Aujourd'hui, c cédille (ç)
est utilisé en graphie "classique" dans des situations semblables à
celles du français, avec beaucoup plus d'occurrences (lança
"lance", bòça "bosse", braç "bras"...). Ce
que ce soit pour le latin c + ĭ, ĕ en hiatus ou pour consonne t + ĭ, ĕ en hiatus, l'aboutissement actuel /s/ se transcrit par c cédille (ç) en graphie "classique", même en fin de mot (braç "bras" < brāchĭŭm). Voir PCLO:40-41, archives ; l'auteur donne plusieurs exceptions et problèmes divers pages 41-42.
Avant de présenter l'étude qui suit, je dois préciser que la lecture des divers articles traitant de l'histoire de la cédille, ainsi que l'étude des fac-similés de manuscrits, ne permet pas d'expliquer clairement l'origine de ce signe.
Je pense que Maria Selig (PÉLR:127) fait un résumé un peu abusif (
Le mot
"cédille" provient de l'espagnol cedilla
(1558, DHLF) "petit zède" ; la
forme ancienne cerilla, 1492,
proviendrait d'un type de prononciation ce
Pourquoi "petit zède" ? La première occurrence ci-dessus (cerilla, 1492), désigne le signe souscrit sous le c : "la Gramatica de la lengua castellana de Nebrija [GLC], qui parle de ç comme « uno <c> cuando debaro della acostumbramos poner una señal que llamamos cerilla »" (MLASLH:6) ["un c quand sous celui-ci nous avons l'usage de mettre un signe que nous appelons cerilla"]. C'est bien le sens que nous employons toujours en français pour "cédille", alors que pour l'espagnol, le dle.rae donne comme premier sens (trad.esp.) : cedilla "signe orthographique formé d'un c et une petite virgule souscrite (...)" ; le sens commun au français vient seulement en second.
La cédille serait ainsi un petit z placé sous le c.
Cependant il faut avoir à l'esprit que ce nom
n'explique pas forcément la genèse de ce signe.
La démarche de Clovis Brunel (RPCP:347) repose sur les occurrences du
Ce digramme aurait évolué par un déplacement du ʒ comme signe accessoire sous le c.
(Cependant, il faut noter que dans SFoi, le z dans czo est une sorte de petit z à toupet : ꝣ (voir le z à toupet espagnol ci-dessous).
Par ailleurs, l'auteur reconnaît de petits ʒ placés dès le XIIe
siècle, en signes
Clovis Brunel (RPCP:347) : (j.m.c.g.) "La lettre c figurait en latin à l'époque classique un son unique, celui de l'occlusive palatale sourde (k). Dans la formation des idiomes romans, ce son put varier si la voyelle suivante était soit a, soit e ou i. Dès que la langue vulgaire commença à être écrite, le problème se posa donc pour ceux qui voulaient maintenir la tradition de l'emploi du c étymologique d'attribuer à cette lettre plusieurs valeurs phonétiques. L'idée vint de la faire suivre d'une lettre déterminée et de considérer par convention le groupe ainsi formé comme le représentant de l'une des consonnes développées du son primitif. En Gaule, par exemple, on usa des deux lettres ch pour désigner la chuintante sourde qu'avait pu devenir le son du c devant a, et du groupe cz quand, dans la syllabe traditionnellement écrite co, la consonne avait le son ts. Le mot venu de ecce hoc (fr. moderne ce) est ainsi figuré dans la Cantilène de sainte Eulalie comme dans la Chanson de sainte Foi d'Agen par czo. On comprend qu'on ait cherché à donner à l'élément différentiel du c une importance graphique accessoire, que le z ait été placé au-dessous du c, puis qu'il ait été réduit au petit z que nous appelons, après les Espagnols, la cédille. Employé au moyen âge particulièrement dans les manuscrits d'Espagne et d'Italie, ce signe fut, comme on sait, introduit dans la typographie française au XVIe siècle par Geoffroi Tory."
Ci-dessus : Détail du fac-similé de Eulalie (minuscule caroline, début des vers 21 et 22), montrant l'utilisation de z :
- soit en digramme cz, avec la valeur /ts/ dans czo (< eccĕ hŏc) (souligné deux fois en rouge).
- soit seul, avec la valeur /dz/ (dans domnizella) (souligné une fois en rouge).
Transcription : A czo nos voldret (...) / La domnizella celle (...)
