgĕrĕ
móuser "traire"
sŭlpŭrem / sŭlfŭrem
soupre / soufre "soufre"






-ōnĕ(m)

-on "-on"
-ōrĕ(m)

-or "-eur"
-ōsŭ(m)
-ós "-eux"
-tĭōnĕ(m)
-(i)zon "-ison" (savant -cion "-tion")
calōrĕ(m)
calor "chaleur"
carbōnĕ(m)
carbon "charbon"
dōnăt
dona "(il) donne"
dōnŭ(m)
don "don"
flōrĕ(m)
flor "fleur"
hōră(m)
ora "heure"
nĕpōtĕ(m)
nebot "neveu"
nōdŭ(m)
nos "nœud"
ōllă(m)
ola "marmite" (5)
ōrnăt
orna "(il) orne" (6)
pōmă(m)
poma "pomme"
spō(n)sŭ(m)
espós "époux" (7)
tōttŭ(m)
tot "tout"
vōcĕ(m)
votz "voix"



Mutation ŭ, ō > /ó/ > /ʋ/ en position tonique, avec exemples en occitan. La mutation a d'abord été ŭ, ō > /ó/. Puis en occitan, une évolution vers /ʋ/ se réalise à partir du XIVe siècle, de même qu'en français pour les ó entravés (au XIIe siècle). Pour le français, la diphtongaison française pour les /ó/ libres (> /ë/, /œ/ : neveu, fleur) et l'effet d'une consonne nasale (> /ò/, /õ/ : "couronne", "charbon"), rend les aboutissements plus variables qu'en occitan.


(1) Pour bŭxŭm > fr. "buis", le "u" au lieu de "ou" peut par exemple s'expliquer par une fermeture de "ou" devant y (CNRTL "buis").

(2) Pour gŭlăm, il reste à expliquer la variante pr.rh. gula : peut-être emprunt au latin, ou au français.

(3) Pour lŭpŭm, lŭpăm, l'expication des mots français "louve", "loup" est donnée ici (paragraphe des apocopes).

(4) Pour mŭttŭ(m) > pr mòt (francisme ?) : "la finale phonétique -t a été remplacée ici par -ǫt, avant la fermeture de , sur le modèle des nombreux mots terminés en -t < -ŏttu. Cependant l' a pu se maintenir dans ce mot, d'où le vfr. mt [mʋt], comparable au vpr. mt". (PHF-f2:208, remarque II). Le TDF donne aussi la variante adbéarrouerg mout (graph.aut.), qui montre une évolution régulière depuis le latin.

(5) Pour ōllăoc ola (et non òla) impose le latin ō (et non ŏ) ; les dictionnaires latins ne précisent souvent pas la quantité vocalique. Ce ō est conforme à l'évolution en latin aulă > ōllă, voir par exemple cauda > cōdă (pour ōllă, avec gémination du l). Voir Wiktionary ōlla.

(6) Pour ōrnăt, le français "orne" est un emprunt (CNRTL) : la forme régulière serait "ourne".

(7) Les mots français "époux", "épouse" seraient des développements d'après "épouser" (CNRTL à "époux") : voir ci-dessous /ó/ en prétonique.



Cas de cōnstrŭĕrĕ, dēstrŭĕrĕ > construire, destruire : voir ci-dessous le système dēstrŭō, frŭŏr, flŭō, dūcō.




Autres aboutissements de ŭ, ō

J. Ronjat (GIPPM-1:143-148) présente des aboutissements différents de /ʋ/.


Conservation de l'ancien timbre roman /ó/

Voir ci-dessus móuser, soupre.


Traitement francoprovençal.



3. Évolution de ŭ et ō atones

a. Évolution de ŭ et ō prétoniques


Pour l'occitan, que ce soit en position libre ou entravée, ŭ et ō prétoniques évoluent en /ó/ en LPT, puis en /ʋ/ lentement à partir du XIVe siècle.



Parfois ŭ et ō > /óʋ̯/, voir ci-dessous ŏ > /óʋ̯/.