Traduction mot à mot : "A cela il ne voulut (...) / La demoiselle cette (...)"
Ci-dessus : Détail du fac-similé de SFoi 11-15, montrant l'utilisation de ʒ (z) (qui a la forme d'un petit z à toupet : ꝣ):
- soit seul, avec la valeur /dz/ (dans viʒin, raʒo, greʒesca) (souligné une fois en rouge) ;
- soit en digramme cʒ, avec la valeur /ts/ dans cʒo (< eccĕ hŏc), cancʒon (< cantĭōnĕ) (souligné deux fois en rouge). Ce graphème est très proche de celui d'Eulalie ci-dessus.
Transcription : (...) cuma fradin / Nolʒ sebelliron lur viʒin. / Cʒo fo prob del temps Constantin. / Cancʒon audi q'es bella 'n tresca / Que fo de raʒo espanesca / Non fo de paraulla greʒesca (...)
Traduction (CSFA:39) : "(...) comme misérables ; leurs voisins ne les ensevelirent pas. Ce fut vers le temps de Constantin. J'entendis chanson qui est belle en danse, qui fut de matière espagnole. Elle ne fut pas de parole grecque (...)"
Ci-dessus : t et d cédillés (ţ et ḑ),
sans doute à valeur /ts/ et /dz/ (extrait de RPCP:348)
1. Dans efanţ "enfants" (vers
1120, charte de Raimon de Millau aux Hospitaliers de Rayssac en
Albigeois, ligne 4)
2. Dans anţ "ans" (PassClerm vers 5, voir juste ci-dessous).
3. Dans le nom de femme Maenţ
(XIIIe siècle, fragment de chansonnier
provençal, Rajna:238 "Namaeutz"
= Na Maentz)
4. Dans le nom de femme sujet Gauḑios
(prénom Jauzion/Gauzion), nom
de lieu Boissaḑo
(actuellement Boissezon,
Ci-dessus : Détail du fac-similé de PassClerm
(vers 1 et 2) montrant l'utilisation de certains
- Une forme de z à toupet (souligné une fois en rouge) (voir ci-dessous le z espagnol à toupet) sans doute à valeur [ts] ; ce graphème apparaît plusieurs fois, notamment au vers 21 : talenz "volontés" où ꝣ est très bien formé.
- Des e à cédille (soulignés
deux
fois en rouge) ; normalement, ȩ indique un e
ouvert [
- un t à cédille (souligné trois fois en rouge), dont la signification phonétique pourrait être un léger t suivi de s ou z devant la voyelle suivante : [ts] ou [tz]; le t serait épenthique, entre n et le s du pluriel ([ans] "ans"), en tout cas ţ avait la valeur [ts] dans les deux autres mentions de la figure au dessus (extraite de RPCP:348). Les autres
Transcription (W. Förster/E. Koschwitz, Heilbronn: Henninger 1884) : (...) passiun. los|sos affanz vol remembrar per quę cest mund tot a|salvad: Trenta tres anț et al|ques plus des quę (...)
Traduction PNSJC:16 "(...) la passion, Ses tourments je veux rappeler / Puisque ce monde il a tout sauvé. / Trentre-trois ans il eut et un peu plus (...)"
(en remerciant la Bibliothèque Clermont Auvergne Métropole pour l'envoi du fac simile ; MS 240 (189), f. 109va-111rc)
Plus tard, Åke Grafström adopte la même position de Clovis Brunel, dans les mêmes termes :
ÉMPACL:121-122 : (j.m.c.g.) "Comme on prononçait cors, etc. avec [k] ["corps"], la graphie étymologique co (cf. aico [prononcé /aytsò/], § 42) était peu apte à représenter p. ex. le continuateur de ecce hoc [voir étymologie de çò]. Dans de tels cas, on a eu l'idée de faire accompagner le c d'un z. Ainsi, on trouve czo (< ecce hoc) dans la Chanson de sainte Foy. Il est naturel qu'on ait essayé de donner au z une importance graphique accessoire en le plaçant au-dessous du c et qu'on l'ait réduit ensuite au petit z appelé, d'un nom espagnol, la cédille. Au moyen âge, ç fut spécialement employé en Espagne et en Italie.
Quant à nos textes, c cédillé seul se rencontre dans
quelques chartes
Cependant, comme le dit lui-même Åke Grafström ci-dessus, on n'a que peu d'exemples de c cédillé dans les plus anciennes chartes languedociennes.