*cŭrtĭcā > (voir DOM acorchar)


Pour mōrŭs > amorier (avec suffixe -ier) "mûrier" : le français semble parfois suivre une fermeture de o prétonique en u. Voir ci-dessous ŏ initial > u.




Pour le français, on a le même aboutissement qu'en occitan (/ʋ/) dès le XIIe siècle. Cependant aux XVIe et XVIIe siècles, une réaction de certains grammairiens a réussi à imposer un retour vers /ó/ dans certains mots : "arroser", "corvée", "fromage", "soleil"... Ces grammairiens étaient surnommés "non-ouistes", et s'opposaient aux "ouistes", qui étaient en faveur de la prononciation et de l'orthographe "ou". Ce "ou" a ainsi survécu dans "fourmi", "fourniture", souris"... (d'après Brunot in PHF-p:123). Comparer aussi les noms de ville Boulogne (ville française) et Bologne (ville italienne), voir Bŏnōnĭă. Voir réaction des non-ouistes (clivage oc/oïl).


Citons GIPPM-1:289-290 : "On observe dans des langues très diverses une tendance générale des voyelles non intenses à abrègement (évolution qui peut aller jusqu'à l'amuïssement), à fermeture (corollaire du phénomène précédent), à relâchement. [...] Les effets de fermeture sont nombreux : ´ > ʋ´], dans la plupart des parlers : ´ > é´], dialectal a > o".


Exemples :

latin

occitan
ŭ >
/ó/ > /ʋ/
ō >






Bŭrgŭndĭă(m)

Borgonha "Bourgogne"
fūsĭōnĕ(m) > *fŭsĭōnĕ(m)

foison "foison"
 gŭbĕrnăt

govèrna "il gouverne"
gŭbĕrnŭ(m)

govèrn "gouvernement"
gaul Lŭtēvă(m)

Lodeva "Lodève" (34)
pŭlmōnĕ(m)

poumon "poumon"
Rŭtēnŏs
Rodés "Rodez" (12)
sŭbĭndĕ

sovent "souvent"






pōtĭōnĕ(m)

poison "poison"
prōmĭttĭt

promet(e) "il promet"
*sōlĭcŭlŭ(m)

solelh > soleu "soleil"






Mutation ŭ, ō > /ó/ > /ʋ/ en position prétonique, avec exemples en occitan. La mutation a d'abord été ŭ, ō > /ó/. Puis en occitan, une évolution vers /ʋ/ se réalise à partir du XIVe siècle, de même qu'en français pour les ó entravés (au XIIe siècle).



ó prétonique en initiale > /óʋ̯/
  

Voir ci-dessus. (Y a-t-il des cas avec ŭ et ō ?)



b. Évolution de ŭ prétonique interne
   

Amuïssement :


cŏmpŭtārĕ > comptar ; contar, en interaction avec cŏmpŭtăt.





c. Évolution de ŭ post-tonique interne
   
α. Amuïssement par syncope de ŭ post-tonique interne


La syncope des proparoxytons avec ŭ post-tonique se traduit par un amuïssement de ŭ :


aurĭcŭlă(m) > aurelha "oreille" (cl, gl, tl)

compŭtăt > còmpta "il compte" ; cònta "il conte"

rēgŭlă(m) > relha "reille du soc" (type -lha)

trĕmŭlăt > trèmbla "il tremble" (m + l)

vĕtŭlŭ(m) > vièlh "vieux" (cl, gl, tl).



β. Basculement d'accent tonique sur ŭ post-tonique interne


Il peut y avoir basculement d'accent tonique :  > /ó/ > /ʋ/ :


trĕmŭlăt > tremola "il tremble"

tēgŭlă(m) > dauph tivola, tievola "tuile" (type -ula, -vola)

strangŭlăt > (pr.ma., g, auv,...) estrangola "il étrangle"



γ. Conservation du timbre /ʋ/ en post-tonique interne dans des diphtongues de coalescence


Voir en post-tonique interne.

Voir aussi ci-dessous en post-tonique finale.


latin

occitan
ŭ
>
/ʋ/



frāgŭlă(m)

a fraula "fraise"
rēgŭlă(m)
n.d.l. Reule "La Réole, Larreule"
tēgŭlŭ(m)
teule "tuile"
trāgŭlă(m)
lim traula "châsse d'un métier à tisser"



Tableau. Conservation du timbre de ŭ latin en post-tonique interne dans des diphtongues de coalescence.





d. Évolution de ŭ et ō post-toniques finaux
α. Disparition de /ó/ au moment des apocopes (en général)

En post-tonique finale : le ŭ issu de -ŭs, -ŭ(m) évolue en /ó/ à la fin du Ve siècle en position finale (pour le domaine d'oïl du moins : IPHAF:55,186,190), voir ci-dessus fin Ve siècle. Puis il s'amuït au moment des apocopes, au cours des VIIe et VIIIe siècles.



Pour de 1e.p.s. (cantō "je chante"), il évolue en /ó/ au Ve siècle, puis disparaît également au moment des apocopes. De même pour de certains adverbes (rĕtrō). Cependant, ce est conservé dans les parlers alpins (/ʋ/) : cantō > canto "je chante" (références) ; dans les autres parlers : cantō > AO cant > canti / cante). Voir Apocope 1e personne au présent.



À étudier : sērŭm, sērō > AO sr (n.m.) / sra (n.m. et f.) "soir".





β. Conservation du timbre /ʋ/ en post-tonique finale dans des diphtongues de coalescence

Voir en post-tonique finale.

Le timbre /ʋ/ de la voyelle latine ŭ est resté figé grâce à des diphtongaisons par coalescence. C'est certain pour dĕŭm, mĕŭm, rōmaeŭm ci-dessous, et c'est très probable pour les mots qui semblent présenter un amuïssement de consonne intervocalique (voir type fāgŭm, type tēgŭlŭm, type clāvŭm). Voir aussi ci-dessus en post-tonique interne.




latin

occitan
ŭ
>
/ʋ/



clāvŭ(m)

clau "clou" (1)
dĕŭ(m)

dèu > dieu "dieu"
fāgŭ(m)

fau "hêtre"
*fragŭ(m)

AO frau "terrain inculte"
jūdæŭ(m) > *jūdĕŭ(m)

jusèu > jusieu "juif"
mĕŭ(m)

mèu > mieu "mien"
rōmæŭ(m) > *rōmĕŭ(m)

romèu > romieu "pèlerin"



Tableau. Conservation du timbre de ŭ latin en post-tonique finale dans des diphtongues de coalescence.

(1) pour clāvŭ(m) > clau "clou", il est sans doute impossible de savoir s'il a évolué par amuïssement de -v-, ou par amuïssement de puis vocalisation de -v. Pour le français, on a forcément clāvŭ(m) > (amuïssement de v) /klaʋ/ > /klaʋ̯/ > /klɑʋ̯/ > /klòʋ̯/ > (XIIe siècle) /klʋ/ (IPHAF:118), sinon on aurait eu clef. Voir ambiguïté de l'occitan vis à vis de la vocalisation du v final.




Cas des toponymes en -măgŭs (proparoxytons) > Nions, Condom, Riom


Pour les noms de lieux d'origine gauloise en ´magos (> ´măgŭs en latin) "champ ; marché", en domaine d'oc, on peut donner :


- Condomagos "marché de la confluence" > Condom (12, 32) /kῦdῦ/? (prononciations mal connues !).


- Noimagos (Ptol), sans doute représentant du gaulois Noviomagos "nouveau marché" > Nions "Nyons" (de même origine que "Noyon" dans l'Oise, Noviomago, IIIe s.) (TGF1:191). On peut penser que *Novio- s'est rapidement simplifié en *Noio- (comme pluvia > pluia), puis sans doute en Nio- (ce que ne montre pas la transcription de Ptolémée).


- Ricomagos "marché royal" (peut-être avec c prononcé à la gauloise /χ/, voir -acum) > Riom / Rioms (15, 26, 63), Ruoms (07). (Prononciations mal connues, le nom de Riom (63) serait Riam, prononciation exacte ?), les autres Riom auvergnats seraient prononcés [riʋ] (Wikipédia).