À ce sujet, il faut bien constater qu'on n'a pas d'étude menée pour les manuscrits occitans, catalans et français, de la qualité de celle menée par R. Menéndez-Pidal pour les manuscrits espagnols ; l'accès aux fac-similés est encore souvent impossible ; les conclusions qu'on tirera ici seront donc forcément partielles.
Pour l'espagnol au contraire, l'usage d'une forme de cédille peut être
suivie presque (?) sans discontinuer depuis l'
Ramón Menéndez-Pidal a étudié avec soin de nombreux manuscrits castillans (CDMC:212-221).
Le
Selon CDMC:215 (bas de page), J. Saroïhandy (ç-z-AE:199 note 1) affirmerait de façon trop peu étayée "L'emploi de la cédille est probablement, en Espagne, une imitation d'un usage français ou provençal." La longue étude de R. Menéndez-Pidal veut démontrer que la cédille est d'origine castillane ; ce dernier auteur explique qu'il ne comprend pas comment J. Saroïhandy a pu écrire cette phrase. J. Saroïhandy se laisserait abuser par les éditions de manuscrits comme celui de PassClerm où le retranscripteur contemporain ajoute des cédilles là où il n'y en a pas sur le manuscrit (mais il y a bien une cédille sous le t dans anţ, voir l'illustration ci-dessus) ; je citerai aussi le même abus de retranscription pour Boeci : P. Meyer donne (RAT:25) contençó (vers 56) alors que le manuscrit (occitanica.eu) montre contencó. De façon générale, les éditions de manuscrits sont des interprétations qu'il faut utiliser avec beaucoup de prudence ; aujourd'hui les éditeurs devraient coller le plus possible aux manuscrits (le mieux étant de fournir aussi le fac-similé, comme par exemple le remarquable CDMC-1998).
Voici le résumé de l'étude de R.
Menéndez-Pidal sur ç et z (CDMC:211-221), avec mes remarques (signalées par
"
1. Le z wisigothique : ꝣ
Le z
était utilisé dans l'
![]() "martino de kalꝣata" (ç est souligné en rouge) (charte XXIII de PV, année 960) |
![]() "garꝣia" (prénom) (charte XXXVI de PV, vers 1100) |
Ci-dessus : Détails de fac-similés d'anciennes chartes castillanes montrant l'emploi du z wisigothique : ꝣ (il est retranscrit z dans PV).
2. Le z
à toupet wisigothique s'est perpétué lorsque l'écriture gothique ("letra francesa") a remplacé
l'écriture wisigothique au XIIe siècle. Le z
gothique avait déjà deux formes possibles : z
avec queue descendante en haut à gauche (𝔷), et z
avec queue ascendante en haut à gauche, c'est-à-dire avec toupet (ꝣ), mais ce toupet n'avait jamais
clairement la forme d'un c,
alors que le toupet wisigothique occupe davantage la
3. Le z wisigothique est utilisé de plus en plus fréquemment au XIIIe siècle, avec un toupet parfois encore un peu plus petit que le c (Sahagun 1223, fernandeç : ce document perpétue l'usage wisigothique de placer des ç en fin de mot, ce que ne fera plus le vrai ç), mais surtout avec un toupet occupant clairement toute la hauteur d'x, exactement à la manière d'un c. (voir 1227 : Gonçalvo, Gonzaleç, Pereç). Les scribes utilisant l'écriture gothique virent alors dans ce z à toupet plutôt un c à queue. Pour preuve, certains scribes utilisent ce graphème à la place du c.
4. La véritable cédille apparaît : c'est un appendice, peut-être dès 1210 façer. La volonté du scribe de donner à la cédille un statut d'appendice se reconnaît dans la forme d'un zigzag étroit, ou bien dans la finesse du trait, ou bien dans le détachement du c, etc. (conoçuda p. 219, 1243).
5. À partir de 1240, le ç est réservé pour la fricative sourde, et le z pour la fricative sonore. C'est le cas dans Cid (R. Ménendez-Pidal estime que c'est un argument pour dater le seul manuscrit connu, de 1320 et non de 1207).
![]() "las lanças" |
![]() "garçia" |
Ci-dessus : Détails de fac-similés d'extraits du manuscrit Cid, montrant l'usage du ç (facsimilefinder.com).
PÉLR:127-128 : "Comme résultat de l'application
de la