- Senomagus (Senomagos "vieux marché") IA, Peut > TDF Senòs "Saint-Pierre-de-Senos" (bol84) (par opposition à Noviomagos "nouveau marché" > Noiomagos, ancien nom de Saint-Paul-Trois-Châteaux, sans descendance, ATSPTC:13-15). On attendrait Senoms.


Il apparaît donc que, comme en français (Rotomagos > vers 1130 Ruëm > "Rouen", -magos est réduit à -m. L'amuïssement de g devant o / u mène à -mau, au a pu être monophtongué en -o comme en français (?), puis l'apocope mène à -m.




 

4. Cas particulier : dēstrŭō, frŭŏr, flŭō, dūcō

Les représentants en occitan et français actuels destruire, construire, conduch, fruch "détruire, construire, conduit, fruit" contiennent u : cela nécessiterait un ū long latin. Or les dictionnaires donnent :


• -strŭĕre, -stru, -structus (> construire, destruire, estruire...) ;

frŭor, frŭctus ; frūx, frūgis (*frūctum > fruch, "fruit") ;

-flŭĕre, flūxī, -flūxus (sans dérivé populaire ?) ;

• -dūcĕre, -dū, -dŭctus (> conduire, desduire, aduire...) ;


Pour les trois premiers points ci-dessus, il est fort possible qu'on ait une réalisation consonantique du segment final d'un u long. En tout cas, si le u était parfois bref, il y a dû y avoir homogénéisation analogique de tout le système, avec l'instauration d'un ū long généralisé.







H. Évolution de ū


1. Schémas généraux de l'évolution de ū


En position tonique :


sans diphtongaison :

ū /ʋ/  >  /u/


avec diphtongaison devant l :

ū /ʋ/  >  /üò/    (ou par évolution : cūlŭm > cuòu / quiéu "cul")


Remarque : le type fuòc /üò/, fuec... < fŏcŭm doit sans doute être rattaché à cette évolution selon :

ŏ > /ʋò̯/ > /uò̯/ > /üò/... (voir ci-dessus diphtongaison de ŏ)


En position atone (forcément prétonique : voir règle 3) :


ū /ʋ >  /u/ ou //





2. Évolution /ʋ/ > /u/ (antériorisation)


a. ū latin > /u/
 


Dans toute la France actuelle (domaines d'oïl et d'oc) ainsi qu'en Italie du nord, le u long latin (ū /ʋː/) a acquis le timbre /u/. Il est resté /ʋ/ en catalan et en wallon (en Savoie ? À étudier : fŏcŭm > [fwa], de même en Gascogne : fŏcŭm > [hwék]).

(Pour le wallon, voir DDBR:vocalisme§25, LGVW:57 et les simples citations dans LPEPH:213, IPHAF:91).


Selon F. de La Chaussée (IPHAF:91), la voyelle ū change progressivement son timbre : de /ʋ/, il évolue lentement vers /u/, stade atteint au VIIe siècle comme dans le domaine gallo-roman. Cela est vrai en position tonique ou prétonique, libre ou entravée.


Trois explications ont été proposées pour expliquer ce phénomène (Pu>ü, source archivée ici) :

- influence du substrat gaulois (le celte ne possédait pas la voyelle /ʋ/ mais possédait bien la voyelle /u/) ;

- perte d'énergie dans l'articulation (IPHAF:91) ;

- érosion d'un système vocalique avec plus de quatre degrés d'aperture postérieure.

Le débat n'est absolument pas tranché et aucune de ces trois explications ne l'a emporté.


En Gaule du nord, le processus d'antériorisation du u a peut-être commencé au IVe siècle pour s'achever au VIIe ou VIIIe siècle. L'antériorisation du u "a dû commencer après la palatalisation de k, g devant e, i, et même devant a" (IPHAF:69), sinon on aurait eu cūram > *sure ou *chure, et non "cure".

Pour le midi de la France, citons :
"le changement de u en ü n'avait pas été complet en Gaule dès l'origine ; autrement le c d'un mot comme cupa (> fr. "cuve") aurait dû se palataliser (*chuve) ; d'autre part, vers le VIIIe siècle, le nouveau son ne devait pas être répandu dans tout le midi de la France, puisque c'est l'époque où le catalan qui conserve u a commencé à se détacher de l'occitan." (Karl Gebhardt, source archivée ici).



Les régions où l'on prononce /ë/ au lieu de /u/, largement représentées dans le domaine étudié, montrent sans doute une antériorisation incomplète du ū latin (je dois développer ici).





b. Ancienne diphtongue /ʋò̯/ > /üò/ etc.
  


L'antériorisation a aussi agi sur le /ʋ/ des diphtongues, voir effet de l'antériorisation du /ʋ/ sur la diphtongaison /ò/ > /ʋò/).





3. Évolution de ū tonique

Schéma général :


ū > /ʋ/ > /u/


ou s'il y a diphtongaison devant l :


ū > /üò/    ou /yé/


Vers le VIIIe siècle, /ʋ/ devient /u/ comme dans tout le domaine gallo-roman (antériorisation du /ʋ/).



Exemples sans diphtongaison :

latin

occitan
ū /ʋ:/ > /ʋ/
> /u/
-dūcĕrĕ

-duire (-durre) "-duire"
-dūcĕt

-dutz "-duit" (adutz, condutz...)
-ūră(m)
-ura (armadura "armure"...)
cūră(m)

cura "cure"
-dūnŭ(m)
(Eberodūnŭm)

-(s)un ("fort", dans les noms de ville)
(Embrun, a Ambrun "Embrun", 05 ; AO Embrezun)
frūctŭ(m)
fruch "fruit"
fūstĕm > *fūstă(m)

fusta "poutre (fût)"
jūdĭcĕ(m)
jutge "juget"
lūcĕ(m)

lutz "lumière"
lūcĕt

lutz "(il) luit"
lūnă(m)
luna "lune"
mĭnūtŭ(m)
menut "menu"
mūrŭ(m)
mur "mur"
mūtăt
muda "(il) mue"
nūllŭ(m)
nul "nul"
plūmă(m)

pluma "plume"
pūrgăt
purga "(il) purge"
ūnă(m)
una "une"
ūnŭ(m)
un "un"
vĭrtūtĕ(m)
vertut "vertu"



Mutation de ū tonique > /ʋ/ > /u/ avec exemples en occitan




Exemples avec la diphtongaison devant l :


latin

occitan
ū /ʋ:/ > /ʋ/
> /üò/, /yé/
cŭcūlŭ(m)

coguòu, coguieu "coucou"
cūlŭ(m)

cuòu, quieu "cul"
mūlŭ(m)

muòu, mueu "mulet"
mūlă(m)

muòla, muela "mule"



Tableau : exemples de diphtongaison ū devant l.



Évolution de /uʋ̯/ :


Cas de pūlĭcĕm > (AO) piussa, (l) pieuse... "puce"


Je ne pense pas qu'il ait diphtongaison devant l, mais plutôt une simple vocalisation de l devant consonne, puis évolution de /uʋ̯/.

Voir d'ailleurs ci-dessous piucèla en prétonique.


latin

occitan
pūlĭcĕm
(AO) piussa, (l) pieuse... "puce"



Tableau : cas de pūlĭcĕm > (l) pieuse... 



4. Évolution de ū atone

a. Évolution de ū prétonique initial


Schéma général :


ū  >  /ʋ/  >  /u



Exemples :


latin

occitan
ū /ʋ:/ > /ʋ/
> /u/
frūmentŭ(m)

AO fromẹn "froment", voir frūmentŭm (ci-dessus).
Hūgōnĕ(m)

Ugon "Hugon"
hūmānŭ(m)

uman "humain"
jūmentŭ(m)

AO jumẹn "bête de somme"
ūnī

unir "unir"
Ūcĕtĭăs

Usès "Uzès"
ūrīnă(m)
(l) urina "urine" (1)



Infinitifs avec ū en prétonique initiale : ci-dessous
fūmā
AO fumar "fumer"



Mutation ū prétonique > /ʋ/ > /u/ avec exemples en occitan.


(1) Pour ūrīnăm, (pr) aurina serait un croisement ūrīnă X auru "or" (GIPPM-1:293).


Évolution de /uʋ̯/ :


Cas de *pūllĭcĕllăm > AO piusęla, OA piucèla "pucelle"

(plutôt que *pŭllĭcĕllăm, voir discussion FEW 9:526)

Il y a vocalisation de l devant consonne puis évolution de /uʋ̯/ (à mieux étudier).

Voir ci-dessus piucèla.


latin

occitan
*pūllĭcĕllă(m)
AO piusęla, OA piucèla "pucelle"



Tableau : cas de pūllĭcĕllăm > piucèla...






b. Évolution de ū prétonique interne

Schéma général :


ū >

(mais ū > u peut être maintenu dans les verbes, ci-dessous)


Exemples :


latin

occitan
co(n)sūtūră(m)
AO costura "couture"
mātūtīnŭ(m)
AO matin "matin"



Infinitifs avec ū en prétonique interne : ci-dessous
adjūtārĕ
AO ajudar / aidar "aider"



Tableau : évolution de ū prétonique interne




5. Interactions entre ū tonique et ū prétonique


Il s'agit des verbes : il peut y avoir syncope ou non selon les cas.


• Infinitifs avec ū en prétonique initiale :


Pour les infinitifs de type fūmā, le ū est toujours conservé, de la même manière que les autres mots avec ū en prétonique initiale (ci-dessus): fūmārĕ > fumar (GIPPM-1:293), dūrārĕ > durar, jūrārĕ > jurar, mūtārĕ > mudar... (PHHL:217), sūdārĕ > susar ; de même pour les verbes de la deuxième conjugaison : lūcērĕ > lusir. Les formes rhizotoniques fūmăt, dūrăt..., lūcĕt ont peut-être renforcé le maintien de la forme entière (fumar et non fmar) ; mais un radical sans voyelle serait en outre difficilement envisageable.


• Infinitifs avec ū en prétonique interne :


Voir infinitifs à prétonique longue : on a souvent deux variantes en AO


adjūtā "aider" > ajudar / aidar


(b.lat.) dĭsjējūnārĕ > AO dejunar (francisme probable) / AO disnar, dinnar, dinar ; en français : déjeuner / dîner. (GIPPM-1:311)


mandūcā "manger" > AO mandugar / AO manjar, mengar, menjar...

- variante non syncopée : mandūcārĕ > AO mandugar, manjuiar sont attestés : ces formes conservaient le u comme ajudar ci-dessus (manduc "je mange" PSW ; mandugar EGO sans source ; manduja "il mange" PSW).

- variante syncopée :  AO mengar, mingar (fermeture de la voyelle par influence fermante de m et ng ; influence de a.fr. pour g > j) manjar => manja.


*pĕrtūsā "percer" > AO pertuzar / AO persar (perçar) (ce dernier est un francisme selon FEW 8:290b)

- variante non syncopée : pertusar. C'est probablement la seule variante en AO (pertuzar) (FEW 8:290b dit qu'on dispose de peu d'occurrences, ce qui me semble à nuancer pour le moins) ; elle est obtenue par l'influence des formes rhizotoniques comme *pertūsăt "il perce", *pertūsū(m) "trou". En a.fr. aussi, le verbe pertuisier était fréquent (< *pĕrtūsĭā et non *pĕrtūsā), et il survit dans les dialectes (voir FEW 8:290b, CNRTL "pertuiser", ALF:997 "percer" : le type pertuiser est représenté ([patyuzé]...) depuis 54 jusqu'à 25 ; en domaine d'oc : pertusar, partusar 07, 05). L'a.fr. pertuisier conserve le u car la forme latine *pĕrtūsĭā contenait un ū en syllabe fermée (par sĭ > sy) ; voir PH-2020:280§158 : "Une voyelle (atone) prétonique en syllabe fermée primaire n'est jamais syncopée (...)."


- variante syncopée : perçar (francisme probable). Aujourd'hui, c'est la variante la plus fréquente, en occitan comme en français.